« Sans entreprendre des mesures d’équité et de réformes drastiques, visant l’égalité et l’affranchissement économique, en faveur des noirs et des Hratin, les lois anti-esclavagistes ne produiraient que de la frustration»
Le Calame : Votre
mouvement a organisé le mardi dernier un sit in devant la représentation des
Nations Unies à Nouakchott. Quels étaient les objectifs de ce sit in ?
Biram Dah ABEID : Nous avons organisé cette
manifestation, le 3 septembre 2013 devant le siège des Nations-Unies dans la
capitale Nouakchott, afin de sensibiliser la communauté internationale et
surtout le rapporteur spécial de l’ONU sur le racisme, la xénophobie et
l’intolérance, lors de sa visite en Mauritanie, sur la persistance, dans le
pays, d’un racisme domestique et d’Etat, frappant la majorité du peuple
mauritanien. Par majorité numérique, j’entends les Hratin ou autochtones noirs
(plus de la moitié de la population) assimilés et assujettis à
l’esclavage par les Arabo-berbères, les ethnies noires - Peulh, Soninké, Wolof
et Bambara ; ce racisme se manifeste par des pratiques d’exclusion, de
divers degrés, allant des exécutions extrajudiciaires et des pogroms à visée
d’épuration ethnique, à l’inégalité devant la loi, l’inégalité des chances,
jusqu’à la sacralisation, la codification et donc la légitimation de
l’esclavage des noirs, établissant ainsi leur infériorité de fait, parfois au
nom des préceptes religieux en vigueur dans la République Islamique de
Mauritanie. Notre objectif était aussi de mettre l’accent sur l’impunité dont
bénéficient les membres de l’élite au sein de la communauté minoritaire et dominante
arabo-berbère, une oligarchie-aristocratie-théocratie raciale, qui a fondé et
bâti son mode de vie sur la traite des noirs et l’esclavage ; ce faisant,
elle a fini par ancrer, dans la pratique de l’Etat et des rapports sociaux, une
hiérarchie du genre humain, rendue rigide, par une interprétation fallacieuse
de l’Islam, et une duplicité envers le droit international. Nous avons voulu
dénoncer, par ce sit in, les pratiques, crimes et délits de racisme dont
souffrent quotidiennement les populations Hratin et noires victimes de travaux
forcés, de traites des personnes, à l’intérieur de la Mauritanie et vers les
pays du Golfe. Nous parlons, ici, d’esclavage racial et par ascendance,
d’expropriations foncières, de marginalisations dans l’appareil d’Etat, d’exclusions
et de privation de pièces d’état-civil, etc.
Vous avez dit que vous voulez attirer
l’attention du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes
contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de
l'intolérance, actuellement en visite dans notre pays sur le problème de
l’esclavage en Mauritanie. Au-delà de l’application des textes criminalisant ce
phénomène, ne pensez-vous pas qu’il faut d’abord le combattre sur le plan
économique ?
En effet, sans entreprendre des mesures d’équité et de réformes
drastiques, visant l’égalité et l’affranchissement économique, en faveur des
noirs et des Hratin, les lois anti-esclavagistes ne produiraient que de la
frustration. L’exclusion matérielle des Hratin et des noirs, résulte de décennies
de pouvoirs publics connivents et historiquement solidaires ; cette ligne
officieuse de discrimination et de marginalisation des noirs et des hratin, qui
a accompagné la dérive ethnicisée du pouvoir en Mauritanie, atteint son
paroxysme, de nos jours ; ainsi, dans les ports de Mauritanie et ses
centres urbains, une bourgeoisie non-productive arabo-berbère exploite sans
merci, sans aucun souci des lois et conventions en vigueur, ni même de la paix
civile, des armées d’employés et d’ouvriers noirs et hratin, réduits à
survivre, juste survivre à l’oppression qui les nourrit. Je souligne que les
fortunes qu’étalent les riches personnalités arabo-berbères sont loin d’être le
fruit d’un labeur ou du travail dur ; au contraire, ces richesses sont le
fruit, facile, de la politique de prédation tribale que les différents régimes
civils et militaires arabo-berbères ont adopté pour créer et faire prospérer
des réseaux de solidarité clientélistes, au détriment de l’Etat. Les noirs et
les hratin sont maintenus à la périphérie du système ; les banques de
l’Etat, les sociétés publiques ont été bradées, pillées, dans une totale
impunité, par des personnalités arabo-berbères et selon la logique de
l’alternance rotative, afin de satisfaire aux demandes -successives - de chaque
clan. Des prêts faramineux et jamais remboursés leur ont été octroyés, des
domaines cultivables et constructibles alloués au détriment des noirs et des
hratin, dans les banlieues et taudis des grandes villes, la vallée du fleuve
Sénégal et les régions agro-pastorales du centre-est. C’est une véritable
colonisation économique, après celle administrative. Dans le Sud, les
populations Hratin et noirs, vivant de la terre ont subi une méthodique
spoliation, sous couvert de décisions de l’Etat Mauritanien, devenu ainsi le
parrain de l’expropriation d’une race par une autre. Les noirs et hratin du
Sud-Ouest, de l’Est et du Centre-Est, se retrouvaient alors déportés dans leur
propre pays, sur les terres de leurs ancêtres ; et ce sont, à présent, des
multinationales étrangères qui commencent à acquérir le sol nourricier, de la
main des notables tribaux qui les ont acquis par le truchement et la connivence
de gouvernements privatisés, de facto.
La manne financière issue de notre richesse halieutique n’a
bénéficié qu’à nos compatriotes arabo-berbères, pourtant, ironie du sort, si
éloignés, dans l’histoire, de tout rapport avec la mer et pour la plupart
rétifs à en consommer le produit ; c’est l’Etat lui même qui a décidé et
agi ainsi, laissant pour les noirs et les hratin, les ingrats et harassants
rôles de matelots et autres emplois subalternes. Youssouf Sylla, Omar Yoro Dia
et feu Koulibaly Bakary ne vont pas me démentir ; eux qui, noirs de leur
Etat, ont été sanctionnés et ruinés, pour avoir osé s’aventurer sur le terrain
de l’ambition économique, du rêve de la richesse que les côtes poissonneuses de
la Mauritanie autorisent.
Et concernant les mines, le fer, l’or, le pétrole, le cuivre,
leurs découvertes s’abattent comme des malédictions sur les ouvriers noirs et hratin
surexploités par les sociétés de sous-traitance agréées par l’Etat au profit,
exclusif, des arabo-berbères. Dans ces sociétés, les cadres noirs et hratin
sont surchargés de tâches, au mépris du droit du travail et privés de
promotions à cause de leur race et de leur naissance. Les entreprises de
sous-traitance leur appliquent des pratiques d’esclavage moderne prohibées par
les normes internationales.
Les voici exclus, des avantages que les sociétés étrangères,
basées en Mauritanie, octroient aux entreprises de sous-traitance des divers
services. Pour preuve, prenons par exemple, Kinross-Tasiast : sur quatre
cent entreprises mauritaniennes de sous-traitance, une seule entreprise de
transport est la propriété d’un hartani, Abdallahi Ould Breihem ; une sur
400 ! Imaginez, en conséquence, la proportion dans d’autres
domaines !!!
Ce dernier, en contrepartie de ses services, ne bénéficie que d’un
montant mensuel dérisoire de seize millions d’ouguiya (52 460 Dollars US)
sur une somme pharaonique de six milliards d’ouguiyas (19 millions 680
mille Dollars US) qui va dans les poches des 399 sociétés de sous-traitance
détenus par les arabo-berbères ; mais malgré l’absence totale de
bénéficiaire hratin de cette manne, le hartani, à la ponction ultra-congrue,
Abdallahi Ould Breihem, a vu ses contrats résiliés au profit d’un sous-traitant
arabo-berbère !!! Pour satisfaire aux exigences de partage du gâteau au
sein du groupe dominant, l’injustice doits s’abattre sur les autres
mauritaniens : c’est la loi du genre et la règle inavouée du système.
L’exclusion et la discrimination qui frappent les Hratin dans les
corps de l’Etat mauritanien ainsi que les entreprises publiques commencent à se
reproduire, voire se transposer, auprès des sociétés étrangères qui opèrent
dans notre pays. Ces entrepreneurs doivent éviter de se retrouver complices,
supplétifs inconscients d’une iniquité contraire à leurs valeurs et à leur
histoire, sous peine de devoir en payer le prix lourd, en terme de
revendication catégorielle et de perte d’image.
Vous avez toujours dénoncé le fait
que les haratine sont exclus du tissu économique. Comment peut-on remédier à
ça ? Est-il possible de créer des hommes d’affaires haratine ex
nihilo ?
L’Etat pourrait bel bien remédier à cette situation d’exclusion
des Hratin en combattant le préjugé Roi et Originel, véhiculé par la mentalité
sociale mauritanienne, Khaldounienne, qui stigmatise la race noire et la
perçoit comme un réservoir d’ouvriers, de travailleurs et d’esclaves, appelés à
créer par le labeur du corps, la félicité pour la « race
supérieure ». Il importe, d’abord, de déconstruire cette croyance inscrite
dans les codes « religieux » mauritaniens, les livres nègriers que
nous avons eu la chance d’incinérer une certaine journée du 27 avril
2012 ; il convient d’interdire l’enseignement de tels ouvrages quand ils
stigmatisent le noir, le chosifient et confèrent à son exploitation un
caractère sacré. Il faut ensuite donner une âme et une substance dissuasive à
une justice du travail et à une justice tout court ; il y a lieu d’abolir
ce privilège qui enrichit les oisifs au détriment des acteurs de plus-value,
bref, interdire les situations de monopole au profit des sociétés
arabo-berbères de sous-traitance de la main-d’œuvre hratin et noire. L’Etat suscitera
une classe d’affaires noire et hratin, par une procédure transparente de prêts
bancaires et autres formes économiques, monétaires et budgétaires
d’encouragement des personnes honnêtes et travailleuses, donc par des méthodes
et procédures licites, un peu à l’inverse de la genèse du capital privé
national, depuis le coup d’Etat du 10 juillet 1978. Le pillage à grande échelle
de la Mauritanie et l’instauration d’un rythme d’alternance prétorienne aux
fins d’en garantir la rotation date de cet évènement ; ainsi, patiemment
et sans que le fait ne soulève plus de protestation, l’Etat mauritanien
privatisé, a, par des méthodes illicites, tordues et discriminatoires, fait
naitre des dizaines, voire des centaines de richissimes entrepreneurs
arabo-berbères et maintenu, la majorité, dans la misère. Cette majorité ne se
tait plus. Voilà la grande nouvelle !
Propos recueillis par Ahmed ould Cheikh
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