En
2015, avec le conflit entre la Troïka et la Grèce, l'Europe, médusée, a
découvert la brutalité des politiques d'ajustement structurel. Évidemment, cela
fait quarante ans que ces politiques odieuses sont appliquées en Afrique et en
Amérique latine. Quarante ans qu'elles sont dénoncées en vain par les peuples
du Sud. Mais là, c'est l'Europe qui est touchée. On traite un État européen
comme s'il s'agissait d'« Africains de base » ou de « vulgaires
Latinos ». Quel scandale ! Le CRAN constate une fois de plus une forme
d'indignation sélective, et estime que si les peuples du Nord s'étaient
mobilisés depuis quarante ans, ils auraient pu non seulement soutenir les
peuples du Sud, mais aussi fourbir et préparer les armes qui les auraient
rendus plus aptes à affronter les adversaires qui les menacent aujourd'hui.
Car,
à l'évidence, la Grèce est en train de subir le traitement néo-colonial
appliqué depuis les indépendances africaines à de nombreuses anciennes
colonies. Les biens nationaux (aéroports, autoroutes, patrimoine immobilier,
etc.) sont dépecés et vendus à la découpe. De manière plus brutale encore, des
îles entières sont tout simplement mises à l'encan, procédé tout à fait
semblable aux accaparements de terres de plus en plus fréquents dans les pays
d'Afrique. Aujourd'hui, on n'a plus besoin d'armées pour s'emparer d'un pays,
les banques sont l'arme suffisante pour prendre le pouvoir. Et ce sont ces
mêmes banques, dont les pratiques ont mené à la crise mondiale, qui ont été
sauvées par l'argent du peuple, et qui aujourd'hui affament les peuples.
Autre
parallélisme entre la situation de la Grèce et celle des anciennes colonies,
l'absence de souveraineté monétaire. Les pays de la zone CFA sont tributaires
d'une monnaie frappée en Europe, dont ils ne contrôlent rien. C'est également
le cas pour tous les pays de la zone Euro. Or si le dispositif est avantageux
pour l'Allemagne, il est éminemment désavantageux pour un pays comme la Grèce.
Dans ces conditions, le peuple grec se trouve à la fois privé de souveraineté
monétaire, donc économique, mais aussi de souveraineté politique, puisque son
expression populaire (lors des législatives de janvier, puis lors du référendum
de juillet) a été par deux fois piétinée. Dans ces conditions, les partis
d'extrême droite et les mouvements xénophobes ont devant eux un boulevard, et
prennent comme boucs émissaires les minorités ethniques, évidemment
persécutées, situation qui ne peut laisser le CRAN indifférent.
Pour
autant, le CRAN n'est pas hostile à l'idée qu'il faille payer ses dettes. Au
contraire. Encore faut-il que celui qui les exige ait lui-même réglé ses
propres dettes à l'égard de celui à qui il les demande. Or, en l'occurrence,
force est de constater que l'Allemagne, principal créancier de la Grèce, est
aussi son principal débiteur. En effet, lorsque les Nazis occupèrent le pays,
ils le soumirent à un emprunt forcé, ils emportèrent les réserves d'or et
pillèrent le territoire d'une manière absolue. Et comme l'expliquait Soren
Seelow, journaliste du Monde, dans un excellent article publié en 2012,
l'Allemagne qui devait payer des réparations après la Première Guerre mondiale,
déjà, « a fait trois fois défaut au cours du XXe siècle : dans les
années 1930, en 1953 et en 1990 »*.
Pour
le dire autrement, l’Allemagne est le pays qui a presque toujours refusé de
payer ses dettes tout en exigeant des autres qu’ils respectent leurs échéances,
comme l'expliquait récemment Thomas PIKETTY. Dans ces conditions, s’il convient
que la Grèce rembourse ses dettes, il reste tout aussi constant que l’Allemagne
est redevable à la Grèce, depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette dette
allemande, plus d'une fois évoquée par l'eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, peu
suspect de germanophobie primaire, a été évaluée par l'ancien secrétaire d'Etat
aux finances hellènes, Philippos Sahinidis, qui a cité le chiffre de 162
milliards d'euros, à comparer au montant de la dette grecque qui s'élevait à
350 milliards d'euros fin 2011.
Le
CRAN rappelle que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, que
l'Allemagne n'a que peu réparé le crime qu'elle a commis, et qu'elle est donc
bien mal placée pour réclamer des dettes à la Grèce qu'elle a autrefois saignée
en toute impunité. Le CRAN rappelle que ce qui est vrai des crimes contre
l'humanité liés à la Seconde Guerre Mondiale l'est tout autant des crimes de
l'époque coloniale, qu'il s'agisse de l'esclavage aux Antilles, en Guyane ou à
la Réunion, de la rançon imposée au peuple haïtien, ou du travail forcé
pratiqué en masse en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale jusqu'en 1946,
et même au-delà.
Dans
ces conditions, le CRAN ne peut qu'exprimer sa solidarité avec le peuple grec
endolori, et condamner les Etats comme l'Allemagne, mais aussi la France, qui
refusent de régler leurs dettes, tout en exigeant d'autrui (qu'il s'agisse de
la Grèce ou des pays africains) qu'il respecte leurs engagements.
Contact :
Guy
Samuel Nyoumsi,
Vice-président
du CRAN
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