Viol, torture, travail forcé… En Mauritanie,
dernier pays au monde à avoir aboli l’esclavage en 1981, des milliers d’hommes,
de femmes et d’enfants vivent toujours cloîtrés et maltraités par leurs
«maîtres», dans l’indifférence d’une société qui refuse de se regarder en face.
El Watan Week-end a rencontré des militants et des esclaves affranchis qui se
battent pour la dignité.
«Je ne me
souviens pas de mes parents. Depuis que je suis toute petite, je n’ai connu que
mes maîtres.» Mbarka, jeune esclave noire, a été libérée par le militant des
droits de l’homme et anti-esclavagistes mauritanien, Birame Ould Dah Ould
Abeid. «J’étais la propriété exclusive de mon maître, poursuit-elle. Je dormais
sur une natte, j’étais chargée des travaux domestiques, de la cuisine, des
animaux et d’autres travaux. Un jour, mon propriétaire m’a violée. Je crois que
je n’avais pas encore mes règles, je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait.
Quelques semaines plus tard, c’est son fils, âgé de 20 ans, qui m’a persécutée
et violée. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont fait ça, alors que j’étais très
obéissante», raconte Mbarka.
On a du mal
à deviner son âge, puisqu’elle ne possède aucun papier de l’Etat civil, ni
parents, ni lignée, ni carte nationale. Mbarka a les traits d’une poupée qu’on
ne voudrait toucher, le regard pénétrant qui raconte une intense douleur.
«Quand ma maîtresse finissait de manger, elle crachait dans la marmite, ou dans
ma gamelle avant que je ne mange moi-même, c’était mon quotidien et je
l’acceptais.» L’esclavage en Mauritanie, pourtant aboli en 1981 et puni par la
loi depuis 2007, est une réalité ancrée dans les traditions et les mœurs. A la
fin du mois de novembre, le Conseil des ministres s’est réuni pour adopter un
projet de loi prévoyant que les crimes d’esclavage et de torture soient classés
crimes contre l’humanité. Le texte prévoit, à l’égard des auteurs de crimes de
torture et d’esclavage, des sanctions pénales : peines de prison, amendes et
autres peines complémentaires comme la privation des droits civiques.
Propriété
«Il est
impossible aujourd’hui d’avoir des chiffres ou des statistiques sur l’esclavage
en Mauritanie, car l’Etat refuse de faire des enquêtes, alors que l’Union
européenne a financé une étude qui n’a jamais été réalisée ! Quand on a essayé
de faire des enquêtes à l’intérieur du pays, on a rencontré beaucoup de
difficultés, dénonce Boubacar Messaoud, président de SOS Esclaves. L’esclavage
en Mauritanie existe depuis des siècles. L’esclave appartient à son maître, il
peut le frapper, le violer ou même l’assassiner. En Mauritanie et dans le monde
musulman, l’esclavage n’a jamais été contesté. Il n’a pas été construit en tant
que rapport humain. L’islam a été instrumentalisé pour justifier la domination et
le rendre acceptable. L’esclave aujourd’hui se considère propriété de son
maître et il peut même s’en vanter. Pour un esclave, c’est le maître qui est
son modèle, et non son père, puisque la plupart ne connaissent pas leur père.
C’est son unique identité.»
Cicatrices
Il faut
prendre un taxi pour se rendre chez Birame, le militant des droits de l’homme.
La maison de Birame se situe dans l’extension de la capitale mauritanienne, là
où le sable s’engouffre dans les maisons. Le taxi pénètre difficilement le quartier
étroit et mal éclairé. Il faut compter sur la générosité des habitants pour
nous montrer le chemin. Quand on se trouve au centre-ville, tout le monde, ou
presque, jure que Birame possède une grande maison avec des voitures,
l’accusant de détourner «l’argent des étrangers».
Finalement,
la maison n’est pas grande, elle est toujours en travaux. Deux ou trois lampes
illuminent difficilement la pièce. On nous invite à nous asseoir à même le sol,
sur une natte en plastique. Des enfants et des femmes s’approchent de nous. Ce
sont tous des esclaves libérés. «J’avais une vie pénible. Je ne me sentais pas
vivre, parce que je voyais tous les enfants aller à l’école pendant que je
faisais le ménage. Je crois que ce sont les coups qui m’ont le plus marqué»,
confie Mokhtar. Comme Mbarka, libérée par l’association de Birame Ould Dah Ould
Abeid, Mokhtar n’a aucun papier. Spontanément, il montre des cicatrices sur son
torse, comme des griffures faites par un instrument métallique. Ce jeune
adolescent, dont la sœur et le frère sont jusqu’à présent esclaves dans la
demeure du maître de Mokhtar, a aujourd’hui intégré une école. «Mokhtar est un
bon élève, ses bonnes notes font notre fierté», déclare Yacouba Diarra, membre
du collectif de Birame.
Angoisse
Les
militants abolitionnistes libèrent les esclaves en allant voir le maître en
premier lieu, afin de proposer une médiation. Si ça ne fonctionne pas, ils
engagent une action auprès de la police, en tentant de porter plainte. Souvent
cette action échoue. Alors ils emploient les gros moyens. Birame, par exemple,
a été emprisonné, et d’autres comme lui, en s’attaquant directement aux
maîtres. La plupart du temps ce sont de vraies opérations de «sauvetage»! Le
cas de Said et Iyad est tout aussi révoltant. Les deux frères ont été secourus
par Birame et ses militants. Said, 14 ans, est venu voir Birame pour l’aider à
sauver son jeune frère. Après dix jours de détermination, ils y parviennent.
Bilal, la trentaine, a fait l’objet d’un documentaire réalisé par Arte en 2008,
Chasseurs d’esclaves, de Sophie Jeaneau et Anna Kwak. «J’ai échappé à mon
maître, mais je n’avais en tête que sauver ma sœur», témoigne Bilal, les yeux
dans le vague, parfois fuyants.
Livre maudit
En avril
2012, l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) décide
de brûler des livres auxquels ils reprochent «beaucoup de paragraphes sur ce
que nous pouvons appeler la jurisprudence du faux, ce fiqh qui fonde
l’esclavage et les pratiques similaires qui sont à l’antipode de la vraie
religion». Moukhtassar Khalil, le livre de toutes les polémiques en Mauritanie.
On le trouve aussi bien dans les librairies traditionnelles de Nouakchott, que
dans d’autres pays africains. «Ce livre devient une référence pour les
esclavagistes», dénonce Balla Touré, secrétaire aux relations extérieures de
l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie.
Castration
«On lit à la
page 32 : “La femme esclave ne doit pas cacher son corps, contrairement à la
femme libre, mais si son maître la possède et trouve un enfant avec elle, même
sans mariage, elle doit se comporter comme les femmes de ‘‘bonne extraction’’
(se couvrir).» Le maître est alors autorisé à faire de son esclave «sa chose»
et «à avoir avec elle des relations sexuelles, même quand elle est mariée, et
ce, même devant son époux de même condition qu’elle !»
Par
ailleurs, Balla Touré explique qu’à la page 118, il est écrit que le maître
peut «à tout moment prononcer la nullité du mariage de son esclave (homme ou
femme), s’il veut le ou la vendre, par exemple. Le maître peut castrer son
esclave pour qu’il s’assure qu’il n’aura pas de rapports avec sa maîtresse.»
Dans le milieu des Maures ou Beydanes (hommes blancs d’origine arabo-berbère
parlant l’arabe hassanya) se réclamant arabes, on ne veut pas parler
d’esclavage. On nie même son existence. Pourtant, certains Maures tentent de
renverser la tendance, comme ce journaliste de la télévision mauritanienne et
militant à SOS Esclaves. «Les Beydanes se cachent derrière les imams et
chouyoukh pour se justifier. Tant que les religieux ne s’insurgent pas contre
cette pratique, la société mauritanienne ne réussira jamais son évolution.»
Kaww Touré,
porte-parole des Forces de libération des Africains de Mauritanie (FLAM) est
plus intransigeant. Pour lui, la Mauritanie est «une bombe à retardement». Il
suppose que le problème de coexistence entre les communautés
négro-mauritaniennes et Beydanes repose sur une «politique volontairement et
exclusivement panarabiste, privilégiant la communauté beydane à tous les points
de vue au détriment de la communauté noire. A cause de cette désastreuse et
chauvine politique, on constate qu’aujourd’hui les rapports entre ces
populations restent marqués par la méfiance, la suspicion et le ressentiment au
lieu de la solidarité et de la fraternité qui auraient dû fonder notre
coexistence. Je ne vous apprends rien en vous disant que ces rapports ont été
davantage altérés par les purges ethniques, les déportations et massacres des
populations civiles et civiles noires des années 1986-1991.»
Source :
elwatan.com
Image
d’illustration : Selama Mint Mbarek et Maimouna Mint Mbarek, deux sœurs
libérées de l’esclavage en Mauritanie (RFI).
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