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vendredi 18 octobre 2013

Le parti des esclaves interdit d’élections



Officiellement interdit, l’esclavage est encore une réalité pour 20 % de la population mauritanienne.

Mauritanie : Plusieurs fois remises depuis deux ans, les élections municipales et législatives en Mauritanie sont maintenant annoncées pour le 23 novembre. Une partie de l’opposition, regroupée dans la Coordination de l’opposition démocratique (COD), en a annoncé le boycott, pour insuffisance de garanties démocratiques.
Mais il y a également des pans entiers de la société qui sont interdits d’y présenter des candidats : les esclaves (20 % des 3,5 millions de Mauritaniens) et les descendants d’affranchis (20 à 30 %). Le parti qui défend leurs droits, le RAG (Radicaux pour une Action globale) a en effet vu rejetée, en juin dernier, sa demande de reconnaissance officielle, "parce que, q uand ses statuts avaient été déposés, il y avait eu une forte mobilisation en sa faveur", indique à "La Libre Belgique" Biram Dah Abeid, président de l’ONG de lutte contre l’esclavage et contre l’exclusion des descendants d’esclaves "Initiative de la Résurgence antiesclavagiste" (IRA, non reconnue par l’État). Pire : "Ils ont ensuite également interdit les candidats indépendants, afin que nous ne puissions nous présenter sous cette étiquette aux scrutins."
Peine de mort
M. Abeid est en liberté provisoire et passible de la peine de mort pour avoir brûlé publiquement, en 2012, un exemplaire de "l’Abrégé", code rédigé au IXe siècle qui a, en Mauritanie, valeur de charia - source de la loi - et qui justifie l’esclavage. Des milliers de Mauritaniens, choqués de voir que la COD appuyait "l’Abrégé" et les poursuites contre M. Abeid pour apostasie, atteinte aux préceptes de l’islam et à la sécurité de l’État, ont voulu que son ONG crée un parti anti-esclavagiste.
Ce dernier, le RAG, porte un nom à double sens, explique M. Abeid. "Chez nous, "rag" désigne la place, au centre des villages arabo-berbères, où les esclaves se rassemblent, la nuit, quand ils ont fini leur travail - car ils ne sont libres de leurs mouvements que quand leur maître dort. C’est là que, de minuit à l’aube, ils bavardent, chantent, jouent à la lutte, se font la cour… Et c’est dégradant, pour un Arabo-Berbère, de s’y rendre et de se mélanger à nous", poursuit le militant, lui-même fils d’affranchi.
Interdits, le parti RAG et l’ONG IRA font quand même campagne - "l’ANC de Mandela n’a-t-il pas été interdit durant 80 ans ?", souligne notre interlocuteur dans un sourire - en faveur du boycott des élections "puisqu’on refuse à des personnes et des groupes porteurs d’idées de participer à la compétition". Jusqu’ici, les rassemblements qu’organisent les militants anti-esclavagistes "sont tolérés. Nous pensons que le pouvoir réfléchit à la manière de réprimer parce qu’il ne veut pas que l’opinion internationale voie la répression".
Officiellement, en effet, l’esclavage est criminel en Mauritanie : une loi de 2007 punit de 5 à 10 ans de prison ceux qui le pratiquent. Mais elle n’a été appliquée qu’une fois en six ans, tandis que les militants anti-esclavagistes sont régulièrement l’objet de sanctions.
Une des raisons du retard des élections est, d’ailleurs, l’explosion des tensions raciales provoquée par le recensement électoral en 2011.
Marie-France Cros  

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