En ce début de
21e siècle, en cette fin de juillet 2015, Aminetou Mint el Moktar, la célèbre
présidente de l'Association de femmes chefs de famille de Mauritanie, l'AFCF,
révèle un scandale la traite des femmes. "200 jeunes filles, récemment
parties de Mauritanie, sont déjà sur place, en Arabie saoudite. Elles sont
séquestrées dans des cours de maisons, victimes de toutes les formes de
maltraitances physiques, psychologiques et sexuelles", affirme la
présidente de l'AFCF jointe par "L'Obs" en Mauritanie.
Dénonçant
"une forme aberrante d'esclavage contemporain et une traite
sexuelle", Madame el Moktar a porté cette affaire de trafic massif de
femmes entre la Mauritanie et l'Arabie saoudite devant la police et le Parquet
de Nouakchott, la capitale mauritanienne. La police judiciaire a ouvert une
enquête après le dépôt d'une plainte d'une des mères des jeunes filles.
Complicité des
autorités mauritaniennes
Trois cent
autres esclaves mauritaniennes seraient prêtes à partir, selon Aminetou Mint el
Moktar, qui est en contact avec les familles et a réussi à s'entretenir au
téléphone avec une des victimes en Arabie saoudite. Menacée de mort par les
imams radicaux et esclavagistes dans son pays, Aminetou el Moktar a reçu, en
2006, le prix des droits de l’Homme de la République française. Et, en 2010,
elle a été distinguée par la secrétaire d'Etat américaine, Hillary
Clinton, pour son combat contre l’esclavage moderne. Comme beaucoup de
militants abolitionniste en Mauritanie, dirigée par la communauté arabo-berbère
qui emploie des esclaves, elle a connu la prison.
Car la
complicité dans le trafic qu'elle dénonce de certaines administrations
mauritaniennes, qui ont fourni un grand nombre de passeports, semble avérée.
Les autorités saoudiennes, qui ont octroyé beaucoup de visas, pourtant
normalement difficiles à obtenir, semblent elles aussi responsables. "J'estime
que le départ d'un tel nombre de personne, appartenant à la même communauté, ne
peut passer inaperçu des autorités des deux pays", écrit Madame el Moktar
dans un mail à "L'Obs". L'organisatrice du trafic a été entendue par
la police mais laissée en liberté.
Des
"maîtres" jamais condamnés
Officiellement,
ce sont des femmes mauritaniennes ordinaires qui viennent d'être envoyées en
Arabie saoudite pour y accomplir un travail "normal", de
"domestique". Mais, en fait, ce sont des "harratines", de
la caste des esclaves ou descendants d'esclaves de Mauritanie (près de 40% de
la population). Elles auraient simplement été "exportées". La
Mauritanie est le dernier État au monde à avoir aboli l'esclavage en
1981. Ce n'est qu'en 2007 que, sous la pression internationale, cette
République islamique a criminalisé cette pratique largement répandue. Mais, à
ce jour, malgré quelque rares et très brefs séjours en prison, aucun maître n'a
encore été condamné définitivement. Il y aurait toujours de 150.000 à 300.000
esclaves dans ce pays peuplé de quelque 3,5 millions d'habitants. Soit le plus
fort taux d'esclaves
au monde.
Les riches
arabes saoudiens semblent avoir été tentés de "faire leurs courses"
de chair fraîche et de "bois d'ébène" dans ce pays complaisant face à
la traite humaine. Beaucoup de jeunes filles de Madagascar, un des pays les
plus pauvres au monde avec la Mauritanie, partent aussi en Arabie saoudite pour
devenir "domestiques". Où elles sont, en fait, réduites en esclavage.
Une fois arrivées, elles découvrent le travail vingt heures par jour, les
maltraitances, la faim. "L'Arabie saoudite est réputé pour l'esclavage.
Accusés de crimes ou de péchés, des jeunes femmes des Philippines, d'Inde ou
Pakistan sont parfois liquidées après avoir été séquestrées et violées et
renvoyés chez elle dans un cercueil", assure Madame el Moktar.
Un "secret
de polichinelle"
Ce n'est pas la
première fois que l'on en parle de traite de femmes entre la Mauritanie et l'Arabie saoudite.
"C'était un secret de polichinelle mais c'est la première fois que
des cas avérés seraient nommément dénoncés", souligne Mamadou
Lamine Kane, un expert mauritanien qui travaille pour des ONG
occidentales à Nouakchott. Une Commission mixte entre la Mauritanie et l'Arabie
Saoudite a été établie en 2011, notamment pour gérer les conflits sur les "domestiques".
"Avec la
mise en place de cette commission pour freiner la traite, la situation s'était
améliorée", souligne Aminetou Mint el Moktar. Selon la présidente de
l'AFCF, les victimes choisies sont des proies faciles. "Le danger guette
nos filles issues des milieux défavorisés de Nouakchott et l'intérieur pauvre
du pays", dit cette femme qui se bat depuis plus de 30 ans contre toute
forme d'exploitation. Certaines jeunes filles destinées au trafic sexuel sont
victimes du mirage d'un travail à l'étranger, d'une bonne éducation à la
Mecque. D'autres sont vendues par leurs familles en détresse.
La République
islamique de Mauritanie,
dirigée par un régime très autoritaire, est soutenue par l'Occident et
notamment par la France, pour sa lutte contre le terrorisme islamique dans la
zone Sahara-Sahel. Quant à l'Arabie Saoudite, qui finance l'islam radical, sa
monarchie est aussi soutenue par l'Occident et par la France, dont elle est le
premier acheteur d'armes.
Jean-Baptiste
Naudet
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