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mardi 12 juillet 2016

Interview avec Biram Dah Abeid, président de IRA-Mauritanie



Interview avec Biram Dah Abeid, président de IRA-Mauritanie

"Biram Dah Abeid pour le journal électronique Nouakchott.com :  Les autorités ont fabriqué des accusations contre Ira pour défigurer son image (interview)



Biram  Dah  Abeid Président de IRA, sorti il y a quelques semaines de la prison, est actuellement aux Etats-Unis pour recevoir des prix internationaux de plusieurs organismes de droits de l’homme. Nouakchott l’a interrogé sur la question des affrontements graves du Ksar et le rôle et la position du mouvement ; le récit de l’interview est le suivant :


Journal Nouakchott: vous avez été arrêté il y a deux ans à Rosso á cause d’une caravane qui dénonce l’esclavage foncier que les autorités reconnaissent pas son existence, si vous êtes sûr pourquoi n’avez-vous pas engagé la justice?

Biram Dah Abeid : Nous á IRA avons toujours confirmé,aux autorités et à la société dans son ensemble, que l'esclavage foncier existe bien en Mauritanie et qu’il résulte de l'exclusion et la discrimination contre certains groupes.

Les terres rurales et agricoles que possèdent les haratines depuis des générations sont enregistrées au nom de leurs maîtres, actuels ou anciens. Et, pourtant, ces descendants d’esclaves les habitent et les cultivent mais ne peuvent en disposer ; donc ils restent susceptibles de s’en faire expulser.

Cette situation a été répandue depuis longtemps et, l’’avènement de l’Etat moderne après des siècles de Seyba (anarchie), n’y a rien changé ; cependant, la situation s’est aggravée pendant le règne du Général-Président Ould Abdel Aziz,  du fait de la prise de conscience parmi les masses depuis toujours exploitées, marginalisées. Aujourd'hui, des villages entiers de Haratines vivent de la récolte de milliers d'hectares de terre, propriété d’un individu ou d’une famille, vivant à Nouakchott, Nouadhibou, en Arabie saoudite ou au Qatar ; le seul lien, d’un tel propriétaire, à la terre, résulte d’une transmission coutumière, sur la base de liens esclavagistes et du partage tribal du sol.

Ainsi se résume la problématique du foncier rural en Mauritanie. Quant aux centres urbains, la situation s’y présente avec davantage de limpidité dans sa violence matérielle et symbolique : les Haratine, locataires ou squatteurs de baraques, dans des bidonvilles insalubres, loin des centres administratifs et des zones viabilisées, y mènent une existence de parias. A IRA, nous avons assisté les opprimés dans 215 cas de litiges devant les tribunaux : Tagant, Assaba, Guidimagha, Gorgol, Brakna, et Trarza. Toutes les parcelles contentieuses étaient exploitées par d’anciens esclaves mais leurs maîtres ont gagné les procès, sans aucune exception, même anecdotique. Alors, l’on se demande s’il est logique que tous les Maures aient toujours raisons et les haratines autant tort. Quelle est la rationalité d’un tel mécanisme ? Vous la connaissez autant que moi : il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’un énième avatar de l’hégémonie raciale, dont la domination en cours de révision, constitue le socle, le fondement.


Journal Nouakchott: quelle est la relation de Ira avec les affrontements du Ksar, avez-vous y participé, organisé ou l’incité ?

Biram Dah Abeid : L’affaire du « Adabaye Bouamatou » concerne un lieu habité par des familles de haratines, depuis plus de 20 ans ; ils sollicitaient l'octroi définitif des lots de terrains ici ou ailleurs, à l’instar de bien d’autres citoyens. Pendant que les usagers attendaient leur tour, voici que l'Etat décide de les faire déguerpir, pour satisfaire une personne en particulier et sans leur offrir une alternative. Au motif de nettoyer la ville avant le sommet arabe, l’autorité publique sévit, alors, contre un segment ethnique, maillon faible dans la chaine de l’oppression ; notez bien qu’en théorie, nous sommes tous musulmans et arabes ; donc, selon l’entendement du système de domination qui ne manque d’ironie, nous devrions nous suffire de cette identité - au nom de laquelle nous avons toujours été exclus- et continuer à en accepter toutes les injustices.

Evidemment, dans cette islamo-arabisme de prétexte, la dose de compassion se réduit comme peau de chagrin ; la police, lourdement armée et sans pitié, a tenté de déporter ces gens, qui se sont battus avec les assaillants malgré la réputation de brutalité et de torture des forces de l’ordre, dans notre pays.

Rappelez-vous comment l'État post-esclavagiste fabriqua l’affaire de 2010, lorsque nous soulevions la question de Mint Bakar Vall, auteur d’actes d’esclavage sur deux mineures: la police nous a torturés, affirmant que nous l’avons violentée. Mais la justice finira par démentir et mis la femme que nous avons denonce en accusation, avant que le gouvernement lui-même se contredise,une semaine plus tard et revienne sur ses mensonges.

Vous vous souviendrez, aussi, lorsque nous avons brûlé les livres esclavagistes, le gouvernement et les renseignements generaux  mobilisèrent la presse et la rue contre nous, pour attiser la haine et le racisme contre les Haratines, exigeant excommunication (Takfir) et peine capitale à leur encontre. Et puis, le gouvernement fit marche arrière et les magistrats nous relaxèrent de toute poursuite.

La fabrique du mensonge ne s’est interrompue à ce stade, car le gouvernement a prétendu que nous avons frappé la gendarmerie et la police à Rosso. L’on nous a condamnés à 2 ans de prison ferme. Mais l'audience de la Cour suprême le 17 mai dernier a révoqué ces allégations, pour nous libérer de toute charge.

De nouveau, le choix du bouc-émissaire est encore retombé sur l’IRA, comme pour faire oublier, du moins ternir ses succès dans et hors du pays ; le porte-parole officiel du gouvernement et le gouverneur de Nouakchott Nord ont déclenché une campagne pour exciter la foule contre nous. Mais leur tentative ne trouve écho qu’au sein del'extrême droite, qui appelle à l'assassinat de Biram Dah Abeid. Le système négligeait la convergence, au sein de Ira et à sa proximité de lutte, entre les Haratine et progressistes négro-africains et Maures qui reconnaissent la nécessité de la cohabitation dans la seule justice, pas en dehors.

Plusieurs partis politiques et organisations ont condamné cet acte de répression ; des organisations et des partis d'opposition semblent timides, d’autres ont peur de se démarquerde la ligne de l’extrême droite pour des raisons de clientélisme ; tous ménagent le courant raciste parmi les partisans circonstanciels du Général-président OuldAbdel Aziz ; je n’ai pas besoin de souligner le danger, d’une telle situation, sur la stabilité de la Mauritanie.

Journal Nouakchott: Mais où est le problème si l’Etat déporte des citoyens d’un lieu pour leur donner des terrains ailleurs?

Biram Dah Abeid:  En réalité les autorités souhaitaient chasser les résidents afin d’accorder l’usage du terrain à son propriétaire présumé. C’est seulement après le scandale d'une forte résistance de la population, qu’il a été annoncé le replacement vers d’autres parcelles. Il s’agit juste d’un mensonge bricolé, en urgence, de façon improvisée, sans fondement, comme l’accusation portée contre IRA. Sans doute vous avez suivi le jeu de farce diffusé par la télévision d'Etat où de prétendus habitants disent tout le bien du pouvoir et dénigrent l’IRA, lui imputant des actes de violence envers les policiers.

Le porte-parole officiel du gouvernement, ainsi que le gouverneur de Nouakchott Ouest, ont identifié, par leurs noms cinq personnes de IRA parmi les prétendus responsables des affrontements ; or, l’arrestation de ces personnes s’est passé dans leurs maisons et non sur le lieu de l'incident ; certains d'entre eux ne connaissaient même pas le théâtre des heurts.

Plus de 40 personnes, tous résidents du quartier, sont toujours en garde à vue. Si nous supposons IRA meneuse du mouvement, pourquoi arrêter des dizaines d'habitants? Ils sont détenus ou exactement ?  Ou est ce que nos camarades de IRA purgent leur enlèvement?


La pièce théâtrale sur la distribution de terrains aux déportés et leur exposition en train de chanter l’éloge de l’Etat, tout cela relève un montage trompeur. La réalité est qu’ils ont été déportés et expulsés, dans l’improvisation,vers un espace appartenant à d'autres citoyens dans le quartier "Dubai" ; ces derniers les ont été rejeté. In fine,l'Etat a été obligé à les ramener à une autre zone éloignée ou les conditions élémentaires de la vie manquent.


La réalité profonde est que IRA n'a pas peur des arrestations. Nous n’avons pas peur des racistes et des esclavagistes. Nous restons attachés á notre lutte pacifique et notre combat est contre un régime raciste, contre une police raciste, contre une presse raciste et des érudits racistes, alors nous n’avons aucun problème avec les autres.

Nous savons que les maures de l’extrême droite prennent Ould Abdel Aziz  en otage pour lui dicter la conduite et le comportement propices à la sauvegarde des intérêts et privilèges acquis, de  naissance.

Nous tendons la main aux maures démocrates et progressistes, et leur demandons de dire la vérité. Certains, rares hélas, nous accompagnent, depuis le début ; d’autres hésitent, avancent, reculent, tergiversent.


Tout le monde doit être conscient que Biram Dah Abeid ne peut pas être séparé des Maures, ni des Noirs, et non plus de la communauté internationale. En plus il demeure attaché aux citoyens bienveillants, équitables et justes parmi les Harratines, les Maures et les Négro-africains.

En conclusion, je dis aux militants emprisonnés : Patientez et méditez l’histoire des luttes de libération : votre destin est la victoire.


Entretien : Mrabih Ould Dedda

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