Depuis
plusieurs années la société mauritanienne se laisse conduire, presque sans
réagir, à se faire hara-kiri, non par héroïsme ou pour l’honneur, mais
simplement par défi, une fin qu’elle semble accepter, comme s’il lui était
impossible de l’éviter, telle la fatalité.
Les rares
voix de la raison qui acceptent encore de s’élever peinent à se faire entendre
dans cette atmosphère nouvelle où se perdent toutes les notions de Bien, noyées
par le fracas assourdissant des armes qu’on aiguise et la cacophonie des joutes
oratoires épiques qu’on revisite et où l’apologie des communautés,
des races, des ethnies, des couches sociales, celle des régions, des tribus et
même des familles s’affichent en toute impunité aux lieu et place des thèmes
rassembleurs de la République, une et indivisible et du droit général et
impersonnel pour tous.
Ainsi,
« tout naturellement » la Mauritanie se transforme en immense Arène
où s’apprêtent à s’affronter les Mauritaniens, acteurs et spectateurs de leur propre
mort.
Une telle
perspective semble exciter plus d’un et être même attendue avec
impatience, chacun des protagonistes se complaisant dans ses
certitudes, se berçant de ses illusions et présumant exagérément de
ses forces, en réalité toutes vaines et fallacieuses.
En effet,
alors que d’une part, les dominants se gargarisent de la Sécurité que leur
assure la Force tranquille du Monopole moral, intellectuel, spirituel,
religieux, politique, économique et militaire qu’ils considèrent comme une
forteresse inexpugnable que ne peuvent même pas franchir les cris
et les gémissements des victimes de l’esclavage, de l’injustice, de
l’exclusion, du racisme, de la pauvreté, de la misère et de l’ignorance, il
leur fait face, d’autre part, les opprimés dominés, gonflés à bloc par
leur Cause juste et leur Nombre, qui se vantent et se considèrent, a contrario,
la seule vraie Force : le tsunami dévastateur, auquel rien ni personne ne
saurait résister.
Cette
descente aux enfers, précipitée à mon avis, par la mentalité de la classe
dirigeante, réfractaire a priori à toute notion d’organisation, d’ordre,
de discipline et, pour tout dire, réfractaire à la moindre avancée dans le sens
du progrès, a pour seule et unique origine la problématique de
l’ esclavage qui a été pour la première fois évoquée publiquement en 1962
avant de prendre forme officiellement par la création du Mouvement ELHOR en
mars 1978.
La levée de
bouclier provoquée par cette quête légitime de liberté et d’égalité et la
brutalité de la réponse à la fois injuste et inadaptée qu’ont
choisi de lui apporter les pouvoirs publics devait sceller le commencement
d’une malédiction qui tarde à être exorcisée pour de bon.
Il faut même
craindre la répétition du mythe populaire très connu de celui, qui à force
d’annoncer faussement la descente surprise d’un rezzou de brigands sur
son campement, concourra à la destruction complète de celui-ci quand il
l’annonça enfin pour de vrai mais sans être cru par personne, un mythe qui fait
penser, à une nuance près, à la situation d’aujourd’hui.
La
différence toutefois est que la destruction du pays que nous craignons
aujourd’hui, si elle devait, qu’à Dieu ne plaise, se concrétiser ne le serait
pas parce que l’esclavage ne serait révélé être un faux problème, une fausse
annonce, mais parce que, une fois encore, le pouvoir et la frange dominante de
la société, par leur réponse inadaptée à la question, auront peu ou prou
généré ces autres nombreux courants revendicatifs, leurs méthodes, leurs
priorités, leurs charges émotionnelles, mais aussi de plus en plus leur volonté
d’en découvre…
Cet
acharnement des Pouvoirs publics qui se sont succédé de continuer à confiner
dans leur ghetto les esclaves et les anciens esclaves et d’y étouffer avec eux
leur légitime aspiration à la liberté et à la citoyenneté pleine et entière
devait les conduire à improviser dans la précipitation. Ils manièrent d’abord
beaucoup le bâton, réduisant leurs contradicteurs à quelques unités
d’irréductibles, efficaces et très remarqués, ce qui leur conféra un capital
non négligeable en crédibilité, en respectabilité et en sympathie, un tout qui
leur donne l’envergure dont ils jouissent encore aujourd’hui et qui provoque
l’ire de leurs adversaires politiques. Pour contrecarrer ce renversement
inattendu de situation, le Pouvoir a ensuite usé de la carotte, ce qui a tout
naturellement généré l’émergence spontanée de nombreux Mouvements,
Organisations et rassemblements antiesclavagistes, mais pas seulement que pour
cette cause, d’où la prolifération des causes, même les plus saugrenues, avec
pour les mener une profusion de leaders et de héros, qui s’ils avaient
été sincères auraient été bien aimés et auraient eu une grande notoriété.
L’unique
programme connu, parce que affiché et souvent scandé haut et fort, pour
tous ces nouveaux Mouvements et Leaders en herbe, militants de la
dernière seconde, est de porter atteinte à l’image , au crédit et l’aura
de celui dont le combat, la persévérance, la détermination, le courage, le
patriotisme, la tolérance, la modestie et le charisme font aujourd’hui plus de
jaloux, de détracteurs et d’envieux qu’ils ne font d’émules, tant copier le
modèle s’est avéré une tâche des plus ardues et en définitive impossible
à réaliser.
N’en
déplaise au Pouvoir et aux détracteurs et ennemis affichés et cachés, ELHOR,
Messaoud Ould BOULKHEIR, ACTION POUR LE CHANGEMENT et ALLIANCE POPULAIRE
PROGRESSISTE, continueront à tenir le haut du pavé de cette lutte pacifique
pour la Libération et l’Emancipation des Haratines (ou des Esclaves) en Mauritanie.
Tous ceux
qui ont essayé de prouver le contraire par la récupération d’un combat de toute
une vie ou celle des résultats obtenus n’en sortiront toujours qu’encore plus
petits qu’au départ.
Il faut donc
savoir raison garder, rendre à chacun ce qui lui appartient et, surtout,
se dire que le rejet de la liberté, de l’égalité et du progrès pour les
Haratines ne doit pas pousser au sacrifice de tout un peuple.
Les
Haratines ont droit au respect de tous leurs concitoyens ; ils
en sont dignes et ils le méritent de surcroît car au plus profond de leur être
ils aiment leur communauté, leurs concitoyens et leur pays.
Au départ il
ne s’était agi, en effet, que d’attirer simplement l’attention du pouvoir sur
ce phénomène commun à toutes les nations, toutes les races, toutes les ethnies,
toutes les communautés et toutes les couleurs, de l’amener à reconnaître
sans ambiguïté son existence, de le traiter sérieusement et surtout de le
préserver de toute manipulation ou interférence malveillante externe ou interne.
D’avoir été
très peu réceptif à cette approche toute simple et très claire, puis d’avoir
nourri et développé une attitude très hostile par rapport à un Mouvement
antiesclavagiste, unique et naissant, ce même Pouvoir se trouve aujourd’hui en
face de plus d’une dizaine d’organisations de toutes impulsions et
orientations, toutes plus exigeantes les unes que les autres et ne
privilégiant pas forcément la lutte pacifique.
La
conclusion à tirer de tout ce qui précède est que la simplicité et la sincérité
sont les deux chemins les plus courts pour résoudre les problèmes les plus
difficiles et les exorciser de tous les démons.
Pris sans le
vouloir à son propre piège, il a choisi pour espérer briser leur élan, la
solution du pire qui est l’ouverture d’un grand boulevard à toutes sortes et
formes de« revendications identitaires, » justifiées ou non, à
tous les segments de la société, revendications identitaires qui constituent
pour l’heure l’essentiel de l’actualité quotidienne du pays.
Aujourd’hui
le Pouvoir est bien contraint et forcé de reconnaître, au moment où s’expriment
avec virulence les différences, les clivages identitaires et que se
précisent les risques mortels des confrontations interethniques que la
stratégie suivie jusqu’ici n’est pas la bonne, loin s’en faut.
Il reste à
espérer l’élaboration d’une vraie bonne stratégie capable d’étouffer dans l’œuf
toutes les tendances suicidaires chez les antiesclavagistes et chez les autres
aussi et prier Allah, avec ferveur, pour que le mauvais traitement réservé à la
question de l’esclavage et de toutes les inégalités ne condamne pas
le pays et ses habitants à subir le sort peu souhaitable de Mint Stély,
morte foudroyée par un venin tellement puissant qu’il finit aussi par
tuer celle qui se chargea de sa toilette mortuaire.
Nouakchott,
le 29 Juin 2015
Professeur
Ethmane Ould Bidiel
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