Je me permets de répondre aux questions que
vous avez adressé à celui que vous avez appelé « Le timonier du MND-UFD »
Moustapha Ould Bedredine car je me sens concernée, à double titre, par toute
interpellation politique qui lui est adressée : notre appartenance commune au
MND et à l’UFP (moi en tant vice-présidente et lui Secrétaire Général). Par
rapport à votre première question, à mon humble avis, c’est le grand Nelson
Mandela qui a théorisé et mis en œuvre la politique du compromis historique
avec les grands théoriciens de l’Apartheid Peter Botha et Frederik De Klerk
dans des phases aussi bien secrètes que publiques. Et c’est en s’inspirant de
cette ligne politique que nous avons entrepris le dialogue avec le sanguinaire
Taya, et que nous avons accepté de dialoguer avec le putschiste Ould Abdel Aziz
en 2009 à Dakar et je vous signale que nous n’avons pas refusé de dialoguer
avec le pouvoir actuel mais nous rejetons son agenda unilatéral et l’absence de
garantie de résultats (ce que le FNDU a expliqué à maintes occasions). Quant à
votre seconde question, je ne sais pas de quelle déclaration vous parlez, mais
le MND a bel et bien publié une déclaration le 08 novembre 1987 dans laquelle
il ne figure nulle part une demande de « châtier sévèrement les FLAMistes » et
encore moins l’insinuation pernicieuse que vous faites en établissant un
rapport avec l’exécution des officiers Sy Saidou, Ba Seydi et Sarr Amadou. Je
publie ci-joint la dite déclaration du MND du 08 novembre 1987, en souhaitons
que tous puissent la lire intégralement en la plaçant dans le contexte de la
Mauritanie de 1987 et pas celui de la Mauritanie de 2016.
Kadiata
Malick Diallo/ Ex-dépitée l’UFP à l’assemblée nationale
DÉCLARATION- MND
Le 22 octobre dernier, un putsch pas comme les autres a été déjoué de justesse ; un groupe de jeunes militaires Haal-Pulaar avait envisagé de renverser, par les armes, l'équilibre politique existant depuis 1960, entre les nationalités composant notre peuple. Imaginer pouvoir remettre en cause cet équilibre par la conspiration et la violence, à partir d'une position sectaire hostile à la majorité arabe et ne tenant aucun compte de l'avis et des intérêts réels des minorités négro-africaines, frise la démence. Tout le monde en convient aujourd'hui, la Mauritanie a échappé de peu à l'abîme de la guerre raciale. Les putschistes avaient-ils conscience de conduire leur pays vers un drame à la libanaise ? La guerre raciale, qu'est ce donc sinon le suicide pour la Mauritanie ? Dans une telle catastrophe il n'y a aucun respect des « droits des Noirs » ; il n'y a aucune égalité à conquérir sauf l'égalité dans le malheur, la souffrance et la mort. Dans une guerre raciale, il n'y aura qu'un gagnant, les puissances étrangères interventionnistes, et un seul perdant : le peuple, tout le peuple mauritanien !
Les extrémistes réussiront peut-être à jouer
aux seigneurs de guerre, disposant de leur groupe ethnique comme réserve de
chair à canon, mais ne seront en réalité que de simples marionnettes manipulées
par les forces étrangères qui les arment et les financent et qui seules
décident du sort du conflit fratricide. Le mouvement nationaliste
négro-africain FLAM justifiait le recours à la violence raciale par l'existence
d'une «situation d'Apartheid» en Mauritanie. Parce que qu'il y a des
injustices, des inégalités, des manifestations d'oppression des minorités. Mais
quel pays africain en est donc exempt ? De quels droits jouissent les minorités
au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Zaïre, etc... Et dont sont privées celles de
Mauritanie ? Il est paradoxal que ceux qui prétendent être les porte-drapeaux
de «la cause des Noirs» soient incapables, dans leur pensée et leur action, de
dépasser les horizons étroits d'un seul groupe ethnique négro-africain. Depuis
1979, le nationalisme étroit négro-africain s'est enfermé dans une logique
nihiliste : il dénonce une «situation d'Apartheid», mais ne formule aucune
revendication politique précise, ni ne cherche à convaincre l'opinion nationale,
ni même les masses négro-africaines par aucun programme, ni des propositions
déterminées. Et pourtant, avant même que l'opinion ne sache ce qu'il veut, le
voilà qui en vient aux pires extrémités. Phraséologie sur l'«Apartheid»,
actions terroristes, putsch, sont en fait les symptômes d'une inquiétante fuite
en avant.
Que
les nationalistes étroits aient une opinion erronée sur les problèmes de
coexistence entre nos nationalités est leur droit qu'on ne peut contester. Mais
qu'ils incitent à la violence raciale et tentent même, par l'action terroriste
et putschiste de mettre le feu à la maison commune est inadmissible ; c'est un
crime contre notre peuple multinational. Dans les contradictions
nationalitaires, un extrémisme en cache toujours un autre. L'événement du 22
octobre a donné prétexte à une campagne raciste hystérique et immonde dirigée
contre les Haal-Pulaar. Des extrémistes exhortent les masses arabes à «leur
donner une leçon» à «les écarter de tous les postes de confiance», à «leur
faire traverser le fleuve», diffusent des rumeurs venimeuses inventées de
toutes pièces. Il est non moins grave que certains fonctionnaires de l'état se
comportent dans le même sens, voient en tout Haal-Pulaar un putschiste, un non
citoyen potentiellement dangereux, à traiter de façon discriminatoire. Nous
retrouvons ici aussi le même appel à la violence raciale qui précède l'action
criminelle. En fait, les extrémistes négro-africains et arabes se rejoignent.
Ils ont le même but : détruire l'unité de notre peuple multinational ; les
mêmes méthodes : exacerber et exploiter les mauvais sentiments et
l'inconscience du peuple. Ces pyromanes sont aujourd'hui en cabale. Pour que la
maison commune ne prenne feu, chacun doit veiller sur sa propre chambre.
Les Négro-africains patriotes, surtout les
Haal-Pulaar, ont le devoir de se démarquer de l'extrémisme du FLAM et du putsch
manqué, les Arabes, de débusquer leurs extrémistes, de dénoncer toute
propagande anti-Haal-pulaar et toute manifestation de discrimination et de
chauvinisme officieux, au sein de l'état. En effet, l'enjeu patriotique
principal est aujourd'hui la préservation de l'unité nationale, et la seule
stratégie qui vaille pour désamorcer les affrontements raciaux est précisément
d’isoler les extrémistes au sein de leur propre groupe ethnique. Mais cela ne
suffit pas. Il faut aussi s'interroger sur la signification de la crise
actuelle pour éviter qu'elle ne se renouvelle en des termes plus dramatiques.
L'événement du 22 octobre n'était point un coup de tonnerre dans un ciel
serein. Remontons dans le temps : - 1986 : agitation extrémiste du FLAM ; -
1979-80 : l'UDM, le MPAM, l'ODINAM (qui donneront naissance au FLAM) incitent
aux affrontements raciaux; - 1966 : affrontements raciaux tragiques ; - 1961 :
controverse raciale lors du Congrès constitutif du PPM. Entre tous ces
événements, un fil conducteur ; il y a bien des problèmes qui gênent la
coexistence fraternelle entre les nationalités composant notre peuple. De quoi
s'agit-il ? Au lendemain de l'indépendance, le souci des minorités
négro-africaines était d'obtenir des garanties constitutionnelles contre toute
tentative de marginalisation ou d'assimilation par la majorité arabe. A partir
de 1966, l'introduction de l'arabe les inquiète relativement à l'avenir de l'accès
aux emplois et de l'équilibre entre nationalités au sein de l'état. Depuis 1983
l'inquiétude porte sur les conséquences de la mise en valeur de la vallée liée
à l'après barrage, et de la loi foncière sur la propriété terrienne des
Foutankoobe. Rien donc, au départ, que des préoccupations légitimes par rapport
à des problèmes politiques réels. Et il est naturel que la cohabitation
fraternelle de nos nationalités soit périodiquement en butte à des divergences
d'approche et d'aspiration suivant les mutations politiques, culturelles et
socio-économiques de notre pays. Il est cependant inévitable que cela donne
lieu à des manifestations de l'esprit étroit, à des tendances maximalistes qui
posent mal ces problèmes, et partant, rendent plus difficile leur solution.
«L'UGOMS» en 1961-62 réclamait un fédéralisme ressemblant fort au
confédéralisme et qui créait une partition de fait de la Mauritanie. Les
"19", en 1966, rejetteront l'introduction de l'arabe -langue de la
majorité- dans le système d'enseignement.
Depuis 1979, le nationalisme étroit baigne
dans une grande confusion, ne sachant s'il est plus payant de se situer sur les
positions des minorités opprimées qui réclament leurs droits, ou de faire de la
surenchère au nom de "la majorité noire", et en matière de réforme
foncière de se contenter de préconiser l'interdiction par la violence, l'accès
des Arabes aux terres de la vallée. De son coté, le chauvinisme arabe ne posera
pas mieux ces différents problèmes. En 1961-62, il réclamait «l'arabisation
immédiate de l'enseignement», ne tenant aucun compte des intérêts culturels des
négro-africains. A partir de 1966 ce slogan reviendra continuellement, farci de
conceptions racistes du genre : «la Mauritanie n'appartient qu'aux arabes» ;
«la minorité doit se soumettre à la majorité», «arrêt de l’immigration noire».
En 1979-80, on pousse l'absurde jusqu'à réclamer la sortie de la Mauritanie des
organisations «noires» : OMVS, CEAO, CDEAO. Le regain de tension ethnique,
sensible depuis 1978, est indissociable de deux facteurs : le rétrécissement de
l'aire d'influence des idées patriotiques consécutif à la tentative de
liquidation du MND en 1975, et surtout, l'exacerbation de la crise économique
et sociale du système néocolonial, suite à la catastrophique et injuste guerre d'annexion
du Sahara et aux retombées de la récession du capitalisme mondial. L'activité
économique tournant au ralenti, le marché de l'emploi s'est rétréci. Puis ce
fut l'intervention des syndics des usuriers (FMI, BM), qui imposent, pour se
faire rembourser et mieux nous dominer, la misère et le chômage. Il se comprend
donc, qu'en Mauritanie, chacun se sente à l'étroit. Chaque emploi, chaque
crédit ou marché devient l'enjeu d'une véritable foire d'empoigne entre tribus,
régions, nationalités, races. D'où l'exacerbation de tous les particularismes
depuis le début des années 80. Quant à la politique officielle de l'état
mauritanien, depuis 1960, elle peut être résumée en deux mots : «porte close et
bouche cousue». Au nom de l'unité nationale, interdiction de parler des entités
qui la composent, d'évoquer l'existence de problèmes de coexistence.
Officiellement le sujet est tabou. Dans la pratique, les courants
particularistes arabes ou négro-africains ont les coudées franches pour
manipuler tel ou tel secteur de l'état, suivant leurs visées. A ce jeu, il faut
le dire nettement, le chauvinisme l'emporte en vertu de la loi du nombre et la
menace de marginalisation ou d'assimilation devient plus sensible pour les
Négro-africains. Et puisque les problèmes ne sont jamais abordés franchement et
frontalement, ils s'accumulent, la confiance fait place à la méfiance, le
pourrissement s'ensuit, et le particularisme s'oriente vers la surenchère et
l'action extrémiste. Et lorsqu'une crise éclate, on en diffère la solution par
le recours à des demi-mesures.
Cette politique de l'autruche, en vogue dans
la plupart des États néo-coloniaux d'Afrique, en interdisant l'examen franc et
loyal des difficultés de coexistence entre nos nationalités, ne laisse le champ
libre qu'aux mauvaises entreprises de ceux qui, sous le couvert de
l'indifférence de l'état, trichent pour tirer toute la couverture à eux et de
ceux qui tombent dans l'extrémisme. La question nationale est certes, mal posée
par l'extrémisme. Elle n'en est pas moins un problème réel. Et la meilleure
arme contre l'extrémisme est justement de le poser correctement. En témoigne
l'expérience de notre peuple. Il est significatif en effet que la seule pause
dans la controverse raciale fut la période 1968-75 où le MND réussit à réduire
à la passivité chauvinisme et nationalisme étroit en unissant toutes les forces
vives de nos nationalités sur une plate-forme patriotique où la question
nationale était posée franchement et équitablement, sur les bases suivantes : -
reconnaissance de l'existence des nationalités (Arabes, Haalpulaar, Soninke,
Wolof) et leurs aspirations particulières légitimes, - affirmation que la
solution juste et durable de la question nationale ne peut être réalisée que
dans un ordre d'indépendance et de démocratie politique et sociale, pour lequel
il est prioritaire de lutter et, que le maintien de l'unité patriotique de tout
notre peuple est la seule garantie pour le succès des revendications
particulières immédiates de telle ou telle nationalité. Les contradictions
entre nos nationalités sont des contradictions entre membres d'une même
famille, à résoudre pacifiquement et équitablement. Elles sont secondaires par
rapport à la contradiction entre le peuple mauritanien dans son ensemble et ses
oppresseurs : l'impérialisme et le féodalisme.
Mettre ces contradictions secondaires au
premier plan -ce que nous reprochons plus que tout aux extrémistes- c'est
servir l'impérialisme et les forces rétrogrades en divisant le peuple; c'est en
quelque sorte dire aux Mauritaniens : oubliez les geôliers qui vous martyrisent
et que chacun de vous se préoccupe plutôt d'arracher une meilleure place à son
compagnon de prison. L'unité de notre peuple est la seule garantie pour nos
intérêts généraux et particuliers. Il est urgent de la préserver en restaurant
un climat de dialogue et de confiance. Dans ce but, que tous les patriotes
réclament avec nous : 1°) la renonciation à la politique officielle de silence
sur la question nationale et ouverture d'un débat national, dans les formes adéquates
et démocratiques pour favoriser la compréhension mutuelle et la recherche de
solution juste ; 2°) la liberté d'opinion pour tous -y compris les
nationalistes négro-africains et arabes - à condition de condamner tout recours
à la violence raciale et contre toute forme de culpabilisation de l'une de nos
nationalités ou de discrimination à son encontre.
Non aux diviseurs de toutes espèces !
Non aux diviseurs de toutes espèces !
Vive l'unité de notre peuple !
8/11/1987
Le MND.
Le MND.
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