Moi, « Ouvrier » de la politique, j’accuse !
On m’a souvent dit que je suis un « bon
journaliste » ! Hum, moi-même j’en doute puisque je n’arrive pas à
égaler, en termes de rentabilité, l’un de ces nombreux
« journulistes » ou peshmergas de la plume qui essaiment dans les organes
de presse mauritaniens, publics et privés.
On m’avait dit aussi, quand j’étais prof de français, que je
faisais partie de la « crème », alors que mon meilleur poste a été
directeur des études au Lycée national ! Par « accident ». Un
vieil ami, directeur de l’enseignement secondaire, obligé de nommer des
dizaines de « pistonnés », s’était rappelé de notre amitié tissée au
lycée de Boghé, au début des années 90 du siècle dernier. Vous me diriez qu’en
Mauritanie, être nommé – ou dénommé – ne relève pas de l’ordinaire. La
politique a toujours été un passage obligé. Et moi j’ai longtemps été du
« mauvais côté » : L’opposition. Quand celle-ci avait encore un
sens. Les principes. La croyance en un idéal de justice, d’égalité et de
démocratie. La déportation, en 1989, en plein jour, de deux collègues
profs d’anglais, alors que j’enseignais au lycée de Boghé, a constitué un
tournant dans mes convictions politiques. Entre être engagé dans un front pour
l’égalité et la justice ou être embarqué dans les convulsions de la constitution
d’une « identité » arabe portée par les haratin à Boghé, j’ai choisi,
sans hésiter, la première voie. C’était choisir le camp des perdants, le
rapport des forces, à l’époque, étant largement favorable au pouvoir et aux
courants politiques et idéologiques qui le soutenaient. Mais j’avais la
conscience tranquille en sachant que je militais pour une cause qui, sans être
« bonne » pour moi, était tout de même juste. Une attitude qui sera
constante sur plus de vingt ans. Jusqu’au coup d’état du 3 août 2005. Une
délivrance. Disons que, comme tous les mauritaniens, j’avais pensé qu’on
amorçait un nouveau départ. Que rien ne sera plus comme avant. Certes, la
classe politique mauritanienne était connue pour sa capacité, étonnante, de
s’adapter si elle ne peut trouver de justificatifs sérieux pour adopter. Un
militaire qui part un autre qui s’installe. On avait toutes les raisons de
penser qu’il ne s’agissait que d’un éternel recommencement. Mais la junte qui
venait de nous délivrer de la « démogâchis » de Taya avait promis de
céder le pouvoir aux civils après une transition de 24 mois. Je ne vais pas
refaire l’histoire que tout le monde connaît mais c’est nécessaire pour
comprendre pourquoi, je n’accepterais plus jamais d’être un
« ouvrier » de la politique.
On m’avait embarqué dans «l’aventure » Sidi Mohamed Ould
Cheikh Abdellahi. J’ai été chargé de diriger un journal créé spécialement pour
battre campagne, avant la lettre, pour cet ancien ministre de feu Moctar Ould
Daddah. Je recevais les directives de « très haut », après avoir été
reçu par le ministre de l’Education de l’époque qui me dit, en toute clarté,
que j’étais en « mission commandée ». Pour deux ans. Une mission que
je crois avoir bien accomplie mais qui ne m’apporta que désillusions et
sentiments d’avoir flanché, même si mon choix politique portait, en âme et
conscience, sur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, un homme pris dans la
tourmente d’une grande conspiration dont il ne se rendra compte que trop tard.
C’est là aussi une histoire que tout le monde connait ou presque…
2009, je m’engageais, à nouveau, avec le pouvoir. Par conviction.
J’étais de ceux qui n’accordais plus aucune considération pour une opposition
« déréglée », ne sachant plus ce qu’elle voulait ni où elle allait.
Des amis hauts placés me demandèrent alors de participer à la rédaction du
journal de campagne du candidat Aziz. Un engagement que je fis sans peine,
signant même tous les éditos du « changement constructif » et
participant, avec une équipe de choc, à une stratégie de communication qui a
sans doute joué un rôle de premier plan dans le plébiscite du candidat Mohamed
Ould Abdel Aziz. Arrive alors le moment des récompenses. Un ministre, un
ambassadeur, un conseiller à la Présidence, des directeurs. Une jeune femme qui
venait à la « com de communication » pour ne rien faire, fut même
nommée premier conseiller à l’ambassade de Mauritanie au Soudan. Et quand
j’exprime mon étonnement, on me renseigna que c’est la sœur – ou la femme –
d’un colonel ! Je me dis alors que là c’était mal parti pour moi qui
n’avais ni colonel ni chef de tribu pour défendre ma cause
« d’ouvrier » de la politique. Plus tard, beaucoup plus tard, un ami
ministre me confia : « Sneiba, Aziz ne nomme pas, ne choisit pas, car
il ne peut connaître tout le monde ; insère-toi dans un lobby politique et
sois plus présent ! » Ahan, ce n’est donc pas au mérite ? J’ai
perdu tout mon temps pour rien. « Ouvrier de la politique j’étais, ouvrier
de la politique je resterais ». Faire le travail et laissez le soin aux
autres, aux « bien-nés », aux pistonnés, de récolter les fruits de
mes efforts, moi et mes semblables.
En 2014, encore la répétition de ce qui s’est passé en 2005 et en
2009. Je m’engage, par conviction, eh oui, à piloter l’édition française du journal
de campagne d’Aziz. Une quinzaine de journalistes et d’hommes politiques
s’étaient engagés, lors d’une réunion à l’hôtel Mauricenter, de mettre la main
à la pâte mais j’étais le seul, deux semaines durant, à fabriquer le bulletin
de campagne avec le maquettiste ! Disons, pour être juste, que le doyen
Imam Cheikh étais obligé de voler à mon secours, quand il voyait que je pouvais
difficilement m’en sortir avant 2 heures du matin ! Et, à la fin, des
récompenses pour les « grands » (trois ministres nommés, un directeur
d’un grand établissement public)
et rien pour les « ouvriers » de la politique. Ou plutôt
si : On me coupa mes heures supplémentaires au ministère de l’Education en
attendant de me délester du très insignifiant poste de chef de la division
« traduction et interprétariat ».
SNEIBA Mohamed
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