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mercredi 18 septembre 2013

« Quitter IRA n’est pas une information, mais y rester OUI»



  Cheikh Aïdara, Photo facebook

« Quitter IRA n’est pas une information, mais y rester OUI»

«Un chien qui mord un homme n’est pas de l’information, mais un homme qui mord un chien est de l’information ». Cette citation bien connue dans les écoles de journalisme me permet d’extrapoler et d’avancer, en ce qui concerne le mouvement antiesclavagiste IRA, que «Quitter IRA n’est pas une information, mais y rester est bien la bonne information». Pour avoir étudié de près et avec beaucoup d’intérêt ce mouvement qui dérange la majeure partie des Mauritaniens, et pour avoir côtoyé ses leaders comme ses militants de base, en passant par le Comité de paix, cette organisation de jeunes bénévoles spécialement dédiée à la protection de son président Birame Ould Dah Ould Abeid, j’ai mesuré combien il est surhumain de rester au sein d’IRA, tellement la pression subie par ses membres dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Cette pression continue, insidieuse et pertinente vient de tous les côtés, à commencer par les entourages les plus immédiats, familles, proches, amis, et même employeurs, qu’ils soient du public ou du privé. Certains cadres et militants d’IRA m’ont expliqué qu’ils subissent continuellement des difficultés dans leur vie professionnelle à cause de leur militantisme au sein du mouvement. Certains fonctionnaires ont connu des tracasseries, des suspensions de salaires, des affectations arbitraires, des retraits de prime, sans espoir de gravir les échelons. Le président Birame Ould Dah Ould Abeid, greffier de formation et cadre au ministère de la Justice, est la première victime de ce pogrom administratif, lui dont le statut actuel est incertain. Je l’ai plusieurs fois entendu dire qu’il ne touche plus de salaires.
Tous les cadres et militants d’IRA qui continuent à résister à leur environnement social et professionnel, subissent à un degré ou à un autre, la politique du bâton et de la carotte. D’où des propositions de plus en plus alléchantes qui leurs sont faites. Quitter le mouvement en contrepartie d’une meilleure situation, souvent des nominations à des postes, des offres financières ou matérielles. Beaucoup de cadres et militants sont restés fidèles à leurs principes, à leur combat, payant de leur bourse, et souvent de leur liberté, si ce n’est de leur intégrité physique, le prix de leur engagement.
Certains n’ont pas pu résister et ont préféré souvent quitter IRA avec regret, rien que pour sortir de l’enfer où leur militantisme engagé, qu’ils n’ont pas su assumer jusqu’au bout, les a menés. D’autres par opportunisme ont cédé devant le mirage de l’argent et des fonctions honorifiques. Ils finissent souvent dans le giron de l’Etat comme des trophées que l’on brandi avec forts tapages médiatiques, et dont certains organes de presse s’emparent, faisant de chaque défection dans les rangs d’IRA, une victoire arrachée par le système en vigueur. Cependant, ces défections ont bien souvent l’allure d’une façade, beaucoup de militants qui ont quitté le mouvement, avec regret, contraints par des contingences sociales ou matérielles, restent souvent comme la cinquième colonne du mouvement, peuplant la forte armée invisible d’IRA. Ils deviennent des soldats de l’ombre qui continuent d’une manière ou d’une autre à soutenir de loin le combat de terrain qu’ils ont délaissé, à apporter au mouvement leurs contributions derrière les coulisses. C’est ainsi que j’ai appris par mes longues investigations que le mouvement IRA compte également des militants de l’ombre, dont de grandes pontes de l’aristocratie maure, haratine et négro-mauritanienne, qui n’ont jamais ouvertement milité et qui sont en réalité aussi nombreux que les militants visibles.
Un autre mythe que j’ai également eu à briser, beaucoup de gens croient que Birame Ould Dah Ould Abeid est riche comme crésus, qu’il reçoit de la part des «Nassaras » et des Juifs, des sommes colossales. J’ai cherché à trouver cette richesse et je suis tombé sur un homme qui, jusqu’en 2012, louait une maison aux confins des P.K 10, l’une des banlieues les plus miséreuses de Nouakchott, logement qu’il avait d’ailleurs des peines à payer mensuellement, de l’aveu de certains de ses amis. Suite à l’autodafé des livres dits Malékites et son emprisonnement en compagnie d’une bonne partie de ses camarades, sa famille sera jetée dehors. De bonnes volontés se sont cotisées pour lui payer une maison juste à côté. Une maison tout à fait banale, inachevée et qui ne compte que deux ou trois pièces. Birame, paradoxale que cela puisse paraître, ne possède même pas une charrette pour se déplacer. Je l’ai accompagné à plusieurs reprises, en compagnie d’autres journalistes, dans ses tournées à l’intérieur du pays. Des amis (l’armée invisible) lui prêtent des véhicules en prenant en charge le carburant, les autres cadres et militants de base (visible) amènent chacun sa propre voiture et prennent en charge le reste. Dans les villes où la délégation s’arrêtait, la restauration et le logement étaient assurés par des sympathisants du mouvement ou l’un des cadres ou militant originaire du lieu.
On reproche à IRA son discours, un discours jugé violent. Je le concède. Moi-même, combien de fois j’ai tressailli sur certaines harangues aux allures racistes, sectaires parfois. J’en ai fais la remarque aux cadres d’IRA. Ils ont reconnu que la gestion de la parole au cours des rassemblements est mal gérée et que beaucoup de jeunes militants fougueux dérapent souvent dans leurs discours, sans pour autant que leurs interventions ne reflètent le discours officiel d’IRA. A la question de savoir pourquoi ne gèrent-ils pas mieux la gestion des micros, l’un d’eux m’a expliqué qu’au sein des différents mouvements ou partis harratines que le pays a connu et au sein desquels beaucoup d’entre eux ont milité (El Hor, Action pour le Changement, APP, etc), les jeunes n’avaient jamais eu la parole. Aussi, IRA s’est donné pour devise « donner la parole aux jeunes et ne pas les enfermer dans la censure ». On m’a expliqué que parmi les militants, beaucoup ont subi des brimades, des injustices et trouvent l’occasion ici de se défouler, de sortir leur trop plein de ressentiments.
Reste que pour certains, le discours d’IRA reste très dur. Pour les cadres et militants, c’est l’électrochoc dont les Mauritaniens ont besoin. Comme «aux grands maux les grands remèdes, la société mauritanienne a besoin d’être remué par un discours choc qui va les remuer jusqu’aux tripes pour les pousser à prendre conscience de la gravité du phénomène de l’esclavage, du racisme et de la domination de classe, et renverser complètement la hiérarchisation sociale ambiante basée sur la bonne naissance».
Ce qui rend difficile le combat d’IRA, c’est qu’il s’attaque à une institution sociale (l’esclavage) vieille de plusieurs siècles en Mauritanie et dont rares sont ceux parmi la nomenklatura dominante qui ne la pratique pas ou qu’un proche, un cousin, un parent proche n’exerce. La solidarité tribale et ethnique aidant, chaque fois qu’un coupable est déniché, c’est toute une chaîne de solidarité qui se déclenche dans tous les rouages de l’Etat pour empêcher que la justice soit appliquée. C’est l’occasion de relever ici une contradiction incompréhensible de l’Etat mauritanien qui vote une loi condamnant les pratiques esclavagistes, l’élève même au rang de préambule dans sa Constitution et refuse de reconnaître son existence. L’esclavage n’existant ainsi pas dans le discours officiel, aucun officier de police judiciaire ni aucun juge n’ose le retenir comme motif de poursuites. Les cas qui sont soumis par IRA et par d’autres organisations antiesclavagistes comme SOS Esclaves sont souvent disqualifiés et considérés comme contrat de travail, si les commissaires de police ne décident d’eux-mêmes de ne pas en faire mention dans les P.V déposés par les victimes, falsifiant ainsi une partie déterminante de la procédure judiciaire, comme le cas récent à Boutilimit, du jeune Mohamed Ould Elavia cité par IRA. La solidarité de tribu et de clan aidant, les personnes accusées par IRA de pratiques esclavagistes, avec des cas pourtant prouvés, finissent toujours par être relâchées sous contrôle judiciaire ou libertés

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