Monsieur le Rapporteur spécial,
Nous avons l’honneur de porter à votre attention la présente
communication relative au cas de MM. Amadou Tidjane Diop, Balla Touré,
Hamady Lehbouss, Ahmed Amarvall, Khattry M’Bareck, Mohamed Daty, Jemal
Beylil, Ousmane Anne, Ousmane Lô, Abdallahi Matallah Seck, Moussa Biram,
Abdallahi Abou Diop et Mohamed Jaroullah, militants au sein de l’ONG
« Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste » (IRA),
organisation de lutte contre l’esclavage fondée en 2008.
Nous nous référons à :
- M. Amadou Tidjane Diop, né le 16 février 1969, arrêté le 30 juin 2016 ;
- M. Abdallahi Matallah Seck, né le 31 août 1971, et résidant à Nouakchott, arrêté le 30 juin 2016 ;
- M. Moussa Biram, né en 1967, arrêté le 1er juillet 2016 ;
- M. Jemal Samba Beylil, né en 1982, résidant à Nouakchott, arrêté le 30 juin 2016 ;
- M. Balla Touré, né le 18 avril 1970, résidant à Nouakchott, arrêté le 1er juillet 2016 ;
- M. Khatri Rahel M’Bareck, né en 1983, arrêté le 3 juillet 2016 ;
- M. Hamady Lehbouss, né en 1964, résidant à Arafat, arrêté le 3 juillet 2016;
- M. Ahmed Hamdy Amarvall, né en 1966, résidant à Arafat, arrêté le 3 juillet 2016 ;
- M. Mohamed Daty, né en 1980, arrêté le 8 juillet 2016 ;
- M. Ousmane Anne, né le 6 août 1980, arrêté le 8 juillet 2016 ;
- M. Ousmane Lô, né en 1963, arrêté le 8 juillet 2016 ;
- M. Abdallahi Abou Diop, né en 1986, résidant à Nouakchott, arrêté le 9 juillet 2016 ;
- M. Mohamed Jaroullah, né le 12 janvier 1973, arrêté le 3 juillet 2016 ;
De plus, nous avons reçu des informations crédibles selon lesquelles 40 autres personnes membres de la communauté haratine[1]
ont été interpellées dans le cadre de la même vague d’arrestations. Il
apparait que ces personnes n’ont pas été en mesure de contacter un
avocat et nous n’avons de la sorte pas pu connaître leurs noms et leur
situation actuelle.
Contexte général
Malgré la promulgation en 2007 d’une loi criminalisant l’esclavage,
celui-ci a continué d’être pratiqué dans le pays, et une certaine
impunité subsiste[2].
C’est dans ce contexte que l’IRA est devenue l’une des organisations
principales dans la lutte pour une abolition effective de l’esclavage en
Mauritanie.
Ces dernières années, l’IRA a été victime de représailles de la part
des autorités mauritaniennes qui ont constamment refusé d’accorder une
accréditation à l’organisation et ont procédé à la poursuite et à
l’arrestation de plusieurs de ses membres dans le passé y compris M. Dah
Biram, président et fondateur de l’ONG le 11 novembre 2014[3].
Alkarama avait alors soumis son cas à l’attention du Rapporteur spécial
sur la situation des défenseurs des droits de l’homme afin d’enjoindre
aux autorités mauritaniennes de mettre un terme à cette détention. Il
fut libéré le 19 mai 2016[4].
Arrestations
Entre le 30 juin et le 9 juillet 2016, les membres de l’IRA ont fait
l’objet d’une vague d’arrestations suite à des rassemblements en soutien
aux habitants de la gazra Bouamatou – un quartier très défavorisé de
Nouakchott – le 29 juin 2016 lors de l’expulsion de centaines
d’habitants de ce quartier. Des altercations entre des personnes venues
soutenir les familles expulsées et les forces de sécurité avaient alors
éclaté, et les forces de sécurité avaient procédé à des dizaines
d’arrestation.
Dès le lendemain, des policiers en civil procédaient à des
arrestations de membres de l’IRA, au motif qu’elles les soupçonnaient
d’avoir participé à ces débordements, en l’absence d’éléments à charge ;
ces personnes affirment ne pas s’être rendus à ce rassemblement, dont
ils ignoraient même l’existence. Le 30 juin 2016 au matin, MM. Amadou
Tidjane Diop, vice-président de l’IRA, et Abdallahi Matallah Seck,
coordinateur de la section de l’IRA à Sebkha, étaient arrêtés chez eux.
Le vendredi 1er juillet au matin, M. Balla Touré, secrétaire aux
relations extérieures de l’IRA, était arrêté à son domicile ; le même
jour, M. Jemal Beylil, militant, était violemment arrêté dans sa
boutique de la commune du Ksar, devant ses collègues, et M. Moussa
Biram, militant également, était arrêté à son domicile dans la soirée.
Le dimanche 3 juillet, MM. Hamady Lehbouss – conseiller du président
de l’IRA, Ahmed Hamdy Amarvall – trésorier de l’IRA – et Mohamed
Jaroullah étaient arrêtés à leur tour par des policiers en civil,
lorsqu’ils revenaient d’une conférence de presse chez M. Dah Biram, et
alors même que M. Jaroullah se trouvait hors du pays le 29 juin 2016
lors des émeutes, et n’était rentré que le 1er juillet à Nouakchott. Le
même jour, au matin, la police avait procédé à l’interpellation de M.
Khatri Rahel M’Bareck, coordinateur du comité de la paix, devant la
Banque mauritanienne pour le commerce international (BMCI), avenue Gamal
Abdel Nasser, à Nouakchott.
Le 8 juillet 2016, M. Mohamed Daty, greffier, était arrêté à la
sortie du tribunal et MM Ousmane Anne et Ousmane Lô étaient interpellés
ensemble, de nuit, dans la rue. Enfin, le lendemain, M. Abdallahi Abou
Diop était arrêté sur son lieu de travail, devant ses collègues, et
frappé par les policiers procédant à l’interpellation.
Durant leurs gardes à vue respectives, les activistes ont rapporté à
leurs avocats avoir été détenus dans des conditions indignes,
séparément, dans des lieux inconnus de leurs familles et de leurs
avocats et sans pouvoir communiquer avec ceux-ci. Ils ont par ailleurs
fait l’objet de divers transferts d’un lieu de détention inconnu vers un
autre, les yeux bandés.
Interrogés la nuit, privés de sommeil et d’accès à des sanitaires et à
des douches, ils n’ont pas eu la possibilité de consulter un médecin.
M. Amadou Abou Diop qui souffre d’une pathologie cardiaque grave n’a pas
pu suivre son traitement durant la garde à vue. Lorsqu’il a finalement
été emmené à l’hôpital, il s’est vu prescrire des analyses qui n’ont
toujours pas été réalisées.
MM. Abdallahi Mataala Seck, Balla Touré et Moussa Biram ont subi des
actes de torture physique durant la période de garde à vue. Afin qu’ils
avouent la planification et la participation aux affrontements du 29
juin 2016, MM Abdallahi Matallah Seck, Moussa Biram et Abdallahi Abou
Diop devaient rester mains et pieds attachés dans le dos, dans des
positions douloureuses, durant plusieurs heures consécutives, ou
attachés et suspendus par des cordes ; les agents conduisant les
interrogatoires serraient les menottes au maximum, si bien qu’à l’issue
de la garde à vue, ces trois détenus présentaient des lésions aux mains
et aux poignets. M. Moussa Biram présentait également des traces de
coups sur les pieds et les mains.
Lors des interrogatoires, M. Abadou Tidjane Diop a été entièrement
déshabillé, insulté et menacé de mort s’il n’avouait pas sa
participation aux affrontements contre la police. Au cours des rares
repas qui lui ont été servis, sa nourriture était mélangée à du sable,
et les agents refusaient de lui donner de l’eau.
Les demandes d’expertises formulées par leurs avocats ont néanmoins
été rejetées par le procureur, alors même que les sévices auraient été
infligés selon les victimes, par des commissaires de police, un officier
de la Direction de la sûreté de l’Etat et des brigadiers du
commissariat.
Les familles des victimes ont tenté d’obtenir des informations sur
les raisons de leurs arrestations et sur leurs lieux de détention mais
se sont heurtées à des refus systématiques de la part des autorités et
ont été informées qu’elles subiraient des représailles si elles
s’entretenaient avec des organisations non-gouvernementales ou des
medias étrangers. De même, des membres du Mécanisme national de
prévention de la torture (MNP) institué par la loi 034/2015 sont entrés
en contact avec la Direction régionale de la sûreté de Nouakchott Ouest
et le commissariat de police Ksar I, afin de procéder à des visites des
lieux de détention, conformément à leur mandat ; ils ont ensuite saisi
par écrit le Procureur de Nouakchott Ouest. Les autorités n’ont donné
aucune suite à leurs requêtes.
Etat actuel de la procédure
Après avoir été détenus au secret pendant des périodes allant de deux
à 12 jours, les 13 victimes et dix des autres personnes arrêtées suite
aux altercations du 29 juin ont été présentées au Procureur dans la nuit
du lundi 11 au mardi 12 juillet 2016, aux alentours de 4h du matin. A
cette occasion, elles ont pu s’entretenir avec leurs avocats respectifs
pour la première fois depuis leur arrestation.
Le parquet a décidé d’ouvrir une enquête de flagrance, alors qu’aucun
des prévenus n’était présent lors du rassemblement litigieux. Les 13
activistes sont à présent détenus à titre préventif à la maison d’arrêt
de Dar-Naïm et devraient être jugés le 3 août des chefs d’attroupement
armé (art. 101 à 105 du Code pénal), de violences à l’égard d’agents de
la force publique (art. 213 et 214 du Code pénal), de rébellion (art.
191 du Code pénal) et d’appartenance à une organisation non enregistrée,
l’IRA.
Les 13 militants de l’IRA et sept autres détenus partagent
actuellement une même cellule au sein de la maison d’arrêt de Dar Naim.
Depuis les interpellations, les familles n’ont pu leur rendre visite
qu’une seule fois, à l’issue de leur garde à vue.
Requêtes
S’agissant en tout état de cause d’une situation relevant de votre
mandat, et conformément à la Résolution de l’Assemblée générale des
Nations unies n° 53/144 du 9 décembre 1998 et à la Résolution 2000/61 de
la Commission des droits de l’homme, nous avons l’honneur de vous
demander, Monsieur le Rapporteur Spécial, de bien vouloir intervenir
d’urgence auprès des autorités mauritaniennes.
L’arrestation et l’actuelle détention de MM. Amadou Tidjane Diop,
Balla Touré, Hamady Lehbouss, Ahmed Amarvall, Khattry M’Bareck, Mohamed
Daty, Jemal Bleyile, Ousmane Anne, Ousmane Lô, Abdallahi Matallah Seck,
Moussa Biram et Mohamed Zarouhoullah ont pour but de les empêcher
d’exercer leurs activités de défense des droits de l’homme et
s’inscrivent dans une campagne générale d’entrave et de répression des
autorités mauritaniennes à l’égard des militants antiesclavagistes.
Elles contreviennent par voie de conséquence à la responsabilité et au
devoir de l’Etat de protéger, promouvoir et rendre effectifs tous les
droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales[5].
Dès lors que les faits donnant lieu aux poursuites ne sont étayés par
aucun élément matériel, et que ces activistes sont arbitrairement
détenus et ont subi des actes de torture pour des activités tombant sous
leur droit à la liberté d’association, prévu à l’article 22 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, nous vous
demandons d’exhorter les autorités mauritaniennes à abandonner les
poursuites et à les libérer immédiatement.
Nous vous demandons également de rappeler aux autorités
mauritaniennes leurs obligations de cesser tout acte de persécution à
l’encontre des militants qui appellent au respect des libertés civiles
et politiques dans le pays, et d’apporter des clarifications sur le sort
des quarante autres personnes arrêtées suite aux mêmes évènements.
Nous avons donc l’honneur de vous soumettre le présent cas qui relève
de votre mandat et vous prions, Monsieur le Rapporteur spécial, de
croire à notre haute considération.
Me Rachid Mesli,
Directeur juridique
M. Michel Forst
Haut Commissariat aux droits de l’homme
Office des Nations Unies à Genève
8-14 Avenue de la Paix
1211 Genève 10
Copie à : Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines
d’esclavage, y compris leurs causes et conséquences ; Rapporteur spécial
sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants
Genève, le 21 juillet 2016
APPEL URGENT
[1]
Les Haratines, ou « Maures noirs », sont les principales victimes de la
pratique de l’esclavage en Mauritanie. Historiquement réduits en
esclavage par les Maures blancs (arabo-berbères), ils avaient été
progressivement affranchis suite à une loi de 1905, mais ont continué
d’être victimes de discrimination, de marginalisation et d’exclusion car
ils étaient toujours perçus comme appartenant à la caste servile.
[2] Conseil des droits de l’homme, 15e session, Rapport
de la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y
compris leurs causes et leurs conséquences, Mme Gulnara Shahinian –
Mission en Mauritanie, 24 août 2010, A/HRC/15/20/Add.2, §11.
[3] Comment on Mauritania by Rupert Colville, Spokesperson for the UN High Commissioner for Human Rights, http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=16341&LangID=E (consulté le 21 juillet 2016).
[4] Alkarama, Mauritanie : Libération des militants antiesclavagistes Biram Ould Abeid et Brahim Ould
Bilal Ramdane, 20 mai 2016, http://fr.alkarama.org/component/k2/item/2020-mauritanie-liberation-des-militant-
antiesclavagistes-biram-ould-dah-abeid-et-brahim-ould-bilal-ramdane (consulté le 21 juillet 2016)
http://fr.alkarama.org/component/k2/item/2020-mauritanie-liberation-des-... (consulté le 21 juillet 2016).
[5]
Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et
organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de
l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus,
A/RES/53/144, 8 mars 1999, articles 1, 2, 5 et 6.
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