Abderrahmane Ould Ahmed, rescapé des camps de
la mort «Oui, il y avait des Haratines à INAL !»
«Peu de gens savent qu’il y avait des
Haratines dans les camps de la mort durant les années de braise, notamment
entre 1990 et 1991 ! » C’est l’une des principales informations, et elle est de
taille, que Abderrahmane Ould Ahmed, un des 96 rescapés d’INAL, a lâché lors de
la conférence de presse qu’il a animée aujourd’hui, lundi 10 août 2015 au siège
du FONADH, à Nouakchott.
Portant les stigmates d’une longue
souffrance, dont seuls subsistent un physique affaibli et des séquelles morales
visibles, Abderrahmane Ould Ahmed se bat depuis quelques petites années, selon
ses dires, «contre tout un système qui détient le pouvoir politique, économique
et militaire ». Cette redoutable machine, dira-t-il en substance, «se protège
et protège ses membres pour garder dans les limbes de l’histoire scabreuse de
la Mauritanie, un nauséeux passé peu glorieux ». D’après lui, l’inconscient
collectif associait jusque-là, le génocide perpétré en 1989 sur ces terres de
l’Islam, à l’épuration ethnique qui avait visé essentiellement la composante
Halpulaar du pays. En trois ans, des dizaines de milliers de paysans et
d’éleveurs de la Vallée subiront massacres et déportations de groupes vers la
rive sénégalaise, déchus de leurs biens et de leur nationalité. Par ailleurs,
la quasi-totalité des cadres ont été chassés de l’administration. Des civils et
des militaires ont été conduits vers des «camps de la mort ». Mais jusque-là,
l’histoire n’avait retenu comme victimes de ce pogrom que les éléments «rebelles
de la communauté halpulaar, accusés d’appartenir aux FLAMS et de comploter
contre la Mauritanie» précise-t-il.
Aujourd’hui, Abderrahmane Ould Ahmed, ancien
Directeur général d’une société privée de nettoyage industriel et de
représentation commerciale à Nouadhibou, divulgue des informations contraires.
«Au camp d’INAL, nous étions trois Haratines » selon lui. «En plus de moi, il y
avait Brahim Vih El Barka et Mohamed Ould Mouh». Brahim Ould Vih El Barka
mourra selon lui de la plus atroce des manières. «On avait enserré un fil de
fer autour de ses testicules et quand elles se sont gonflées, elles se sont
déchirées, laissant échapper les deux boules et il mourut aussitôt» dira-t-il.
«Les exécutions étaient systématiques à INAL, certains écartelés entre deux
véhicules, d’autres pendus, comme les 28 prisonniers exécutés le 28 novembre
1991 jour de l’indépendance du pays » ajoute-t-il. A INAL, les prisonniers,
dira Abderrahmane, vivaient dehors, en plein air, attachés à des poteaux, sous
le soleil ardent du jour et la fraîcheur de la nuit, certains étaient nus et
d’autres avaient eu la chance de porter des culottes» Il est arrivé un moment,
selon Abderrahmane, où tout le monde était fatigué, bourreaux comme victimes.
«On ne prenait plus la peine de nous torturer ; on venait marquer le jour ceux
qui devaient être exécutés la nuit ». Le plus atroce, selon Abderrahmane, «on
laissait les morts sur les poteaux jusqu'au pourrissement, puis on creusait un
trou sous leurs pieds, pour les y précipiter, masse gluante». Dans le
raffinement de la mort à donner, il est arrivé un jour où 17 jeunes prisonniers
furent désignés pour creuser un trou de deux mètres de profondeur, puis
lorsqu’ils disparurent complètement, ils furent ensevelis vivants»
Puis, un jour du 18 mars 1991, après 150
jours dans l’enfer d’iNAL, c’est la délivrance. De 256 prisonniers, 96
sortiront morts vivants, avec des séquelles qui en emporteront la majeure
partie, témoigne-t-il. Libérés. Ils seront jetés par groupe, nuitamment, chacun
sur l’axe qui mène chez lui. Abderrahmane déclare avoir été jeté tout près de
chez lui, masse inerte, n’ayant aucune force pour bouger. Le lendemain, les
ménagères sur la route du marché le découvriront, diable sorti de sa boîte,
sans visage humain. Le croyant mort, ses biens ont été partagés entre ses
héritiers et son épouse après son veuvage était rentrée chez elle puis s’est
remariée.
Il lui faudra des années pour se rétablir et
recouvrer sa santé. Puis, il attendit que le régime qui avait sécrété les camps
de la mort quitte le pouvoir pour trouver des interlocuteurs valables. «Lorsque
Maaouiya fut renversé en 2005, qui l’avait renversé ? Ely Ould Mohamed Vall,
son ancien Directeur de la Sûreté et le tortionnaire en chef de son régime. Il
n’y avait pas toujours d’interlocuteur » note-t-il, pour expliquer les raisons
de son silence depuis toutes ces années. Abderrahmane déclare que ce n’est
qu’avec l’arrivée de Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir et sa prière à Kaédi
que les dossiers relatifs à cette période commencèrent à se poser ici en
Mauritanie d’une manière ouverte. Il affirme avoir été l’un des premiers à
avoir déposé son dossier, mais sans trouver toujours d’interlocuteur car les
principaux acteurs et bourreaux de ces époques sanglantes sont toujours aux
points névralgiques du pouvoir, dont selon lui, l’actuel Directeur de la
Sûreté, le général Ould Meguett, «l’un des plus grands tortionnaires pendant
ces années de braise alors qu’il n’était encore que capitaine»
Abderrahmane a lâché des noms d’officiers, de
sous-officiers, de commissaires de polices et d’agents, qui ont participé aux
massacres des Noirs de Mauritanie entre 1989 et 1991 et qui sont toujours en
activité. Certains étaient de simples lieutenants ou capitaines ou commandant
et sont aujourd’hui des colonels et des généraux. Parmi ces tortionnaires,
l’ancien commandant du camp d’INAL, le commandant Sidina Ould Cheikh Bouya, le
lieutenant Mohamed Salah, le lieutenant Isselkou Ould Rabani, et des centaines
d’autres. Mais Abderrahmane Ould Ahmed a aussi divulgué une liste de
tortionnaires inconnus, principalement de la police, dont l’inspecteur Mohamed
Diop, les brigadiers Sidina, Youba Ould Meïssara, Housseynou Sangharé, Baba
Ould Baba Doumbiya Alioune…En tout, ils seraient 343 tortionnaires
qu’Abderrahmane Ould Ahmed s’est juré de mener devant les tribunaux pour
crimes, tortures et génocides. «Et ces tortionnaires sont de toutes les
communautés du pays » témoigne-t-il.
Alors qu’à ses débuts, Abderrahmane a déclaré
avoir recherché la voie du consensus pour régler son problème hors du grand
public, on ne lui a affiché que mépris et arrogance, le poussant à s’adresser
le 19 février 2015 à la Cour Africaine des droits de l’homme et des Peuples qui
lui a organisé une rencontre à Dakar avec le juge Augustino. Ce dernier, après
leur entrevue, lui conseilla d’organiser sur place une conférence de presse, ce
qu’il affirme avoir fait. Puis, dans un échange actif avec plusieurs
organisations internationales comme Amnesty International, l’ONG Karama et la
Cour Pénale, il reçut une invitation à assister à la 29ème session de la
Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme qui a eu lieu entre le
15 juin et le 3 juillet 2015 à Genève (Suisse). Il était prévu, selon lui, une
confrontation entre lui et la délégation mauritanienne conduite par la
Commissaire, Mint MHeiham. Cette délégation fuira le face-à-face en séchant les
assises, affirme-t-il. Aujourd’hui, Abderrahmane Ould Ahmed dit attendre de
pied ferme les représentants de l’Etat mauritanien à la Revue annuelle à mi-parcours
sur la situation des droits de l’homme en Mauritanie prévue le 20 novembre 2015
à Genève pour les interpeller sur les atrocités commises entre 1989 et 1991.
En attendant ces échéances, Abderrahmane Ould
Ahmed affirme vivre sous d’énormes pressions. De hauts responsables de
l’appareil d’Etat le harcèleraient pour clore ce dossier. Parmi eux, le
gouverneur de Nouakchott-Nord, le commissaire Mohamed Lemine, qui l’a appelé en
pleine conférence de presse pour lui demander s’il l’a tenu, car il lui abvait
demandé, selon lui, de le surseoir et qu’une solution à son problème allait
être trouvé. Hier d’accord pour une réparation morale pour les préjudices qu’il
avait subies, Abderrahmane affirme qu’aujourd’hui, il ne cherche ni argent, ni
privilège, mais seulement, la Justice, jusqu’à ce que les tenants du pouvoir
sachent que les Noirs de Mauritanie et les Haratines sont citoyens à part
entière et qu’ils doivent jouir de leurs droits sans aucune partialité. Il a
enfin exhorté l’union de tous les opprimés de la Mauritanie contre cette
terrible machine qui selon lui, n’a aucune pitié pour les faibles.
Dernier rebondissement, Abderrahmane dit
craindre pour sa vie, relatant la tentative d’assassinat qui l’a visé dimanche
9 août dernier, alors qu’il attendait un taxi près de la station d’essence de
l’immeuble Ould Khteïra à Dar Naïm. Une V8 noire, toute neuve, sans
immatriculation et aux verres teintées aurait foncé sur lui. N’eût été la
clameur des vendeuses de menthe, il dit qu’il serait aujourd’hui mort, car la
voiture serait venue heurter selon lui le bord de la pompe où il était debout.
Son conducteur a manœuvré puis poursuivi son chemin sans s’arrêter. Il a
déclaré avoir porté plainte contre X. «Je sais que ma vie est en danger, mais
le dossier, j’en ferais une décharge à un homme de confiance, qui poursuivra le
combat même après ma disparition » a-t-il conclu.
Avaient assisté à la conférence de presse,
plusieurs chefs de partis politiques, Kane Hamidou Baba, Bâ Mamadou Alassane et
Bâ Soma dit Balas, en plus de plusieurs activistes des droits de l'homme, dont
des militants du mouvement IRA.
Cheikh
Aïdara
Reportage photos
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