Nous
venons dans cet article décrire et d’analyser la vie des étudiants mauritaniens
à l’étranger, notamment en France. La situation est telle que se taire
deviendrait un péché; continuer à fermer les yeux relèverait de l’indifférence,
se cloitrer dans des chambres de 9, 12, à 20 mètres carrés à habitation
variable entre 2, 3, à 4 personnes discutant en coulisses les situations
infernales dans lesquelles ils sont submergés comme le spectre de la mort,
serait synonyme de l’immobilisme.
C’est avec un cœur révolté et un esprit
bouillonnant d’idées qui m’amènent à sortir de mes gongs pour m’incorporer dans
la peau de chacun d’eux. Et faire de ma bouche le parloir de leurs cœurs qui
saigne des mille et un soucis cuisant que chaque jour Dieu fait. Nous allons
partir de l’analyse de l’illusion de l’étudiant mauritanien à la souffrance de
ce dernier, pour paraphraser Abdel Maleck Sayad dans son ouvrage devenu
incontournable sur les sujets de l’immigration : "Des illusions de
l’émigré à la souffrance de l’immigré", Edition Seuil 1999.
Habiter par l’eldorado académique, la
curiosité intellectuelle, et par le soif d’aventure, à l’approche de la période
des préinscriptions des universités françaises, l’étudiant X déploie toutes ses
forces et énergies pour décrocher la fameuse "pré-inscription". Un
moment douloureux, stressant avec un climat des examens de fin d’année. Tout
cela met l’étudiant dans une situation difficile et angoissante.
C’est ainsi que nous verrons nos
camarades comme Djigo Mamadou et son éternel ami Abou Dia ainsi que mon cher
ami Habib Sy, avec des clés USB au tour du cou, debout devant la porte du
Campus Numerique, tournant la langue de Molière à leur guise. C’est la période
de "la bourse des inscriptions" où les plus cotés sont les plus
sollicités par la demande du marché échangeant beaucoup de dossiers.
Deux mots font l’écho du grand chemin
qui sépare la Faculté des lettres et des sciences juridiques et économiques qui
mène vers le restaurant où les tickets du marché noir fleurissent à tout va :
"Pré-inscription et visa".
Illusion
de l’étudiant mauritanien : possédé par l’esprit de la France,
attrapé par la curiosité de découvrir l’étranger, les étudiants se tracassent
jour et nuit pour ne pas rater les vols des mois d'août et d’octobre ! Comme le
dit ce refrain devenu la phrase humoristique en Peul : "Worbé njaari
jondé". Ce moment ne secoue pas que le milieu estudiantin; la cellule familiale
s’emballe aussi pour que l’espoir de la famille puisse se retrouver chez
Molière.
Quelle que soit la somme exigée, toutes
les possibilités sont mises en opération. Au-delà de l’épargne de la petite
bourse de l’étudiant, la structure mise en place pour les dossiers
d’inscription et les modalités du dépôt de visa constituent une ruine du budget
des familles qui ont une fin de mois difficiles.
C’est ainsi que beaucoup de familles
s’endettent jusqu’au cou pour que le fils prodige puisse se retrouver à l’étranger.
Sous le chaud soleil dans les cars de l'"Arrêt bus" jusqu’au marché
Capitale, l’étudiant emprunte un chemin devenu la routine entre l’université,
la poste, le service de coopération, l’ambassade de la France.
Ce préalable est un début du processus
d’un calvaire marqué par une petite pause (l’obtention du visa), pour celui qui
franchira les portes de l’ambassade avec un visage radieux et un sourire d’ange
qui efface tant de peine et de souffrance accumulées entre les quatre milieux
infernaux : Université, Poste, service de la coopération, Ambassade de la
Mauritanie.
Un cœur soulagé, une tête vide de mille
et une pensée cuisante, car ayant un passeport dans lequel est tamponné le
cachet du visa ou disons le cachet de la délivrance de la galère. Néanmoins,
nous soulignons que ce sentiment amer est ressenti par une frange défavorisée
du pays, à savoir la population négro-africaine, vivant en majorité dans les
quartiers populaires de Nouakchott, à savoir Medina Air, Cinquième, Sixième et
Basra, etc.
Dans ces moments euphoriques remplis de
rêve et de joie que l’étudiant X partage avec son entourage, le regardant comme
un béni et un chanceux, l’itinérant se dirige vers un monde inconnu que les
Peuls appellent "Waalo fendo". Un matin sur sa terre natale au
crépuscule d’un long voyage, il prend le vol à destination de l’étoile de son
rêve. Un rêve qu’il ne cesse de nourrir d’imagination en contemplant les
étoiles célestes à travers la petite fenêtre de l’avion, éloignant le néophyte
de ceux qu’ils aiment. Déjà, il sent le vide existentiel pour la première fois
de sa vie.
Souffrance
de l’étudiant mauritanien : un vent froid du "waalo
fendo" l’accueille, ses yeux s’ouvrent dans un monde nouveau que tout
distingue de chez lui.
Un cœur qui bat, un esprit inquiet,
l’itinérant avec sa valise jette des regards hagards par ci et par là, avant de
tomber dans les mains de son guide. Une fois à destination, comme une souris
enfermée dans une cage d’expérience, l’étudiant itinérant à la tête en l’air,
un esprit déboussolé, cherchant à comprendre vainement la structure ingénieuse
des infrastructures routières, de l’automatisme des portes informatisées et
électroniques, de l’organisation géométrique de l’espace des gares entre tunnel
et voie ferroviaire. Au premier jour de sons séjour, l’étudiant habité par ses
illusions d’une Europe de paradis est frappé par un sentiment du déjà-vu.
L'étudiant est dans la déstabilisation
physique liée à un phénomène physiologique qui le secoue dans son être. Ce
dernier vit, en effet, dans une osmose volcanique où son esprit n’arrive plus à
se repérer dans le temps et l’espace, où le jour devient la nuit et la nuit
devient le jour. Entre des sommeils difficiles et des réveils pénibles, surtout
en hiver, il se réveille debout avec sa couette qu’il risque de trainer avec
lui jusqu’à la fac.
Dans cette situation, on est en face de
deux étudiants que la réalité sociale distingue. Ceux qui viennent s'endetter
ont sûrement des problèmes financiers. Ces derniers n’avaient qu’une idée en
tête : entrer en Europe; le reste on se débrouillera une fois sur place. Ceux
parmi eux qui restent à Paris sont hébergés le plus souvent temporairement par
des parents proches ou éloignés.
C'est un hébergement temporaire car la
plupart des cas la cohabitation se solde par un échec. Les maisons sont trop
petites pour supporter tout le monde, et les familles immigrées ont pris
l’habitude des Français : "pas de bruit à certaines heures, précaution à
prendre dans les usages des objets de la maison, participation active dans la
gestion du bon fonctionnement de la maison,…". Comprendra qui pourra.
Néanmoins certaines familles arrivent à
héberger sans problème l’étudiant pour un contrat "HDI"
(habitation dans la maison du parent à durée indéterminé), tandis que d’autres
n’ont que des contrats "HDD" (habitation à durée déterminée). La
majorité des étudiants mauritaniens qui restent dans l’île de France se
solidarise avec d’autres camarades ou compatriotes pour chercher un logement
chez des particuliers ou dans les cités universitaires. Ce qui n’est pas
évident. Un étudiant qui n’a que de quoi payer ses frais d’inscriptions est
obligé de faire une pause de ses cours à la fac, pour trouver un emploi ne
serait-ce qu’une mi-temps, pour avoir de quoi payer son loyer et se nourrir.
Nombreux sont les étudiants qui ratent
leur première année, car ils sont déstabilisés par le climat, le
"décollage horaire", le "traumatisme" financier,… . Et
puis, ils s’entassant dans une chambre de 18 mètres carrés avec 2 ou 3 individus.
Tout cela met l'étudiant dans une situation précaire pour pouvoir suivre
convenablement son année universitaire. Cependant, ceux qui viennent avec un
budget plus ou moins acceptable arrivent à tenir l’année, car issus de familles
plus ou moins riches.
Et même s'ils arrivent difficilement à
valider ou pas, leur première année semble ardue. L’autre vague d’arrivants qui
continuent dans les provinces sont plus solidaires, car étant abandonnés à
eux-mêmes sans aucune structure familiale établie dans la ville, la majorité de
ces derniers vivent dans les cités universitaires dans des chambres allant de
9, 12, 19 mètres carrés. Ils ne sont pas plus solidaires de ceux qui sont
restés sur Paris par gentillesse ou par compassion, mais c’est juste que les
conditions les forcent à s’unir pour vivre décemment et éviter que certains se
retrouvent dans la rue ou soient obligés de plier bagages : soit de retourner
sur Paris ou de rentrer chez eux.
Des pareils cas ont été enregistrés
chez pas mal d’étudiants qui n’ont pas pu tenir le coup. La plupart des cas,
ces derniers (les étudiants mauritaniens en province) sont hébergés par leurs
camarades ou compatriotes, en attendant de trouver une solution. Ceux qui ont
des moyens et un niveau de master trouvent une chambre facilement, qu’ils
partageront avec l'un de leurs camarades ou compatriotes.
En 2012 à Montpellier, moi et mon
cousin de Seydou Ndiath, nous étions tenus d’héberger temporairement 4
étudiants dans une chambre de 19 mètres carrés, l’un d'eux était venu sans
adresse. Je me rappelle bien de ses propos qui nous font rire jusqu’à nos
jours, avec son accent Soninké : "En tant qu’homme je n’ai pas eu peur de
l’aventure. Quand je suis arrivé sur Paris, j’ai cherché à avoir des contacts
sur Montpellier, en vain. Sachant que mon inscription arrive à terme, j’ai
décidé de venir à l’improviste Montpellier, décidé à affronter la galère, le
froid et la faim, car je sais que Dieu ne va pas m’abandonner en tant que
musulman, je trouverais des musulmans comme moi qui viendront à mon secours,
comme c’est le cas maintenant". Dans cette période, les étudiants
mauritaniens établis à Montpellier ont fait preuve de courage et de solidarité.
Ainsi, on a reçu plus d’une vingtaine
d’étudiants mauritaniens qu’il fallait partager entre le peu de chambres que
l’on partageait entre les doyens (un nom que les nouveaux attribuent
fraternellement à ceux qu’ils ont trouvé sur place et qui les héberge
temporairement, "HDD"). C’est ainsi qu’on a mis en place une "cellule d’urgence"
pour partager les étudiants dans les différentes chambres, clandestinement. Car
il est interdit par le CROUS d’être à deux dans une chambre de 12 mètres carrés
ou de 3 dans une chambre de 19 mètres carrés.
Je ne me pardonnerais pas de ne pas
citer les noms de ces braves "étudiants doyens" qui ont prouvé à ces
nouveaux venus que la solidarité est une valeur humaine indispensable à la
survie. C’est l'exemple d'Ansoumani Sakho qui fut l’élément incontournable de
"la cellule d’urgence", le doyen Moctar Ly pour sa compassion et sa
disponibilité, Ben Youssouf Diagana et Amara Bathyli deux soldats infatigables
toujours disponibles pour leur frère, Seydou Ndiath dit Dolché pour son
humanisme, et aux stéphanois (Nouadhibou) drôles et remplis de qualités
humaines Aliou Dia et Yaya Sarr. Au-delà de ces soucis logistiques, l’étudiant
est hanté par une question lancinante : travailler à mi-temps ou étudier dans
la précarité ?
Avec la crise qui sévit dans les pays
occidentaux, le travail est devenu une denrée rare. Et le peu de boulots que
les étudiants arrivent à décrocher sont des travaux pénibles. Une exploitation
terrible. Avec ces conditions, l’étudiant arrive à peine à aller à la fac, à
plus forte raison de se concentrer convenablement à ses cours. Face à des
professeurs occidentaux indifférents (à la limite racistes) ne rendent pas les
choses faciles.
Dans l’errance et l’angoisse de tous
les jours, ces derniers vivent humblement avec la tête haute, se battant bec et
ongles pour s’en sortir. Car derrière eux, ils ont laissé une famille dont l’espoir
nourrit la sève d’une mère qui ne cesse de prier et de d'égrainer le chapelet
pour le fils prodige qui se trouve au "Waalo fendo", à la recherche
d’un avenir meilleur.
Si je fus un bon Nietzschéen j’allais
décrire des scènes et des situations difficiles que vivent les étudiants
étrangers en France, particulièrement ceux de Mauritanie, Sénégal et Mali.
Cependant, j’évite de passer pour un monstre de la plume pour hanter vos
sommeils, par les cris de ces enfants que leur propre pays a quasiment abandonné.
C’est dans ce cadre que j’écris cet
article dans l’espoir d’alerter les autorités de mon pays, c'est-à-dire faire
une analyse de conscience, pour s’occuper de la question des dignes fils du
pays qui agonisent dans ce pays ou l’individualisme ronge la société. L’Etat
mauritanien doit savoir que ces enfants sont partis à l’étranger à la quête des
diplôme. Ils sont le produit d’un investissement, maigre soit-il, des caisses
de l’Etat à travers les équipements scolaires secondaires et universitaires.
Ne pas continuer à les soutenir à
l’étranger serait une perte énorme pour la Nation, car l’investissement ne va
pas porter ses fruits. Nombreux sont les étudiants qui abandonnent, car vivant
dans des conditions insupportables humainement, et les quelques rares parmi eux
qui décrochent leur master hésitent de rentrer, fuyant le chômage. C’est ici
que l’on voit un diplômé avec un diplôme Bac+5 finir plongeur dans un
restaurant ou agent de sécurité. Tout étudiant fils du pays qui entre dans ce
pays est venu avec une motivation énorme et l’envie de réussir au-delà de tout.
Si l’Etat saisit cette occasion en les octroyant des bourses moyennant 400
euros par mois sous réserve de quelques conditions, je suis convaincu que nous
aurions de brillants diplômés qui serviront le pays.
Ainsi, feu Moktar Ould Daddah dira ceci
: "La Mauritanie de demain sera ce qu’en fera sa jeunesse de demain".
Une nation n’est mieux servie qu’avec des têtes et non des bras. Un autre dira
: "L’armée devrait être le bras de la nation et jamais sa tête".
Nous, étudiants mauritaniens de l’étranger, demandons à l’Etat mauritanien
d’orienter leur regard sur ces dignes fils qui se retrouvent à l’étranger dans
des conditions épouvantables, pour instaurer des bourses d’études à l’ensemble
des étudiants qui se trouvent à l’étranger selon des critères justes et
égalitaires pour tout le monde, au-delà des différences de la couleur de la
peau, et des disciplines universitaires. Car nous sommes ici pour obtenir des
diplômes et retourner bâtir notre pays dans la voie juste et légale. Autrement,
ça sera un désastre que les fautifs payeront très cher dans ce monde ou dans
l’autre.
Je ne
suis qu’un néophyte conscient de ce que doivent être les choses pour rêver à un
monde meilleur. Autrement, je ne suis pas de ce monde et nous sommes prêts à
déployer tous les moyens nécessaires pour que ce monde soit le monde dont ont
rêvé les grands de ce monde comme Abraham Lincoln, Mahatma Gandhi, Martin Luter
King, Nelson Mandela,… Si non, nous mourons tous comme des Malcolm X.
Dia Abdoulaye Oumar
Etudiant chercheur en
anthropologie, et membre de laboratoire de recherche en anthropologie à
l’Université de Montpellier III 2010-2013.
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