Le mouvement El Hor, fondé en mars 1978 par
des intellectuels harratines, victimes eux aussi des discriminations du pouvoir
« beidane », sur la base de revendications légitimes et responsables,
a été vite infiltré, puis détourné par ce pouvoir d’exception, qui l’a divisé
en deux tendances. Celle des opportunistes qui font de la lutte contre
l’esclavage un fonds de commerce avec le pouvoir, et celle des idéalistes qui
en font un fonds de commerce auprès des pays étrangers. Cette rivalité,
suscitée entre ces deux mouvements, a largement contribué à la paupérisation
des harratines.
Pourtant entre ces deux tendances, il existe une
élite républicaine silencieuse, constituée de cadres harratines, hommes et femmes
dignes, sérieux et compétents, qui refusent l’opportunisme des uns et
l’idéalisme des autres, et qui n’ont à vendre que leur propre exemple de
réussite, qui leur a permis de forger un rang social beaucoup plus important
que celui de leurs anciens maîtres. Ces cadres patriotes et responsables
sont les vrais défenseurs de la cause harratine. Car ils ont compris que le
salut de cette catégorie sociale ne viendra que de l’Ecole et uniquement de
l’Ecole.
Il y a un autre personnage providentiel, qui a particulièrement
contribué à l’émancipation et à la prise de conscience des harratines, en
trouvant refuge dans les vraies valeurs de l’islam sunnite libérateur et
égalitaire. Il s’agit de l’éloquent imam Mohamed OULD SIDI YAHYA.
Ce grand pédagogue a incontestablement réussi à contenir le mécontentement des
anciens esclaves, suscité par les discriminations et les injustices flagrantes
des régimes d’exception et intensifié par plusieurs siècles de spoliation. Il a
réussi à former une autre élite, croyante, purifiée et libérée des préjugés
sociaux qui servira sans aucun doute d’exemple, à toute notre société et
contribuera à la paix civile indispensable au développement de notre pays et à
sa survie.
Un pédagogue nommé Ould Sidi Yahya
L’ordonnance 81-234 du 9 novembre 1981 du CMSN
portant abolition de l’esclavage, prononcée du bout des lèvres, sans aucune
mesure d’accompagnement, suscitée par l’activisme des ONGS comme World
Vision, n’a pu survivre au puissant lobby féodal en perpétuelle renaissance, qui
domine les comités militaires et leurs gouvernements, ainsi que le pouvoir
politique et traditionnel. D’ailleurs, la réaction d'un grand seigneur, chef de
tribu en Assaba, quelques mois après la promulgation de cette ordonnance,
annonçant solennellement, la libération de plusieurs dizaines de ses esclaves,
aux environs de Kiffa, vivement ovationnée par le président du CMSN et sa
délégation, de passage pour l’inauguration du tronçon Kiffa-Néma, en est
une illustration et, démontre si besoin est, le caractère démagogique de cette
ordonnance, qui moisit depuis sa promulgation. Les nouvelles lois n’apporteront
rien de nouveau puisque le système féodal qui se nourrit des inégalités est
toujours au pouvoir et se consolide.
Le pouvoir aurait pu aussi, s’il le voulait, décomplexer
et transformer les nombreux féodaux consanguins des harratines, en
abolitionnistes convaincus, notamment certains chérifs et émirs de mères
esclaves ainsi que d’autres métis fils de nobles et de femmes esclaves. Leur
charisme, leur orgueil, ainsi que leur consanguinité avec les victimes,
pouvaient être exploités, positivement pour susciter leur engagement pour cette
noble cause, dont l’objectif est de délivrer leurs proches parents, leur sang,
de cette déshonorante et humiliante situation d’esclave, pour une meilleure
harmonie nationale.
Cette ordonnance abolitionniste prévoit
paradoxalement dans son article 2, une compensation au profit des maîtres au
lieu des victimes, ce qui est contreproductif sachant que l’esclavage en
Mauritanie, n’a aucun caractère conforme à la charia à cause de ses origines
douteuses, produit des razzias ou de vol à main armée. D’ailleurs, cette
traite humiliante, des populations noires musulmanes et riveraines,
contraire aux valeurs de notre sainte religion, avait provoqué le siècle
dernier, l’indignation de l’érudit de Oualata, Mohamed Yahya Elwalaty, ainsi
que celui de Tombouctou, Cheikh Ahmed Baba Ettimboucty, qui avaient déclaré, la
prohibition de cette pratique honteuse, que les oulémas du pouvoir n’ont
dénoncé qu’il y a quelques mois comme pour se moquer de la République.
En cherchant à compenser les fautifs, le CMSN avait
commis la même erreur d’appréciation que les gouvernements français, non moins
esclavagistes, qui, bien qu’ayant aboli l’esclavage dans les colonies
conformément au décret du 27 avril 1848, ont fini par accorder une indemnité
aux anciens propriétaires d’esclaves conformément au décret du 24 novembre
1849, pour contenir leur mécontentement. Ce laxisme va continuer jusqu’au 12
décembre 1905, lorsqu’un décret français réprimera définitivement la traite des
esclaves dans les colonies.
Pourtant si cette compensation avait été accordée
par le CMSN aux victimes de l’esclavage, celui-ci aurait été éradiqué
définitivement. Sachant que ces esclaves étaient essentiellement employés dans
les domaines de l’élevage, de l’agriculture, de la pêche, ou comme domestiques
ou ouvriers subalternes, le CMSN aurait pu les délivrer, en leur accordant des
moyens de production propres à eux dans les domaines de leurs spécialités, et
en leur attribuant des terres â cultiver. L’Etat aurait dû désintéresser les
anciens maîtres pour leur éviter de se servir de ces terres, comme moyen de
pression susceptible de perpétuer leur domination sur ces harratines
nouvellement affranchis.
La peau des uns, la culture des autres
En ce qui concerne les domestiques et les ouvriers
subalternes, le gouvernement aurait pu les former et leur donner du travail en
les recrutant en priorité, comme soldats, agents de police, plantons ou agents
de sécurité ou en leur finançant des micro-projets pour leur permettre
d’obtenir des métiers leur garantissant une meilleure insertion dans les
domaines commercial ou industriel, en attendant des jours meilleurs. L’Etat
aurait pu accompagner ces mesures par une scolarisation obligatoire au profit
de leur progéniture.
La solution que le père de la nation avait apportée
au problème des NMADIS aurait pu être vulgarisée par le CMSN pour régler ce
problème d’esclavage. En effet pour mettre fin aux activités destructrices
pour la faune et la flore, de ces guerriers, grands chasseurs du Dhar, le
gouvernement les avait transformés en éleveurs, en leur procurant les animaux
nécessaires au début des années 60, et avait procédé au recrutement de leurs
jeunes dans les forces armées et de sécurité. Cette initiative a permis leur
insertion dans la vie active et a mis ainsi fin définitivement à ce fléau
environnemental.
Le pouvoir d’exception a largement contribué au
clivage de notre société, et au maintien de l’esclavage, en suspendant de facto l’ordonnance abolitionniste et en
renforçant le pouvoir tribal que le père de la nation avait beaucoup
affaibli. Ce pouvoir tribal, arabo-berbère et
négro-mauritanien, qui se nourrit du labeur, rarement rémunéré de ces esclaves,
obligés par les pouvoirs publics de se résigner et de pardonner à ceux qui les
ont déracinés et qui refusent toujours de les adopter, malgré plusieurs siècles
de cohabitation dans un environnement régi par l’Islam sunnite.
Contrairement aux autres composantes nationales,
les harratines n’ont que la Mauritanie comme patrie, ils n’ont pas de
ramification dans les pays voisins. Ils sont le fruit de notre histoire, de
notre géographie, de nos déviations et de nos folies. Avec la peau des uns et
la culture des autres, ils forment une symbiose indispensable à la
consolidation de notre unité nationale. Leur noblesse n’a pas été entamée par
tous ces siècles de frustration, d’humiliation et de mépris. Pendant tous
ces temps difficiles, ils ont gardé intacts leur honneur, leur générosité, leur
dignité, leur probité morale, et leur fierté.
Les harratines sont originaires des
populations négro-africaines riveraines, razziées pendant les siècles derniers
par les tribus arabo- berbères et négro-africaines. Déracinés et arabisés par
la force du destin, ils ont acquis au fil du temps, une nouvelle identité
afro-arabe. Comme d’autres, sous d’autres cieux et dans d’autres continents,
qui par la force du destin ont été déracinés, occidentalisés, christianisés ou
athéisés et ont acquis une autre identité afro- euro-américaine. Débarrassés de
l’hégémonisme des arabo-berbères et de la susceptibilité des
négro-mauritaniens, et guidés par une foi inébranlable, les harratines
constituent incontestablement le trait d’union fondamental entre les uns et les
autres, le centre de gravité de notre unité nationale et l’espoir d’un avenir
radieux pour les générations futures de notre pays, pourvu qu’ils en prennent
conscience.
Le sort des Matchoudos, esclaves toucouleurs et des
Komes, esclaves des soninkés, les oubliés de la République et de la Liberté,
qui ne figurent même pas sur l’agenda des abolitionnistes, doit être
traité sans passion avec beaucoup de sérieux et d’appréhension. Ceux-ci
étant de la même couleur et parfois portant les mêmes noms que leurs maitres
donnent l’impression de vivre dans un système égalitaire, alors qu’ils sont
victimes de beaucoup de discriminations dissimulées. Leurs visages portent
souvent les stigmates de leurs souffrances morales et psychologiques. Spoliés,
terrorisés, frustrés et privés de leur dignité, de leurs terres et parfois de
leurs biens, ils subissent l’arbitraire quotidien de leurs maîtres qu’ils ne
peuvent dénoncer. Certains comme les Komes, de la communauté la plus
esclavagiste du pays, à savoir des soninkés du Guidimagha, souffrent de
discrimination parfois même à titre posthume. Ils n’ont même pas, semble-t-il,
le droit de prier dans la même mosquée que leurs maîtres et après leur mort,
ils n’ont pas le droit d’être enterrés dans le même cimetière.
A suivre
Source : http://lecalame.info/?q=node/2668
Excellent article, mais l'auteur a tendance à mettre l'esclavagisme arabo-berbère et l'esclavagisme négro-africain sur le même pied d'égalité, pour se déculpabiliser, alors qu'ils ne sont pas de même nature.
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