Le
Calame : Le président Biram Dah Abeid est en prison, depuis quelques
semaines, pour avoir accueilli et soutenu une caravane contre
« l’esclavage foncier dans la vallée du fleuve Sénégal ».
Ne
craignez-vous que le discours musclé du président de la République, à
l’occasion du 28 Novembre, ne vienne compliquer son sort ?
Balla
Touré : Concernant
le dossier de la caravane, le président Biram Dah Abeïd, le vice-président
Brahim Bilal Ramdhane, ainsi que sept autres militants sont en prison pour des
chefs d’accusation d’une légèreté déconcertante : gestion d’une
organisation non reconnue (IRA-Mauritanie), regroupement non autorisé,
rébellion contre les forces de l’ordre et discours raciste de nature à menacer
l’unité nationale. Nous étions une quarantaine de caravaniers. Ce que nous
avons fait, c’est, tout simplement, dénoncer l’esclavage et le racisme d’Etat
exercés à travers l’accaparement des terres et l’expropriation des autochtones,
au profit de l’agrobusiness affairiste.
Nous ne
craignons rien de la situation et souhaitons un procès mais un procès public.
Nous sommes certains que le procès se transformera en un procès du système
raciste et esclavagiste qui gouverne la Mauritanie. Nous n’avons pas peur. La
peur a déjà changé de camp : ce sont ceux qui ont érigé le mensonge et la
duperie en mode de gestion de l’Etat qui ont peur. Qu’ils se rassurent, leur
système s’écroule, sa déconfiture est très avancée et rien ne l’arrêtera.
La
Mauritanie est mise au banc des accusés par la communauté mondiale. Au grand
dam des tenants du système esclavagiste et raciste, l’opinion nationale et
internationale donne raison au combat d’IRA-Mauritanie. Tout ce que le pays
compte d’organisations de défense de droits humains et de partis politiques
dignes de ce nom a protesté contre les arrestations dont ont été victimes les
militants d’IRA-Mauritanie. C’est le moment de les remercier tous et de rendre
un hommage mérité à tous les braves qui se sont élevés contre l’arbitraire.
En effet, à
peine deux jours après l’arrestation, à Rosso, de nos amis, la célèbre
organisation Walk Free Fondation a rendu public son rapport annuel sur l’état
de l’esclavage dans le Monde et, malheureusement, cette année encore la
Mauritanie y occupe le triste record du premier pays esclavagiste au Monde.
Quelques jours plus tard, c’est le magazine américain de politique étrangère
qui publie son classement, très attendu, des « Cent penseurs du
Monde » pour l’année 2014, le président Biram Dah Abeïd y figure. Le très
réputé magazine d’information générale « Jeune Afrique » publie le 6
décembre sa liste des quinze défenseurs africains des Droits humains pour cette
année, notre président est l’un d’eux. Notre camarade Minetou Mint Mokhtar,
présidente de l’ONG AFCF, figure également dans ce classement. Toutes mes
félicitations au passage. Juste quelques exemples pour illustrer combien de
fois le monde libre est très en phase avec notre lutte et la soutient
fortement.
-
Dans ce discours, le président de la République réitère ce qu’il avait annoncé
dans celui de son investiture : sa détermination à « combattre
l’extrémisme ». Vous sentez-vous visés ?
- Depuis la
fondation de notre organisation, nous sommes constamment visés, réprimés,
arrêtés, mis en prison et torturés, sans parler des privations en tout genre
mais est-ce que cela nous a empêchés d’avancer et d’aller de victoire en
victoire ? Quand nous sommes allés en prison, la première fois, le 13
décembre 2010, notre organisation comptait moins de cinquante personnes. A ma
sortie de prison, en janvier 2011, nous étions déjà des centaines à participer
aux manifestations et à supporter l’effort du combat. Nous avons connu
régulièrement des arrestations de militants, jusqu’au jour fatidique de
l’incinération symbolique des ouvrages faussement attribués au rite malékite où
nous étions environ sept cents militants à avoir organisé, le 27 avril 2012, la
prière du Vendredi sur une place publique, par défi aux cercles religieux
traditionnels qui cautionnent les pratiques esclavagistes et le racisme. A leur
sortie de prison, quatre mois plus tard, c’est par plus de huit mille militants
et sympathisants que le président Biram Dah Abeïd et ses compagnons ont été
accueillis devant la prison civile de Nouakchott. Nous consentons le poids du
sacrifice et sortons de chaque épreuve fortifiés et aguerris.
-
A votre avis, pourquoi le pouvoir a-t-il choisi d’arrêter le président Biram,
alors que celui-ci ne fait que tenir toujours le même discours ?
- Allez
trouver de la cohérence dans les agissements des autorités… IRA-Mauritanie a
organisé cette caravane en partenariat avec d’autres organisations
mauritaniennes, Kawtal Ngam Yellitaare, le Collectif des Orphelins des VIctimes
CIviles et Militaires (COVICIM), le Collectif des Veuves, le Mouvement Autonome
pour le PROgrès en Mauritanie (MAPROM), et le REseau des Victimes de Evènements
de 1989 (REVE-89). Dix jours avant le démarrage de la caravane, une lettre,
signée par le président de Kawtal, monsieur Djiby Sow, a été adressée au
ministre de l’Intérieur, pour l’informer de l’organisation de la caravane, avec
mention de l’itinéraire et du calendrier détaillés. J’étais le coordinateur de
la caravane. C’est à mon ami Djiby Sow que le wali du Trarza, monsieur Isselmou
ould Sidi, a adressé une lettre interdisant la poursuite de la caravane,
pourtant pacifique, dans les limites de la wilaya du Trarza. Djiby Sow, Amadou
Alpha Ba qui était le porte-parole de la caravane et moi étions les trois
premiers responsables de son organisation et de sa poursuite, après la
réception du courrier du wali.
Alors
comment expliquer, dans cette configuration, que seuls les militants haratines
d’IRA soient en prison à Rosso ? Dans cette affaire, il est clair que les
autorités n’en voulaient qu’aux Haratines. Les arrestations ne visaient qu’eux,
parce qu’ils se sont rebellés contre les esclavagistes et leur prolongement que
sont les autorités du pays.
-
Qu’est-ce « l’esclavage foncier » que vous avez dénoncé, lors de la
caravane dans la vallée du fleuve Sénégal ?
L’esclavage
foncier, c’est cette situation qui fait que les Haratines travaillent les
terres fertiles de la Chamama que leurs parents, grands-parents et
arrière-grands-parents ont travaillées, alors qu’ils n’en ont point le droit de
propriété et que cette même terre est utilisée pour leur domination. En effet,
la quasi-totalité des terres cultivées, dans cet espace, par les Haratines,
appartiennent à trois personnes qui bénéficient de la complicité des autorités.
Il s’agit d’Abdallahi Salem ould Ahmedoua, Ahmedou ould Mrabott ould Habibou
Rahmane, imam de la mosquée dite « mosquée saoudienne », et Yaghoub
Moussa ould Cheikh Sidiya, maire de Lexeïba II. Ces personnes tirent, de cette
position, richesses et pouvoir politique. Quiconque ose contester leur
chefferie est déguerpi des terres, seule source de survie dans cette zone. Les
voix des Haratines, électeurs dans leurs circonscriptions à 90 %, leur
assurent la quasi-totalité des postes électifs (maires, députés et sénateurs).
Ainsi, par
le contrôle de la terre, la domination totale est assurée. Le discours
religieux, puisé des ténèbres, avec son pouvoir anesthésiant, contribue à
l’étouffement collectif des consciences haratines de ces contrées, pendant que
la force publique aveugle s’abat et écrase toute perspective individuelle ou
collective d’émancipation. Par ailleurs, à côté de cette ignominie qu’est
l’esclavage foncier, il faut signaler d’autres formes d’injustice liées au
foncier. Il s’agit des expropriations de terres dont sont victimes généralement
les communautés peul et wolof de cette partie de la vallée, généralement, au
profit l’agrobusiness arabo-berbère. Un simple bout de papier, délivré par un
hakem (préfet), suffit pour exproprier toute une communauté. Ainsi, des
villages se trouvent complètement enclavés dans leur terroir ancestral, sans
aucun espace vital. Au village de Donaye, les expropriations ont même
« englouti » le cimetière du village où pousse aujourd’hui du riz.
Les habitants transportent leurs morts par pirogues et les enterrent sur
l’autre rive, au Sénégal. Ces exemples font, malheureusement, légion. Quant au
troisième type d’injustice liée au foncier, il touche les citoyens rapatriés du
Sénégal qui, six ans après leur retour au pays, n’arrivent pas encore à
récupérer leurs champs que d’autres exploitent sous leurs nez.
Il est
important d’expliquer les raisons de l’acharnement particulier d’Isselmou ould
Sidi, wali du Trarza, contre les organisateurs de la caravane. Tout le monde
dans cette zone se rappelle le jeune administrateur qu’il était. Chef
d’arrondissement de son état à Jidrel Mohgueïn, pendant les évènements
douloureux de 1989, Isselmou ould Sidi a révélé qu’il avait des antécédents
personnels, en relation avec les questions soulevées par la caravane, puisqu’il
en a fait surveiller toutes les réunions, à toutes les étapes, par des
policiers et des gendarmes. Des témoignages concordants établissent qu’il
aurait ordonné, lors des évènements de 89, l’arrestation d’innocents
citoyens : le brigadier Mahmoud Sy, le postier Dia et Alassane Watt – paix
à leurs âmes – ainsi que Mahmoud Boïkina, sur la base de l’accusation,
mensongère, de leur appartenance aux FLAM et qu’ils projetaient d’assassiner
des beydhanes. Ils ont été incarcérés et sévèrement torturés, jusqu’à ce
que mort s’en suive, pour les trois premiers. Les rapatriés du Sénégal que nous
avons rencontrés dans les villages, en attente de la restitution de leurs
champs, auraient été tous déportés, par village entier, sous la supervision
d’Isselmou ould Sidi. On imagine aisément les motivations personnelles du wali
à mater les caravaniers qui ont osé creuser dans un passé si trouble et douloureux.
-
Vous avez assisté, ce 28 Novembre, à la commémoration du supplice d’Inal, par
les victimes, rescapés et veuves de COVIRE. Après deux pèlerinages à Inal,
Sorimalé et Wothie, pensez-vous que le gouvernement d’Ould Abdel Aziz, qui a
déclaré « clos le passif humanitaire », acceptera d’entendre la
revendication de COVIRE, à savoir « le devoir de vérité » et
« le devoir de justice ? »
- Je
voudrais, d’abord, prier pour le repos des martyrs. La dernière fois que j’ai
vu le président Biram Dah Abeïd, c’était le 27 novembre, la veille de la
journée de commémoration. Je l’ai informé que nous étions invités, par le
Collectif des veuves et le COVICIM, à participer à la cérémonie de
commémoration des martyrs d’Inal. Il a gardé le silence, un moment, puis il a
lâché : « S’il te plaît, prépare-toi à y aller, avec un groupe de nos
camarades, et je te prie de transmettre mon soutien personnel mais aussi celui
de tous les militants d’IRA, à maman Houleye Sall, à notre sœur Maïmouna Alpha
Sy, à notre frère Mamadou Alhousseïnou Kane, à nos nièce et neveu Hawa Mamadou
Dia et Bocar Lamtoro Camara. Leur combat est le nôtre, qu’ils soient rassurés
de notre soutien permanent ».
Dans ce
dossier de génocide avorté – oui, il s’agit bien de cela – nous sommes certains
qu’il ne peut y avoir de solution en dehors de la vérité et de la justice. Ceux
qui voudraient décréter l’absolution de crimes de tortures et d’assassinats se
mettent en position de complices des bourreaux.
Propos
recueillis par Dalay Lam
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