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lundi 13 juillet 2015

Mariem Mint Cheikh : “En Mauritanie, les visages changent, le système esclavagiste reste”



Militante abolitionniste, Mariem Mint Cheikh a été arrêtée à plusieurs reprises pour ses activités de lutte contre l'esclavage en Mauritanie. Une pratique encore répandue dans ce pays malgré son abolition.

Militante de la première heure, Mariem Mint Cheikh Dieng est l’une des principales figures féminines de la lutte anti esclavagiste en Mauritanie. D’origine haratine (Maures noirs, esclaves et descendants d’esclaves représentant environ 40 % de la population), elle embrasse la cause abolitionniste dans les traces de son père qui a milité au sein d’« el Hor », la première association de lutte pour l’abolition de l’esclavage en Mauritanie. En 1983, elle s’engage auprès de l’association "S.O.S esclaves" dans sa ville natale de Zouérate, au nord-ouest de la Mauritanie. En 2007, elle rencontre Biram Ould Dah Abeid, militant subversif qui décide de monter sa propre organisation anti esclavagiste, l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement abolitionniste (IRA). A travers ses actions coup de poing provocantes, ce mouvement acquiert une notoriété bien au-delà des frontières du pays. Devenue l’une de ses membres les plus actives, Mariem Mint Cheikh a été arrêtée à plusieurs reprises au cours de ses activités militantes. Emprisonnée en novembre 2014, elle benéficie aujourd’hui d’un sursis. Entretien. 

Mondafrique. Avec l'IRA, vous dénoncez régulièrement les pratiques esclavagistes qui perdurent en Mauritanie. Comment se manifestent ces pratiques ? 

Mariem Mint Cheikh Dieng. Les grandes familles arabo-berbères qui contrôlent en grande partie les postes de pouvoir politique et économique dans le pays n'ont jamais réellement mis fin à ce système d'asservissement et de racisme. Nombre d'entre elles continuent d'avoir, chez eux, des esclaves corvéables à souhait. Ceux-ci sont pour l'essentiel analphabètes, propriétés de père en fils de leurs maîtres. Leurs enfants, mineurs, ne sont pas scolarisés et travaillent aussi pour les maîtres. Leur statut d'esclaves les rend monnayables, échangeables, comme des biens. En Mauritanie, ces pratiques concernent les ethnies noires, les negro-mauritaniens et les haratines, qui représentent en tout près de 90% de la population contre 10% pour les arabo-berbères. Les fondements racistes de ce mode de fonctionnement ont forgé un système social marqué par les discriminations et l'exclusion. Par exemple, en tant que haratine, on ne peut accéder à certains postes dans l’armée. Il est également très difficile pour un descendant d'esclave de faire valoir un titre de propriété sur une terre, surtout face à un Maure.

Mondafrique. Pourtant, il existe un arsenal juridique important qui non seulement abolit l'esclavage mais le sanctionne aussi. Les autorités ont par ailleurs mis en place plusieurs mesures pour tenter de mettre fin à ces pratiques. N'y-a-t-il eu aucune évolution ?  

M.M.C.D. La loi de 1981 abolit officiellement l’esclavage mais il y a toujours loin de la théorie à la pratique. Faute de contrôle et par peur d'attaquer de puissantes familles, l'esclavage est resté en place tout comme les discriminations. Les visages changent, le système esclavagiste reste. La loi de 2007 prévoit par ailleurs que l’esclave doit lui-même porter plainte auprès d'un commissariat afin qu'une enquête soit ouverte et que des sanctions puissent être adoptées. Or, cela n'arrive jamais. Bien souvent, les esclaves qui ne sont pas libres de leurs mouvements ne peuvent se déplacer ou ne sont pas en mesure de prendre l’initiative de porter plainte. L’IRA a donc décidé d’aller directement chercher les esclaves chez leur maîtres afin de porter plainte pour eux au commissariat ou au poste de police le plus proche.

Mondafrique. En devenant militante pour l'IRA, vous vous êtes engagée pour des actions fortes. Qu'apporte l'IRA de nouveau dans la lutte anti esclavagiste ? 

M.M.C.D. En 2010, nous avons procédé à la première libération d’esclaves. Il s'agissait de deux jeunes filles de 9 et 14 ans qui travaillaient pour une femme. Nous avons accompagné les policiers au domicile de cette personne. Les forces de l’ordre ont pu vérifier la présence de ces deux domestiques mineures et la femme a été arrêtée. C'était la première fois alors que la loi existait déjà depuis 3 ans. 

Nous avons tenu par ailleurs à être présents lors de l’interrogatoire des deux jeunes filles. Les policiers avaient donné leur accord de principe mais au dernier moment, ils nous ont refusé ce droit et nous ont chassé par la force. C’est là que j’ai été arrêtée avec l’épouse de Biram. On nous a retenues pendant trois heures. En sortant, on nous a battus à coups de matraques. Biram lui, s'est fait emprisonné. L’IRA a toujours employé cette méthode. Il s’agit mettre la pression, de rester sur place jusqu’à ce que les lois soient appliquées.

Même chose en 2011 lorsque l’IRA a dénoncé le cas de six filles tenues en esclavage à Nouadhibou dans le nord du pays. Nous avons fait un sit-in dans le tribunal de la ville jusqu’à ce que les sanctions soient prononcées. On a fini par nous chasser de force.

Mondafrique. Pourtant, ces actions coups de poing sont souvent dénoncées par le pouvoir pour leur violence. On pense notamment aux livres religieux brûlées en place publique par Biram Ould Dah Abeid pour dénoncer la justification de l'esclavage par la religion. 

M.M.C.D. C’est assez paradoxal. Nous faisons des sit-in pacifistes et mettons la pression pour que la loi soit appliquée sans jamais tenter de nous opposer par la force. Par contre, on nous chasse parfois à coups de matraques... Et c’est nous qu’on accuse de violences ! Les autorités et les familles arabo-berbères qui ont la main sur le pouvoir ne supportent pas qu'on remette en cause l'ordre social. C'est pour cela qu'elles se sentent autant menacées. 

Par ailleurs, il faut être très clair : l’islam refuse l’esclavage. Nulle part le Coran ne mentionne que l'esclavage est une bonne pratique, ni qu'elle doit perdurer. Les autorités et les esclavagistes se servent de l’islam pour préserver leurs intérêts. Le texte religieux que Biram a brûlé est un ouvrage malékite venu d’Égypte dans lequel certains exégèses puisent la justification de l'esclavage. Ce n'était pas le Coran contrairement à ce que beaucoup ont voulu faire croire. Plusieurs magistrats qui sont en majorité issus de grandes familles maures s’appuient sur ces textes pour rendre leurs verdicts au détriment de la loi civile. C'est inadmissible. Un jeune homme de 28 ans a par ailleurs été arrêté début 2014 à Nouadhibou pour avoir critiqué la justification religieuse de l'esclavage. Il a été condamné pour blasphème et le président Mohamed Ould Abdelaziz a prononcé un discours contre lui devant la foule. Cette interprétation religieuse est infondée.  

Mondafrique. Vous avez ensuite été arrêtée et emprisonnée pour avoir demandé la libération de Biram Dah Abeid. Quelles furent vos conditions de détention ?  

M.M.C.D. En novembre 2014, une dizaine militants de l’IRA dont Biram ont été arrêtés alors qu’ils étaient en campagne dans le sud du pays. Nous avons organisé une manifestation pour réclamer leur libération le 13 novembre à Nouakchott. C’est là que j’ai été arrêtée. Les autorités savaient que j’avais soutenu la candidature et la campagne électorale de Biram aux présidentielles de juin 2014. J’ai passé 5 jours au commissariat avant d'être appelée devant le procureur. Puis j’ai été envoyée en prison pendant vingt-et-un jours . Là-bas j’ai subi plusieurs actes de maltraitance. Des prisonniers de mèche avec le personnel de prison ont été envoyés pour m’insulter. J’ai été menottée pendant plusieurs heures, forcée à rester debout. Au terme du procès, j’ai été condamnée à un an d'enfermement avec sursis. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Mondafrique. La Mauritanie est un pays allié de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Comment réagissent les responsables politiques français face à la problématique de l'esclavage ?

M.M.C.D. Les autorités françaises n'en font pas une préoccupation prioritaire. Nous recevons du soutien à Paris de la part de certains politiques, de parlementaires, de membres de la société civile etc. Mais les lignes ne peuvent pas vraiment bouger car l’intérêt que la France a, à maintenir une alliance étroite avec la Mauritanie, est trop fort. Historiquement, il y a toujours eu un pacte plus ou moins officiel entre les grandes familles maures et les français pour sécuriser le Sahara et tirer profit de certaines ressources notamment minières. Cette alliance existe toujours aujourd'hui dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans cette zone. Les Maures ont toujours l'emprise sur le pouvoir.

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