Madame le maire, honorables élus, excellences ministres et ambassadeurs, chers amis de la société civile, honorable assemblée :
Permettez-moi de féliciter le jury de la ville de Philadelphia, pour
son choix judicieux de nous décerner le prix Echos Of Africa pour
l’année 2014 : une distinction en hommage à l’apport de l’Etat de la
Pennsylvanie en général et de la cité de Philadelphia en particulier,
dans les luttes pour l’indépendance des Etats-Unis, et, l’émancipation
et les droits civiques des Afro-Américains. Ces thèmes, fondements de
la dignité de tout peuple et des droits sacrés de la personne humaine,
reflètent, hélas, notre contexte national en Mauritanie, marqué par
l’hégémonie ethnique et de race, l’exclusion, la discrimination, la
pauvreté et l’injustice.
Ce sont là des enjeux de gouvernance, perfides, ignobles et
hors-la-loi, institutionnalisés et déniés par l’Etat mauritanien. Ce
geste de reconnaissance et de soutien de la part de la ville et de
l’Etat qui ont abrité la signature du traité de l’indépendance des USA
et le siège des deux premiers présidents, une ville creuset des élites
et des luttes abolitionnistes Afro-Américaines, ce geste contribuera à
l’imposition d’une nouvelle redéfinition des rapports du monde libre,
avec l’Etat et les groupes dominants mauritaniens, coupables
d’institutionnalisation et de sacralisation du racisme, de l’esclavage
contre les noirs, à l’instar des Afrikaners au temps de l’apartheid en
Afrique du Sud.
C’est donc un immense plaisir pour moi, de vous livrer l’expérience
d’ IRA Mauritanie et d’autres acteurs, dans mon pays, sur l’engagement
citoyen pour le changement, l’égalité, les libertés et l’entreprenariat
social.
Depuis sa création en 2008, IRA – Mauritanie, œuvre, malgré sa non
reconnaissance officielle, à éradiquer les pratiques d’esclavage
traditionnel et moderne, les discriminations raciales, tire la sonnette
d’alarme à propos du cancer qu’est la corruption et des dangers
apocalyptiques des destructions écologiques. Notre organisation compte
des milliers de membres et de sympathisants à travers le pays et à
l’étranger.
Par des actions citoyennes de dénonciation, d’indignation et le
plaidoyer, IRA Mauritanie, alerte les autorités policières et judicaires
sur les crimes d’esclavage qui lui sont quotidiennement signalés. Elle
apporte appui et assistance aux victimes, par l’aide judiciaire et la
publication, aux fins d’interpeller l’opinion.
A ce jour, aucun de ces crimes, pendant devant la justice n’a trouvé
un jugement équitable. Les présumés responsables des pratiques
esclavagistes, continuent de jouir d’une totale impunité et les victimes
apeurées et intimidées survivent dans la misère et la désolation.
Les militants antiesclavagistes d’IRA Mauritanie sont régulièrement
arrêtés, torturés et jetés en cellule. Messieurs Hanana Ould
MBoïrick et Boubacar Ould Yatma, purgent une peine d’un an
d’emprisonnement ferme ; Cheikh Ould Vall écope de 6 mois ; tous
croupissent dans les geôles mauritaniennes. Ces activistes, à l’instar
de dizaines de membres d’IRA au cours des années et mois écoulés, sont
condamnés parce qu’ils s’étaient organisés au sein d’IRA pour dénoncer
le racisme et l’esclavage et assister les victimes dans le cadre
d’actions et procédures légales et pacifiques. En effet, comme tout
membre d’IRA, ces trois prisonniers d’opinion, ont réclamé que toute la
lumière soit faite sur l’expropriation des terres des descendants
d’esclaves Hratines et de l’ensemble des noirs non arabophones de
Mauritanie ; ainsi, nos amis en détentions et nous mêmes, luttons pour
l’application effective de la loi criminalisant l’esclavage et une prise
en charge des victimes « libérées ».
Honorable assistance
A ce jour, le seul programme mis en place par le gouvernement,
l’Agence de Solidarité TADAMOUN, ne profite jamais aux victimes. Les
financements obtenus des organismes occidentaux et du golf arabique,
bénéficient aux seules milieux présumés coupables, et d’extraction
esclavagiste qu’à la population issue de milieux et de conditions
serviles. En effet, ils sont gérés et mis en œuvre par et pour des
personnes favorables au système de domination, des notables et cadres
issus de la communauté arabo berbère, qui s’est accaparée de tous les
leviers du pouvoir et détourne à son seul profit les richesses du pays,
l’aide au développement et l’argent de la coopération.
L’action citoyenne pleine et entière ne peut s’exercer dans un environnement discriminatoire et d’exclusion.
Les Hratin et les afro mauritaniens, vivent une situation de marginalisation généralisée, systématique, multidimensionnelle et bien structurée. Elle produit l’exclusion du pouvoir politique, économique, culturel ainsi que du commandement, militaire, sécuritaire, etc. Par exemple, selon le Rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, M. Mutuma Ruteere « Environ 50 % des Haratines vivent dans des conditions d’esclavage, soumis qu’ils sont à la servitude domestique, au travail forcé ou au travail sous contrainte. Ils demeurent marginalisés et sous-représentés aux postes politiques et dans la fonction publique. En 2013, seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont Haratines».
Ce Rapport d’une instance des Nations unies, confirme que «Des
pratiques discriminatoires analogues affectent, à des degrés divers, les
autres communautés afro-mauritaniennes, en particulier la minorité
wolof. »
En effet, les afro-mauritaniens sont à peine mieux lotis dans cette fabrique de misère, d’essence racialiste et tribale.
Selon d’autres sources, les Hratin comptent pour 80 % de la
population analphabète, 80 % d’entre eux n’ont pas achevé l’école
primaire, et ne représentent que 5 % des étudiants de l’enseignement
supérieur. Plus de 90 % des dockers, des domestiques, des maçons,
ouvriers agricoles, bergers et autre travailleurs occupant des emplois
non qualifiés et mal payés sont des Hratin ; or, seuls 2 % des
fonctionnaires de haut rang et des dirigeants des secteurs public et
privé sont issus de ce groupe.
Pour entretenir le déni et narguer l’opinion internationale, le
gouvernement mauritanien coopte quelques rares personnes des communautés
hratin et afro-mauritaniennes aux fins de colorer la façade de
l’édifice. Ces dernières, ne jouissent d’aucun respect et se cantonnent à
la figuration ; leur capacité de décision demeure inexistante,
limitées qu’elles sont par la consignes claire et non-écrite dans un
rôle pitoyable de délateurs et de faux témoins, contre les humbles et
les justes, issus de leurs communautés.
Les organisations de la société civile mauritanienne, inféodées au
gouvernement, sont les seules écoutées par le pouvoir et jouissent de
tous les privilèges. Elles s’emploient à justifier la politique
d’exclusion du gouvernement et s’avèrent peu préoccupées de la situation
des personnes vulnérables. Elles se contentent, avec un zèle
proportionnel aux rémunérations, à venir conforter les thèses du
gouvernement, dans les forums internationaux et à l’intérieur du pays.
Honorable assistance
La Mauritanie produit plus de 10 millions de tonnes de fer par an, ce
qui constitue la principale source de revenus du pays. Elle exporte
également du pétrole, de l’or et, avant tout, du poisson, en grande
quantité. Les rentes tirées de ces ressources devraient mettre la
totalité des citoyens mauritaniens, à l’abri du besoin. Mais la mauvaise
gouvernance et l’opacité dans la gestion publique, ont conduit le pays à
entretenir des rentes de monopole, au profit d’une poignée d’individus,
issus de la communauté arabo-berbère, celle, justement, des anciens
maîtres. Les organisations de la société civile impliquées dans la
transparence des industries extractives, ne trouvent pas un accès aux
informations et données fiables pour la conduite de leur travail.
Le système d’exploitation et d’exclusion en Mauritanie, contraint les
dockers, ouvriers du bâtiment, les marins-pêcheurs, les mineurs et
autres travailleurs journaliers, issus des communautés Hratines et
afro-mauritaniennes à une sous-traitance automatique, sous contrôle de
la minorité tribale qui gouverne, depuis l’Indépendance, sans
discontinuer. Le système de prédation des biens de l’Etat et de
préférence à l’attribution du crédit bancaire, permet, au groupe
dominant, de détenir les moyens et agréments requis à l’exercice de
toute activité lucrative dans les secteurs clés de l’économie. Les
victimes de l’exploitation touchent de misérables rémunérations et se
heurtent à la force brute, quand elles s’avisent de manifester.
Honorable assistance
Les Hratin et les afro mauritaniens, constituent l’écrasante majorité
de la population mauritanienne. Ils sont embrigadés, pour entretenir
une démocratie de façade et un système de gouvernance ne profitant
qu’aux seuls arabo berbères. Les masses noires de Mauritanie, très
visibles dans les taches subalternes et la misère des zones
périphériques, ne sont sollicitées qu’à l’occasion de processus
électoraux, à l’avance déterminés.
Outre le volet de la discrimination flagrante au sein des Forces
armées et des polices, les principales sociétés de sécurité et les
membres des fédérations de tir à la cible traditionnelle possèdent des
armes à feu et suffisamment de munitions dont la délivrance,
discrétionnaire, relève d’une faculté régalienne de l’Etat ; ces
organisations, constituées de membres issus de la seule communauté arabo
berbère, détiennent des moyens de coercition létale et les pratiquent,
sans aucun contrôle. Nous déplorons la gestion opaque et exclusive du
secteur et sommes préoccupés des visées inavouées de ces milices de
fait.
Messieurs et Dames, élus de la ville de Philadelphia, chers invités
En Mauritanie, la communauté Afro-Mauritanienne vit un deuil
depuis le milieu des année 80 lorsque l’Etat Mauritanien a
minutieusement mis sur pieds un plan de dé négrification du pays ; ce
plan s’est soldé par une tentative de génocide qui a endeuillé les
ethnies Afro-Mauritaniennes : puulaar, sooninko, woolf et bambara de
Mauritanie ;des dizaines de milliers de déportés aux Sénégal et au Mali,
des milliers de cadres et fonctionnaires au sein des corps civils et
militaires, dans les secteurs, public et privé, ont été chassés de leur
emplois ou fonctions, des centaines de personnes de race noire ont été
tuées dans des pogroms dans les rues des villes de Mauritanie, des
milliers de personnalités et cadres civiles et militaires
Afro-Mauritaniens ont été arrêtés, torturés, internés dans des
camps-mouroirs ou des centaines parmi eux ont perdu la vie ; des
villages entiers d’Afro-Mauritaniens ont été rasés, leurs terres, leurs
biens meubles et immeubles ont été expropriés.
Les orphelins, veuves et veufs, parents des disparus, ainsi
que les déportés revenus dans le pays, ceux toujours vivants en exil et
les rescapés de cette tentative de génocide, réclament toujours la
vérité, la justice et les réparations ; L’Etat Mauritanien persévère
dans son entêtement à vouloir imposer l’impunité définitive à ces
assassinats collectifs et autres crimes assimilables à la définition de
génocide dans le droit international ; moi même, votre lauréat, Biram
DahAbeid, et IRA-Mauritanie, l’organisation que je dirige, avons opté
pour un soutien indéfectible aux victimes de ces crimes jusqu’à ce que
tous les ayant-droit trouve leur consolation par la vérité, la justice
et les réparations, et à travers un mécanisme impartiale, équitable et
transparent ; je vous convie chers élus, chers amis, chers combattants
abolitionnistes et contre le racisme, je vous convie à nous épauler
dans cette bataille pour la vérité, cette bataille pour la justice ;
nous attendons de vous donc votre soutien par le plaidoyer et le
lobbying devant les institutions américains et internationales.
Vive l’Honneur de la Personne Humaine
Je vous remercie
Le texte ci-après est à lire comme le manifeste de certains anti-esclavagistes mauritaniens. Un tract de grande circulation à partir d'Avril 1986 analysait la Mauritanie de la même manière, et ouvrit la sinistre période des " années de braise".
RépondreSupprimerA mon sens, le préalable de tout est le rétablissement de la démocratie, et que l'objectif final est bien l'unité nationale. C'est par une conscience nationale plus vive que pourront se faire les éradications multiples de ce qui continue de produire de l'esclavagisme. Il manque - décisivement à mon sens - cette déclaration préalable et finale dans le discours de Biram. Seule, la démocratie fat bouger les esprits et change les choses. Nous l'avons bien vu avec le président Sidi, les débats parlementaires de l'été de 2007 et finalement l'adoption de la grande loi criminalisant ces pratiques.
Ce n'est pas rendre service à la Mauritanie ni à ceux qui tentent d'y faire triompher la démocratie, que de réduire la Mauritanie à une image esclavagiste. Cette image dispense l'étranger de réfléchir sur la situation actuelle, et contribue à tout figer, et d'abord un régime illégitime... BFF.Ould Kaïge