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dimanche 5 juillet 2015

Une journée avec Birame Dah Abeid et Brahim Bilal Ramadhan

Samedi 4 juillet 2015, 17ème jour du mois de Ramadan de l’An 1436 de l’Hégire. Il est 10 heures et la ville d’Aleg, 250 kilomètres à l’Est de Nouakchott sur la route de l’Espoir, est chauffée à blanc par une forte canicule. La forteresse prison d’Aleg apparaît dans toute sa hideuse structure. Un grand rectangle ocre aux formes peu gracieuses, surplombé par quatre miradors. Située dans un no man’s land au Sud de la ville, la prison achevée en 2011, borde le plus grand squat d’Aleg, une succession de hangars dépenaillés. Au loin, des sentinelles sont aux aguets, par delà l’énorme terrain dégagé que meubles quelques arbustes de Zelem aux ombres chiches. Quelques éléments de la garde nationale scrutent les nouveaux arrivants, le premier contingent de visiteurs fouetté par l’harmattan. La distance règlementaire à ne pas franchir, est à cinquante mètres environ de l’énorme portail d’entrée.

Dix minutes d’attente et aucun uniforme pour venir aux nouvelles. Dr.Khattri, légèrement énervé s’avança de quelques pas. «Ohé, quelqu’un peut-il venir nous faire rentrer ? Où est votre chef ? Il fait chaud là et on cuit sous le fourneau !» Aucune réponse. Il maugréa «ça alors, ils ne daignent même pas nous offrir une gentille petite réponse». Plus déterminé, il cria de nouveau «Quelqu’un peut-il nous faire rentrer, nous jeûnons, il fait chaud et cela fait vingt minutes que nous poirotons ici !» La sentinelle daigna enfin répondre «attendez, quelqu’un viendra vous prendre ! » Un garde enturbanné surgit et toisa la sentinelle, lui intima l’ordre de ne plus répondre. Devant le portail, quelques hommes en tenue s’affairent à ranger des ustensiles.
Probablement, des restes du Souhour de la veille. Je me tenais un peu à l’écart, en compagnie d’Ahmed Hamdi et de Mehdi. Le soleil tapait fort sur les crânes et le vent chaud entamait les peaux. Dr Khattri se calma un peu, puis revint à la charge «Ohé, vous l’enturbanné, vous pouvez quand même nous parler et nous dire ce qui se passe, vous savez que c’est un jour de visite et nous disposons d’autorisations signés par le juge ! » Silence radio de l’autre côté.

Les minutes s’égrènent. «Ils sont entrain de bouffer nos heures de visite. Ils devraient compenser dans pareil cas, mais en général à seize heures, ils mettent tout le monde dehors» commente Ahmed Hamdi de sa voix posée. Dr.Khattri tente une énième diversion, non sans murmurer «le brigadier chef essaye sur nous son autorité, c’est la nature humaine, chacun veut exercer sa portion de pouvoir». Puis, plus haut «Oh mon général, tu peux quand même avertir ton chef que nous sommes là !» La chaleur faisait ses ravages et aucune ombre derrière laquelle se réfugier. L’habitacle du véhicule, pas question ! Il avait pris l’allure d’un four crématoire. Pas question d’y trouver un salut.

Las de parler à des murs, Dr.Khattri, Ahmed et Mehdi s’adonnèrent à un jeu de boules. Ils ramassèrent quelques pierres rougeâtres et choisirent une plus petite à la couleur blanchâtre comme bouchon. L’image de ces grands gaillards s’amuser à jouer aux jeux de pétanques avec de vulgaires pierres ramassées à 45° à l’ombre et devant le portail de la prison d’Aleg, était loufoque et hallucinante. Je me contentais pour ma part de jouer aux arbitres. Plusieurs tours de jeux plus tard, le lieutenant de garde daigna enfin poindre du nez. Un jeunot blondin, une mèche rebelle battue par l’harmattan. Il dépassa Dr.Khattri, et se dirigea tout droit vers Ahmed qu’il connaissait. «Ahmed, si tu as passé la nuit à Aleg, tu dois savoir qu’il y a eu vent de sable et nous somme en train de nettoyer les allées ! Et dites à votre ami que ce n’est pas avec l’arrogance qu’on règle certains problèmes» Ahmed rétorqua, toujours avec son ton calme et conciliant «d’accord, mais vous auriez dû au moins envoyer quelqu’un pour nous expliquer ou nous faire entrer au moins dans la salle d’attente, vous savez qu’ici nous sommes exposés aux rayons ardents du soleil et vous savez aussi que les visites c’est à partir de 10 heures et il est 11 heures passés !» Le jeune lieutenant bredouilla de vagues excuses.

Dr.Khattri pas du tout content de cette méprise l’apostropha «comme ça vous m’ignorer pour venir vous plaindre à Ahmed… » S’en suivit quelques échanges peu affables entre les deux hommes, puis Ahmed coupa la joute : «dites-nous tout simplement à quelle heure nous pouvons revenir, car nous n’allons pas passer la journée ici». Le lieutenant l’interrompit «non c’est fini, vous allez entrer tout de suite ». Il se dirigea vers le portail. Deux minutes plus tard, un brigadier chef nous interpella de loin. Nous nous avançâmes avec nos autorisations de visite. Contrôle d’identité puis fouille au détecteur de métaux. Pas de téléphones, ni appareils photo, ni clés.

Enfin, on nous dirigea vers l’aile où sont détenus Birame et Brahim. «On les a transférés dans cette aile droite, elle est plus spacieuse, plus aérée et plus confortable » commente Ahmed. En franchissant le grand portail d’entrée de la prison d’Aleg, on traverse une vaste cour qui prend toute la longueur du terrain, puis se dresse un large bâtiment, scindé en deux de part et d’autre de l’administration pénitentiaire. Une autre porte s’ouvre, puis un petit couloir à l’air libre et enfin, le grand couloir sur lequel s’ouvre des dizaines de cellules. A droite, deux portes ouvertes, un large couloir transformé en vestibule et sur lequel s’ouvre la cellule où logent Birame et Bilal. La chambre est spacieuse et pourrait contenir au moins une centaine de personne en tout confort. «Toute la partie de ce bâtiment nous est réservée ! C’est notre Hôtel 5 étoiles» plaisante Brahim Bilal Ramadan, vêtu d’une légère Jallaba. Il a pris énormément de poids. Souriant, tout comme Birame, habillé lui d’un ensemble bleu, pantalon et chemise traditionnelle Pullar. Ils sont en belle forme et tout heureux de nous recevoir. Chaudes accolades, puis on s’installe dans la chambre où trône un téléviseur, seule fenêtre sur le monde extérieur. «Mettons-nous dans le couloir, c’est mieux !» lance Birame. Tapis, matelas et oreillers. Au moins, cinq gardes sont là, discrètement éparpillés dans le couloir. Le lieutenant, qui s’était excusé auprès du Dr.Khattri qu’il avait dépassé, prit un Coran, s’allongea un instant sur un matelas un peu plus loin. Puis, quelques minutes plus tard, il quitta le couloir, nous laissant en présence de quelques uns de ses éléments. La conversation roula sur les dernières infos. Brahim et Bilal voulaient tout savoir sur l’actualité fraîche.

Sur le dossier de leur Appel, Birame reste catégorique. «Nous ne comparaîtrons pas devant la cour d’Appel d’Aleg ! D’ailleurs, c’est ce que veut Aziz ! Il ne veut pas d’un second procès qui sera marqué par la présence d’avocats nationaux et étrangers, et super médiatisé. C’est pour l’éviter, qu’il a ordonné à la Cour Suprême de transférer notre dossier à Aleg, sachant que nous boycotterons. Et tant pis pour nous, comme ça, il pourra nous garder ici deux ans, en nous privant d’un droit d’Appel» Pour Birame, la cour Suprême n’a rien à voir dans le dossier à ce stade de la procédure et que tout ceci constitue une violation grave de la Constitution qui stipule que nul prévenu ne peut être soustrait à ses juges naturels. Or, selon lui, leur affaire relève de la Cour d’Appel de Nouakchott et que l’Etat peut les rejuger dans n’importe laquelle des trois Wilayas de Nouakchott, sinon dans les six Moughataas du Trarza ou à Akjoujt «Pourquoi Aleg ? » s’interroge-t-il de nouveau. Pour Brahim, «que l’affaire soit rejugée ici à Aleg signifie simplement que Mohamed Abdel Aziz veut confirmer les peines déjà prononcées et ne veut pas nous éloigner de la prison d’Aleg où il semble vouloir encore nous garder encore plus ». A la question de savoir si la décision de la cour Suprême peut être modifiée, Birame répond «pourquoi pas ? Ce n’est pas la cour Suprême qui a pris une telle décision mais c’est Aziz ! Alors, tout comme il a ordonné à cette cour de transférer notre dossier à Aleg, il pourra toujours lui demander de nous rejuger ailleurs ! La décision est politique et non juridique !»

Brahim confirme. Pour lui, la décision de les libérer ou de les garder relève de la seule humeur de Aziz. «Pour notre part, nous n’avons rien à perdre. On dort, on mange et on commence déjà à s’acclimater en prison. Si Aziz pense qu’il peut briser notre volonté et nous pousser à abdiquer, il se trompe. S’il pense nous faire souffrir en nous mettant en détention, lui aussi il n’est pas tranquille, car il vit sous la pression internationale ; alors, qu’il essaye de minimiser en tenant le coup, il faudra quand même un terme à tout ce cirque » commente Birame. Lui et Brahim disent qu’ils ne demanderont ni grâce ni liberté provisoire et qu’ils sont dans un bras-de-fer avec un tyran qui torpille les lois dans sa lutte contre ses adversaires politiques «Et puis, il faut mettre fin à cette tendance de caporaliser la justice en dispatchant les prévenus au gré de ses humeurs loin de leurs juridictions naturelles » entonna-t-il.

La conversation a roulé également sur le cas Djiby Sow, mais aussi sur le plan jugé diabolique concocté par les Renseignements généraux et qui consiste à créer ce qu’ils appellent «IRA Maure » dirigé par Ould Ahmed Aîcha. «Ils reconnaissent que l’organisation menée par Ould Ahmed Aïcha est raciste et extrémiste et ils pensent en faire un pendant à IRA. Ils oublient que notre organisation n’est ni extrémiste ni raciste ni violente aux yeux du droit international et qu’elle lutte pour une cause noble, l’éradication de l’esclavage et l’instauration d’un Etat égalitaire où tous les citoyens jouissent des mêmes droits et des mêmes privilèges; les médailles glanées par IRA sur le plan international l’attestent. Ils perdent leur temps et feraient mieux de chercher autre chose » s’insurgea Birame.

C’est tard dans la nuit que nous étions arrivés la veille à Aleg. Une longue traversée de la cité à demi endormie, puis la villa que loue Leïla Mint Ahmed, épouse du président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) Birame Dah Abeid. Là où un savoureux couscous agrémenté d’une belle tête d’agneau nous attendait. Le reste de la nuit se perdra entre causeries et souvenirs de combats remportés sur le terrain de l’action antiesclavagiste. Khattry, Abidine, Cheikh Ould Vall, avaient meublé la causerie jusqu’à l’aube, alors que la maîtresse de maison faisait de son mieux pour installer tout son monde comme elle pouvait. Obligée de revenir chez les siens à Nouakchott le temps de mettre au monde une superbe fille baptisée NIDAL ou «Le Combat» par certains partisans, Leïla était vite revenue auprès de son mari. Tous les repas de Birame et de Bilal sont préparés à partir de ce promontoire de la résistance, là où Leïla veille, à côté de ses activités quotidiennes d’épouse fidèle, à accueillir les nombreux visiteurs qui débarquent trois fois par semaine pour rencontrer son mari, et son compagnon, Brahim Bilal Ramadan. Les deux hommes entament leur sixième mois à la prison d’Aleg, après en avoir passé deux autres, entre novembre 2014 et janvier 2015 à la prison de Rosso.





Cheikh Aïdara /Facebook 

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