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vendredi 2 mai 2014

L’esclavage en Mauritanie et la responsabilité de la France



Le décret d’avril 1848 abolissant l’esclavage en France avait été jugé inapproprié pour lutter contre l’esclavage dans l’AOF ( Afrique Occidentale Française ) et le Congo. C’est pourquoi, le décret du 12 décembre 1905 a été pris.
Lors de l’indépendance le 28 novembre 1960, l’État mauritanien n’a pas intégré ce décret dans son dispositif juridique. Cet oubli n’est pas dénué d’arrière pensées politiques puisqu’il s’agissait d’enterrer ce décret et la période à laquelle il se rapporte. En effet, ce texte juridique de 1905 avait permis la création des villages de liberté dans le Sud de la Mauritanie et a eu pour conséquence l’affranchissement de plusieurs esclaves, même si son application n’a pas été exempte de critiques.

La création de ces villages de liberté avait suscité un afflux massif d’esclaves maures en direction du sud de la Mauritanie ainsi qu’au Sénégal. La féodalité maure a exercé de fortes pressions sur l’Administration Coloniale en vue d’arrêter cet exode. En 1909, le Colonel Gouraud signe, au nom de la France, un accord dans lequel celle-ci s’engage à laisser aux Maures « leurs ânes, leurs moutons et leurs esclaves ». En contre-partie, la féodalité maure accepte la colonisation française et la pacification du territoire de Mauritanie.
La France s’est servie des Haratine sur plusieurs plans:
1) Plan politique
Après une courte période (1905-1909) soit 4 ans, la France a renié son texte juridique relatif à l’esclavage. La France tenait à contrôler ce vaste territoire entre l’Algérie et le Sénégal. Elle s’est confrontée, d’une part, à l’étendue du territoire et d’autre part à la ténacité et l’esprit guerrier des Maures. Face à ce problème, la France opère un marchandage historique. Elle renonce à libérer les esclaves maures (un groupe social inorganisé et inoffensif) et satisfait ainsi la principale revendication maure, en l’occurrence la pérennité de l’esclavage. La lutte contre l’esclavage devient : « vous êtes avec nous, vous ne perdez pas vos esclaves ».
Par conséquent, on peut affirmer sans risque de se tromper que les Haratine ont été une monnaie d’échange dans le but de coloniser la Mauritanie. Cette colonisation s’est faite donc au détriment des Haratine. Ces derniers continuent à payer ce renoncement de la France à appliquer son texte d’abolition puisqu’ils sont à ce jour asservis par les Maures.
2) Plan militaire
« Au début de la conquête, nous nous sommes servis d’auxiliaires Toucouleurs et de vagues Haratines contre le Trarza et le Brakna, les plus proches du Sénégal. Ceux-ci soumis, nous nous sommes servis d’eux pour la conquête du Tagant d’abord, de l’Adrar avec les précédents contre les Regueibat et autres nomades du Nord… » (Le chef de bataillon Borricand, étude confidentielle sur le recrutement des gardes méharistes ou goumiers pour les groupes nomades de Mauritanie du 1er décembre 1944, archives de Kiffa … in Mohamed El-Abd ( El-Keihil) Colonisation française et mutations sociales en Mauritanie : cas de l’esclavage en milieu maure 1900-1960, Mémoire de maîtrise département d’histoire, Université de Nouakchott Faculté des Lettres et Sciences Humaines ) 85-86,p.36-37.
Cette participation des Haratine aux combats contre les maures en vue de parvenir à la pacification de la Mauritanie, prouve, si besoin est, l’utilisation des Haratine au plan militaire et politique. Il convient d’y ajouter la contribution des Haratine aux deux guerres mondiales (14-18 et 39-45) du 20ème siècle. Précisons à ce sujet que ceux qui ont échappé à la mort ont retrouvé en Mauritanie leur ancien statut, à savoir l’esclavage, preuve de l’inapplication du décret du 12 décembre 1905.
3) Plan économique
L’installation des haratine dans les adwaba (villages haratine) vient répondre aux intérêts de la féodalité maure, lesquels intérêts devraient être satisfaits pour asseoir et pérenniser la colonisation : «De création relativement récente, les adwaba au Hodh traduisaient le souci des Maures de voir leurs nombreux esclaves qui étaient en surplus pour leurs besoins en élevage, s’adonner à l’agriculture à l’image des noirs voisins chez lesquels ils allaient s’approvisionner en mil. Cette tentative a d’ailleurs été encouragée par la colonisation» in Mohamed El-Abd ( El-Keihil) op.cit. p.61
4) Les haratine ont servi de population de peuplement
L’administration coloniale avait besoin de fixer les populations nomades autour des garnisons militaires et des centres administratifs. Or, les Maures par habitude et par opposition à la colonisation ne voulaient s’installer dans ces villes.
Les Négro-mauritaniens avaient leurs villages ou villes. L’administration coloniale pouvait s’y établir. Par conséquent, seuls les faibles qui recherchaient la protection de l’administration coloniale et les moyens de se nourrir venaient y résider, Il s’agit majoritairement des Haratine. C’est le cas de nombreuses villes (Rosso, Kiffa, Aleg…).

La France, ancienne puissance coloniale et premier partenaire de la Mauritanie, a un rôle prédominant.
1. Dans le cadre de la coopération bilatérale, son influence peut et doit servir à contraindre la Mauritanie à la suppression de l’esclavage.
2. Dans le cadre multilatéral (Union Européenne), la France aurait pu et dû être à la tête de fortes pressions pour que la dernière colonie française à pratiquer l’esclavage y mette fin.
3. La France est redevable à l’égard des Haratine du fait que la colonisation de la Mauritanie s’est réalisée sur leurs dos. Réparer cette utilisation politique est un devoir de la France à l’adresse des Haratine.
4. La France est un membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Son influence au sein de cette organisation est indéniable. Elle peut et doit initier une action tendant à contraindre la Mauritanie au respect des conventions internationales qu’elle a signées et ratifiées (convention contre l’esclavage de 1926, 1956, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme…) . Pour de plus amples informations, nous vous renvoyons à notre thèse en Sciences Politiques : L’abolition de l’esclavage en Mauritanie et les difficultés de son application, soutenue en 2006 à l’Université Paris II : http://haratine.com/Site/?cat=13
     5. Enfin, la France a une responsabilité particulière dans le retard politique des Haratine et ceux pour deux raisons :
Outre l’utilisation militaire, politique, économique et de peuplement, les Haratine n’ont pas pu peu bénéficier de l’instruction sous l’administration coloniale et ce, contrairement aux autres composantes de la société mauritanienne. En effet, de 1904 (pacification de la Mauritanie) à 1946 (4ème République), les Haratine étaient exclus de l’enseignement parce que; d’une part les esclavagistes maures n’en voulaient pas et d’autre part parce que la France a cédé à leur demande. C’est seulement à partir de la quatrième République française que l’Administration Coloniale a ouvert timidement les portes des écoles aux Haratine. Rappelons que les premières écoles françaises ont été ouvertes en 1905 à Kaédi, en 1912 à Boghé et en 1914 à Boutilimit.
A l’indépendance le 28 novembre 1960, la France a donné le pouvoir politique aux Maures, détenteurs des esclaves. La perpétuation des pratiques esclavagistes était prévisible.
S’agissant du partage du pouvoir politique, seuls les Haratine ont été exclus de la scène politique. La non participation des Haratine au jeu politique est imputable à la France. Les Maures ont eu les rênes du pouvoir et les Négro-mauritaniens y ont été associés: « […] il faut remarquer aussi l’existence des alliances sur une base statutaire (aristocratie, chefs traditionnels) qui réunissait Maures et Noirs. Cette double structuration : contestation radicale du leadership maure et entente nobiliaire des rapports politiques entre Maures et Noirs est également une constante de l’histoire politique de la Mauritanie » ( Mohamadou Abdoul, Démocratisation, ethnicité et tribalisme : Jeu identitaire et enjeux politiques en Mauritanie in Regards sur la Mauritanie, l’ouest africain volume n°4 , ed. L’Harmattan 2004 p, 37).
La reconnaissance par la France de l’esclavage comme crime contre l’Humanité devrait pousser les autorités françaises à s’engager, dans leurs relations avec le pouvoir mauritanien, afin que celui-ci opte sérieusement en faveur de l’éradication effective de ce fléau social et ses conséquences.
  Le 30 avril 2014
Mohamed Yahya OULD CIRE
Docteur en Sciences politiques
Président de A.H.M.E
Journal: Le Cri du Hartani
Site: www.haratine.com
E-mail: ahme@haratine.com

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