Samedi 4 juillet 2015, 17ème jour du mois de Ramadan de l’An 1436
de l’Hégire. Il est 10 heures et la ville d’Aleg, 250 kilomètres à l’Est de
Nouakchott sur la route de l’Espoir, est chauffée à blanc par une forte
canicule. La forteresse prison d’Aleg apparaît dans toute sa hideuse structure.
Un grand rectangle ocre aux formes peu gracieuses, surplombé par quatre
miradors. Située dans un no man’s land au Sud de la ville, la prison achevée en
2011, borde le plus grand squat d’Aleg, une succession de hangars dépenaillés.
Au loin, des sentinelles sont aux aguets, par delà l’énorme terrain dégagé que
meubles quelques arbustes de Zelem aux ombres chiches. Quelques éléments de la
garde nationale scrutent les nouveaux arrivants, le premier contingent de
visiteurs fouetté par l’harmattan. La distance règlementaire à ne pas franchir,
est à cinquante mètres environ de l’énorme portail d’entrée.
Dix minutes d’attente et aucun uniforme pour venir aux nouvelles.
Dr.Khattri, légèrement énervé s’avança de quelques pas. «Ohé, quelqu’un peut-il
venir nous faire rentrer ? Où est votre chef ? Il fait chaud là et on cuit sous
le fourneau !» Aucune réponse. Il maugréa «ça alors, ils ne daignent même pas nous
offrir une gentille petite réponse». Plus déterminé, il cria de nouveau
«Quelqu’un peut-il nous faire rentrer, nous jeûnons, il fait chaud et cela fait
vingt minutes que nous poirotons ici !» La sentinelle daigna enfin répondre
«attendez, quelqu’un viendra vous prendre ! » Un garde enturbanné surgit et
toisa la sentinelle, lui intima l’ordre de ne plus répondre. Devant le portail,
quelques hommes en tenue s’affairent à ranger des ustensiles.
Probablement, des restes du Souhour de la veille. Je me tenais un
peu à l’écart, en compagnie d’Ahmed Hamdi et de Mehdi. Le soleil tapait fort
sur les crânes et le vent chaud entamait les peaux. Dr Khattri se calma un peu,
puis revint à la charge «Ohé, vous l’enturbanné, vous pouvez quand même nous
parler et nous dire ce qui se passe, vous savez que c’est un jour de visite et
nous disposons d’autorisations signés par le juge ! » Silence radio de l’autre
côté.
Les minutes s’égrènent. «Ils sont entrain de bouffer nos heures de
visite. Ils devraient compenser dans pareil cas, mais en général à seize
heures, ils mettent tout le monde dehors» commente Ahmed Hamdi de sa voix
posée. Dr.Khattri tente une énième diversion, non sans murmurer «le brigadier
chef essaye sur nous son autorité, c’est la nature humaine, chacun veut exercer
sa portion de pouvoir». Puis, plus haut «Oh mon général, tu peux quand même
avertir ton chef que nous sommes là !» La chaleur faisait ses ravages et aucune
ombre derrière laquelle se réfugier. L’habitacle du véhicule, pas question ! Il
avait pris l’allure d’un four crématoire. Pas question d’y trouver un salut.
Las de parler à des murs, Dr.Khattri, Ahmed et Mehdi s’adonnèrent
à un jeu de boules. Ils ramassèrent quelques pierres rougeâtres et choisirent
une plus petite à la couleur blanchâtre comme bouchon. L’image de ces grands
gaillards s’amuser à jouer aux jeux de pétanques avec de vulgaires pierres
ramassées à 45° à l’ombre et devant le portail de la prison d’Aleg, était
loufoque et hallucinante. Je me contentais pour ma part de jouer aux arbitres.
Plusieurs tours de jeux plus tard, le lieutenant de garde daigna enfin poindre
du nez. Un jeunot blondin, une mèche rebelle battue par l’harmattan. Il dépassa
Dr.Khattri, et se dirigea tout droit vers Ahmed qu’il connaissait. «Ahmed, si
tu as passé la nuit à Aleg, tu dois savoir qu’il y a eu vent de sable et nous
somme en train de nettoyer les allées ! Et dites à votre ami que ce n’est pas
avec l’arrogance qu’on règle certains problèmes» Ahmed rétorqua, toujours avec
son ton calme et conciliant «d’accord, mais vous auriez dû au moins envoyer
quelqu’un pour nous expliquer ou nous faire entrer au moins dans la salle
d’attente, vous savez qu’ici nous sommes exposés aux rayons ardents du soleil
et vous savez aussi que les visites c’est à partir de 10 heures et il est 11
heures passés !» Le jeune lieutenant bredouilla de vagues excuses.
Dr.Khattri pas du tout content de cette méprise l’apostropha
«comme ça vous m’ignorer pour venir vous plaindre à Ahmed… » S’en suivit
quelques échanges peu affables entre les deux hommes, puis Ahmed coupa la joute
: «dites-nous tout simplement à quelle heure nous pouvons revenir, car nous
n’allons pas passer la journée ici». Le lieutenant l’interrompit «non c’est
fini, vous allez entrer tout de suite ». Il se dirigea vers le portail. Deux
minutes plus tard, un brigadier chef nous interpella de loin. Nous nous
avançâmes avec nos autorisations de visite. Contrôle d’identité puis fouille au
détecteur de métaux. Pas de téléphones, ni appareils photo, ni clés.
Enfin, on nous dirigea vers l’aile où sont détenus Birame et
Brahim. «On les a transférés dans cette aile droite, elle est plus spacieuse,
plus aérée et plus confortable » commente Ahmed. En franchissant le grand
portail d’entrée de la prison d’Aleg, on traverse une vaste cour qui prend
toute la longueur du terrain, puis se dresse un large bâtiment, scindé en deux
de part et d’autre de l’administration pénitentiaire. Une autre porte s’ouvre,
puis un petit couloir à l’air libre et enfin, le grand couloir sur lequel
s’ouvre des dizaines de cellules. A droite, deux portes ouvertes, un large
couloir transformé en vestibule et sur lequel s’ouvre la cellule où logent
Birame et Bilal. La chambre est spacieuse et pourrait contenir au moins une
centaine de personne en tout confort. «Toute la partie de ce bâtiment nous est
réservée ! C’est notre Hôtel 5 étoiles» plaisante Brahim Bilal Ramadan, vêtu
d’une légère Jallaba. Il a pris énormément de poids. Souriant, tout comme
Birame, habillé lui d’un ensemble bleu, pantalon et chemise traditionnelle
Pullar. Ils sont en belle forme et tout heureux de nous recevoir. Chaudes
accolades, puis on s’installe dans la chambre où trône un téléviseur, seule
fenêtre sur le monde extérieur. «Mettons-nous dans le couloir, c’est mieux !»
lance Birame. Tapis, matelas et oreillers. Au moins, cinq gardes sont là,
discrètement éparpillés dans le couloir. Le lieutenant, qui s’était excusé
auprès du Dr.Khattri qu’il avait dépassé, prit un Coran, s’allongea un instant
sur un matelas un peu plus loin. Puis, quelques minutes plus tard, il quitta le
couloir, nous laissant en présence de quelques uns de ses éléments. La
conversation roula sur les dernières infos. Brahim et Bilal voulaient tout
savoir sur l’actualité fraîche.
Sur le dossier de leur Appel, Birame reste catégorique. «Nous ne
comparaîtrons pas devant la cour d’Appel d’Aleg ! D’ailleurs, c’est ce que veut
Aziz ! Il ne veut pas d’un second procès qui sera marqué par la présence
d’avocats nationaux et étrangers, et super médiatisé. C’est pour l’éviter,
qu’il a ordonné à la Cour Suprême de transférer notre dossier à Aleg, sachant
que nous boycotterons. Et tant pis pour nous, comme ça, il pourra nous garder
ici deux ans, en nous privant d’un droit d’Appel» Pour Birame, la cour Suprême
n’a rien à voir dans le dossier à ce stade de la procédure et que tout ceci
constitue une violation grave de la Constitution qui stipule que nul prévenu ne
peut être soustrait à ses juges naturels. Or, selon lui, leur affaire relève de
la Cour d’Appel de Nouakchott et que l’Etat peut les rejuger dans n’importe
laquelle des trois Wilayas de Nouakchott, sinon dans les six Moughataas du
Trarza ou à Akjoujt «Pourquoi Aleg ? » s’interroge-t-il de nouveau. Pour
Brahim, «que l’affaire soit rejugée ici à Aleg signifie simplement que Mohamed
Abdel Aziz veut confirmer les peines déjà prononcées et ne veut pas nous
éloigner de la prison d’Aleg où il semble vouloir encore nous garder encore
plus ». A la question de savoir si la décision de la cour Suprême peut être
modifiée, Birame répond «pourquoi pas ? Ce n’est pas la cour Suprême qui a pris
une telle décision mais c’est Aziz ! Alors, tout comme il a ordonné à cette
cour de transférer notre dossier à Aleg, il pourra toujours lui demander de
nous rejuger ailleurs ! La décision est politique et non juridique !»
Brahim confirme. Pour lui, la décision de les libérer ou de les
garder relève de la seule humeur de Aziz. «Pour notre part, nous n’avons rien à
perdre. On dort, on mange et on commence déjà à s’acclimater en prison. Si Aziz
pense qu’il peut briser notre volonté et nous pousser à abdiquer, il se trompe.
S’il pense nous faire souffrir en nous mettant en détention, lui aussi il n’est
pas tranquille, car il vit sous la pression internationale ; alors, qu’il
essaye de minimiser en tenant le coup, il faudra quand même un terme à tout ce
cirque » commente Birame. Lui et Brahim disent qu’ils ne demanderont ni grâce
ni liberté provisoire et qu’ils sont dans un bras-de-fer avec un tyran qui
torpille les lois dans sa lutte contre ses adversaires politiques «Et puis, il
faut mettre fin à cette tendance de caporaliser la justice en dispatchant les
prévenus au gré de ses humeurs loin de leurs juridictions naturelles »
entonna-t-il.
La conversation a roulé également sur le cas Djiby Sow, mais aussi
sur le plan jugé diabolique concocté par les Renseignements généraux et qui
consiste à créer ce qu’ils appellent «IRA Maure » dirigé par Ould Ahmed Aîcha.
«Ils reconnaissent que l’organisation menée par Ould Ahmed Aïcha est raciste et
extrémiste et ils pensent en faire un pendant à IRA. Ils oublient que notre
organisation n’est ni extrémiste ni raciste ni violente aux yeux du droit
international et qu’elle lutte pour une cause noble, l’éradication de
l’esclavage et l’instauration d’un Etat égalitaire où tous les citoyens jouissent
des mêmes droits et des mêmes privilèges; les médailles glanées par IRA sur le
plan international l’attestent. Ils perdent leur temps et feraient mieux de
chercher autre chose » s’insurgea Birame.
C’est tard dans la nuit que nous étions arrivés la veille à Aleg.
Une longue traversée de la cité à demi endormie, puis la villa que loue Leïla
Mint Ahmed, épouse du président de l’Initiative de résurgence du mouvement
abolitionniste (IRA) Birame Dah Abeid. Là où un savoureux couscous agrémenté
d’une belle tête d’agneau nous attendait. Le reste de la nuit se perdra entre
causeries et souvenirs de combats remportés sur le terrain de l’action
antiesclavagiste. Khattry, Abidine, Cheikh Ould Vall, avaient meublé la
causerie jusqu’à l’aube, alors que la maîtresse de maison faisait de son mieux
pour installer tout son monde comme elle pouvait. Obligée de revenir chez les
siens à Nouakchott le temps de mettre au monde une superbe fille baptisée NIDAL
ou «Le Combat» par certains partisans, Leïla était vite revenue auprès de son
mari. Tous les repas de Birame et de Bilal sont préparés à partir de ce
promontoire de la résistance, là où Leïla veille, à côté de ses activités
quotidiennes d’épouse fidèle, à accueillir les nombreux visiteurs qui
débarquent trois fois par semaine pour rencontrer son mari, et son compagnon,
Brahim Bilal Ramadan. Les deux hommes entament leur sixième mois à la prison
d’Aleg, après en avoir passé deux autres, entre novembre 2014 et janvier 2015 à
la prison de Rosso.
Cheikh Aïdara /Facebook
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