Alkarama fondation : M.
Michel Forst Rapporteur spécial sur la
situation des défenseurs des droits de l’homme Haut Commissariat aux droits de
l’homme Office des Nations Unies à Genève 8-14 Avenue de la Paix 1211 Genève 10
Copie à : Rapporteuse
spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et
conséquences ; Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants
Genève, le 3 octobre 2016
Informations de suivi : Mauritanie –
Arrestations, détentions arbitraires et torture de défenseurs des droits de
l’homme
Réf. Alk : 2016-148 ; 2016-149-150 ; 2016/155-162 ;
2016-167
Monsieur le Rapporteur
spécial,
Nous avons l’honneur de
porter à votre attention de nouvelles informations concernant MM. Amadou
Tidjane Diop, Balla Touré, Hamady Lehbouss, Ahmed Amarvall, Khattry M’Bareck,
Mohamed Daty, Jemal Beylil, Ousmane Anne, Ousmane Lô, Abdallahi Matallah Seck,
Moussa Biram, Abdallahi Abou Diop et Mohamed Jaroullah, militants au sein de
l’ONG « Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste »
(IRA), une organisation de lutte contre l’esclavage. A la suite d’affrontements
survenus le 29 juin dernier lors de l’expulsion des habitants d’un bidonville
dans les environs de Nouakchott, les activistes de l’IRA, pourtant absents du
rassemblement, avaient été arrêtés, et sont toujours détenus arbitrairement
depuis le 30 juin 2016.
Pour cette raison, une
communication urgente vous avait été adressée par Alkarama le 21 juillet 2016,
afin d’appeler les autorités mauritaniennes à abandonner les poursuites à leur
encontre et à les libérer immédiatement. Depuis, ces activistes ont été
condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement, allant de trois à quinze ans.
Procédure devant la Cour criminelle
Dans cette affaire, le parquet
a saisi la Cour criminelle sur la base d’une procédure de « flagrant
délit ». Pourtant, les 14 prévenus avaient tous été interpellés à leurs
domiciles ou sur leurs lieux de travail dans les jours qui ont suivi le
rassemblement au cours duquel les violences reprochées auraient été
commises ; aucun d’entre eux n’a été arrêté sur les lieux de la
manifestation. M. Mohamed Jaroullah était d’ailleurs hors du pays le 29 juin et
n’est rentré à Nouakchott que le 1er juillet 2016. Les avocats de la
défense ont soulevé de nombreuses irrégularités et également souligné que
l’enquête ne présentait pas des garanties d’indépendance suffisantes, dans la
mesure où la police, impliquée dans la confrontation survenue le 29 juin 2016
et partie civile au procès, avait été seule en charge de la conduire.
Le procès des militants de
l’IRA s’est tenu devant la Cour criminelle de Nouakchott du 3 au 18 août 2016.
A la suite d’un premier renvoi, la date de la deuxième audience a été fixée au
9 août ; ce jour-là, la police a fait un usage excessif de la force à
l’encontre des personnes venues assister à l’audience, dont les membres des
familles des prévenus. Nous rappelons que la conduite d’un procès équitable
implique que les audiences soient publiques et que
pèse sur l’Etat l’obligation positive de fournir les moyens matériels
permettant aux personnes intéressées d’y assister. Une
telle exclusion du public est par conséquent incompatible avec la notion de
procès équitable.
Le 10 août, ces personnes
ont finalement été autorisées à assister au procès. Au cours de cette audience,
les avocats de la défense ont été insultés et intimidés en public par un
officier de police, privés du droit de prendre la parole depuis l’estrade ou de
s’approcher du président, si bien qu’ils n’ont pu ni contester les éléments à
charge ni, durant leurs plaidoiries, transmettre aux magistrats les pièces
étayant leurs arguments. Dans ces conditions, le principe d’égalité des armes
n’a pas été respecté. Face aux allégations de torture des prévenus, le tribunal
s’est déclaré incompétent pour ordonner une enquête sur ces actes, en violation
de la loi n° 049-15 sur la torture qui oblige les juridictions nationales à se
prononcer immédiatement sur de telles plaintes et d’écarter les moyens de
preuve obtenus sous la torture.
Au cours du procès, les
prévenus ont demandé au collectif d’avocats de la défense de se retirer afin de
protester contre ces irrégularités ainsi que contre le refus du tribunal de
tenir compte des allégations de torture. Ils ont adressé au président de la
Cour criminelle de Nouakchott une lettre expliquant les raisons de ce retrait,
ainsi que leur intention de refuser d’être défendu par tout avocat commis
d’office (annexe).
Condamnation à de lourdes peines de prison
Le 18 août 2016, les
activistes de l'IRA ont été condamnés à de lourdes peines de prison par la Cour
criminelle de Nouakchott, sur la seule base d’aveux obtenus sous la torture et
en dépit des allégations de torture portées à la connaissance du tribunal par
les prévenus et leurs avocats.
Amadou Tidjane Diop,
vice-président de l’IRA, ainsi que Moussa Biram, Abdallahi Matallah Seck et
Abdallahi Abou Diop, ont été condamnés à 15 ans de réclusion pour attroupement
armé (art. 101 à 105 du Code pénal), violences à l’égard d’agents de la force
publique (art. 213 du CP), rébellion (art. 191 du CP) et appartenance à une
organisation non enregistrée (art. 3 et 8 de la loi de 1964 sur les
associations).
MM. Balla Touré, secrétaire
aux relations extérieures, et Hamady Lehbouss, chargé de communication, ont
tous deux été condamnés à cinq ans d’emprisonnement pour provocation directe
d’attroupement armé (art. 104-2 du CP) et administration d’une organisation non
autorisée (articles 3 et 8 de la loi de 1964 sur les associations).
Ahmed Amarvall, Khattry
M’Bareck, Mohamed Daty, Jemal Beylil, Ousmane Anne, Ousmane Lô et Mohamed
Jaroullah ont été punis de trois ans d’emprisonnement pour gestion d’une
organisation non enregistrée (articles 3 et 8 de la loi de 1964 sur les
associations). A l’issue du procès, les membres de l’IRA sont restés détenus à
la maison d’arrêt de Dar Naïm.
MM. Abdallahi Matallah Seck
et Moussa Biram présentent des lésions aux mains, séquelles visibles des actes
de torture physique subis depuis la période d’interrogatoire et souffrent de
paresthésie et de dysesthésie en raison des violences physiques exercées sur
eux (voir certificats médicaux produits en annexe). Selon leurs avocats, les
détenus se sont vus régulièrement refuser l’accès à un médecin ainsi qu’à leurs
dossiers médicaux respectifs par la direction de la maison d’arrêt de Dar Naïm.
Nous avons par ailleurs reçu
des informations crédibles selon lesquelles les autorités mauritaniennes
auraient pris la décision de transférer les militants de l’IRA vers un lieu de
détention isolé et difficilement accessible. Le transfèrement a de fait été
effectué le 28 septembre 2016 vers la prison de Zerouate, à 766 km de
Nouakchott, alors même que la Cour suprême avait décidé que les détenus
seraient transférés vers Nouadhibou, plus proche de la capitale et plus
accessible aux avocats et aux familles. Jusqu’au dernier moment, les détenus
ignoraient vers quelle prison ils seraient emmenés.
Nous craignons que cette
décision ne s’inscrive dans une stratégie visant à priver ces militants de tout
contact avec leurs proches et leurs avocats pour préparer leur procès à venir.
Ces transfèrements auront en effet pour conséquence directe l’impossibilité
pour les détenus, de communiquer avec leurs avocats et les membres de leurs
familles. Cela entravera également leur droit d’accès à des soins médicaux
appropriés, déjà largement bafoué depuis le début de la procédure. En
particulier, M. Amadou Tidjane Diop souffre d’une pathologie cardiovasculaire
grave, qui nécessite un suivi strict.
Le procès en appel devrait débuter le 20 octobre 2016.
Enfin, durant l’enquête, des
membres du Mécanisme national de prévention de la torture (MNP) institué par la
loi 034/2015 avaient sollicité la direction régionale de la sûreté de
Nouakchott, puis le Procureur de Nouakchott Ouest, l’autorisation de visiter
les lieux de détention des prévenus, conformément à leur mandat ; les autorités
n’avaient alors donné aucune suite à leurs requêtes. Nous craignons que le
transfèrement des militants de l’IRA vers des lieux isolés n’ait également pour
but d’empêcher le MNP d’accéder à ces détenus.
Requêtes
Nous vous saurions
particulièrement gré, dans ces conditions, de bien vouloir examiner en urgence
leur situation et d’enjoindre aux autorités mauritaniennes de libérer sans
délai ces 14 détenus, conduire une enquête indépendante et impartiale sur les
actes de torture subis depuis leur arrestation, prendre les mesures nécessaires
pour garantir la non-répétition de tels actes et permettre aux membres du Mécanisme
national de prévention (MNP) d’avoir accès à leurs lieux de détention et de
s’entretenir avec eux.
Nous avons donc
l’honneur de vous soumettre la présente situation et vous prions, Monsieur le
Rapporteur spécial, de croire à notre haute considération.
Me Rachid Mesli
Directeur juridique
Annexe : Affaire n° 558/2016
A Monsieur le président de la cour pénale
Objet: Pour
expliquer notre attitude
Monsieur le Président
Nous, soussignés, prisonniers d'opinion
abolitionnistes souhaitons porter à la connaissance de l'honorable cour les
multiples violations qui ont émaillé le déroulé de ce procès et les
conséquences qui en découlent:
1- Monsieur le Président, nous sommes à
l'origine du retrait du Collectif d'avocats qui assurent notre défense. C'est
bien nous qui leur avons demandé de ne pas nous défendre si la loi n'était pas
respectée. Or l'article 278 du code de procédures pénales a été clairement
violé. Nous ne craignons absolument pas le visionnage de ce grossier montage
mais tenons à ce que la loi, toute la loi et rien que la loi soit respectée;
2- Sachez, Monsieur le Président, que tout
autre avocat qui ne respecte notre volonté exprimée au point 1, se verrait
retirer d'emblée notre confiance et ne pourrait donc nous défendre; et aucun
autre avocat ne pourra assurer notre défense
3- Sachez aussi, Monsieur le Président, que
nous n'avons plus confiance en cette cour qui a refusé de prendre en compte
notre plainte pour les faits de torture
dont nous fûmes victimes. Pourtant nous voyons en votre formation une chance
qui nous était offerte pour que justice nous soit rendue.
Les signataires:
1- Diop Amadou Tidjani; 2- Ahmed Ould Hemar
Vall; 3- Balla Touré; 4- Hamady Ould Lehbouss; 5- Mohamed Ould Daty; 6- Lô
Ousmane; 7- Mohamed Ould Jar Allah; 8- Anne Ousmane; 9- Abdoullah Abou Diop;
10- Khatry Ould Errahel; 11- Jemal Ould Bleil; 12- Abdellahi Ould Maatllah; 13-
Moussa Biram.
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