Trop de choses, dans ce pays, sont troublantes et l’avenir semble
très incertain. Le racisme, l’esclavage, la pauvreté, les discriminations
minent le quotidien dans une atmosphère où l’absence de conscience ou où, des consciences volontairement anesthésiées se propagent dans l’air ambiant et assombrissent le ciel.
Après des années de militantisme, je me suis interrogé sur ce qui
fait que la situation n’évolue guère. J’ai donc jugé utile de prendre du recul
et de mener une analyse.
Mon constat est que l’idée d’un Etat moderne n’est pas encore
ancrée dans la mentalité des populations. Plus grave encore est que ceux qui sont
considérés comme des acteurs politiques manquent de culture générale, critique
et étatique.
L’essence de l’Etat est de protéger. « Le but de la
République est la sécurité des particuliers », nous dit Hobbes. Or, en Mauritanie,
on assiste à un Etat où l’exclusion est la base de l’organisation de la société :
exclusion d’origine raciale, sociale et économique.
En ce qui concerne l’exclusion raciale, elle pourrit la situation
du pays depuis son indépendance. Elle a atteint son summum avec les massacres,
la déportation, les assassinats, les emprisonnements des Négro-mauritaniens en1989. Aujourd’hui,
elle continue à travers la volonté du
pouvoir mauritanien d’exclure le maximum de Négro-mauritaniens de l’état civil.
Pour ce qui est de
l’esclavage, il s’agit de l’un des pires crimes que nous pouvons connaître en ce XXIème siècle, des siècles
après Rousseau, un des pères de la philosophie des lumières, celle de la
raison. Pour Rousseau, tous les hommes
naissent égaux en droit car tous naissent libres.
La
Mauritanie est un des rares pays
au monde où l’esclavage, sous sa forme ancienne, demeure encore. Cela devrait pousser les
Mauritaniens à s’interroger sur eux-mêmes, sur leur état d’arriération. Ils
devraient en avoir honte. Malheureusement, tel n’est pas le cas. La société
mauritanienne est une société inégalitaire, fière, où le vent de l’esprit de
Rousseau passe encore inaperçu, car les oreilles sont bouchées par les
lourdeurs des traditions. Il faut noter que, plus on est ignorant et aveugle
d'esprit, plus il est plus aisé d’être fier de soi.
Pour ce qui est de l’exclusion économique,
une minorité s’accapare aujourd’hui de la richesse du pays. « Depuis son accession au pouvoir, le Président Aziz, malgré
ses promesses, a passé son temps à construire sa propre fortune au lieu de
gouverner. Il fait main basse sur l’ensemble de l’économie mauritanienne, de
l’exploitation des ressources naturelles aux banques, en passant par la pêche
et les projets d’infrastructures.
« Pour s’assurer du
bon fonctionnement de sa machine à laver l’argent, Aziz doit employer en
permanence un gang de courtisans qu’il enrichit tout en les chargeant de
dissimuler ses propres avoirs. Qui sont les prête-noms qu’il utilise pour
blanchir sa fortune fraîchement acquise ? Cette nouvelle classe d’hommes
d’affaires maquignons, qui tous travaillent pour Aziz, sont en train de mettre
en coupe réglée l’économie du pays. Pas un secteur n’échappe à leur
voracité. » 1
La gestion de l’Etat, en Mauritanie, repose sur l’ethnie, la tribu, le clan, la courtisanerie.
Les richesses sont, par conséquent, mal réparties et ne résultent guère d’un
mérite quelconque.
Comment sortir de cette situation ?
« Le changement institutionnel peut être amorcé ou engendré
par un déplacement ou des modifications dans la dynamique des rapports de force
au sein même des fonctions ou des postes clés de l’institution, par un
changement idéologique, un scandale qui révèle la disparité trop grande entre
des finalités et des pratiques ou le décalage entre les vertus. » 2
Pour ce qui est de la dynamique des rapports de force en
Mauritanie au niveau des postes clés, il est certain qu’elle n’est pas en faveur de forces de progrès, de justice,
d’égalité ou de fraternité. Au contraire, ce sont des forces rétrogrades,
féodales, soucieuses de s’accaparer des richesses du pays qui y dominent. On
peut donc difficilement espérer un changement idéologique au sommet de l’Etat.
Concernant un scandale qui
révèle la disparité trop grande entre des finalités et des pratiques ou le
décalage entre les vertus les changements, je peux dire que peu de choses
scandalise les Mauritaniens y compris l’assassinat de leurs propres compatriotes ou frères. On l’a vu
lors des événements de 1989. Même les populations victimes semblent peu
choquées. On a vu de nombreux Négro-africains au côté du pouvoir. On peut même
se demander si le Mauritanien a des valeurs humaines. Mes propos peuvent
paraître forts mais je suis convaincu de
la pertinence de cette question.
Quelles sont les valeurs des Mauritaniens ? Quelle est la
finalité de l’Etat mauritanien ? Les valeurs des Mauritaniens sont
dominées par l’appartenance ethnique, tribale, clanique, l’argent gagné
facilement. La mentalité qui domine au sein de la société est inégalitaire,
inhumaine. Elle frôle la barbarie.
Pour ce qui est de la finalité de l’Etat mauritanien, il n’y en a guère d’un point de vue collectif.
L’Etat est là pour servir ceux qui en tiennent
les manettes. Cette manière de voir le rôle de l’Etat est très partagée.
D’une manière générale, les opposants ont les mêmes valeurs que ceux qui sont au pouvoir.
C’est surtout pour cette raison que je demeure sceptique quant à l’avenir de ce
pays.
Les opposants mauritaniens, dans leur majorité, partagent les
mêmes valeurs que ceux au pouvoir.
On parle de démocratie mais
on n’est pas pour la liberté de conscience.
On lutte contre le racisme mais on n’est pas pour l’égalité
des Hommes. On croit aux castes. On le vit fièrement sans regret ni honte.
On est contre l’esclavage mais on est pour le maintien du statut féodal
de la femme en Mauritanie. Ou en tout cas, dans la pratique, on soumet son
épouse, la considère comme inférieure à soi.
On accuse le Président de voler les richesses du pays,
d’entretenir la misère mais une fois arrivé au pouvoir, on agit de la même
manière que lui.
Il est aussi certain que si l’opposition venait au pouvoir les
pratiques ne changeraient pas de beaucoup.
Tout cela rend pessimiste. Mais le pessimisme n’empêche pas d’agir. Il peut même rendre plus
fort car rien ne peut décourager le pessimiste actif. La Mauritanie a
besoin d’une rupture épistémologique,
d’un changement de paradigmes, de disque.
Oumar Diagne
Ecrivain
1 Voir, Pillage organisé en Mauritanie Afrik.com
2 Jacques Salomé, Le courage d’être soi, Editions Pocket, 1999, p. 189
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