L’objet de cette présente contribution traite de la genèse
de la question ethnique et raciale en Mauritanie. Elle prend comme point de
départ un point de vue que nous voudrions nuancer et qui concerne les
affirmations de l’anthropologue franco-péruvienne Mariella Villasante Cervello
et du politologue français Jean François Bayard. Ces affirmations abordent d’une
certaine manière les rapports de l’Etat et de l’ethnicité dans le contexte
pluriethnique de la Mauritanie.
En effet, dans la série d’articles publiés par Adrar-info, sur le site de presse en ligne Cridem, sous
le titre de « chronique politique de la Mauritanie » Mariella
Villasante Cervello met face-à-face deux types de nationalisme qualifiés de chauvins. Elle renvoie dos à dos deux nationalismes qui,
selon elle, s’affirmèrent dans le champ politique mauritanien dans les années
1980, celui des arabisants prônant « la supériorité de la langue et
de la civilisation arabes » et « celui …des élites intellectuelles et jeunes auto-nommés
négro-mauritaniens ». Le second nationalisme est, à son avis, inspiré de
l’idéologie de la négritude de Senghor à la lumière de laquelle, de son point
de vue, les forces de libération des africains de Mauritanie (FLAM créées en
1986) abordent la question de la « fracture sociale » dans ce pays
sous l’angle raciste, dans leur « manifeste du négro-mauritanien opprimé ».
Nous réservons notre appréciation sur le soi-disant racisme qui caractériserait
la négritude défendue par Senghor, dans une prochaine contribution. Toutefois
nous soulignerons au passage que la négritude, comme le fait remarquer le
philosophe africain J.G Bidima, est « une revendication nationaliste
dénonçant les justifications politiques, économiques et culturelles de la
colonisation, une façon de revaloriser l’Afrique» (cf. Jean-Godefroy Bidima, la
philosophie négro-africaine [?], Que sais-je no 2985, presse universitaire
de France, 1995, p. 12-13), et les africains qui en étaient victimes. C’est une
telle entreprise qui a sous-tendu les écrits
des chantres de la négritude que sont
Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor. Sartre a écrit que c’est l’antisémitisme qui
fait le juif. On pourrait dire que c’est l’esclavage et la colonisation qui ont
enfanté la négritude. Cette volonté de « repersonnalisation » de
l’homme noir a été saluée par Le philosophe français Jean Paul Sartre dans Orphée Noir, jugeant le particularisme auquel s’est attaché la
négritude comme un chemin indispensable
à l’homme noir pour défendre sa dignité d’homme et que c’est un moment de
la dialectique de l’histoire vers l’universel. Cette démarche est selon Sartre révolutionnaire.
Concernant ces références aux écrits du philosophe français sur la Négritude, nous vous renvoyons aux articles de Rokhaya Oumar Diagne et de
Philippe Gouet publiés dans la Revue négro-africaine de littérature et de
philosophie, Ethiopiques No 61-2ième semestre 1989. Fermons cette
parenthèse et revenons à notre sujet qui, d’une certaine manière, nous ramène,
pour être plus précis, au débat sur la question des rapports entre ethnicité,
race et Etat en Mauritanie. Pour aborder cette question, Mariella .V.Cervello
commence, avant tout, par souligner, en Afrique, « le caractère restreint
des luttes ethniques…en réalité toutes les oppositions ethniques ont une part
d’ethnicité, c'est-à-dire de mise en avant des identités restreintes ; et
parallèlement, une part de revendications citoyennes d’accès à la pleine
égalité nationale » (cf. Mariella Villasante cervello, publication
Adrar-info-cridem.org). Reconnaissant le
fait de l’ethnicité dans les oppositions politiques en Afrique, l’auteur ne
perd pas de vue l’existence d’une autre revendication citoyenne adressée à l’Etat et qui appelle à une égalité de traitement de
tous les citoyens. A ce propos, en Mauritanie, l’appel à l’égalité au plan sociopolitique
n’a jamais occulté les revendications identitaires qui se sont cristallisées,
sous le régime du premier président mauritanien Moctar ould Daddah, autour de
la question linguistique étroitement liée à celle de l’enseignement, dès 1966
au lendemain de l’indépendance, et par
la suite en 1979, sous le régime
militaire. C’est pour surmonter cette question qui pousse de façon récurrente le jeunesse négro-mauritanienne
à la révolte, et soutenue en cela par leur communauté, que furent adoptées, le
18 octobre 1979, par le Comité militaire de salut national (CMSN) , l’instance
dirigeante en Mauritanie à cette époque, « les orientations d’une nouvelle
réforme de l’enseignement intégrant les langues nationales négro-africaines
(Poular, Wolof, Soninké) officialisée et transcrites en caractères
latins» (cf. Oumar Moussa. Bâ, Noirs et Beydanes mauritaniens, l’école creuset
de la nation- Harmattan). A cet égard, faut-il considérer les revendications
identitaires des noirs en Mauritanie comme le fait exclusif de l’élite
intellectuelle noire et non celles des élites traditionnelles noires qui, selon
Mariella Cervello, s’accommodent généralement du discours officiel exprimé par
l’Etat mauritanien ? Cette élite traditionnelle à supposer qu’elle soit adepte de «
la politique du ventre » et qu’elle se range du côté du pouvoir ne constitue, en réalité,
qu’une minorité insignifiante par
rapport à l’ensemble des négro-mauritaniens marginalisées
culturellement, économiquement et politiquement,
en raison de leur sous représentation
dans ces différent secteurs. Quant à l’idée selon laquelle les revendications
identitaires sont une exclusivité des intellectuels, celle-ci a été
émise à une certaine époque et dans un autre contexte de crise qui est
celui des grands lacs où on a laissé entendre,
qu’autant au Rwanda qu’au Burundi, « le sentiment d’appartenance
n’est partagé que par les couches dirigeantes ». Ceci a été démenti par des
observations selon Filip Reyntjens qui écrit, dans le cas du Rwanda, « contrairement
à ce que laisse entendre le discours de
certains intellectuels et bon nombre de dirigeants, la division ethnique n’est
pas un phénomène superficiel qui rongent certains intellectuels ». (cf.
Filip Reyntjen, L’Afrique des grands lacs, en crise, Edition Karthala, page.13).
Pour ce qui est du Burundi et citant Darbon, Reyjents rapporte que « la subjectivité de la mobilisation
ethnique s’articule sur l’objectivité de la marginalité politique et économique »
(cf. reyjents, idem, page.14). C’est justement ce type de marginalité que
dénonce, encore aujourd’hui, la plupart des noirs mauritaniens. Cette
dénonciation est relayée publiquement par leurs élites intellectuelles, à travers des écrits tels que « le manifeste du négro-mauritanien
opprimé ». Outre ce démenti, Reyntjens rejette cette tendance à réduire
les revendications identitaires à « un simple partage de gâteau par des
élites ». « Cette politique du ventre » de la part des élites
africaines est au cœur de l’ouvrage de Jean François Bayard intitulé l’Etat en
Afrique, la politique du ventre. Une politique
qui se sert de l’ethnicité et du
tribalisme pour arriver à ses fins. A
ce propos Bayard affirme que « dans le contexte de
l’Etat africain, l’ethnicité existe principalement comme un agent (moyen) d’accumulation, à la
fois de richesse et de pouvoir politique. Le tribalisme est donc perçu moins
comme une force politique en soi qu’une voie par laquelle s’exprime la
compétition pour l’acquisition de richesse, de pouvoir et de statut( traduit
par nous de l’anglais cf. J.F Bayard, The state in Africa, the politics of
Belly, Edition Longman London-New York, page.55, L’Etat en Afrique, la
Politique du ventre). Force est de
reconnaitre ici que la démarche intellectuelle de Mariella sur la question identitaire en Mauritanie s’inspire
largement de celle de Bayard. Ce dernier insère les revendications identitaires
des négro-mauritaniens dans son schéma d’intelligibilité et relève à cet égard
de l’ethnicité, qu’il décrit dans son ouvrage susmentionné. C’est dans le
contexte mauritanien qu’il choisi ses tous premiers exemples, entre
autres, relatifs au rapport
Etat/ethnicité, en Afrique. Le premier est relatif au « manifeste des
19 » émanant des élites négro-mauritaniennes
datant de 1966, dénonçant l’introduction de l’arabe dans l’enseignement en
Mauritanie comme moyen de défavoriser les populations noires dans l’accès aux emplois de la fonction publique, entre
autres. Et, le deuxième exemple renvoie au « manifeste du
négro-mauritanien opprimé » de 1986 critiquant la confiscation de leurs terres fertiles de
la vallée du fleuve Sénégal par les « beydanes » (terme qui signifie
littéralement « blancs » et par lequel les arabo-berbères de Mauritanie s’auto-désignent)
et l’octroi de prêts bancaires en vue de leur mise en valeur, un manifeste qui
selon Bayard appelle à la violence contre les usurpateurs des terres (cf. JF
Bayard, idem page.56). Les revendications scolaires et culturelles de 1966 et
de 1979, compte tenu de leur ampleur et des réponses souvent mitigées de la part des autorités
mauritaniennes, ne doivent pas être réduites à un problème de partage de
richesse nationale, pour ne pas dire en
caricaturant, à un problème de partage
de gâteau. La non résolution correcte de ces revendications débouchera sur la crise
survenue en 1989. Celle-ci fait suite à un banal conflit à la frontière entre
le Sénégal et la Mauritanie, et qui a conduit à l’épuration ethnique des noirs
de Mauritanie, à leurs déportations en masse au Sénégal et au Mali où ils sont
présents jusqu’à nos jours, aux exécutions
sommaires de sa composante militaire (près de 1700 victimes) et civile,
aux expropriations foncières dans la vallée et aux vols de biens et de milliers
de bétails dont ils ont été victimes. Ces événements tragiques ne sauraient être
pris à la légère comme en attestent les présentations laconiques qu’en font Mariella
Cervello la conquistador franco-péruvienne et son inspirateur à savoir Jean-François Bayard, le vaillant chevalier,
sans peur ni reproche. Pour échapper à une telle légèreté dans les analyse et
pour mieux saisir les enjeux
identitaires en Mauritanie qui ne se
réduisent pas à simple « partage de gâteau » et en
raison des conflits qu’ils suscitent et qui pèsent sur l’existence même de la Mauritanie comme entité
politique, il convient de se rapporter à la genèse de la question de l’identité
raciale et ethnique dans ce pays. Il
s’agit, entre autres, de montrer que les conflits identitaires en Mauritanie
ont un fondement idéologique et historique que d’aucuns veulent passer sous
silence pour mieux évacuer les responsabilités historiques d’une agression et d’une domination à l’encontre des négro-mauritaniens. Avant de traiter ce sujet à proprement parler,
nous allons tout d’abord commencer par
nuancer les affirmations de nos deux auteurs, pour mieux cadrer nos analyses.
Nous ne récusons pas dans le contexte
de l’Etat contemporain africain le rôle
de l’ethnicité et du tribalisme dans la gestion prédatrice des biens publics,
ni le comportement prédateur de certaines élites africaines adeptes de
« la politique du ventre », toutefois nous estimons qu’il faut nuancer les propos de Bayard qui perçoit dans
ce comportement prédateur du personnel de l’Etat africain postcolonial un
éloignement du modèle de « l’Etat,
né de l’occupation colonial »… {Qui fait] l’objet de multiples pratiques de réappropriations… {et]
un champ d’indétermination relative ». Il faut tout de même noter que le
développement de certains scandales liés à
certaines affaires, en France, au sommet de l’Etat, ces dernières années,
impliquant des fonctionnaires français et des dirigeants africains, prouvent que ce n’est pas seulement en Afrique que se pratique cette « politique
du ventre ». Par ailleurs, Jean suret-Canal estime que Bayard« ne
saisit l’Etat qu’à travers son personnel
et les comportements de ce personnel, mais les fonctions de l’Etat, de ses
divers services, pour l’essentiel, ne sont pas modifiés. Elles sont héritées
directement de la colonisation, prédéterminés dans les structures économiques, la
législation, etc. ». En effet, ce que l’on a appelé décolonisation n’a été
qu’une procédure de remplacement « du gouverneur [de la colonie] par
un président autochtone…les chefs de services européens sont remplacés par des
ministres nationaux, les administrateurs coloniaux relayés (souvent
immédiatement) par des administrateurs
africains » (cf. Jean Suret-Canal, revue Pensée Janvier-Février
1995, page. 25). Telle est la tâche qui a incombée aux réseaux de Jacques Foccart nommé conseillé
technique à l’Elysée, en 1958, par le général De Gaulle, en charge des
problèmes africains. Ces réseaux vont constituer les relais entre l’Etat
colonial français et les Etats postcoloniaux issus de la colonisation (cf., Pierre Péan, l’homme de l’ombre, Affaires
africaines, Edition Fayard p.261). A ce propos, Péan écrit qu’ « on
peut affirmer sans grand risque d’erreur qu’une part importante des matériaux
dont dispose le fondateur de la 5ième république pour forger sa pensée sur
l’évolution de l’ex-empire lui a été fournie par Foccart »(cf. Pierre
Péan, l’homme de l’ombre, idem, page.262). Pour conjurer les soi-disant erreurs
de la 4ième république, le général De Gaulle « veut
réinstaller la France à son rang dans le concert des nations…il invente la
« communauté » grand ensemble de cent million d’habitants, liant de
manière institutionnelle, sur la base de l’égalité des peuples, les territoires
d’outre-mer à la métropole, ensemble dont il est le président » (cf. P.
Péan, l’homme de l’ombre, idem, p.262).
La continuité entre les Etats issus de
la colonisation et la France, la
dépendance à son égard sont ainsi assurées. Cette continuité et cette
dépendance se sont affirmées
explicitement, lorsque le président François Mitterrand a déclaré lors du
sommet franco-africain de la Baule, en juin 1990, la nécessité de la démocratisation
des régimes politiques africains jugée inséparable de l’essor du développement.
La démocratisation devient une conditionnalité de l’aide au développement.
Depuis a-t-on cessé le soutien aux dictatures ? Rien n’est moins sûr. En
témoigne en Mauritanie, le soutien apporté
par les réseaux foccardiens ou de ce qui en reste, au coup d’Etat d’aout 2008
du général Mohamed ould Abdel Aziz perpétré contre l’ex- président
démocratiquement élu Sidi Mohamed ould cheikh Abdallahi. A une autre occasion,
ces réseaux « foccartiens » se sont illustrés à travers un de leurs canaux à savoir « l’Association des amis de la Mauritanie », quand il s’est
agit de redorer le blason de l’ex-président dictateur exilé de force au Qatar
suite à un coup d’Etat militaire en 2005 à savoir Sid Ahmed ould Taya,
que l’on voulait sortir de son isolement diplomatique, d’une part, en
raison de sa responsabilité au premier
chef dans l’épuration ethnique des
années 1989 des négro-mauritaniens ; et en
raison, d’autre part, du soutien qu’il avait apporté au régime baasiste de Saddam Hussein, son mentor et
celui des nationalistes arabes de Mauritanie, lors de la première crise du golf
en 1990. Soulignons au passage que
c’était dans cette même perspective que le régime d’ould Taya allait établir des relations diplomatiques
avec l’Etat d’Israël en 1999 sous la pression, aussi faut-il le dire, de
certaines puissances occidentales ; celles-ci seront d’abord gelées en
2009 puis rompues en 2010 par le régime du général putschiste Mohamed Ould
Abdel Aziz..
A ce stade de nos analyses, il s’agit
de montrer en quoi les acteurs de la colonisation française en Mauritanie ont
largement contribué à poser les fondements qui permettront de justifier, dans
le cadre de l’Etat postcolonial, la marginalisation culturelle et politique des
négro-mauritaniens et la continuation de la pratique raciste de l’esclavage car seuls les noirs
mauritaniens en sont victimes. Par ailleurs, on ne peut pas aborder de façon
correcte la question ethnique et raciale qui nous préoccupe ici en faisant fi
des théories anthropologiques et psychosociologiques indispensables à la
compréhension de ce qu’est une identité ethnique ou culturelle et les enjeux
que leurs revendications impliquent tant au plan des vécus humains ou des existence sociales, des relations interethniques, qu’au plan politique. Nous donnerons aussi un
aperçu de l’impact des questions
identitaires et raciales dans le contexte géopolitique propre à la zone
sahélo-saharienne, sur fond, entre autres, de la crise dans le nord Mali et des
relations diplomatiques ambigües entre le Sénégal et la Mauritanie.
Aussi, revenons à cette «
association des amis de la Mauritanie » dont les membres en tant que
témoins privilégiés de la politique
coloniale française en Mauritanie nous fournissent, à travers la vision de ses
membres, des éléments permettant de conduire nos analyses. Cette association avait pour président, à l’époque, un professeur de
biologie à l’université de Nice du nom de Raoul Carrouba (en remplacement de
Gabriel Férral, une figure importante de la colonisation française en
Mauritanie), qui officiait aussi comme consul honoraire de la Mauritanie
dans cette même ville. Le président d’honneur de cette dite association fut, au
même moment, un ex-premier ministre du
général De Gaulle, en remplacement d’un grand ami du désert mauritanien, feu
Théodore Monod. Aujourd’hui décédé, comme du reste Férral et Monod, Pierre
Mesmer a été aussi une grande figure de la colonisation en Afrique et en
Mauritanie où il a été commandant de
cercle dans l’Adrar et gouverneur de colonie, entre 1950 et 1954. C’est à
travers un colloque consacré à une période de l’histoire coloniale de la
Mauritanie et organisée à l’université des sciences de Nice Sophia-Antipolis , en
1995, par l’Association des amis de la Mauritanie, auquel avait assisté l’
ambassadeur mauritanien en France, à l’époque, Dah ould Abdi, que s’est exprimé
le soutien à l’ex-président dictateur ould
Taya. Au cours de ce colloque révisionniste de l’histoire coloniale de
la Mauritanie, en tant que membre de l’auditoire, nous avons entendu dire de la bouche de l’ex-premier
ministre Pierre Messmer, en substance, qu’il y avait une bonne entente entre
Colonisateurs et colonisés, en Mauritanie, parce qu’il n’y avait pas de
« césure raciale » entre eux. Ces propos ont été rapportés par
l’historien mauritanien Ibrahima Abou Sall, dans le journal des Flam, le
Flambeau No 12-13-14. Autrement dit, entre colonisateurs français et colonisés
Beydanes, il y avait une entente parce qu’ils étaient tous blancs. Alors
qu’est-ce qu’il faisait des noirs
habitant au sud de la colonie de Mauritanie et des noirs Harratines esclaves
des beydanes qui vivent encore, aujourd’hui, comme appendice de la société
maure ( maure est un terme par lequel
les français ont désignés les arabo-berbères de Mauritanie) dans une sorte
de parenté fictive, dans laquelle
certains leaders du groupe harratine se maintiennent inconsciemment, en revendiquant
à tord ou à raison leur arabité, en raison du partage de la langue arabo-berbère ( hassania) qu’ils ont en
commun avec leurs maitres ou anciens maitres beydanes. En quels termes se posent, pour les noirs
mauritaniens que sont harratines et les
négro-mauritaniens (terme utilisé pour désigner les membres des groupes
ethniques noirs de Mauritanie), la
question ethnique et raciale en Mauritanie ? Nous reviendrons sur cet
aspect de l’identité fictive des harratines
et ce que cela implique au plan idéologique, au sens où l’idéologie a pour
fonction à la fois d’occulter à ses victimes les véritables enjeux liés à leurs situations d’opprimés et
d’opérer, en même temps, efficacement pour leur maintien dans une exploitation à
laquelle malheureusement elles consentent,
au grand bonheur de leurs maîtres. A cet égard, on comprend en quoi un
débat éclairé sur la question identitaire en Mauritanie constitue un préalable
pour une cohabitation non conflictuelle entre Bedydanes (« maures
blancs ») et noirs mauritaniens. Ce débat est salvateur. Dans une approche
diachronique, à savoir en suivant
l’évolution des faits, nous essayerons de saisir les enjeux qui la
sous-tendent. Cette approche justifie le
détour par la colonisation, pour saisir mieux ce qui se joue au plan identitaire
aujourd’hui en Mauritanie. Cela ne signifie pas pour autant que nos analyses suivront forcément une certaine chronologie. Toutefois,
nous tenons à préciser que nous les
conduirons à la lumière des théories sur l’identité qui prônent le dynamisme en la matière et contrairement à celles qui figent les
identités excluant toute possibilité d’échange et de relations interculturelles
ou interethniques. Cette conception figée de l’identité n’est pas africaine
comme nous le verrons à travers des exemples. La surdétermination du fait
ethnique a été une arme du colonisateur pour mieux asseoir sa domination en
Afrique. A ce propos, nous avons évoqué
« la politique de la race » conçue par le colonisateur français. A la
lumière des théories sur l’identité, en Mauritanie en quels termes se pose la
question identitaire aux noirs mauritaniens fussent-ils harratines ou
négro-mauritaniens ?
Le débat sur l’arabité ou non des harratines est
une actualité dans le milieu intellectuel harratine. S’il est vrai
qu’une identité culturelle s’appuie sur des critères objectifs qui sont des
traits ou des marqueurs culturels (la langue, les croyances, les us et coutumes,
l’art…) qu’un groupe ou un individu d’un groupe peuvent revendiquer comme
structurant leur appartenance, il n’en demeure pas moins qu’il y a une part
déterminante de subjectivité et de volontarisme dans cette revendication. Ce
qui fait dire au grand anthropologue américain Clifford Geertz que l’identité
est fluide, dynamique même si elle n’est
pas consciemment perçue comme telle. Les gens peuvent porter des identités
comme on porte des habits, et changer d’identité en fonction de la situation comme on change
d’habits selon les occasions. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’existe
pas de catégories sociales ou plutôt des régularités sociales inflexibles
indépendantes de leurs volontés et qui déterminent leurs existences sociales.
Il est évident et il est important de rappeler que l’identité ethnique en
Afrique n’est pas figée et l’ethnicité n’est pas vécue comme une barrière infranchissable.
Prenons quelques exemples pour l’illustrer. Les équivalences de patronymes Wolof
et Bambara comme du reste les patronymes communs à différentes ethnies, les
relations ou cousinages à plaisanterie entre leurs représentants peuvent
témoigner dans le temps et dans l’espace des relations de clientélisme et de
réciprocité entre ces différents groupes.
Ainsi, le patronyme wolof Ndiaye est synonyme de Diarra, Fall est synonyme de
koulibaly, Gueye est synonyme de Cissokho. Ces patronymes sont interchangeables
selon que l’on se trouve en milieu Wolof
ou Bambara. Le patronyme Fall appartient
aussi bien au groupe ethnique Maure, Haalpular que Wolof. En milieu Haalpular, le patronyme Kane est associé à Diallo. Toujours à titre d’exemple, selon une certaine
tradition, il existe une parenté
entre Koly Tenguella Bâ (le fondateur de la dynastie peulhe qui a dominé
le Fouta Toro pendant deux siècles) et l’empereur du Mali Soundiata Keita. Il
y’a un récit qui rapporte qu’en reconnaissance d’une dette et d’un engagement
auquel il ne pouvait plus se soustraire au risque de violer un serment,
l’empereur Soundiata aurait donné en
épouse une de ses femmes enceinte au futur souverain du Fouta à savoir Kolly
Tenguella. Toujours à titre d’exemple,
revenons à l’Ethnie Haalpular, il y a des membres de cette communauté qui ont des origines Harratines (les
hormankobe), et il ne viendrait à l’idée de personne de leur nier leur
appartenance Haalpular (qui signifie littéralement celui qui parle la langue
pular, celle des Peulhs). Les Haalpularen (pluriel de Haalpular)
constituent un groupe ethnolinguistique.
Les relations à plaisanterie ou le cousinage à plaisanterie entre l’ethnie
Haalpular et Sérère attestent qu’il y a eu dans le temps des relations tenues
et de proximité entre ces deux groupes ethniques. Tous ses exemples militent
dans le sens de l’ethnicité telle que le perçoit l’anthropologue Frederick
Barth qui a montré dans un article intitulé ethnic groups and boundaries ( groupe ethnique et limites, frontières), que
l’ethnicité ne se réduit pas une affaire de traits culturels, dans la mesure où
il est difficile, dans les contextes où elle se manifeste, qu’une ethnie puisse
revendiquer un ensemble de traits
culturels qui lui soient spécifiques. Du fait que les groupes ethniques
partagent des traits culturels en commun, l’identité ethnique peut faire
l’objet d’un usage multiple. On peut se dire Haalpular et évoquer ses origines :
maure, soninké, peule, wolof, Sérère…selon les situations. Il n’y a en cela
aucune contradiction ou forme de schizophrénie
et cela ne remet nullement en cause cette identité haalpular de la part de ses
membres. Ce contexte où il n’ya aucun inconvénient à revendiquer des origines
différentes tranche avec le contexte des USA, lorsque l’on imagine le tollé
soulevé par le célèbre joueur de golf américain Tiger Wood lorsque ce dernier a
déclaré être à la fois africain-américain et asiatique. L’usage de l’identité multiple
n’est-il pas permis dans ce contexte américain ? Cela n’est pas si sûr.
Pourtant, on se dit à la fois américain et africain, américain et anglo-saxon,
américain et hispanique, américain et indien etc. Revenons au contexte mauritanien, il faut
souligner que le harratine use bien de cette stratégie de l’identité multiple, qui dans son cas peut traduire souvent ce que le psychosociologue hongrois Laslo
Garai appelle les paradoxes de la catégorisation sociale. Autrement dit, le
harratine de culture arabo-berbère peut refuser de se revendiquer comme
arabo-berbère, en raison de la discrimination traumatisante et le manque de
loyauté qu’il expérimente au sein de son groupe culturel. Aussi, peut-il être
tenté de se revendiquer uniquement comme harratine, en justifiant cette
appartenance par sa condition d’aliéné et d’exploité, ou bien revendiqué
son appartenance négro-africaine qu’il justifierait par ses origines ethniques négro-africaines
qui sont incontestables, car sachant pertinemment que cette identité lui a été
usurpée et lui a été aliénée par sa
réduction à l’esclavage. Ces
revendications peuvent apparaitre, à ses yeux, plus valorisantes voire plus
conséquentes. Loin de nous l’idée d’affirmer que le Harratine a créé une
autonomie culturelle distincte de celle des maures. Il opère juste un retour aux origines, pour se
revaloriser, comme cela s’est fait dans
le contexte des USA. Dans le contexte de la ségrégation raciale qui prévalait
aux USA, les noirs américains se sont auto-désignés africain-américains ce qui
n’ôte en rien à leur patriotisme en tant que citoyens américains, et à ce titre, ils peuvent revendiquer leur part du rêve
américain parce qu’ils ont consenti à des sacrifices qui ont largement
contribué à la prospérité des USA et à forger ses institutions démocratiques et
républicaines. La preuve, encore une fois de plus, que la revendication de la
négritude ou de l’africanité n’obéissent pas forcément à une volonté de l’homme
noir de fonder son identité sur le stigmate de race, comme le fait d’ailleurs
le Beydane qui se définit comme « blanc
» pour se distinguer de ses voisins noirs de l’Afrique sub-saharienne ;
mais cette revendication est une stratégie pour l’homme noir de faire face à
une aliénation et une agression étrangères qui pour s’imposer à lui intellectuellement
et matériellement a usé de l’idéologie qui a consisté à associer la noirceur de l’homme noir au mal , à l’inintelligence,
et à le lui faire accepter, en lui ôtant
ainsi toute estime de soi, pour mieux le
dominer et mieux l’exploiter. La « repersonalisation » de
l’homme noir victime de l’esclavage, du
racisme et de la colonisation n ‘est pas du racisme qui prônerait une
quelconque supériorité raciale, comme veut le laisser entendre Mariella Villasatne
Cervello. Un racisme qui en revanche a eu cours dans la colonie de Mauritanie
tant de la part des français que des esclavagistes maures dont les esclaves
faut-il le dire sont tous noirs, comme nous l’avons souligné plus haut. Dans la
colonie de Mauritanie, de manière générale et par rapport à l’esclavage, la
discrimination envers les noirs était flagrante de la part des colonisateurs
français quand il s’est agi notamment de favoriser les maures au détriment des
noirs. Car, l’abolition de l’esclavage
sur tous les territoires français d’outre-mer par les autorités françaises n’a
jamais été observée par l’administration coloniale, en milieu maure. Il est
arrivé que des esclaves harratines fuyards soient ramenés à leur maitre
Beydane, par l’administration coloniale. Un des acteurs colonialistes de
l’époque, présent au fameux colloque de Nice, dira pour justifier un tel acte,
qu’il s’agissait de maintenir la stabilité et l’équilibre de la société maure
pour qui, les fuites d’esclaves
constituaient une menace. Il est
important de rappeler que l’esclavage
existe toujours en Mauritanie malgré : son abolition en 1980 par
l’ordonnance no 81 234, sa criminalisation par une loi votée par l’assemblée
nationale en 2007, la création en janvier 2014 d’un tribunal pour juger les
faits d’esclavage. Tous ces acquis
au plan juridique et qui restent strictement formels, les Harratines les doivent à leurs mobilisations et à celles de leurs leaders malgré les
politiques de récupération à travers des promotions professionnelles et d’une répression constante de la part du système politique mauritanien qui,
jusque-là, n’a pas pris de mesures
adéquates pour éradiquer l’esclavage. Aussi, tour à tour, les leaders
Harratines seront amenés à créer des structures de lutte contre l’esclavage, en
Mauritanie, telles que : El Hor créé en 1978 (qui signifie l’homme libre),
l’ONG SOS-Esclave, en 1995 et enfin l’Initiative de Résurgence du
Mouvement Abolitionniste en Mauritanie (IRA) Créée en 2008. Le politologue
mauritanien d’origine haratine El Arby ould Saleck (en se référant à
l’anthropologue mauritanien Abdel Weddoud Ould Cheikh) distingue actuellement deux
types d’esclavage en Mauritanie, « un esclavage de « tente »
dans les zones rurales alors que dans les centres urbains, il s’agit d’un
domestique qui n’a pas pu échapper au réseau de clientèle maure issue de
l’Assabia » (cf. El Arby Ould Saleck, Les Haratins, Le paysage politique
mauritanien, Edition l’Harmattan, p.83). Cette notion d’Assabia joue un rôle de
régulation et d’intégration fondamentale dans la société maure. En partant des réflexions
de l’anthropologue mauritanien Abdel Weddoud ould Cheikh sur les rapports entre
Nomadisme, islam et pouvoir politique dans la société maure, Marchesin dira de
l’Assabia que c’est un « véritable ciment tribal [et] constitue le ressort
du quasi-instinct de défense collective de la communauté tribale. La
nécessité de défendre l’honneur du groupe pousse les membres issus de la même
parenté à se porter secours en cas
d’agressions commises envers l’un des leurs » (cf. Marchesin, Tribus, Ethnies
et pouvoir en Mauritanie, Edition
Karthala-1992). Il est de toute évidence que cette solidarité prônée par l’Assabia ne s’étend pas aux
Harratines esclaves ou affranchis qui occupent dans leur majorité un statut
servile dans la société tribale maure. Il faut tout de même souligner que selon
Abdel Weddoud, les harratines vivant en milieu urbain peuvent suivre un
processus de détribalisation vis-à-vis du système tribal maure, ce à quoi
rétorquera le politologue d’origine harratine ou faut-il dire d’appartenance
harratine à savoir El Arby qui laisse
entendre, que pour autant, on ne risque pas de voir émerger chez les harratines une
identité culturelle harratine autonome de la culture maure.
Il
ressort, de ce qui précède, que dans le
face-à-face noirs /maures, en Mauritanie, il se pose non seulement le problème
de l’esclavage, mais aussi celui de la
production et de l’affirmation d’une identité culturelle nationale qu’une frange
arabo-berbère dominante détentrice du pouvoir politique et économique tente
d’imposer aux autres groupes ethniques qui composent la Mauritanie, et ceci, en
associant la construction d’une identité nationale commune à la nécessaire
hégémonie de la langue arabe. Aussi, faut-il rappeler que l’idéologie panarabisme que sont le baasisme et le nassérisme ( idéologie fondée sur la pensée
du défunt président égyptien Gamal Abdel
Nasser qui influença le monde arabe dans les années 1950-1960-1970, qui prône coups
d’état militaire contre les dictatures dans le monde arabes comme étape pour
l’unité des peuples arabes dans le cadre du socialisme) ont
encore de beaux jours en Mauritanie, car leurs défenseurs et tenant au
sommet de l’Etat, malgré la résistance négro-mauritanienne, ont pu imposer dans
le pays l’arabisation de l’enseignement et de l’administration. Rappelons que
l’idéologie baasiste prône la
résurrection arabe en termes de révolution nationale. Cette résurrection se
justifie d’autant plus que la culture arabe est considérée ici comme primordiale
par rapport aux autres cultures humaines grâce à sa langue. A ce propos, le progrès de
la culture arabe est attesté dès 1970 et surtout dans les années 1980 avec
l’ouverture de centres culturels : syrien très actifs en 1980-1981,
saoudiens en 1982 « riches en livres religieux », « marocain qui
sera apprécié pour sa bibliothèque universitaire et pour les conférences qui
s’y donneront ». Ces centres culturels ont, selon Catherine-Taine Cheikh,
« fortement contribué à l’émergence d’une sensibilité intellectuelle arabe
moderne » (cf. Catherine-Taine Cheikh, Les langues comme enjeux
identitaire, La Mauritanie : un tournant démocratique, Revue Politique
Africaine No55 -1994). Il faut souligner que c’est dans ces années 1980
qu’apparaissent dans le champ de la contestation en Mauritanie les mouvements
islamistes. Ils obtiendront de la part du régime militaire de l’époque
l’application de la charia (loi islamique) dont les seules rares victimes
seront deux noirs sans aucune attache sociale, un immigré guinéen qui se verra amputé d’une main
pour un simple vol et un harratine déséquilibré mental qui passera au peloton d’exécution sous les
regards d’une foule de badauds et de curieux à la cherche de sensations fortes
et réunis pour la circonstance. Cette application de la charia n’avait aucune
motivation religieuse de la part des autorités mauritaniennes de l’époque sinon
que de contenter l’Arabie saoudite de qui on attendait en retour des financements que la banque
mondiale était réticente à fournir à l’Etat mauritanien. Aujourd’hui on est en
droit de s’inquiéter d’une part du financement par l’Arabie Saoudite d’une
faculté d’enseignement en Mauritanie qui consacrera d’avantage l’arabisation de
ce secteur ; et d’autre part la
mise à la disposition de 100.000
hectares de terre à un projet saoudien dans le domaine agricole. Ces terres se
situant dans la vallée du fleuve, dans
les zones de Boghé, du Trarza, de Lexeiba. Ce projet privent de leurs
terres des milliers de noirs mauritaniens originaires du sud de leurs moyens privilégiés
sinon unique de subsistance. Aussi, faut-il- rappeler à Maria.V. Cervello, que c’est vite
aller en besogne que de renvoyer
dos à dos les acteurs du drame mauritanien, à savoir les nationalistes arabes
et les soi-disant nationalistes négro-mauritaniens, dans une opprobre
commune en les taxant de chauvins, on masque ainsi la genèse de l’agression et l’inégalité des
forces en présence. Il n’est pas surprenant alors, si l’on s’inscrit dans
l’approche réductionniste de Mariella, qu’en Mauritanie, entre 1989-1992, la
communauté internationale ait assisté sans broncher à la terreur contre la
population noire perpétrée par les forces
armées et de sécurité
mauritaniennes. Il a fallu attendre onze années pour qu’intervienne la
première réprimande internationale adressée à la Mauritanie, qui est venue
tardivement de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples
(CADHP). Ceci amènera un observateur d’ONG Stephen Humphreys qui avait visité
les camps des déportés mauritaniens au Sénégal en 2005 à s’en étonner et à écrire qu’avant le génocide perpétré au Darfour
et à une plus grande échelle au Rwanda,
il y a eu le précédent mauritanien (cf.
Stephen Humphrey, a publication of justice initiatives, february 2005, page.33).
Cette tentative d’occulter la purification ethnique en Mauritanie conduit, encore aujourd’hui, des observateurs avertis
à mettre ces violations graves et massives des droits de l’homme subies par les
noirs mauritaniens sur le compte de conflits interethniques, alors que l’on
sait parfaitement que la violence relative à ces violations étaient
ciblées, programmées et unilatérales. Au
plan diplomatique, l’administration américaine, en la personne de monsieur
Bishop premier-adjoint pour les droits de l’homme et des affaires humanitaires
au Département d’Etat condamnera les violations graves des droits l’homme
perpétrées contre les noirs en Mauritanie, lors d’une séance sur le Maghreb
organisée entre autres par la sous commission sur les affaires africaines, le
19 juin 1991(cf. Human watch Right Africa, Mauritania’s campaign of terror –
april 1994). Cette position des USA a été un peu altérée par celle de son ambassadrice
en Mauritanie en la personne de madame Dorothy Sampas qui a fait pression sur
le Hcr-Dakar, pour l’amener à se plier aux vœux du l’ex-chef d’Etat mauritanien
ould Taya qui voyait d’un mauvais œil la soi-disant « orchestration »
faite par l’institution onusienne autour du recensement des déportés
mauritaniens au Sénégal (cf. magazine jeune-afrique, No 219 du 3 juin 1996). Toutefois, La
tournée du 24 au 25 juin de son Excellence l’ambassadeur des USA en
Mauritanie Joseph le Baron, dans les camps des réfugiés mauritaniens du Sénégal
(Dagana, Dodel et Ndioum) a effacé le mauvais souvenir laissé par son
prédécesseur Madame Sampas victime du lobbying du gouvernement mauritanien. L’ambassadeur
américain Le Baron avait laissé entendre qu’une transition politique vers la
démocratie avait cours en Mauritanie et il a promis aux réfugiés mauritaniens
qu’ils retourneront bientôt chez-eux. Ce qui sera le cas, toutefois tout en n’oubliant
pas de rappeler qu’aujourd’hui le bilan
de ce retour des réfugiés mauritaniens dans leur pays n’est pas achevé et reste
très mitigé, dans la mesure où que sur
les près de 20.000 rapatriés du Sénégal entre janvier 2008 et mars 2012, seuls 8000 rapatriés ont obtenu des
autorités mauritaniennes des documents d’état civils. Ceux qui n’ont pas obtenu ces documents sont
devenus des apatrides de facto dans leur
propre pays. Pourtant ces rapatriements s’inscrivaient dans le cadre d’un
accord tripartite signé entre le Sénégal et la Mauritanie sous l’égide du Haut
commissariat des nations unies pour les Réfugiés (HCNUR). Si les
autorités mauritaniennes continuent de
violer les droits des noirs mauritaniens sans impunité, c’est en raison du lobbying intense mené par
le régime d’ould Taya et ses successeurs en direction de certains représentants de la communauté
internationale et en direction de certaines officines, et ceci, en vue de remporter le face-à-face douloureux qu’elles ont imposé
à la communauté noire de Mauritanie, au nom du nationalisme arabe. Un
nationalisme arabe qui avait emporté l’adhésion
de la quasi-majorité des arabo-berbères mauritaniens. Ces derniers n’avaient
pas réagi franchement et publiquement contre les exactions subies par leurs concitoyens noirs. Dans ce face-à-face tragique
que se font les deux composantes raciales, en Mauritanie, l’ancien colonisateur
français a choisi son camp comme en témoignent les discours révisionnistes du
Colloque de Nice. Les diplomates occultes de la France/Afrique savent ce qu’ils
font, aujourd’hui, lorsqu’ils privilégient les héritiers d’un Etat qu’ils ont
contribué largement à édifié. En effet,
leur parti-pris et leur esprit partisan
remontent à la période coloniale. Dans
la coexistence forcée entre Noirs et Maures dans le cadre de la colonie de
Mauritanie, le colonisateur français au nom de ses intérêts a toujours favorisé
les maures au détriment des noirs. Ceci est attesté par le comportement et les
propos des membres de l’administration
civile et militaire coloniales, en Mauritanie. Suivons à cet égard l’historien
mauritanien Ibrahima Abou Sall rapportant
leurs propos. L’administration
coloniale qui considérait les nègres comme culturellement inférieurs en raison
« du vide culturel » qui les caractérise s’est assigné le
devoir de leur créer des écoles destinées à « donner satisfaction aux
aspirations légitimes des populations noires à la culture française » (cf.
Ibrahima Abou Sall, crise d’identitaire
ou stratégie de positionnement politique en Mauritanie : le cas des Fulbe Aynaabe,
Revue Horizon nomade, p.83). Ces propos sont attribués au gouverneur colonial
Beyries. Ce dernier ajoute : « Il faut tenir compte du fait que qu’il
existe une civilisation musulmane fortement poussée que, partout, nous
respectons et favorisons {c’est pourquoi à la différence des noirs}
l’enseignement chez les maures doit être avant tout un moyen d’action
politique[ pour les former} dans d’excellentes conditions et sans porter
ombrage à {leur] esprit d’indépendance…{ cet enseignement visait] à doter la
nouvelle génération d’une culture arabe que leurs parents n’avaient pas »(cf. Ibrahima Abou
Sall, idem, p.83-84 ». C’est en vue d’atteindre un tel objectif, que l’arrêté
No 139 du 24 mai 1954 fut signé par le lieutenant-gouverneur de la
Mauritanie « rendant l’enseignement de l’arabe obligatoire sur
l’ensemble du territoire ». Voici plantés les germes des conflits qui sur
le plan linguistique et de l’enseignement vont, comme nous l’avons vu, marquer
de façon récurrente et violente l’histoire de la Mauritanie indépendante. Selon
l’historien Ibrahiama Abou Sall, ces
administrateurs civils et militaires se sont constitués en groupe d’influence et assimilaient la colonie de Mauritanie à une
colonie « ethnique maure ». Ils
« s’étaient opposés à l’annexion de la Mauritanie au Sénégal en raison de
sa non-rentabilité économique. Il demandait à ce que l’on tienne compte du
« refus et de la crainte des maures d’être dominés par les noirs ».
Autrement dit, les maures voyaient d’un mauvais œil la circonscription
électorale unique Sénégal/Mauritanie représentée par un noir en la personne du
député Léopold Sédar Senghor, futur président de la république du Sénégal entre
1960 et 1980. Ainsi, le lieutenant-gouverneur de Mauritanie Christian Laigret
estimait que celle-ci devait être maintenue après les élections de juin 1946 « à l’écart de toute réforme
et de toute propagande { car] la circonscription électorale unique Sénégal
/Mauritanie avait déçu les maures, peu satisfaits de voir « un Noir
représenter un pays de Blanc » » (cf. Ibrahima.A.Sall, idem, p.84). Toute la démarche de cette administration
civile et militaire coloniale se fondait sur l’idée d’un « espace
unitaire maure » « et de la
création d’une Mauritanie dont les principes fondamentaux devraient
reposer sur les « facteurs de l’unité naturelle maure et
saharienne », selon l’officier
interprète et Directeur des Affaires politiques, Paul Marty (cf. Ibrahim Abou Sall, idem, page 82). En 1959, Cette idée de la création d’un espace
unitaire maure réapparaitra, lors de la visite en Mauritanie, du général De
Gaulle. Ce dernier proposera au futur président de la Mauritanie indépendante
feu Moctar Ould Daddah vice-président du
conseil général (assemblée délibérative élue émanant des clonies), la création
de l’organisation commune des régions
sahariennes (OCRS) qui regrouperait les maures et les touaregs et qui serait
présidée par oud Daddah. Voilà ce que dit Ould Daddah à son propos « la
loi créant une Organisation commune des régions sahariennes alors française ne
nous concerne en principe pas, mais les français ne cachent pas leur souhait
que nous acceptions d’en faire partie à côté des touaregs et des maures de
l’Azaouad » (concernant l’OCRS, cf. Moktar Ould Daddah, La Mauritanie,
contre vents et marées, édition Karthala, p.198-199, p.525). Ce dernier
déclinera l’offre, comme il l’évoque dans cet ouvrage posthume susmentionné, en arguant
qu’une telle création handicaperait les algériens qui luttaient pour leur indépendance contre la colonisation
française, et il conçoit mal que l’Algérie soit amputée de sa partie saharienne
dont il faut dire qu’elle recèle d’immenses
réserves de gaz et de pétrole. Pourtant, le président Moctar Ould Daddah n’a
pas été aussi conséquent quand il s‘est agi d’occuper le Sahara occidental en
1975, après le retrait de la puissance colonisatrice à savoir l’Espagne qui
avait convenu de céder ce territoire à la Mauritanie et au Maroc. En 1979, le
Front Polisario soutenu par l’Algérie et qui se battait pour l’indépendance du
Sahara occidental obligera la Mauritanie à se retirer de la partie du
territoire qu’il occupait suite à la signature d’un accord de paix signés en
1979 par les deux protagonistes. Dans cette affaire, Ould Daddah n’a fait ni
plus ni moins que preuve d’irrédentisme, en revendiquant le Sahara occidental
comme une terre non rendue, justifiant ainsi l’argument du non parachèvement du
territoire mauritanien amputé de sa partie saharienne. A ce propos, il dira à feu Hassane II du Maroc dés 1970,
parlant du Sahara qu’il
est « partie intégrante de notre territoire national et que nous
devons le récupérer pour le réunir à la Mauritanie déjà indépendante…les colonialistes français et
espagnols avaient partagé notre pays en deux colonies : la Mauritanie
française, maintenant indépendante, et la Mauritanie espagnole, qu’il fallait
libérer » (cf. Moktar ould Daddah, idem, p. 459). Par ailleurs, il y a
lieu de se demander si ce n’est pas cet ancien projet de l’OCRS que la France
et certains lobbies « amis des Touaregs » voudraient voir relancer en
faveur des groupes irrédentistes touaregs et Jihadhjistes du nord Mali qui
œuvrent pour la partition du territoire national malien. Y aurait-il un agenda
caché dans la volonté affichée de trouver une solution à la crise qui sévit au nord Mali et qui ne prendrait pas en compte le respect
de son intégrité territoriale ? On sait
que certains groupes irrédentistes
touaregs ont des bases-arrières en
Mauritanie où ils font des déclarations publiques lors de leurs
assemblées ; les autorités
mauritaniennes nourrissent de la
sympathie pour eux et reconnaissent officiellement la légitimité de leurs
revendications. Aussi, il n’ya rien d’étonnant que le général putschiste à la
tête l’Etat mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz actuellement président en
exercice de l’union africaine ait obtenu
le 23 mai 2014 un cessez-le-feu entre
l’armée malienne et les rebelles touaregs du Mouvement national pour la
libération de l’Azaoud (MNLA créé en 2010). Ce mouvement indépendantiste
affiché a obtenu le soutien par le Haut
conseil pour l’unité de l’Azaouad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azouad (MAA) qui
ont pris le contrôle de Kidal (ville du nord Mali). Mohamed ould Abdel Aziz
n’est ni plus ni moins que l’un des
parrains de ces mouvements irrédentistes du nord Mali. Ce cessez-le-feu fait
suite à une attaque de l’armée malienne
le 21 mai visant à reprendre cette ville
de Kidal entre les mains du MNLA. Cette ville échappe aujourd’hui complètement
au contrôle de Bamako. Elle n’est pas
seulement entre les mains des séparatistes touaregs mais aussi sous l’emprise des trafiquants de tout genre et des terroristes
islamiques. Ces groupes armés sans aucune légitimité politique circulent dans
cette ville de Kidal avec les soldats de
la Mission des nations unies pour le Mali (MINUSMA) et les soldats
français de l’opération serval venus au chevet du Mali, pour y rétablir la paix
et la sécurité. Pourtant, suite à des
élections générales et locales en cette
année 2014, le Mali avait pourtant commencé à retrouver progressivement sa
stabilité au plan politique et
sécuritaire ; ceci suite à un coup
d’état militaire survenu en 2012 et à l’invasion se son territoire, la même
année, par ces mêmes groupes terroristes
islamistes et séparatistes que nous venons d’évoquer. En ce qui concerne les groupes jihaddistes,
on peut citer : le Mouvement pour
l’unicité de la Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) issu d’Al-qaida au Maghreb
islamique s’adonne au narcotrafic ;
le mouvement Ansar Dine purement touareg qui lors de l’occupation des
villes du nord Mali va fusionner avec le MNLA, le 27 mai 2012, dans le cadre
d’un « conseil transitoire pour un Etat islamique ». Toutefois, on comprend mal la passivité actuelle des soldats de la Minusma et plus particulièrement des
soldats Français face à la prise récente
de Kidal par les mouvements jihadistes et séparatistes au nord Mali, comme cela
fût le cas en 2012. On le comprend d’autant plus mal, quand on sait qu’à cette
date, le MNLA qui avait pris part contre l’armée malienne à
l’invasion des villes du nord desquelles il fut chassé, quelques mois après,
par ses alliés jihaddistes, se retrouve
malencontreusement à Kidal comme conquérant et ceci grâce à la France qui a
fait appel à ses services lors de la reprise de la ville de Kidal le 28 janvier
2013, des mains des jihaddistes.
Par ailleurs, nous sommes en droit de nous demander également si ce n’est pas fort
de cette idée d’une Mauritanie comme « espace naturelle et unitaire maure », qu’actuellement les
autorités mauritaniennes se croient permis d’exclure des noirs mauritaniens de
l’enrôlement visant à établir un
registre d’état civil sécurisé, et faisant
d’eux ainsi, chez-eux, des apatrides de facto. Ceci intervient après
les déportations massives des noirs mauritaniens au Sénégal et au Mali, en 1989,
et qui sont devenus de ce fait des
apatrides de jure. Force est de reconnaitre que le régime politique
discriminatoire, encore en place en Mauritanie,
continue à assumer la « politique des races » du
colonisateur, un terme emprunté au gouverneur général William Ponty qui
consistait à neutraliser les ethnies colonisées les unes par les autres,
« la règle du diviser pour
régner ». Il y a également lieu aujourd’hui
de se demander pourquoi Moctar ould Daddah avait tenté de rassurer les noirs de
Mauritanie en appelant de ses vœux, une Mauritanie « Traits d’union entre
le Maghreb et l’Afrique noire » quand on sait qu’il optera lui et ses
prédécesseurs pour l’arabité de la
Mauritanie et son ancrage progressif dans le monde arabe et dans le Maghreb. A
ce propos Abdel weddoud Ould cheikh écrit « Dans la Mauritanie
immédiatement postcoloniale héritière d’un dispositif politico-administratif où
les sédentaires noirs du Sud, bien mieux scolarisés que les Maures, jouerait un
rôle important, une Mauritanie de surcroit
revendiquée par le Maroc comme une partie intégrante de son territoire,
les autorités n’avaient peut-être pas d’autres choix que d’assumer la double
appartenance arabe et africaine de la toute jeune république. C’était l’époque
où l’on se plaisait à souligner son rôle de « trait d’union » entre
le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne » (cf. Abdel Weddoud ould Cheikh,
in Revue Notre Librairie- Revue du livre : Afrique, Caraïbes, Océan
indien- No 120-121 Janvier-mars 1995). Cette position d’Ould Daddah peut être
jugée opportuniste car elle tranche avec celle qu’il avait défendue dans le
journal français le Monde du 29-30 juin 1958 qui tient en ces
mots « si nous devions choisir entre la fédération maghrébine et une
fédération de l’Afrique occidentale française 5AOF), nos préférences nous
porteraient vers le Maghreb ». Ces propos de prise de position sont en
réponse aux craintes des noirs de voir le pouvoir politique échoir totalement
entre les mains des noirs à leur détriment. Ce qui avait conduit un conseiller territorial du Sénégal
originaire de la vallée du fleuve, Dr Moustapha Touré à écrire dans l’
hebdomadaire dakarois les Echos du 21-27 avril 1958 « Si les Maures ne
veulent pas accepter le jeu normal de la démocratie qui postule la loi du nombre
ou qu’il leur coûte beaucoup trop d’être dirigés par des Noirs, le problème qui
se pose à nous Africains, nous sénégalais, nous riverains du Fleuve, c’est
celui du retour des Noirs de la Mauritanie actuelle dans la Fédération d’Afrique noire, parmi leurs frères
nègres ». L’option pour un
fédéralisme qui pourrait remettre en cause l’unité de la Mauritanie hérité du
colonialisme ne plait pas à Moctar ould Daddah qui toutefois reconnait qui si
elle est dangereuse l’est moins que la
revendication du territoire mauritanien par le Maroc. Ces menaces qui pèsent
sur la Mauritanie sont de l’avis des congressistes mauritaniens réunis dans la
ville d’Aleg en 1958 doit être une raison suffisante pour justifier le choix du
statut politique de leur pays par rapport à la France métropolitaine. Un choix
qui se traduira en termes d’accès à l’autonomie interne et de rejet toute
vocation à l’indépendance par rapport à la France. A ce propos, Moctar ould
Daddah écrit dans son ouvrage posthume : « La Mauritanie est
particulièrement faible. Au nord, son existence est gravement menacée par le
Maroc, au sud et à l’est, les menaces venant des deux territoires membres de la
future fédération du Mali, le Sénégal et le Soudan, sont moins graves, mais le
danger existe tout de même. Ne pouvant nous défendre par nous-mêmes, nous
devons nous accrocher à la France, et ne rien faire qui risque de la chatouiller, de détériorer nos rapports avec
elle » ( Moctar Ould Daddah, idem, page 164). Un autre problème fera
l’objet d’un débat à ce congrès d’Aleg convoqué par Ould Daddah, en vue de
mettre fin aux divergences entre les différents partis politiques de Mauritanie
qui dans le contexte de l’époque menaçait son existence. Il s’agissait du débat
sur l’enseignement de l’arabe. Moctar ould Daddah rapporte que « pour la majorité des
congressistes, l’arabe devait être considéré comme notre langue nationale. Par
conséquent, son enseignement devait être rendu obligatoire dans les écoles publiques,
au même titre que le français » (cf. Moctar ould Daddah, idem, p.164). Ce congrès d’Aleg est un tournant annonciateur
des discriminations raciales et ethniques qui caractérisent aujourd’hui la
Mauritanie et qui vont confirmer les craintes exprimées à ce propos par le
Docteur Moustapha Touré, en 1958, comme
nous venons de l’évoquer. La marginalisation des négro-mauritaniens revient
plus de quarante ans après sous la plume du journaliste d’investigation
sénégalais Abou Latif Coulibaly, et ceci, dans un
tout autre contexte qui est celui du post-colonialisme et des
indépendances. Abou Latif Couibaly est aujourd’hui ministre sénégalais de la
promotion de la bonne gouvernance et chargé des relations avec les
institutions. En abordant la question de
la diplomatie sous-régionale du Sénégal, il écrit « Le voisin
qui nous pose le plus de souci à nos frontières, est sans doute la Mauritanie.
Abdoulaye Wade doit compter avec cette réalité, pour donner les meilleurs
atouts à notre diplomatie dans las sous-région. Entre ce voisin et nous, il y
a, heureusement, le « verrou négro-mauritaniens ». Cette population
noire qui est à cheval sur les deux rives. C’set à la fois une chance et un
problème. Une chance : pour atteindre notre pays, il faut, nécessairement
aux autorités de Nouakchott l’aval de la caution de cette population. Ce qui
est loin d’être évident. Un problème : le sort qui est fait aux Noirs en
Mauritanie, comme l’esclavage et le chauvinisme, les Noirs se trouvent parfois,
dans une situation difficile et délicate
, qui ne peut laisser le Sénégal indifférent eu égard aux relations aux relations diverses et
variées qui lient les populations vivant sur les deux rives du fleuve.
Malheureusement, les populations négro-africaines cèdent parfois à la tentation
d’un racisme à rebours qui se veut antiraciste et aux démons du particularisme.
La Mauritanie dispose des moyens de nous faire mal… Il suffit de considérer le
rôle joué par le consulat de Mauritanie en Gambie, dans le renforcement de la
puissance de feu, du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), au
cours de ces dix dernières années. Comment ménager diplomatiquement la
susceptibilité mauritanienne, sans faiblesse aucune, afin de garder avec ce
pays les meilleures relations possibles ? Cette équation se pose à notre
diplomatie sous-régionale et internationale depuis toujours » (cf. Abou
Latif Coulibaly, Wade un opposant au pouvoir, l’alternance piégée, Edition
Sentinelles, 2003, p. ?). On voit qu’Abou Latif à l’instar de certains observateurs qui s’intéressent
à la question ethnique et raciale en Mauritanie tombe dans le travers qui
consiste à présenter la résistance négro-mauritanienne au racisme d’Etat
mauritanien comme un racisme à rebours. Nous avons montré jusque-là dans le compte redu de la genèse de
cette que nous entreprenons ici que cette approche de ces dits
observateurs n’est pas justifiés et même
dangereuses. A regarder de près ces propos de Latif Coulibaly tentent
d’occulter, en réalité, l’impuissance de l’Etat sénégalais à contrecarrer les
menaces récurrentes d’expulsion massives des sénégalais travaillant en
Mauritanie. Menaces que les autorités de ce pays brandissent en direction du
Sénégal duquel elles attendent tout activisme politique d’opposants
mauritaniens sur le territoire sénégalais qui pourrait les nuire. Outre ces
menaces comme moyen de pression sur le Sénégal, la Mauritanie peut brandir, à tout moment, celle pouvant
mettre fin aux licences de pêche qu’elle attribue aux pêcheurs sénégalais
exerçant leur activités sur son territoire et ainsi qu’à des officiels sénégalais qui ont
déjà eu à en bénéficier. Il faut dire que les opposants mauritaniens ne
manquent pas au Sénégal, en raison de l’expulsion massive de noirs mauritaniens
par les autorités de leur propre pays vers le Sénégal et aussi vers le Mali,
lors des événements dits de 1989. C’est toujours dans la même perspective de
voir neutraliser toute opposition réelle
ou supposée pouvant venir des pays frontaliers du Sénégal et du Mali, que la
Mauritanie a soutenu les rebelles de Casamance dans la décennie 1990-2000.
Depuis cette période, elle continue à soutenir les rebelles touaregs du nord
Mali comme l’avons mentionné plus haut. La raison d’Etat et les intérêts quelle
implique amène les pays voisins à faire profil bas chaque fois qu’il est question de faire cause
commune avec les victimes négro-mauritaniennes. Dans ce contexte de relations
souvent tendue entre ces pays frontaliers, l’interventionnisme français penche
du côté de la Mauritanie qui est considéré comme le principal protégé, pour les
raisons que nous avons largement évoquées ici.
Arrivés au bout de nos analyses nous
pouvons dire sans risque de nous tromper, qu’en Mauritanie l’arabisation du
pays et son ancrage dans le monde arabe sont allés progressivement de paires et
nous avons vu que la colonisation française a dans une certaine façon favorisé
cet état de fait. La France continue à favoriser cet état de fait. Par
ailleurs, il n’y a rien d’étonnant à la
réponse inadéquate d’Ould Daddah par
rapport aux revendications contenues dans le « manifeste des 19 »,
qui est à l’origine des affrontements
intercommunautaires de 1966 sur fond de querelles scolaires et de
revendications linguistiques. On sait que cette réponse se traduira, par
ailleurs, par la suspension des 19
fonctionnaires noirs auteurs présumés
d’un manifeste en soutien aux grèves des élèves des établissements de Rosso et
de Nouakchott contre la loi du 30 janvier 1965 rendant obligatoire
l’enseignement de l’arabe dans le second cycle. Par ces mesures arbitraires
Moctar ould Daddah aura indiqué à ses
successeurs la plus mauvaise voie à suivre. Il aura empêché la construction
d’une Mauritanie pluriethnique et plurilinguistique respectueuse de sa diversité.
Par sa politique irréaliste et de courte vue, en occultant le caractère
pluriethnique et plurilinguistique de la Mauritanie, il aura fait le lit des
conflits culturels actuels de la Mauritanie, pour ne pas dire qu’il a une grande part de responsabilité
dans l’ethnocide subi, aujourd’hui par les populations noires du pays et que
commettront des militaires beaucoup
moins subtiles que lui. La seule réponse à la crise de 1966 se limitera pour
Ould Daddah à la promotion du concept « repersonnalisation » de
l’homme mauritanien qui doit se ressourcer dans les valeurs nationales
héritées du passé notamment de l’islam. Citant J-L-Balans, Marchesin écrit « le
seul contenu « opératoire » donné à cette « repersonalisation »
sera la justification du bilinguisme et une réforme de l’enseignement basée sur
l’arabisation » (cf. Marchesin, idem, page. 129). Cette politique
négationniste, comme nous l’avons amplement démontré ici, est un héritage colonial
largement assumé encore de nos jours, par les différents régimes politiques qui
se sont succédé en Mauritanie. Ce négationnisme a des soutiens sûrs, des
parrains, grâce à un lobbying efficace
de la part des réseaux de la France/Afrique.
Aussi devons-nous méditer ces propos d’André Bourgeot lorsqu’il
écrit : « …les pouvoirs coloniaux passés occidentaux et locaux
actuels ont procédé à la construction de fausses « ethnies », à leur
redéfinition quand elles existaient, ou à leur utilisation à des fins
politiques de domination. La présentation ethniciste [des conflits en Afrique]
occulte le plus souvent des luttes et des stratégies de pouvoir politique
personnel ou lobbyiste, qui réactivent, dénaturent ou fabriquent des conflits
anciens entre groupes sociaux imbriqués ou métissés par l’histoire, et
transformé en « ethnies » souvent utilisées par des apprentis
sorciers et/ou des pouvoirs étrangers » ( cf. André Bourgeot,
Afrique : Etat des lieux (1989-1994), Revue Pensée No 301 Janvier-Février
1995, p.6).
S’il est vrai que les pouvoirs
coloniaux ont grandement contribué à semer les germes de la division en
Mauritanie entre les ethnies, toutefois l’Etat postcolonial mauritanien hérité par les Beydanes a accentué cette division en
cherchant progressivement à marginaliser les ethnies négro-mauritaniennes au
plan culturel et économique. Tout en s’éloignant du monde négro-africain, la
Mauritanie maure se rapproche d’avantage du monde arabe tout en prenant ses
distances avec le monde négro-africain comme en témoignent, son retrait
prématuré, en 1965, de l’Organisation commune africaine et Malgache, son
entrée dans la ligue arabe en 1973, son
intégration à l’Union du Maghreb arabe le 17 février 1989 et son retrait
de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), en
décembre 1999.
A notre sens, la question la plus
pertinente relative à la crise
identitaire qui secoue de façon cyclique la Mauritanie et menace son
existence-même a été posée par André Breton : « Après la
décolonisation les principales oppositions ethniques ont touché la zone
sahélienne où voisinent les populations blanches et islamisées au nord, négro-africaine
au sud. En Mauritanie l’équilibre précaire, secoué en 1989, entre l’ethnie
dominante de Maures nomades arabisés et une majorité réelle de paysans négro-africains
islamisés de la vallée du fleuve Sénégal, pourra-t-il être restauré
constitutionnellement par la proclamation d’une « république
islamique arabe et africaine » » (cf. Rolland Breton, Les Ethnies,2ième Edition Que Sais-je mise à jour 1992 PUF, page 106).
A cette question s’ajoute une autre
aujourd’hui cruciale : Est-ce que les conséquences fâcheuses laissées
par les anciennes relations
diplomatiques mauritano-israéliennes ayant
contribué au renforcement de l’intégrisme islamiste et le glissement
progressif de la Mauritanie vers les idéologies panarabismes dans la période
1970-1990 continueront-ils à peser longtemps d’une part sur les relations entre les
communautés ethno-raciales du pays, et
d’autre part sur les questions sécuritaires dans la zone
sahélo-saharienne ? Il faut dire à ce propos que l’alignement de la communauté beïdane aux idéologies pan
arabistes et son soutien manifeste à la lutte du peuple palestinien contre
l’occupation de ses terres par l’Etat hébreux ne pouvaient s’accommoder des
relations diplomatiques établies en dès 1999 entre Tel-Aviv et Nouakchott et rompues
en 2010. Ces relations diplomatiques vont alimenter une opposition nourrie
notamment par les islamistes et les nationalistes arabes mauritaniens que sont
les nasséristes et les baasistes ainsi que par une majorité de la communauté
maure. Cette opposition à laquelle on peut ajouter le mécontentement des Noirs
mauritaniens victimes des épurations ethniques en 89 conduira l’armée
mauritanienne, par un coup d’état, en 2005,
à évincer du pouvoir ould Taya venu lui aussi
au pouvoir par un coup d’état en 1984. Ce rapprochement
diplomatique aura eu pour conséquence le renforcement du courant islamiste
intégriste en Mauritanie et son implantation durable dans le champ politique
mauritanien. Il ne faut pas se leurrer, le nationalisme arabe et l’intégrisme
islamique en Mauritanie sont les deux revers d’une même médaille et constituent
par ailleurs des instruments dont les régimes militaro-civils affairistes et
tribalistes font usage multiple selon
les circonstances, même si par ailleurs
ces instruments peuvent se retourner contre leur usager. Ces pratiques néfastes
se font au détriment des mouvements démocratiques et progressistes
mauritaniens. C’est dans ce cadre que la lutte contre le terrorisme
islamiste est brandie par le régime du chef d’Etat mauritanien de fait
Mohamed ould Abdel Aziz qui s’en sert comme alibi, pour justifier son maintien
arbitraire au pouvoir et une aide de la part de la communauté
internationale. A cet égard, il n’ya rien de surprenant que les véritables
victimes du terrorisme dans la zone
sahélo-saharienne soient les otages occidentaux et un pays frontalier de la
Mauritanie à savoir le Mali. Au plan interne à la Mauritanie l’alibi du
terrorisme cherche à reléguer au second plan voire à occulter les combats des
mauritaniens pour la démocratie et contre toutes les formes de discriminations.
Il faut reconnaitre que dans ce contexte où le tribalisme détermine les
relations sociales, la solidarité et la loyauté qu’elle exige des congénères
tribaux sont des obstacles à une lutte efficace contre le terrorisme. Le
soutien de la Mauritanie à la rébellion touarègue du nord Mali qui a des
connexions établies avec les mouvements jihadistes qui écument dans cette zone
témoigne de ces obstacles. La France marraine du pseudo pouvoir démocratique
mauritanien semble parfaitement s’accommoder de cette ambigüité de la part de
ses protégés. Cette situation pourra-t-elle longtemps occulter le combat pour
l’avènement d’une véritable démocratie en Mauritanie qui cherche à mettre fin à
toutes les formes de discrimination en cours dans le pays. Ce combat est porté et est incarné par les congressistes du Forum
pour la Démocratie et l’Unité en Mauritanie tenu du 28 février 2014 au 3 mars
2014.
En conclusion, la colonisation française en Mauritanie a eu
des effets de déstructuration que l’on
peut constater là où elle s’est imposée et particulièrement en Afrique. Ces
effets décrits par George Balandier sont, entre autres, « la
dénaturation des unités politiques traditionnelles, la rupture des systèmes
traditionnels de limitation de pouvoir, l’incompatibilité de deux systèmes de
pouvoir, la désacralisation du pouvoir » (Reyntjens, cf. G. Balandier,
Anthropologie politique, Paris, Presse universitaire de France, 3ième
édition, 1978, pp.187-192). Il faut
reconnaitre que ces effets se sont répercutés sur les relations ethniques en
Mauritanie. Il appartient aux mauritaniens d’entretenir, au nom d’un destin
national commun, des relations ethniques
pacifiques et d’envisager une réconciliation nationale sincères en réponse aux
traumatisants événements liés à l’épuration ethnique des années 1989-1992. Une
réconciliation amorcée par le régime démocratiquement élu de l’ex-président
Sidi Ould Cheikh Abdallah destitué en aout 2008, par un coup d’Etat militaire.
Moustapha
Touré
Dakar, le 17 avril 2014
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