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mardi 17 mars 2015

Maître Alice Bullard : Avocats intimidés, Ould Mkhaitir sans défense


Maître Alice Bullard : Avocats intimidés, Ould Mkhaitir sans défense Adrar-Info - Mohamed Ould Mohamed Ould Mkhaitir a à nouveau perdu ses avocats. Intimidés par les islamistes locaux et craignant pour leurs vies, Maître Youssef Niane et Maître Mohamed Mahmouba ont renoncé il y a quelques semaines à défendre leur client passible de la peine de mort pour apostasie.

Le premier avocat d’Ould Mkhaitir, Maître Icheddou, avait déjà renoncé à le défendre après avoir reçu des menaces contre lui-même, sa famille et son cabinet. Une tentative pour trouver des avocats commis d’office a échoué. Finalement Maître Niane et Maître Mahmouba avait été embauché par le père d’Ould Mkhaitir contre la promesse d’appointements confortables.

Maintenant que les deux avocats ont été poussés à quitter leur client, et sans aucun avocat en Mauritanie susceptible de reprendre l’affaire, la famille recherche au Maroc un avocat versé dans la loi islamique. Mais pour l’instant, le jeune accusé qui risque la peine de mort n’a aucun avocat pour le défendre.

Le 13 janvier 2015, je suis arrivée à Nouadhibou avec l’espoir de rencontrer Ould Mkhaitir. Mais c’était sans compter avec le procureur en charge du dossier qui n’a pas accepté qu’une avocate des droits humains américaine puisse avoir accès au prisonnier.

Pour autant, j’ai pu passer la journée avec ses avocats et entendre leur récit du procès et de la sentence porté à l’encontre d’Ould Mkhaitir. Le procès en lui-même a été très court, il s’est déroulé durant la journée du 23 décembre 2014, et le lendemain, la sentence de mort était déjà requise. Ould Mkhaitir s’est évanoui à l’énoncé du verdict. Les avocats de la défense étaient abasourdis et consternés.

Ils avaient préparé leur client à une peine de 2 ans de prison, la peine maximale pour un apostat reconnaissant son apostasie. Durant le procès, la partie civile avait uniquement parlé d’apostasie, mais caché au sein du code pénal mauritanien, on trouve également le crime de zendegha, ou d’hypocrisie. Un hypocrite est celui qui après avoir commis le crime d’apostasie, s’en repent, mais d’une manière non sincère.

La peine encourue pour ce crime de zendegha est la mort, et c’est sur cette base que la sentence de mort à l’encontre d’Ould Mkhaitir a été prononcée. Dans tous les cas, la manière dont on juge de l’absence de sincérité d’un repenti est peu claire. Certains érudits du droit islamique, comme Abdullahi Anaim, souligne la puissante tradition qui veut que la vérité dans le cœur des hommes soit laissée au jugement de Dieu.

Le Coran lui-même ne requiert pas des peines terrestres à l’encontre des apostats. Une condamnation pour hypocrisie semble reposer sur une base encore moins solide. Une fois que quelqu’un est accusé d’hypocrisie, il lui est virtuellement impossible de réfuter l’accusation. Et pour ceux qui sont prédisposé à croire à l’hypocrisie d’untel, il est virtuellement impossible de les convaincre du contraire.

Dans ce procès expéditif, les deux défenseurs et leur infortuné client faisaient face à deux procureurs flanqués de sept avocats des parties civiles représentant les organisations islamiques “les amis du prophète” et « La Ligue des Oulemas”. Huit autres avocats d’organisations islamiques étaient assis derrière le banc ; ils étaient là également pour plaider contre Ould Mkhaitir, mais la cour décida qu’avec sept parties civiles cela suffisait.

L’Etat mauritanien refuse généralement aux organisations des droits de l’homme de participer à des procès, les organisations islamiques ont pu bénéficier d’une exception à cette règle. La foule nombreuse qui débordait la salle d’audience était furieusement hostile à la défense. A un moment une bouteille fut lancée vers les avocats de la défense.

Sur la place, à l’extérieur, une foule encore plus nombreuse attendait la condamnation d’Ould Mkhaitir. Le premier jour du procès un nouveau juge, l’assesseur Mohamed Ould Boubar, qui n’avait pas participé aux premières étapes du procès contre Ould Mkhaitir, rejoignit le jury. L’un des avocats de la défense, Maitre Niane, me raconta que c’était comme s’ils étaient tombés dans un piège.

L’assesseur, envoyé spécialement de Nouakchott, était un hartani totalement complexé car désavouant l’héritage de l’esclavage, doté d’un ego impressionnant et souvent hostile ou insolent. Maïtre Niane expliqua que cet hartani avait été placé là à cause de ses ancêtres, pour être à la fois le signe de la diversité et le défenseur des hiérarchies statutaires.

Il était des Lemtouna, mais hartani, et il avait bénéficié de certaines faveurs (comme celles de suivre une carrière de magistrat) tout en étant soumis à la volonté de sa tribu. Un chef des Lemtouna, ma

gistrat à Nouakchott, avait été le mentor d’Ould Boubar durant sa carrière. Ce procès pour apostasie tranche fortement avec un autre procès sur les droits humains qui a eu lieu en même temps à Rosso en Mauritanie. Ce procès de militants anti-esclavagistes, membres de l’IRA, et impliquant une personne de l’association Kawtal, avait attiré une foule manifestant bruyamment son soutien aux inculpés.

L’ordre des avocats mauritanien avait rassemblé une équipe bénévole de quarante avocats de la défense. Au cours des auditions qui se sont étalés sur une semaine, environ vingt-cinq avocats de la défense ont présenté des arguments solides en faveur des militants anti-esclavagistes.

Face à une sentence maximale de 5 ans de prison et de 5 ans de suspension des droits civils, le verdict, bien que décevant, se conclut néanmoins par l’acquittement de 7 accusés, et une peine de deux ans de prison pour trois autres, Biram Dah Abeid, Brahim Bilal Ramdane et Djiby Sow.

Cette condamnation d’Abeid, de Ramdane et de Sow a été unanimement dénoncée comme une politisation du processus judiciaire. Au contraire dans le procès d’Ould Mkhaitir on a assisté à une sacralisation de ce processus, et bien sûr la religion constitue une forme différente de réaction, en contraste profond avec l’ancienne culture de tolérance en Mauritanie.

Dans le procès contre Ould Mkhaitir, des avocats talentueux qui auraient pu plaider en sa faveur étaient trop effrayés pour s’engager à ses côtés. Certaines organisations des droits humains en Mauritanie ont soutenu la défense d’Ould Mkhaitir, en particulier l’IRA et l’Association Femmes Chefs de Familles (AFCF) d’Aminetou Ely. En réponse, Yehdhih Ould Dahi, le président des « Amis du Prophète » a lancé une fatwa autorisant son meurtre pour soutien à l’apostasie. Le 6 juin 2014, Ely a poursuivi Dahi pour ses menaces de mort, mais son cas a été débouté par la cour.

L’organisation d’Aminetou a envoyé un observateur au procès, il m’a raconté comment Ould Mkhaitir a demandé pardon en réponse aux questions posées par le président de la cour, tout en maintenant sa conviction en faveur de la liberté, de l’égalité et de la liberté d’expression. Le juge a répondu en disant qu’il devait trouver ses valeurs au sein de l’islam et non en dehors de lui.

Suivant l’observateur de l’AFCF, le procureur énerva l’audience en lisant à haute voix les écrits d’Ould Mkhaitir. Son argument central était que l’islam tolérait le racisme et que la religion devait être purifiée de cette souillure.

En attaquant le système des castes et la hiérarchie en Mauritanie Ould Mkhaitir prenait le risque d’affronter les puissants, mais son argument le plus osé était que le racisme existait même à l’époque du prophète parce qu’il avait choisi d’accorder son pardon à certains de ses ennemies, une fois convertis, mais pas à d’autres.
Ould Mkhaitir voit une distinction raciale entre ceux qui sont pardonnés, une fois convertis, et ceux qui ne le sont pas, même après leur conversion. Alors que la foule réclamait à grands cris son exécution, Ould Mkhaitir protesta que le procureur agissait comme un marabout et non comme un homme de loi.

Oui, je suis un marabout, déclara le procureur, je n’ai jamais nié cela. Des passages de la page Facebook d’Ould Mkhaitir – remontant à 2010 – alimentèrent les arguments des avocats islamistes. Ces messages paraissaient difficilement incriminant, mais les islamistes transformèrent en apostasie des affirmations comme : « je veux de Dieu plus qu’il m’a donné » et « quand un enfant nait, cela montre que Dieu continue à croire en l’humanité ».
Le président du Tribunal dit à Ould Mkhaitir que le problème sur lequel il avait écrit – le racisme en Mauritanie et particulièrement le racisme dont souffraient les maallemin – était seulement dans sa tête. « Pourquoi pouvez-vous dire que ces problèmes existent » demanda le juge « tous les gens que vous essayez de rassembler pour réclamer leurs droits vous ont abandonné ».

Les avocats de la défense se concentrèrent uniquement sur le fait qu’Ould Mkhaitir s’était repenti et ils ont formulé leur défense comme une simple demande de pardon. Tout autre approche, comme ils me le confièrent, aurait risqué d’enrager la foule qui se pressait dans la salle d’audience et sur la gigantesque place à l’extérieur du tribunal.

Les avocats de la défense s’appliquaient à ne pas envenimer la tension, sentant que cela ferait le jeu des islamistes en leur donnant des justifications pour un lynchage ou pire. Cette intimidation les conduisit à produire une brève argumentation mais qui domina celle des islamistes à propos de la page Facebook.

Suivant Niane and Mahmouba ses anciens avocats, Ould Mkhaitir ne défendait rien de radical dans sa page ; pour eux, il s’agissait juste des idées d’un jeune homme pour améliorer sa société. Pourtant le jugement d’hypocrisie reposait au moins en partie sur les interprétations des islamistes de cette page Facebook.

En effet, il est extrêmement difficile de croire qu’une personne peut être condamnée à mort pour de telles affirmations. De plus, personne en Mauritanie n’a jamais été poursuivi pour apostasie, et encore moins reconnu coupable et condamné à mort pour ce crime de conscience.

Un précédent notable, celui au cours duquel Biram Dah Abeid a été accusé d’apostasie après avoir brûlé les livres de jurisprudence Malikite ne reconnaissant ni l’esclavage ni l’oppression des femmes, s’est soldé par l’abandon des poursuites. Aucun procès à l’encontre de M. Abeid n’a jamais eu lieu et le consensus s’est rapidement dégagé sur le fait que ses actes ne faisaient pas de lui un apostat.

Le cas d’Ould Mkhaitir démontre que le pays a pris un tournant brutal loin de sa tradition Islamique Malikite de tolérance et de coexistence pacifique. Les questions juridiques qui pourraient être utilement être soulevées en appel comprennent la réclamation par Maitre Icheddou, le premier avocat d’Ould Mkhaitir, du fait que son client s’était repenti et avait présenté des excuses suite à son article de blog prétendument blasphématoire.

Ceci devrait fonder une peine maximale de deux ans de prison. Cependant, l’enregistrement de cette excuse a été confisqué par la police et n’a pas refait la surface De plus, la police et les procureurs ont commis une sérieuse erreur légale en n’invitant pas Ouldb Mkhaitir à abjurer son apostasie. Selon l’article 306 du code pénal n’importe quel musulman coupable du crime d’apostasie doit être invité à se repentir dans les trois jours. Une telle invitation n’a jamais été faite à Ould Mkhaitir.

La crainte qui a saisi la Mauritanie, y compris la communauté légale, par rapport à ce cas est en train de se calmer. La communauté des droits de l’homme doit relever ce défi. Frontalement.

Maître Alice Bullard (J.D., Ph.D.) Avocate et historienne, Washington

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