Translate

jeudi 17 juin 2010

Interview de Biram Dah Ould Abeid avec La Nouvelle Expression

Biram Dah Ould Abeid, Président de IRA et Chargé de Mission de SOS-Esclaves, est un homme engagé pour la cause des droits humains. Iconoclaste, partisan d'un discours en rupture totale avec le conformisme et la langue de bois, Ould Abeid, égal à lui-même, nous parle de son combat et fait une analyse sans concession de la situation du pays.

La Nouvelle Expression : IRA-Mauritanie vient d’élire son Bureau Exécutif. Allez-vous demander la reconnaissance de votre organisation aux autorités politiques?

Biram Dah Abeid : IRA-Mauritanie a été dotée depuis toujours et à sa naissance d’instances dirigeantes, bien que pas très visibles et affichées, pour des motifs de stratégie et d’autres raisons tactiques et sécuritaires inhérentes à toute action de contestation visant un objectif sérieux dans ce pays. Mais il est vrai que la restructuration du Bureau Exécutif, en ce moment et de cette manière, doit répondre à plusieurs impératifs que vous pouvez imaginer, car IRA a subi des obstructions, diabolisations et interdictions, et focalise, plus que toute autre formation politique ou civile, l’ire des pouvoirs publiques et des groupes dominants qui en sont les détenteurs. Cette restructuration permet donc de libérer certains militants de valeur des occupations bureaucratiques pour un travail de terrain et d’arrière-garde, tout en propulsant à l’avant-garde des hommes et des femmes d’expérience pouvant porter le message de IRA au sein des forums et médias nationaux et internationaux.

Mais, reconnaissance ou pas de IRA, ce qui est sûr, c’est que la pseudo-démocratie mauritanienne sera mise à rude épreuve car reconnaître notre organisation c’est, à coup sûr, permettre à beaucoup de jeunes hommes et de jeunes femmes mauritaniens dotés d’un enthousiasme et d’un engagement sans précédant de matérialiser le courant d’idées et de masses auquel nous ne cessons d’appeler, courant qui aboutira à l’abolition des privilèges illicites d’une élite d’une communauté au détriment des autres et à la déconstruction idéologique et religieuse des mentalités esclavagistes et des préjugés ethniques ainsi qu’à la subversion des coutumes et rapports sociaux obscurantistes et inégalitaires; toutes ces tares qui continuent de pérenniser les misères des franges les plus larges de la population mauritanienne : les Hratin (esclaves et anciens esclaves de Mauritanie), les ethnies noires (Peulh, Soninké, Wolof, Bambara) et autres castes qui gémissent jusqu’à nos jours sous les lois inhumaines de la préférence raciale, ethnique, de langue ou de naissance.

Le refus de reconnaissance, tel que nous allons y réagir, sera une occasion pour les plus optimistes des partenaires internationaux de la Mauritanie, de se rendre à l’évidence que la Mauritanie est dirigée par un système minoritaire et anti-démocratique, usant de la supercherie et de la désinformation pour donner le semblant d’une image d’Etat démocratique; or, cette démocratie de forme, réfractaire, sur toutes les lignes, à l’esprit et à la lettre de l’Etat de droit, limite clairement, dans ses pratiques, ses garde-fou et ses tabous, le seuil d’idées et d’actions de toute organisation politique ou civile à vocation progressiste.

La Nouvelle Expression : Le jeudi 3 juin 2010, IRA-Mauritanie a organisé une soirée artistique et festive dans le stade de Sebkha à Nouakchott. Les journaux qui ont rapporté l’information ont parlé d’un assagissement de l’IRA; qu’en est il?

B.D.A. : Dans le cadre du plan d’action de la Commission culturelle d’IRA, l’accent a été mis sur la nécessité pour l’Organisation d’agir envers les couches sociales et composantes ethniques et sociales interdites d’antenne à la radio et la télévision mauritaniennes et leurs artistes exclus par le Ministère de la Culture des activités et subventions de ce Département. Cette politique sectaire d’exhibitionnisme de la culture et des arts de la communauté arabo-berbère parallèlement à un acharnement officiel visant à confiner les cultures et artistes des autres groupes nationaux dans l’invisibilité totale, relève du plan général qui, depuis la naissance de la Mauritanie, tente d’assoir l’hégémonie d’une minorité sur les autres. Et cette tendance n’a pas empêché de mettre au banc les rares intellectuels et artistes d’origine arabo-berbère qui ont eu le courage d’émettre des idées peu conformistes. IRA a tendu la main à tous ces exclus et est entrain de s’engager avec eux dans une action de développement des arts et cultures au service de la citoyenneté, et pour découvrir et mettre en orbite des talents; ces talents qui vont aussi, à travers le théâtre, la musique, la poésie et la peinture, se mettre au service de la cause de la citoyenneté qui est celle de IRA.

Et au cours de cette soirée à laquelle je n’étais pas présent, le président de la Commission de la Communication, Mohamed Vall Ould Sidi Moyla, a fait le discours que certains journaux et sites ont repris; je n’y vois pas de changement d’attitude ou d’orientation de notre Organisation, comme je ne trouve pas qu’elle manquait de sagesse, pour qu’elle ait besoin de s’assagir. IRA est toujours égale à elle-même : nous appelons les choses par leur nom contrairement à tous les autres; pour nous, il y a en Mauritanie des Arabes et des Berbères, bien qu’ils ne font qu’un seul groupe maintenant et au détriment de la culture et de l’histoire de celui des deux groupes le plus nombreux : les Berbères. Pour nous encore, les Hratin représentent, au moins, plus de la moitié de la population totale de Mauritanie, ils ne sont pas arabes et leurs liens avec les groupes arabo-berbères ne sont que des liens d’esclavage et de dépendances quasi-similaires à l’esclavage; nous considérons que la société et l’Etat mauritaniens sont bâtis sur une idéologie et une gouvernance racistes et esclavagistes; nous considérons que, depuis la naissance de ce pays, les pouvoirs publics, qui sont en vérité des pouvoirs ethniques, ont assurés et assurent toujours l’impunité et la soustraction totale à la loi de tous les crimes et délits de racisme et d’esclavage qu’un arabo-berbère a commis ou peut commettre contre un Noir ou un Hartani; nous considérons que la version locale et officielle du code de droit musulman malékite est bien travestie parce que bien cadrée au code d’esclavage et de castification sociale et les ulémas qui sont l’incarnation nationale de l’Islam sont corrompus au vu et au su de tous et n’ont jamais, de mémoire de Mauritanien, désavoué une injustice, ni en leur nom personnel, ni au nom de la religion qu’ils se targuent de représenter, parmi les nombreuses injustices qui s’abattent et qui se sont toujours abattues sur les groupes les plus humbles. C’est ça notre position depuis toujours et que nous considérons on ne peut plus sage parce que fondée sur une analyse fidèle et sans complaisance de certaines réalités qu’il faut indubitablement attaquer frontalement en vue d’une possible résolution avant qu’il ne soit trop tard. La sagesse n’est pas tourner en rond et se voiler la face, et ceux qui pensent qu’ils ont réussi quelque chose ou qu’ils vont le réussir parce que le pouvoir les intègrent ou les tolèrent doivent déchanter; la lutte, la véritable lutte, n’est pas la recherche de certificats de bonne conduite de la part des groupes dominants, qu’ils soient dans la majorité ou dans ce que vous appelez l’opposition.

La Nouvelle Expression : Pour les oulémas, on se souvient de la dénonciation de feu imam Bouddah Ould Bouceiry des tueries de 89 (événements), alors qu’actuellement nos leaders religieux font du problème palestinien un problème personnel. Qu’avez-vous à dire à ce propos?

B.D.A. : C’est vous qui affirmez ça; cette sortie de feu Bouddah contre les massacres des Noirs à Nouakchott, moi, ce que je sais, c’est que les massacres ont continué après 89 et se sont prolongés dans les casernes et dans les villes et villages de la Vallée. On n’a jamais vu cet imam ou un autre se dresser contre ce phénomène et ça ne l’a pas empêché de continuer à se la couler douce. Mais cet imam défunt a vécu comme esclavagiste, dans une société esclavagiste, il n’ jamais rien dénoncé de cet ignoble crime. Au contraire, moins d’une année avant sa mort, il est intervenu auprès des juges du tribunal de Nouakchott pour aider un de ses cousins à usurper la maison d’une vielle femme hartania (féminin de hartani ou ancien esclave); ces victimes hratin de Bouddah sont là, et ils courent toujours derrière leurs droits usurpés par les soins de cet imam. Je peux même vous aider à les rencontrer… Mais, je voudrais souligner ici, que les éléments soit disant progressistes parmi les Arabo-berbères, surtout les gauchistes et les islamistes, ont des positions assez bonnes contre le racisme d’Etat. Ils courent derrière une image d’internationalistes, mais concernant l’esclavage, ils sont les idéologues du déni et les principaux penseurs des croisades politiques et médiatiques antiabolitionnistes. Nous pouvons citer, en guise d’exemples : l’ex-Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, Isselmou Ould Abdel Kader, l’avocat Mohameden Ould Ichidou et tous les Salafistes qui se prétendent réformistes, sauf Ahmed Ould Wediaa et Jemil Ould Mansour. Et je voudrais souligner ici que l’engagement pour les droits des êtres humains est un tout indivisible; on ne peut pas lutter contre le racisme ici et se ranger du coté de l’esclavage là-bas et vouloir être reconnu comme défenseur des droits humains. C’est pourquoi, il est paradoxal que les avocats Mohameden Ould Ichidou et Yarba Ould Ahmed Saleh sont toujours cités par la presse d’ici comme défenseurs des droits humains alors que les victimes du servage et de l’esclavage dans la Sebkha d’Idjil et la commune de Lexeiba 2 ont ces deux hommes sur le dos depuis des années. Ces deux hommes n’ont jamais cessé de manipuler les juges et profiter de la vulnérabilités des Aghzazir et autres Hratin paysans de Lexeiba 2 pour leur imposer, par la loi, des redevances à caractère esclavagiste et de servage au profit de la féodalité Kunta Ehel Hemod et d’un autre suzerain, au Sud, Yacoub Ould Moussa Ould Cheikh Sidiya.

Quant à l’engagement, dont vous parlez, des ulémas mauritaniens pour la Palestine, je veux dire à ceux-ci qu’ils doivent s’engager d’abord pour eux-mêmes; ils doivent, en tant que religieux, avoir plus de dignité et un souci pour les plus humbles, ils ne doivent pas rivaliser avec les laudateurs de tous acabits devant les cours des princes. Ces gens, en bons et sincères musulmans, doivent d’abord se dresser contre l’esclavage et le racisme, deux phénomènes dans lesquels les ulémas de notre pays sont des actionnaires majoritaires, surtout en ce qui concerne l’esclavage. Pourquoi ne défendent-ils pas les Hratin contre l’esclavage et pratiques similaires, et qu’est ce qu’ils font, ou ont fait, contre le martyr des Noirs de Mauritanie? Qu’est ce qu’ils ont fait contre le génocide du peuple du Darfour? Donc, leur Islam à eux, est révélé seulement pour défendre les Arabes? Est-ce qu’on peut déduire de leur position de non solidarité avec les Hratin, eux et les autres nationalistes arabes, que les Hratin ne sont pas Arabes? Donc ils (les Noirs et les Hratin) sont dans la même loge que les Kurdes et les gens du Darfour? Mais après tout, je sais que vos ulémas diront le contraire de ce qu’ils disent maintenant sur la Palestine si le chef de l’Etat décide de rétablir les relations avec Israël; ils feront volte-face, comme ils le faisaient par le passé sous Ould Taya. Pour finir, je pose une question : quelle est la différence, selon l’Islam, entre l’esclavagisme, le racisme et le sionisme?

La Nouvelle Expression : Vous n’êtes pas de l’opposition, vous?

B.D.A. : Pour être clair, IRA est pour le moment une organisation apolitique, donc elle n’est affiliée à aucun parti, moins encore à un pôle ou bloc de partis, chacun de ses membres est libre de voter pour le parti de son choix, mais les fonctions dirigeantes dans les partis politiques sont incompatibles avec toute fonction dirigeante ou de représentativité dans IRA. Quant à moi, j’appuie politiquement le parti APP (Alliance Populaire Progressiste) qui me semble la formation politique la plus progressiste et cohérente, la plus proche des Mauritaniens, en général, et des franges déshéritées, en particulier. Mais, d’autre part, je sais que l’opposition et la majorité ne sont, en dernier ressort, que les deux factions d’un même système car, en dehors de Messoud, tous les protagonistes se valent : Ely Ould Mohamed Vall, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, Ahmed Ould Daddah, Mohamed Ould Abdel Aziz… tous ces gens ont travaillé, travaillent encore et travailleront pour renforcer l’hégémonie de la minorité arabo-berbère sur les autres communautés Hratin et nègro-mauritaniennes. Néanmoins, je concède à Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi un ascendant moral certain sur tous les autres. Mais, avec tout ce que les optimistes parmi nous veulent lui prêter, il n’a rien fait pour les communautés opprimées; la loi sur l’esclavage dont il se targue aurait pu être confectionnée sous n’importe quel Chef d’Etat parmi les candidats qui étaient en compétition en 2007. Et Sidi, en Zawi (masculin singulier de Zwaya qui est l’ordre de la noblesse du livre chez les Arabo-berbères) pur jus, fit passer la loi de la manière où elle profite seulement aux groupes esclavagistes, et à eux seuls car il n’a jamais accepté que la loi soit appliquée; il faisait parfois, en personne, obstruction à la loi quand il s’agit d’un cas d’esclavage. Pour lui, cette loi n’est pas destinée à l’application mais pour faire le change devant la communauté internationale et les bailleurs de fonds, et il a réussi.

La Nouvelle Expression : Et Ahmed Ould Daddah qui est le président en exercice de la COD (Coordination de l’Opposition Démocratique) en Mauritanie, chef de file de l’Opposition démocratique et président du plus grand parti d’opposition, le RFD (Rassemblement des Forces Démocratiques)?

B.D.A. : Opposition, opposition… mais, pour nous, opposition ne se résume pas au départ de Aziz, de Sidi ou de Maawiya; notre calvaire et nos maux ont commencé avant tous ces hommes et ont continué avec la chute de ceux qui sont déjà partis, mais ils resteront en l’état, nos problèmes, après Aziz si nous continuons à suivre une opposition comme celle de Ahmed Ould Daddah qui est le plus loin possible de nos problèmes; car il ont dénoncé dans le régime de Aziz la situation des habitants des bidonvilles déplacés, la non transparence de la Commission nationale des marché, les velléités dictatoriales du Général. Tout ceci c’est des vérités qu’il faut dire, mais il y a d’autres vérités que l’opposition, en général, et Ahmed Ould Daddah, surtout et en particulier, ne voudront pas dire. Ainsi, sous le régime de Aziz, il y a le racisme d’Etat, à travers les recrutement à la fonctions publique et dans les différents corps d’armes, à travers les nominations dans la fonction publique; il y a la discrimination contre les Hratin dans les tribunaux et devant la police judiciaire; il y a les expropriations foncières à caractère raciste et esclavagiste auxquelles s’adonnent l’administration et la justice mauritanienne contre les Noirs et les Hratin; il y a le calvaire des veuves et des orphelin des tueries extrajudiciaires que tout le monde passe sous silence; il y a les pratiques esclavagistes qui défrayent la chronique et que Ould Abdel Aziz et son pouvoir escamotent et dénaturent en assurant l’impunité aux bourreaux; il y a une école des cadets militaires qui a été réservée à une certaine classe de la communauté arabo-berbère comme au bon vieux temps de l’apartheid. Et l’opposition et Ahmed Ould Daddah n’acceptent jamais de dénoncer ces faces de l’injustice qui sont pour nous mille fois plus graves que le coup d’Etat contre Sidi, la falsification des élections ou le refus d’appliquer les accords de Dakar. Pour moi, les Noirs et les Hratin ne sont pas concernés par cette opposition tant sa ligne est celle-là : Aziz couvre la gabegie, l’incurie, vous le dénoncez; il couvre les esclavagistes et son gouvernement prend des actes racistes vous ne bronchez pas, et vous voulez que les victimes de ce que vous refusez de dénoncer vous suivent pour vous permettre d’assouvir vos ambitions personnelles ou de prestige, ou vous permettre d’opérer un recentrage tribal ou régional du centre de gravité du pouvoir exclusif des lignages arabo-berbères dominants : c’est absurde. En tout cas, avec Ahmed Ould Daddah, les Noirs et les Hratin auront la malchance d’avoir leurs espoirs trahis plus que toute autre fois. Tout dernièrement, il a réagi à une question d’un journaliste qui lui demandait que pensait la COD des tracasseries qu’imposent le pouvoir de Aziz au président de IRA, Biram Dah ABEID. Ahmed Ould Daddah a répondu qu’il ignore complètement Biram. Après la conférence, certains de ses conseillers lui ont fait le reproche que cette réponse n’était pas la meilleure; et vous savez quoi? Celui qui prétend devoir nous diriger répond que sa réponse était destinée à Messaoud Ould Boulkheir qui est à ses cotés pendant la conférence de presse et qui, selon Ahmed Ould Daddah, serait satisfait de cette réponse négative et mensongère plus que toute autre. Cette manière de penser et d’agir est d’une bassesse et d’une immoralité indignes d’un prétendant à la Magistrature Suprême… Il est du devoir des composantes opprimées de ce pays de se sacrifier pour renverser le pouvoir de la théocratie salafiste et oligarchie militaire, personnifiées par Ould Dedew et Ould Abdel Aziz, comme elles doivent être déterminées à barrer la route au danger national que représente Ahmed Ould Daddah.

La Nouvelle Expression : Vous êtes dur contre Ahmed Ould Dadah. N'oubliez pas que lors des premières élections présidentielles de 2007, jugées démocratiques, il est allé au second tour avec Sidi Ould Cheikh Abdellahi…

B.D.A. : A quoi ça me sert de me rappeler de sa position dans les élections de 2007? Ce dont je me rappelle, surtout, c’est qu’il n’a jamais pris une position conséquente pour l’intérêt de la Mauritanie, ou pour la défense de la justice ou des plus faibles. Toutes ses positions sont connues, au fil de sa carrière politique, comme étant des positions opportunistes. Toutes les positions et actions qu’il entreprend sont toujours mues par son ambition démesurée pour diriger le pays et sa soif insatiable du pouvoir et du prestige. Mais Dieu fait bien les choses : Il l’a toujours recalé. Et je pense que la plus grande erreur du FNDD, c’est d’avoir coordonné avec Ahmed Ould Daddah; et, parallèlement, l’acte le plus lucide et décisif de Aziz, dans sa lutte contre les forces anti-putsch, c’est d’avoir écarté Ahmed Ould Daddah.

La Nouvelle Expression : Justement, d’aucuns disent que vous n’avez pas pris une position contre l’agression israélienne de la flottille pour Gaza?

B.D.A. : Qui? Qui a dit ça? Si c’est le gouvernement du Fatah ou celui du Hamas, ces mouvements n’ont jamais soutenu les populations Hratin et noires dans leur martyr qui continue par la perpétuation de l’esclavage et du racisme d’Etat en Mauritanie. Nous sommes des victimes, des martyrs et des opprimés privés de liberté et de justice comme eux. Eux, en Mauritanie, ils ont choisi publiquement le camp de nos bourreaux; ils n’ont aucun droit d’exiger de nous quoi que ce soit. En notre âme et conscience nous sommes contre l’acte israélien contre la flottille, et nous sommes opposés à bien des actes perpétrées par l’armée israélienne en Palestine; mais en même temps, nous sommes opposés aux crimes que commettent, toujours sans repentir, les gouvernements arabo-musulmans au Soudan, en Mauritanie, en Iran, en Libye, en Arabie Saoudite, en Egypte… Nous le clamons haut et fort et advienne que pourra : nous sommes totalement en dehors de cette solidarité confessionnelle dans laquelle, malheureusement, toute les forces politiques et civiles en Mauritanie sont enrégimentées; celle qui consiste à ce que les mêmes partis, les mêmes milieux et mêmes personnalités qui dénoncent Israël et manifestent contre ses crimes, sont paradoxalement les mêmes qui manifestent pour soutenir Omar Hassan El Béchir contre le peuple martyr du Darfour. Ce sont les mêmes qui ont soutenu et soutiennent des dictateurs sanguinaires comme Saddam Hussein, Muammar Ghadhafi, Mahmoud Ahmedinenejad ou Maawiya Ould Sid’Ahmed Taya. Ce sont encore les mêmes qui ont été les idéologues, les instigateurs et les exécutants de la tentative de génocide contre les Noirs de Mauritanie; ce sont eux aussi qui continuent à nier activement les crimes de cette tentative de génocide; c’est aussi les mêmes qui continuent à s’adonner aux pratiques esclavagistes et discriminatoires contre les Hratin, et c’est eux qui procurent l’impunité et le faux témoignage à ceux qui pratique l’esclavage en Mauritanie. Et parmi ces gens, il y a aussi de présumés tortionnaires et de présumés coupables de viols et pratiques esclavagistes, et tous ce monde est loin d’être repenti; et vous voulez que nous manifestons et dénonçons de concert avec ces gens. Non, ce n’est pas possible.

Mais, ça m’étonne fort que des Mauritaniens, qui se disent progressistes, des dirigeants noirs de Mauritanie, rescapés des tueries et purges dans ce pays, des dirigeants Hratin dont la communauté continue à vivre l’enfer de l’esclavage, des défenseurs des droits humains; ça m’étonne, dis-je, que tous ces gens puissent appeler à manifester contre les crimes israéliens et pour les Palestiniens, sans qu’ils ne puissent d’abord appeler à manifester contre les crimes de l’Etat mauritanien contre les noirs et les Hratin. Ils doivent appeler à manifester contre le négationnisme de l’Etat mauritanien, de la classe politique mauritanienne, du clergé mauritanien, contre les pratiques esclavagistes chaque jour dénoncées et toujours impunies à Nouakchott ou ailleurs. Balayons d’abord devant nos portes. Ces manifestations et dénonciations sélectives ne sont pas sincères et ne nous concernent pas; ces partis politiques et personnalités mauritaniennes ne sont ni avec la justice ni avec les droits humains : ils sont, toutes tendances confondues, avec un nazisme arabe et nous ne sommes pas obligés de choisir entre ce nazisme-là et le fascisme des dirigeants de l’Etat d’Israël.

La Nouvelle Expression : Ne pensez-vous pas que vous avez un discours violent qui peut conduire à des actions violentes?

B.D.A. : C’est faux, je n’ai pas un discours violent, mais un discours tranché, sans amalgame et qui sort du seuil de pensées fixé par le système pour préserver les acquis et privilèges illicites par une minorité sur le dos de populations majoritaires mais victimes de leurs appartenances ethniques ou de leurs naissances. Notre discours n’a de violent que le fait qu’il rappelle à ceux qui fondent leur prestige, leur pouvoir ou leur richesse sur les désolations ou les misères de leurs semblables. Notre discours ne semble violent qu’à ceux-là à qui il rappelle qu’il faudra compter, inéluctablement, avec la fatalité qui présidera à l’abolition de tous les rapports de forces iniques comme ceux sur lesquels reposent les équilibres sociaux et ethniques en Mauritanie. C’est une sonnette d’alarme qui doit aider toutes les parties pour une prise de conscience de l’impérieuse nécessité de la moralisation et l’humanisation des rapports sociaux et de l’importance salvatrice de la primauté du droit sur l’instinct jahélite (obscurantiste) de l’Assabiya… Au lieu que «tout le monde» cherche en l’IRA et son président les fauteurs de violence, que dites-vous des gens qui ont tué, torturé, violé? Ces bourreaux qui sont pourtant tous connus des ayant droit des victimes, des rescapés et du commun des Mauritaniens, et qui continuent de jouir du prestige social le plus élevé, des hautes fonctions de l’Etat et de l’honorabilité due aux élus. Les fauteurs de violence de 1990 et 1991, ceux du 8 juin 2003, ceux que votre gouvernement est entrain de blanchir après le massacre de Lemgheity, de Ghallawiya, de Tourine et j’en passe, alors qu’ils persistent et signent (ce qui n’a pas empêché le nouveau Mufti de l’Etat de les blanchir, contredisant publiquement les juges); les juges qui se sont fait tout petits à l’image de la classe politique si prompte toujours à taxer IRA de violence. Mais personne n’a osé broncher et répliquer à Ould Dedew. Donc, au lieu de s’occuper d’une supposée violence que nous, nous pourrions prôner dans le futur, soyez conséquents d’abord avec ceux qui ont perpétré la violence; mais vous allez me dire que vous allez plutôt les récompenser comme ont été récompensés ceux qui ont massacré les militaires et civils noirs en 90-91, et qui ont fomenté le 8 juin 2003.

La Nouvelle Expression : De grands hommes avant vous et votre ère, qui ont gagné des luttes semblables à la vôtre, avaient préconisé la non violence dans le verbe et dans les actions… Ne serait-t-il pas plus bénéfique pour vous de suivre leur exemple?

B.D.A. : A une partie de cette question je pense avoir répondu, mais je saisis cette occasion pour préciser un fait historique à beaucoup de nos détracteurs qui, à travers leurs argumentaires erronés, tentent d’introduire l’exemple de Nelson Mandela comme un exemple de combat par la non-violence. Ici, sans dénier à la non-violence ses vertus auxquelles j’adhère, je précise que Nelson Mandela et son mouvement l’ANC (African National Congres) ont engagé la lutte armée contre le système d’apartheid. Et pendant tout le temps que ce leader africain a passé en prison, les autorités de Pretoria lui proposaient un marché : dénoncer la lutte armée que menait La Lance de la Nation (la branche armée de l’ANC), en contrepartie de son élargissement. Mandela a catégoriquement refusé ce marché jusqu’à la capitulation du régime d’apartheid.

Propos recueillis par

Seydi Moussa Camara

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire