Le massacre de neuf africains-américains perpétré par
un jeune homme blanc de 21 ans dans l’enceinte d’un lieu de culte chargé
d’histoire : l’église « bien nommée » Emmanuel African Methodist Episcopal
Church, en caroline du Sud, aux Etats-Unis, laisse tout observateur
perplexe, quant à la survivance, au sein d’une minorité de la population
blanche américaine, des sentiments haineux et meurtriers.
Ce qui s’est passé le mercredi 17 Juin 2015 ne relève pas du
fait divers. De fait, si le motif racial de l’assassinat de neuf africains-américains
par un jeune tueur blanc, identifié en la personne de Dylann ROOF dans un lieu
de prière, ne fait aucun doute, il suscite, au-delà de l’émoi, de l’effroi et
de la stupeur, la question rémanente du syndrome racial aux Etats-Unis.
Pourquoi dans le cours du XXIème siècle, une
minorité de la jeunesse blanche américaine continue d’être encline à reproduire
des schémas mentaux, comportementaux et idéologiques ségrégationnistes voire
haineux vis-à-vis des Américains de « peau noire » ?
Comment l’idéologie suprématiste et la légitimation
de la réification de « la peau-noire » du paysage humain des Etats-Unis,
ont-elles pu perdurer au point d’ensemencer et enraciner dans l’esprit d’un
individu, qui n’a pas connu ces périodes sombres de l’histoire des Etats-Unis,
« qu’ôter la vie aux Noirs est un devoir, voire « un impératif d’hygiène de
salubrité humaine » ?
Aux questions ainsi posées se dessinent des pistes de
réponses qu’il convient de restituer, d’abord dans le contexte spécifique du
Sud des Etats-Unis, puis dans un cadre plus global, celui de « la géopolitique
du racisme dans le monde ».
Le sujet peut paraître « tabou » aux Etats-Unis, en partie à
cause du puritanisme américain. Mais, il mérite d’être extirpé de la « couche
de vernis trop fragile de la considération » que les peuples et nations du
monde accordent aux valeurs éthiques et démocratiques défendues par les
Etats-Unis ».
Le syndrome racial aux Etats-Unis prend son ancrage dans des
siècles de violences, de discriminations, de ségrégation sociale et
d’inégalités raciales. La traite négrière, l’esclavage, l’apartheid ont laissé
des traces dans les consciences. Les violences raciales de divers ordres qui
continuent d’alimenter le quotidien des Latino-Américains et des
Africains-Américains prouvent que la question raciale aux Etats-Unis et partout
dans le monde est « une plaie qui n’a pas encore été cautérisée ».
Les solutions « cosmétiques » de l’heure ne suffisent pas.
Elles sont même contreproductives. Il est même entendu « qu’une chirurgie vive
» appliquée à la plaie raciale » n’apporterait qu’une guérison passagère à un
mal dont les bactéries sont séculaires. Le « syndrome racial est
transgénérationnel » ; il est d’une violence inouïe, aveugle et total. Il porte
les germes du rejet total de l’autre et de la nécessité de son élimination. En
cela, il est une pathologie de la conscience qui tire son essence de
l’ignorance.
Les enquêtes ouvertes par le département américain de la
Justice et la police fédérales apporteront assurément plus de lumière sur les
motivations de « ce crime de haine » et « de cette tuerie odieuse »
ainsi que le choix de « l’antre de prière » qu’est l’Emmanuel African Methodist
Episcopal Church en Caroline du Sud.
Les enquêtes détermineront notamment si le jeune bourreau de
21 ans, présumé auteur de la tuerie ou convaincu comme tel, avait connaissance
de « l’importance symbolique de l’Eglise » qu’il a ciblée.
Surnommée « Mother Emmanuel », l’Eglise ciblée par Dylann
Roof est l’une des plus anciennes et des plus importantes congrégations noires
du Sud des Etats-Unis. Selon Robert Greene, doctorant en histoire à
l’Université de Caroline du Sud : « Ce n’est pas simplement une église. C’est
un symbole de la liberté noire ». En effet, fondée en 1816 par un pasteur noir
excédé par la ségrégation, l’Emmanuel African Methodist Episcopal Church s’est
rapidement imposée à la pointe de la lutte contre l’esclavage. En 1822, l’un de
ses cofondateurs a fomenté une révolte d’esclaves. Dénoncé par l’un de ses
compagnons, il fut exécuté, tout comme une trentaine de personnes. La
congrégation fut dissoute et l’église brûlée.
A sa reconstruction à la fin du XIXème siècle, la
tradition d’émancipation et de revendication des droits civiques en Caroline du
Sud n’avait pas disparu. Au contraire, l’Emmanuel African Methodist Episcopal
Church devint non seulement un carrefour pour le mouvement des droits civiques,
mais aussi un lieu emblématique, choisi par de nombreux activistes qui y
prononcèrent des discours dont l’un des plus célèbres fut en 1962, celui de Martin
Luther King.
Le Pasteur actuel, Clementa PINCKNEY, tué dans l’attaque,
était un militant au sein du Sénat local, de l’adoption d’une loi obligeant les
policiers à porter des caméras sur leur uniforme.
Même s’il faut admettre que le tueur de 21 ans, auteur de «
ce crime de haine », ignorait tout de la charge symbolique du lieu de prière
dans lequel il s’est introduit, il demeure, et c’est notre avis, qu’il avait
conscience d’accomplir « un acte héroïque et salvateur » dans un contexte où
les violences systémiques à l’égard des noirs mettent en danger le fondement
même des Etats-Unis, construits sur le respect de toutes les différences.
L’extrême délicatesse et les attentions presque révérencieuses à l’endroit de
l’auteur de la tuerie, sont pour le moins étranges, quand on connaît la
répression policière qui a suivi le meurtre par un officier de police blanc, du
jeune adolescent noir non-armé, Michael Brown, pour un présumé vol de
cigarettes à Ferguson dans le MISSOURI.
Il n’est pas inconséquent de convenir avec le réalisateur
SPIKE LEE, que dans l’Amérique d’aujourd’hui et sous la présidence de Barack
OBAMA, la disparition du racisme est un fantasme. Dans la réalité, l’actualité,
le quotidien, les Africains-Américains soulignent sans ambages « qu’il y a une
guerre contre l’Homme noir et ça déchire le pays ».
L’injustice, les violences de tous ordres, les inégalités
raciales, tout comme la ségrégation sociale, ne concourent qu’à accroître les
frustrations et à pousser les Africains-Américains dans une posture cyclique de
« revendications – répressions – stigmatisation ».
Le cortège de maux et préjugés défavorables dont les Noirs
sont affublés aux Etats-Unis, participent d’un système de pouvoir qui les
destine à représenter l’image de la misère, de l’indigence, du parasitisme, des
trafics en tous genres, des exactions et délits de tout acabit. L’auteur de Racisme
et Sociétés - Nouvelles bases épistémologiques pour comprendre le racisme,
le Docteur Carlos MOORE, relève fort à propos que dans les médias, notamment à
la télévision, « les blancs représentent la vertu, la pureté, la noblesse. Le
noir est bandit, inférieur. Il apparaît chaque fois comme quelqu’un de
violent…Dans une société raciste, les institutions sont racistes. »
Une telle allégation ne peut-être contestée par les
statistiques des violences raciales tout comme celles afférentes aux fractures
sociales. Selon le Southern Poverty Law Center (SPLC), une organisation
spécialisée dans l’étude des mouvements extrémistes « 784 groupes haineux avait
été répertoriés aux Etats-Unis en 2014 : 142 néonazis, 115 suprématistes
blancs, 72 affiliés au Ku Klux Klan. Dans la mouvance de l’élection de Barack
OBAMA, le nombre de ces groupes s’était accru, passant de 888 groupes
extrémistes en 2008 à un millier en 2012 ». Mark POTOK, l’un des auteurs du
rapport du Southern Powerty Law Center, précise que dès 2012, et ce, à la
faveur de l’élection de Barack OBAMA comme premier président Noir de l’histoire
des Etats-Unis, le nombre de groupe extrémistes a baissé. Mais devra-t-il
renchérir « les chiffres peuvent être trompeurs… Plus de la moitié de la baisse
concerne des sections du Ku Klux Klan, or, beaucoup ont basculé dans la
clandestinité, mettant fin à leurs communications publiques, mais elles n’ont
pas disparu pour autant. »
Les statistiques les plus récentes du FBI soulignent,
relativement aux crimes haineux commis aux Etats-Unis, que près de la moitié
étaient liés à un motif racial… et plus de 66% des victimes de ces crimes
racistes étaient noires, une tendance restée stable ces dix dernières années. »
Qu’est-ce qui peut justifier que dans l’Amérique de 2015,
l’espérance de vie d’un Africain-Américain soit inférieure de quatre ans à
celle d’un blanc ? L’incarcération des Noirs, six fois supérieure à celle des
blancs ? Qu’un foyer blanc gagne environ 70% plus qu’un foyer afro-américain ?
Les autorités et instances en charge de présider au
rayonnement d’une Amérique exemplaire et digne de porter les valeurs de
liberté, de brassage harmonieux des peuples et des races, devraient autoriser
que soient ouverts les chantiers de la réflexion sur « le syndrome
transgénérationnel du racisme aux Etats-Unis. »
Le Conseil Représentatif des Associations Noires de France,
(le CRAN) est d’avis que le syndrome racial aux Etats-Unis, comme dans le
monde, touche aux univers mentaux et à la conscience universelle,
caractéristiques des peuples et races du globe.
Au total, l’objectivé, l’honnêteté intellectuelle et la
vérité sur l’origine de la fraternité humaine peuvent sauver le monde, et faire
hisser « au fronton » de la conscience humaine universelle, ces lignes
profondes d’Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des Hommes :
« Mon frère si tu diffères de moi, loin de me léser, tu
m’enrichis. »
Guy Samuel Nyoumsi, Vice-président Conseil Représentatif des
Associations Noires de France (CRAN)
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