Ce Mardi 30 juin 2015, notre blog
Soninkideesjose.wordpress.com a rendez-vous avec la militante d’IRA-Mauritanie,
Mariem Cheikh. L’entretien avec la native de la ville minière Zouerate a été
très instructif. En effet l’ex-détenue abolitionniste nous a accueillis à
quelques heures de son départ pour Bruxelles, au cœur de Paris pour l’interview
qui suit… Bonne lecture. Seule la vérité est révolutionnaire.
Soninkidees-J’ose: Bonjour Madame Mariem
Cheikh
Mariem Cheikh: Bonjour
S-jose: nous vous
remercions d’avoir accepté notre rencontre, pourriez-vous parler brièvement de
votre biographie ainsi que votre engagement abolitionniste en Mauritanie ?
Mariem Cheikh: je m’appelle Mariem Cheikh
samba Dieng, née en 1983 à Zouerate. J’ai des parents conscients de la
condition des Haratines en Mauritanie, mon père militait dans le mouvement
ElHor, l’ancêtre de tous les mouvements abolitionnistes et anti-esclavagistes,
AC, S.O.S Esclaves et d’autres.
J’étais très tôt confrontée à certains
comportements bizarres de mon maître en deuxième année de l’école primaire à
Zouerate. La première bizarrerie était que les élèves de ma classe avaient été
divisés en deux rangées, l’une composée de haratines et autres, et l’autre de
arabo-berbères ( Maures) et en donnant comme motif la différence de niveaux .
Notre maître de l’époque était arrivé en fin de premier trimestre de l’année
scolaire.
La deuxième bizarrerie m’avait visée
personnellement, un jour quand le maître rendait nos notes, il commença par ma
note, la première de la classe, mais par mon Mariem Cheikh, il sembla être
surpris me voyant lever la main. Il s’attendait que ce nom soit porté par une
petite mauresque, et finalement ce jour les notes n’avaient pas été
distribuées. Le lendemain, il donnait les résultats en m’attribuant la
quatrième note de la classe. Je faisais appel à mon père qui était arrivé à
l’école, chez le directeur pour constater mon cas. Cet incident causa un
mini-tremblement parmi les enseignants, et notre maître arguant qu’il s’était trompé,
subissait un coup d’alerte. Alors le temps passant , j’ai pris conscience que
l’engagement devenait un impératif vital, tout en pensant à l’écrasante
majorité des Haratines dont les enfants ont peu de chance d’aller à l’école par
un suivi parental et consciencieux.
Ceux comme moi dont les parents très soucieux
quant à l’avenir de leur progéniture, sont bloqués et brimés dans le système
éducatif, les autres enfants déshérités vont se trouver dans le néant et
resteront dans les mêmes conditions de dépendance vis à vis de leurs maîtres.
S-jose: Quelles sont
les dernières nouvelles sur le cas judiciaire de prisonniers d’Aleg, le
président Biram Dah Abeid, Brahim Bilal et Djiby Sow en Mauritanie…???
Mariem Cheikh : je pense que vous êtes au
courant que le camarade Djiby Sow souffrant , président de Kawtal a bénéficié
d’un élargissement provisoire, pour le reste, le dossier judiciaire de nos
leaders n’a pas suivi un circuit normal dès le départ après leur transfèrement
à la prison d’Aleg pour des motifs obscurs. Le président Biram Dah Abeid est un
homme du Droit, et ils refusent tout jugement en appel en dehors de la
circonscription judiciaire d’origine, c’est-à-dire à Rosso ou Nouakchott.
S-jose: quel est
l’objet de votre voyage en Europe ces derniers jours…. ???
Mariem Cheikh : Mon voyage rentre dans le
cadre de la sensibilisation des opinions européennes sur le cas de la
Mauritanie en matière des droits humains .
À travers nos partenaires de la société
civile et des humanistes soucieux, nous comptons interpeller les autorités européennes
qui traitent avec la Mauritanie, afin d’allier leurs coopérations économiques
aux problématiques des droits humains. J’estime que certains pays européens ne
sont pas étrangers historiquement à ce qui se passe dans nos pays. Par exemple,
la France coloniale avait bien pactisé avec les milieux dominants, qu’elle
n’avait pas suffisamment oeuvrer pour une véritable abolition des pratiques
esclavagistes dans les faits. En 1960, comme bien avant, les autorités
coloniales savaient que l’écrasante majorité des Haratines était sous le joug
esclavagiste arabo-berbère et nous vivons les conséquences directes de cette
situation inhumaine aujourd’hui. Donc une certaine complicité de la France est
à souligner dans ce sens, ce qu’on doit diffuser auprès de la société civile
européenne.
S-jose: selon vous,
pourquoi les autorités mauritaniennes refusent toujours d’écouter le discours
de la mouvance abolitionniste dont IRA qui se proclame pourtant pacifiste… ???
Mariem Cheikh: l’Etat mauritanien s’est
construit autour d’un système Maure où ce sont les tribus qui s’approprient du
Bien commun pour partager au nom d’un prestige familial. Ils sont extrêmement
minoritaires mais détiennent le coeur fonctionnel du pays, et ils veulent
s’accrocher à cette situation injuste à l’endroit des autres composantes comme
la seule norme qui vaille. Tous ceux qui s’activent courageusement contre leur
projet inique, par un discours de vérité sont taxés d’extrémistes. L’IRA paie
par des sacrifices dans tous les domaines, son engagement pacifique, véridique
et ferme. Les autorités veulent nous diaboliser mais, avec le temps tout le
monde constate que c’est à partir des soutiens du système que le diable surgit,
avec ces Ulémas qui sont bousculés dans leurs certitudes sur l’esclavage en
Islam.
Je tiens à vous signaler un détail technique
sur les nouvelles cartes d’identité dites biométriques, le document est en
couleur sauf la photo, un détail qui n’est pas anodin. Les manœuvres de ceux
qui pilotent le fichier démographique, sont entre autres de faire une confusion
certaine sur le poids démographique des uns par rapport aux autres. En effet
par les noms uniquement, on confond les haratines avec les arabo-berbères alors
que la photo en couleur aurait pu les différencier facilement. C’est une
manigance venant des milieux suprématistes arabo-berbères pour gonfler leur
nombre à tort, car sur la carte d’identité issue du recensement de 1998, la
photo était en couleur, pourquoi celle de 2010 est en noir et blanc…???
S-jose: quels
conseils donnez-vous aux activistes de la diaspora mauritanienne en France… ???
MC: d’abord je salue votre courage avec les
manifestations et les sit-in que vous faites ici. je ne suis pas d’avis de ceux
qui pensent que l’engagement c’est sur le terrain au pays seulement, mais le travail
fait par la diaspora compte énormément à l’international. Vous devez redoubler
de motivation afin d’interpeller par vos contacts les ONG et les associations
dans vos pays d’accueil. Vous devez éviter les clivages inutiles aux relents
communautaristes qui ne profitent à personne finalement. Essayez de ne pas
gratter l’histoire pour légitimer ou délégitimer en s’accusant les uns les
autres pour le leadership, car Dieu sait historiquement, que chaque communauté
peut titiller une autre sur quelque chose. Par exemple les haratines ont vécu
l’esclavage depuis des siècles dans cette zone bien avant l’arrivée des colons,
mais leur sort n’intéressait pratiquement personne afin de les défaire de ce
joug psychologique et physique de l’esclavage. Toutes les vérités ne sont pas
bonnes à dire partout.
S-jose: une femme
engagée a-t-elle des difficultés particulières dans la défense des droits
humains en Mauritanie… ???
Mariem Cheikh: au début avec l’émergence
féminine dans l’activisme abolitionniste, les autorités nous ont visées par la
violence physique lors des manifestations,
cela nous a plus donné de la détermination. J’ai été emprisonnée après
l’affaire de Rosso concernant nos leaders, le pouvoir pensait nous intimider
par la force, mais peine perdue. Sur le plan professionnel, je paie sans doute
mon activisme, car j’aurai peu de chance de trouver emploi même par concours
d’état, et dans le privé même pas dans mes rêves.
S-jose: nous arrivons à la fin de notre
interview, nous vous souhaitons un bon voyage et du courage.
Mariem Cheikh: Merci, je vous remercie.
Propos recueillis par Kundu Sumare
Paris, le 30/06/2015
SoninkIdees-J’ose
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