Mauritanie :
Faillite de la République islamique ?
La Mauritanie est un des rare pays au monde à
porter le qualificatif de République Islamique comme le stipule le préambule de
la Constitution et qui fait de l’Islam la seule source du droit. Ce qui aurait
pu constitué le ciment d’une cohabitation harmonieuse entre l’ensemble des
communautés mauritaniennes fut, dès le départ, l’objet d’une forte
instrumentalisation par les dirigeants du pays et des groupuscules qui se
croient investis d’une mission divine.
Si l’État se devait d’être le garant de
l’Islam en veillant à respecter son essence et ses fondements pour l’émergence
d’une société égalitaire et fraternelle : « En Mauritanie,
l’investissement du champ religieux par l’État est une forme
d’instrumentalisation de l’Islam. De la même manière les islamistes instrumentalisent
l’islam pour investir le champ politique »1. Aujourd’hui s’il y a une telle
effervescence, il ne s’agit pas d’une remise en cause de l’Islam, mais de la
manière dont il est mis en œuvre en Mauritanie.
L’Islam et la gestion du pouvoir
Il est généralement admis que le prophète
(PSL) a bâti la nation islamique autour de l’amour en Dieu. On rapporte à cet
effet, qu’il (PSL) posa la question suivante à ses compagnons « quelle est
l’anse la plus solide en Islam ? Ces derniers après avoir répondu que
c’était la prière, la zakat, le jihad ; c’est certes important répondait-il
à chaque fois, mais telle n’est pas la réponse. En effet, selon le prophète
(PSL) l’anse la plus solide de la foi (préférant utiliser le terme foi dans sa
réponse au lieu d’Islam) c’est l’amour en Dieu. L’Islam nous apprend donc avoir
un cœur sain dépouillé de toute haine et de toute envie pour vivre en harmonie.
C’est autour de ce principe que la cité islamique a été gérée et a pu rayonner.
Ainsi, le prophète Mohamed (PSL) en tant que dirigeant de la cité avait, à cet
effet, une mission politique. Cette gestion a été faite sur la base de la loi
d’Allah (SWT). Il était question de rendre la justice, de promouvoir l’égalité
entre tous les êtres humains, de donner la juste mesure, de nourrir le pauvre,
de s’occuper de l’orphelin, d’aider le voyageur en détresse. Dès lors, du
moment qu’on continue à raisonner selon son appartenance à une tribu, une
langue, une ethnie quelconque, on n’est pas sorti de l’obscurantisme. Le débat
devrait donc se situer au niveau de la meilleure manière d’exercer le pouvoir
et non pas justifier des injustices au nom de l’Islam.
Aujourd’hui, on assiste à une remise en cause
de ces principes fondamentaux par ceux-là même qui prétendent défendre les
valeurs de l’Islam préférant les conforts de la vie d’ici bas en gardant
jalousement les privilèges octroyés par le pouvoir politique pour asseoir sa
légitimité. Mahiou Ahmed fait remarquer à cet effet que : « la cité
islamique se présente comme un tout, avec un aspect totalitaire où se
confondent la religion, la société et l’État ; dès lors qu’un Etat est
proclamé islamique, il dispose de tous les pouvoirs pour l’application de la Sharia et aucune norme ne peut venir s’y opposer,
notamment celles qui se fondent sur les droits de l’homme »2.
Cette toute puissance de l’État conduit
inexorablement à des dérives comme il est relativement aisé de le constater
actuellement. Or, cet État devait répondre de manière équitable à tout problème
entre le croyant et le détenteur de l’autorité. De plus, il est supposé
répondre à tous les besoins individuels et collectifs de la communauté des
croyants. Mais l’État islamique, dans sa forme actuelle, a failli à cette
mission qui lui traditionnellement dévolue. Cependant, toute tentative de
réflexion sérieuse et sereine s’est heurtée à des refus, des récusations, des
censures, des menaces et des risques pour ceux qui s’y engagent. Ces États,
aidés en cela par les groupuscules islamistes, s’opposent à tout effort nouveau
de réflexion et d’interprétation sur les rapports entre la religion, le droit
et l’État.
La Mauritanie apparaît comme l’un des
exemples les plus édifiants de cette problématique. L’affaire Mohamed OULD
MKHEITIR en est une parfaite illustration. En mettant l’accent sur la
discrimination en raison de son appartenance à la catégorie sociale des
forgerons par l’instrumentalisation de la religion, il s’est attiré les foudres
de tous les obscurantistes du pays.
Ces derniers se présentent comme des
justiciers et ont donné en pâture un homme dont le seul tord a été de mettre en
lumière une discrimination contraire au respect de la dignité de la personne
humaine En effet, il s’agit d’annihiler et d’inhiber tout effort de réflexion
pour maintenir le statut quo. Cette situation renforce le pouvoir de ceux qui
détiennent l’autorité politique et fait les affaires des prétendus oulémas qui
y trouvent leur compte.
Ainsi, pour les partisans de l’État
islamique, la raison d’être de celui-ci est de s’assurer de la mise en œuvre
des recommandations des pseudos oulémas dont les interprétations sont entachées
d’une forte partialité. Or, l’être humain a été pourvu de l’esprit critique
pour pouvoir apprécier par lui-même ce à quoi il croit. Cette situation a
favorisé la réduction d’une grande partie de la population mauritanienne à
l’esclavage et a empêché beaucoup d’autres à accéder un certain nombre de
responsabilités.
Quelle forme de
gouvernement ?
Selon la thèse qui a été défendue par le
penseur égyptien Ali Abderraziq dans son ouvrage intitulé l’Islam et les
fondements du pouvoir, rapporté par Ahmed Mahiou, rien n’empêche les musulmans
d’édifier leur État ou système de gouvernement sur la base des dernières
créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a
été prouvée, ceux que l’expérience des nations a désignés comme étant parmi les
meilleurs. En effet, à travers cet ouvrage, il tentait de démontrer que l’Islam
ne consacre pas d’organisation particulière du pouvoir, qu’il n’y a pas de
constitution politique explicite découlant du Coran et que celui-ci est plutôt
indifférent à la forme du pouvoir politique.
Pour sa part, le soudanais Mahmoud Muhamad
Taha estime que la plupart des légistes musulmans omettent ou négligent une
période de l’Islam dont les règles sont autrement plus riches et
représentatives de l’apport de la civilisation musulmane : le fondement
principal de celle-ci est l’égalité entre les individus sur le plan économique,
politique et social et c’est donc à la lumière de ce fondement qu’il convient
de lire et d’appliquer les préceptes musulmans.
L’instrumentalisation dont l’Islam a pu faire
l’objet, en Mauritanie, devrait nous amener à nous poser des questions sur les
fondements du pouvoir dans le pays. Si les détenteurs de l’autorité politiques
rappellent à qui veut l’entendre que la Mauritanie n’était pas un pays laïc
mais une République Islamique, force est de constater que leur gestion du
pouvoir ne se fonde pas sur les recommandations de l’Islam.
A cet effet, un grand effort de réflexion
doit être mené pour réformer en profondeur l’Islam mauritanien pour être
harmonie avec ses principes fondamentaux. Car, aujourd’hui le doute commence à
envahir le cœur de certains mauritaniens. Ainsi, cet effort de réflexion ne
doit pas être laissé à la seule appréciation des oulémas autoproclamés mais
nécessitera une large implication des citoyens. A défaut, la laïcité restera la
seule alternative.
La discrimination, l’exclusion, la pauvreté,
la corruption sont les maux avec lesquels les mauritaniens cohabitent dans leur
quotidien pendant que les politiques et les religieux se la coulent douce dans
des villas et des voitures de luxe. Elle est où la fraternité que l’Islam
recommande à l’ensemble des croyants. Pendant que les inondations faisaient des
dégâts et détruisaient des années d’efforts des populations ; pendant
qu’on niait l’humanité d’une grande partie la population, l’État les a t-elles
assistées ? Les religieux se sont-ils déplacés pour apporter du réconfort
à leurs frères ? Ne dit-on pas que tous les musulmans sont des
frères ? En effet, le principal problème du mauritanien est l’hypocrisie
et l’Islam d’exhibition. Or, les hypocrites brûleront dans les abymes de
l’enfer. Y a-t-il quelqu’un pour rappeler cela aux dirigeants et aux religieux
mauritaniens ?
La rédaction du
flere.fr
1
OULD CIRE Mohamed Yahya, L’abolition de l’esclavage en Mauritanie et les difficultés
de son application, thèse de doctorat en science politique, Université
Panthéon-Assas, 2005-2006, Paris, p.344.
2
MAHIOU Ahmed, La charte arabe des droits de l’homme, In, Travaux et Jours, Université Saint -Joseph de Beyrouth, n°
80, printemps-été 2008, pp. 209-237.
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