Par Guy Samuel Nyoumsi,
Vice-président Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN)
1.
Sommes-nous si éloignés de l’urgence et de la nécessité
d’une citoyenneté africaine ?
La
Journée de l’Afrique s’est célébrée le 25 Mai de cette année 2015, en
commémoration de celle, éponyme du 25 mai 1963 qui inscrivait dans le marbre de
la charte des Nations africaines, les accords scellant l’organisation de l’Unité
Africaine (O.U.A.), à Addis Abeba.
L’occasion
était opportune voire idoine de réfléchir comme à l’accoutumée sur l’Afrique et
son devenir. Mieux, le 25 mai de cette année, tout en nous offrant un temps
d’arrêt pour mesurer le chemin parcouru par l’organisation, les peuples, les
nations et les Etats d’Afrique, dans la quête des idéaux de 1963, nous
consolidait dans la nécessité de déconstruire la réalité du Paradigme de
« l’Union Africaine » (U.A.) de l’heure, pour introspecter,
interroger, prospecter, nourrir la réflexion, et de proche en proche, reconstruire le rêve
d’unité suscité, cinquante deux ans plus tôt, par les Pères Fondateurs, au
lendemain des indépendances africaines.
Que
nous offre aujourd’hui la réalité ou à tout le moins le rêve d’unité sorti des
fonts baptismaux de la conférence des Chefs d’Etats africains de 1963.
L’actualité
récente nous instruit, cinquante deux ans après, que le Continent africain
longtemps exploité mais vilipendé, à la fois convoité et marginalisé, est
devenu plus que par le passé, l’objet d’enjeux dont le caractère multiforme
interpelle, à l’échelle planétaire, les peuples, les nations et les Etats
africains. Le phénomène de la globalisation amplement favorisé par l’explosion
des nouvelles technologies de l’information et de la communication, a contribué
à briser les barrières mentales, comportementales et géo-culturelles, inférant
dans la conscience et l’inconscient collectifs des peuples de tous les
continents, « l’acception d’une citoyenneté mondiale ».
Paradoxalement,
il est constant qu’une fois sortis de la
« nuit coloniale », les Etats africains ont été confrontés aux forces centrifuges et
centripètes qui, lorsqu’elles ne les vidaient pas de « leur
substance », les emplissaient des semences de la division, reléguant
« aux calendes africaines », le sentiment d’appartenance à un même
continent.
Savamment
entretenus par des intérêts occidentaux, des foyers de conflits intra ou
extra-étatiques se sont ici et là, allumés en Afrique, générant des peurs sécuritaires
et des replis identitaires, catalysant des égoïsmes nationaux lorsqu’ils ne
désintégraient pas le tissu économique, n’ébranlaient pas le
« ciment » de la cohésion sociale ou ne fissuraient pas « les
fils » de la coexistence pacifique entre les peuples et nations du
continent.
Dans
un contexte marqué par la globalisation et l’ouverture aux souffles venus
d’ailleurs, la problématique unitaire de l’Afrique se décline en ces
termes : peut-on être africain et citoyen du monde sans au préalable être
citoyen de son propre continent ?
A
la question ainsi posée s’étale aux yeux de tout observateur, la réponse toute
en nuances et en circonvolutions, qui veut que l’Afrique peine à s’approprier
son énorme potentiel naturel, humain, politique, économique et culturel. Pis
encore, le partage de l’Afrique opéré à Berlin en 1885 sous la poussée des
impérialismes, n’a pas seulement consisté en un découpage artificiel du
Continent ; il a durablement, et ce, jusqu’à nos jours insufflé au
Continent, les germes de la division et des conflits tout aussi arbitraires que
superfétatoires.
Il
est à l’évocation du découpage de l’Afrique, antérieur au rêve unitaire du 25
mai 1963 et de la mouvance de la mondialisation, postérieure au pillage des
richesses du sol et du sous-sol africain par les puissances coloniales et
néo-coloniales, une préoccupation lancinante : pourquoi l’Afrique se
présente-t-elle toujours en rangs dispersés au « Rendez-vous du donner et
du recevoir ? ».
Près
de quatre siècles de traite humaine n’ont-ils pas suffi au nouveau monde pour
expier la dette esclavagiste envers le Continent africain ? La traite
négrière abolie par le sursaut de conscience né de la philosophie « des
lumières » s’est muée en exploitation éhontée des ressources en matières
premières destinées à alimenter les industries européennes. De la
marchandisation des êtres, l’heure sonnait pour que soit instaurée la
marchandisation du secteur primaire africain. Les pays africains devenus des « chasses
gardées » des puissances impérialistes ne seront rien moins que des
comptoirs coloniaux. L’injustice, l’iniquité, « le ravalement au rang de
bête de somme seront quelques indicateurs de la nature des échanges commerciaux
au sein des comptoirs coloniaux. Un tel système ne pouvait perdurer qu’avec le
relai d’une aggrégation d’actions de politiques coloniales : l’aliénation
culturelle, le déracinement, l’éducation occidentale, la conversion religieuse,
la contrainte par le canon du fusil.
Il
fallait selon la vulgate consacrée « apporter aux indigènes et peuplades
arriérées, la civilisation ».
La
postérité de l’aventure civilisatrice de la colonisation a connu des fortunes
diverses allant de la soumission forcée des peuples à leur désir d’émancipation.
Les indépendances furent au sortir des brimades et privations coloniales un
moment de ferveur, de volonté patriotique et collective de prise en mains des
rênes du destin de nos jeunes états, un formidable élan de concorde que
s’emploieront très tôt à juguler et à fragiliser les suppôts du néocolonialisme
tapis à l’ombre des jeunes républiques.
Il
était en effet facile de faire resurgir voire susciter des clivages ethniques
et/ou tribaux au sein de nos jeunes nations et s’ériger en arbitres, lorsque
ces derniers tournaient en affrontements, la plupart du temps meurtriers. Il
était courant que le refus d’allégeance à la puissance tutrice ou tutélaire s’érigeât en
« casus belli », mettant en péril les fragiles institutions de lors, quand à la tête de nos Etats, l’ancienne
puissance coloniale n’imposait pas tout simplement des hommes à la solde de ses
intérêts.
Il
s’agissait en clair de faire regretter les indépendances aux peuples qui les
avaient chèrement conquises, pour qu’ils lui préfèrent « le temps béni des
colonies ». Or, l’explosion des sentiments d’attachement à une terre
ancestrale que les accidents historiques et géographiques avaient mis à la
disposition des peuples d’Afrique, balayaient jusqu’à l’absurde, toutes les
manœuvres de déstabilisation et de déliquescence du sentiment patriotique,
certes embryonnaire, mais
instinctivement ancré dans l’inconscient collectif des jeunes nations.
C’est
davantage dans ce bouillonnement des nationalismes et contre les clameurs du
« chant de sirènes venu de l’occident », que naît dans l’allégresse,
l’organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.) devenue Union Africaine
(U.A.). Née sous les meilleurs auspices
et portée avec ferveur par des hommes dont l’ambition était de réunir autour
d’un idéal commun, les différents Etats du Continent, l’OUA dans l’esprit des
pères fondateurs avait vocation d’inscrire le renforcement de l’Unité du
Continent au premier rang des préoccupations de nos jeunes Etats, afin que
l’Afrique puisse parler d’une seule voix dans le concert des Nations.
A
sa création, l’OUA avait en projet, la promotion et la mise sur pied
d’institutions régionales et sous-régionales, socles d’une construction plus
solide. Cinquante deux ans après, ces institutions existent ; elles sont
même pléthoriques, d’où une certaine inefficacité. Pourtant, quelques-unes
telles la CEDEAO ou l’EAC ont une longueur d’avance en matière d’intégration
régionale. De fait, les ressortissants des Etats membres de la CEDEAO et de
l’EAC n’ont besoin que de leur passeport pour se déplacer, les frontières des
Etats de l’Institution sous-régionale leur étant ouvertes. En revanche, les
ressortissants de la CEMAC ou CEEAC ont toujours besoin de visas. Les
dirigeants de cette zone se refusant d’instaurer un passeport CEMAC ou CEEAC à
l’ordre du jour depuis des décennies.
Le
Mozambicain qui se rend en Angola doit se prémunir d’un visa, alors qu’il ne
lui sera demandé que son passeport pour aller en Afrique du Sud. Le Mozambique,
l’Angola, l’Afrique du Sud sont pourtant tous des Etats-membres de la SADC ou
de la Communauté des pays ayant le Portugais en partage.
L’Afrique
idéale dont avait rêvé les Pères fondateurs demeure de facto, une idée
abstraite. La raison en est simple : l’intérêt continental ne prime pas
encore sur celui des Etats, mais, sommes-nous si éloignés de l’urgence et de la
nécessité dans ce monde globalisé, d’une citoyenneté africaine ?
2.
La citoyenneté africaine
à l’épreuve de la globalisation
Les mots « unité » »,
« intégration régionale », « solidarité » ne continuent-ils
pas de résonner tels « des bibelots d’inanités sonores » aux oreilles
de nombreux africains confrontés au quotidien à la mal vie et enclins à
rechercher «un ailleurs meilleur » que l’obturation des horizons africains
renforce avec son cortège de xénophobie et d’incertitudes.
Dans
ces conditions, il est évident que les Africains, même s’ils adhèrent au rêve
unitaire, peinent à mutualiser les moyens et ressources tendant à faciliter la
transmutation dans la réalité, de l’idéal unitaire des pères fondateurs de
l’O.U.A.
Sinon,
comment expliquer les violentes émeutes d’avril 2015 qui ont embrasé l’Afrique
du Sud ? Emeutes dont le bilan de six morts et cinq mille déplacés peut
passer pour anecdotique, mais qui représentent au plan symbolique, une reculade
éhontée dans un passé marqué par l’horrible politique de l’apartheid, une résurgence
fâcheuse de rupture avec le modèle de cohésion entre des races cohabitant
pacifiquement : Noirs, Blancs, Indiens, au sein d’un même pays, d’une même
nation ayant pour emblème « l’Arc-en-ciel ».
L’Afrique
du Sud, fameuse nation « arc-en-ciel » dont rêvait Nelson Mandela ne
se dissipe-t-elle pas dans les affres de la division identitaire illustrée par
« le rejet de l’autre » ? La stigmatisation de l’étranger accusé
de tous les maux au premier rang desquels la concurrence déloyale tant au plan
commercial que de l’emploi, n’est-elle pas la parfaite démonstration que
perdurent au sein de nos pays africains, des clivages et réflexes séparatistes
qui font de la présence en Afrique du Sud, du travailleur Mozambicain ou
Zimbabwéen du jour au lendemain, l’ennemi subit, « le bouc-émissaire » choisi pour conjurer
les crises passagères dans un secteur donné de la vie économique ou commerciale
Sud-Africaine ?
Les
émeutes xénophobes dont il convient de dire
qu’elles ne sont pas seulement le lot de la nation
« arc-en-ciel » se veulent la plupart du temps tributaires du
mal-être, de la précarité, de la pauvreté matérielle ou morale partout où ces
maux s’établissent. Les disparités de niveau de vie au sein de nos sociétés
africaines n’ont de raison d’être qu’en vertu de la distribution inégale des
richesses dont l’une des résultantes est
l’inexistence d’une classe moyenne forte.
La
confiscation des fruits de la croissance par une élite politique égocentrique,
parfois disetteuse, à tout le moins insatiable, constitue à bien des égards,
l’une des entraves à la fédération des consciences pour la poursuite du seul
combat que l’Afrique doit mener : le combat contre la pauvreté. Plus qu’un
devoir, la lutte contre la pauvreté s’impose à l’Afrique comme une exigence,
une obligation qu’il faut cesser de restreindre à la simple échelle du
microcosme de nos nations d’appartenance, pour l’inscrire à l’aune de nos sous-régions,
de nos régions et de notre continent, entérinant ainsi la célèbre formule
d’Albert Camus selon laquelle « il n’y a aucun bonheur à être heureux tout
seul ».
L’Africain
de souche que je suis, Vice-Président du Conseil Représentatif des Associations
Noires de France (Le CRAN), chargé des Relations avec l’Afrique et des Affaires
Internationales, a la faiblesse de penser que les égoïsmes nationaux, la
xénophobie, la stigmatisation de l’étranger n’émanent pas des cultures
nationales africaines. Ils sont la reproduction des schèmes comportementaux
importés et savamment inoculés par une culture occidentale soucieuse
d’instrumentaliser les Africains aux fins d’intérêts avoués ou inavoués, en
tout cas, solidaires de la fameuse
déclaration de politique extérieure du Général de Gaule stipulant que
« les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».
Il
est dans l’intérêt des Etats africains de n’avoir en Afrique que des amis
africains sincères et soucieux de participer à la mutualisation des savoirs,
des savoir-faire, des expériences. Il est impérieux de recréer cette culture de
la solidarité immanente à l’Afrique millénaire ainsi que l’histoire occultée
pour les besoins de la cause, l’atteste, le révèle, par delà les compromissions
et trahisons et bien au-delà de « la camisole de force » de tous les
systèmes impérialistes, coloniaux, néo-coloniaux et leurs diverses mutations.
L’Afrique
hospitalière et ouverte aux souffles venus de tous les autres continents n’est
rien moins que le « berceau de l’humanité ». Elle est appelée contre
vents et marées à être « l’oxygène » du monde, le « socle »
des siècles futurs, le devenir d’un monde globalisé plus équitable, plus juste,
plus humain, nonobstant les foyers de tension injustement allumés et entretenus
par ceux dont le dessein rétrograde est de maintenir l’Afrique sous « coupe réglée » et
retarder au maximum ses ambitions de
maîtrise de son développement.
Dans
un monde reproducteur en 2015 d’un scénario préfigurant « une guerre
illimitée » issue des cendres de la « guerre froide », il est
constant aujourd’hui que l’économie, la sécurité, la politique, la
communication, les finances, l’éducation, la culture, la science, le commerce,
le marché, la monnaie, le sport sont devenus des terrains propices à des
affrontements d’un genre nouveau. Le caractère polymorphe et global de la
conflictualité actuelle est d’une invasion telle qu’il est urgent que les
Africains marquent un temps d’arrêt pour apprivoiser le contexte nouveau fait
d’adversité et de conflits d’intérêts.
La
guerre du Golfe initiée sous tous les prétextes aujourd’hui reconnus comme
injustifiés, a permis le démantèlement de l’IRAK de Saddam Hussein. L’opération
« Tempête du Désert », conduite sous la houlette de Georges W. Bush
inaugurait « La guerre des Golfes » dont on sait de nos jours qu’elle
a cours dans le Delta du Nigéria, sous une forme liée à la piraterie maritime,
en Guinée Equatoriale sous le visage
d’escarmouches visant à faire main basse sur les installations
pétrolières du Golfe de Guinée ; et à quelques nuances près, dans la péninsule
de Bakassi au Cameroun frontalière du Nigéria où des affrontements armés ont
pu, sous la sagesse des Chefs d’Etat, des deux pays et sous l’égide des Nations-Unies,
alors secrétaire général des Nations Unies, connaître une issue pacifique.
Il est loisible de
dire que « La Guerre du Golfe est devenue la Guerre des Golfes ».
Ce tour d’horizon des
conflits dans le monde et en Afrique indique à l’envi, que les Africains du
Continent comme ceux de la diaspora doivent s’interroger sur les mécanismes,
les stratégies, les ressorts en leur possession de fédération des intelligences
et know-how, afin que le Continent africain puisse enfin être solidaire de son
destin : celui du règlement pacifique des conflits par la négociation et
le dialogue, celui de la recherche d’un modèle africain de développement.
3.
La citoyenneté africaine avec la nécessité de rassembler
ce qui est épars.
Comment
rassembler «Ce qui est épars ? ».
Ce qui est épars,
c’est l’émiettement de la conscience collective relativement au rêve unitaire
et à l’appropriation d’une citoyenneté africaine.
Ce
qui est épars, c’est l’intelligence, les savoirs, les savoir-faire africains
qui contribuent ailleurs et sous d’autres cieux à bâtir la fortune des nations
autres que celles de notre continent.
Ce
qui est épars, c’est l’absence d’une prise de conscience à l’échelle africaine
de la nécessité d’introduire dans tous les programmes d’éducation et d’instruction civique au sein
de l’Afrique francophone, luisophone, hispanique, arabe, l’enseignement des
institutions africaines et panafricaines, leur rôle, leur but, les bienfaits
qui peuvent en résulter.
Ce
qui est épars, c’est l’amitié entre les peuples, latente au sein de tous
les peuples et nations africaines, mais qui mérite d’être valorisée en termes
de rencontres et d’échanges constructifs et utiles pour qu’au-delà de
l’hospitalité qui est en soi déjà une marque louable de convivialité, l’amitié
serve de ciment à « l’alliage unitaire ».
Ce
qui est épars, c’est l’effort commun, la convergence des énergies des filles et
fils de l’Afrique, la conversion du regard porté sur le potentiel naturel et
humain de l’Afrique en vue de sa valorisation pour l’émergence et le
développement des Africains.
Il
convient pour « rassembler ce qui est épars » et s’insérer dans la
dynamique unitaire, que l’Union Africaine inscrive dans ses préoccupations
majeures, une manière de « Plan Marshall » tenant lieu de code
éthique et de conduite d’actions concrètes, aux plans politique, économique,
social, culturel, éducatif, communicationnel, visant à inciter les Chefs d’Etat
du Continent à rechercher toutes les voies et tous les moyens destinés à
rallumer la flamme unitaire au sein des peuples dont ils président aux
destinées.
En clair, il s’agit
d’éveiller les consciences des nations africaines à l’idée qu’unies, elles
constituent une force inestimable, capable de briser les chaînes du « syndrome
psychodramatique » qui fait de l’Afrique « un mendiant assis sur un
trésor et qui tend sa sébile aux occidentaux pour n’en recueillir que de la
menue monnaie, pendant que ses pseudo-bienfaiteurs, afin de s’emparer du
trésor, ne rêvent que du moment propice où il quitterait sa posture
assise ».
Sortir
de la parole et du discours incantatoires consiste à faire « le tour du
propriétaire », au sens strict de l’examen de ce qui est propre à
l’Afrique, de reconsidérer nos immenses lacunes et faillites non seulement pour
en mesurer l’étendue, mais pour ensemble rechercher les mesures correctrices ou
correctives. Ce tour du propriétaire qui n’est rien moins qu’une introspection,
une évaluation diagnostic permettrait éventuellement de dégager les
défaillances, les manquements qui privent l’Afrique des « clés de son
développement économique, humain, culturel » et par conséquent, retardent
la dynamique unitaire.
Ne
s’en tenir qu’à une introspection serait n’avoir fait que la moitié du chemin
« Le tour du propriétaire » de l’Union Africaine devra aussi se plier
à un exercice qui peut paraître fastidieux : revisiter le potentiel sans
doute unique au monde de la richesse naturelle (faune - flore arborescente
et/ou médicinale – minerais), énergétique,
culturelle, humaine de l’Afrique.
Loin
de moi la prétention de procéder à une énumération exhaustive des gisements de
richesses dont le continent regorge, encore moins d’en faire l’inventaire des
ressources humaines et culturelles parfois laissées en déshérence, malheureusement à tort. Un
regard prospectif et empirique donne à observer que l’extraversion de nos
économies, leur dépendance des modèles importés, l’exposition de nos ressources
du sol et du sous-sol au pillage, sont la conséquence de l’inexistence d’un
tissu industriel en mesure de transformer la matière première en produit fini.
Les pertes inestimables en devises qui découlent de l’incapacité des pays
africains à capitaliser la plus-value inhérente à la rente naturelle, sont
telles que l’Afrique ne pourra jamais espéré que ses richesses impactent sur le
bien-être de ses populations. Bien au contraire, l’Afrique dans le contexte
actuel, doit s’apprêter à reproduire « la rengaine somme toute « mythique»
qu’elle serait maléficiée du fait de ses richesses, si d’aventure elle cédait
au « chant des sirènes ».
Rassembler
ce qui est épars consiste impérativement à rechercher à l’échelle du continent,
un modèle africain de développement. Pourquoi ne pas recourir à l’histoire qui
nous instruit que pour asseoir les
impérialismes, l’Allemagne hitlérienne avait conçu dès 1933, le dessein de
mettre main-basse sur l’Afrique de manière à en faire une propriété du
Reich ? N’est-ce pas dans ce plan d’annexion et de soumission des peuples
que tous les colonisateurs ont puisé leur source d’inspiration pour asseoir
leur domination ?
Le
déracinement, l’acculturation, l’assimilation instaurés par l’idéologie
coloniale ont bêché dans les sillons de la volonté de puissance du Colon et de
la soumission du Colonisé allant parfois jusqu’à la négation des origines, des
racines culturelles et cultuelles de ce dernier. Il va sans dire que les
Africains ont ouvert devant eux, un vaste champ d’investigation dont la
méthodologie prospective se décline en deux phases :
1- Puiser dans l’histoire les constantes ayant consisté à
subvertir le génie ou l’ingéniosité héritée de leurs ancêtres et autres
ascendants séculaires ;
2- Reconstruire les invariants culturels, cultuels et
humanistes de culte de la civilisation africaine, dans un élan de
reconnaissance commune de tous les africains.
Nos manquements tiennent
en grande partie de l’impossibilité dans laquelle sont les africains de se
reconnaître comme participant à une communauté de destin. Les séquelles de nos
parcours communs bien que singuliers, sont lisibles dans ces replis
pseudo-identitaires et affectifs.
Mieux encore,
l’historicité des parcours existentiels de nombreux africains entretenue par
une médiatisation accrue de la misère matérielle et morale du Continent, a
abondamment contribué à faire croire aux originaires d’Afrique que « l’El
Dorado » se trouvait en Europe. Ils ne se trompaient pas.
L’Europe réunissait
toutes les opportunités d’encadrement intellectuel, matériel, moral et de
progrès individuel. Mieux, l’Europe valorisait l’être dans toute son entité et
sa volonté de s’épanouir. Se sentant reconnu comme porteur de valeurs et digne
d’être pris en considération, se sachant écouté, entendu et compris, l’Africain
en exil ou à la recherche du bien-être ailleurs que dans son continent
d’origine, ne pouvait que s’épanouir et dans l’euphorie illusoire d’un Occident
essentiellement «calculateur », donner en guise de reconnaissance à son
pays d’accueil, l’énergie, le savoir et le savoir-faire que ce pays lui avait
apporté : « La réponse du berger à la bergère » me diriez-vous ?
Mais, il est un
invariant qu’il me semble utile de relever : l’Africain installé et
reconnu dans sa qualification à l’extérieur, conserve un sentiment
d’attachement très fort à l’endroit de son pays d’origine. Quelle que soit sa
valeur, quelle que soit la considération que le pays d’accueil lui
accorde, il existe des faits, gestes et évènements qui lui rappellent
qu’il n’est rien moins « qu’un étranger bénéficiant indûment de ce qui eût dû appartenir aux
authentiques fils du terroir ». Ce malaise, ce mal être spécifique,
cette manière de fascination-répulsion,
sont la caractéristique des diasporas africaines du monde.
Rassembler ce qui est
épars, c’est donner un contenu concret, accepté et mis en pratique par tous les
Etats du Continent, relativement à l’apport des diasporas africaines au
développement du Continent africain.
4.
Diasporas africaines et nécessité d’une citoyenneté
africaine.
Selon la Banque
Mondiale, l’épargne de la diaspora africaine, s’élève à 53 milliards de dollars
par an, laquelle est supérieure aux envois de fonds annuels vers le Continent.
Il est de même révélé par le Rapport (2009) du Fonds International pour le Développement
Agricole (FIDA), Agence des Nations Unies qui s’occupe de la Pauvreté rurale,
que les travailleurs africains envoient plus de 40 milliards de dollars
américains vers leur pays d’origine, chaque année.
Les sommes envoyées
par les diasporas constituent pour certains pays receveurs, une source
important de revenus dépassant parfois les montants des aides publiques au
développement (APD).
Dans certains pays,
cette contribution atteindrait 20 à 25% du Produit Intérieur Brut (PIB).
La diaspora africaine que la Charte de
la commission de l’UA (Union Africaine) désigne comme « les personnes
d’origine africaine visant hors du continent africain et désireuses de
contribuer à son développement et à la construction de l’Union Africaine,
quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité », représente,
ainsi qu’il m’a été donné de l’entendre de la présidente de la Commission de
l’Union Africaine NKOSANA DLAMINI ZUMA la « 6ème Région » Economique
d’Afrique». Une telle considération doit dépasser la formulation purement
politique pour cerner les contours réels de la problématique et de la chance
phénoménale que l’Afrique peut tirer, grâce à la pensée critique, de la
diaspora africaine disséminée dans le monde. Selon Jean Rameau Sokoudjou, roi
des Bamendjou (village situé dans l’Ouest du Cameroun) : « Il est
urgent de venir puiser dans les traditions ancestrales des repères qui ont
résisté au temps et qui peuvent nous servir dans la construction de
demain »
Il me semble opportun
de souligner que les diasporas africaines sont soucieuses du développement de
leur pays d’origine. Ce qui manque le plus, c’est l’intérêt que les Etats et
l’Union Africaine leur accordent en termes de programmes dont on sait très bien
qu’ils ne sont que des produits clés-en-main rappelant fâcheusement les plans exogènes
dont l’inefficacité est en grande partie responsable de la situation économique
catastrophique du Continent.
Les Africains, face à
la mouvance planétaire du développement tant inégal qu’inéquitable, ne
perçoivent-ils pas l’urgence d’une réflexion approfondie, afin qu’il ne soit
pas laissé aux autres l’opportunité de décider en ses lieu et place ?
Les Africains doivent
savoir que l’une des subtilités conceptuelles destinées à contrôler, capter ou
capitaliser les fonds transférés dans le Continent par les « migrants
africains » est le co-développement. Le co-développement vise en effet, à
prendre en compte les intérêts des pays d’origine et ceux des pays d’accueil
dans les programmes de développement par la signature des accords de
coopération entre les Etats africains et l’Europe, ainsi que les institutions
internationales pour mettre fin à l’informel dans le transfert des fonds ;
réduire frais de transferts généralement très élevés ; canaliser les fonds
sur place vers des investisseurs productifs ; inciter les cadres immigrés
à retourner travailler en Afrique.
Or l’accroissement
des inégalités entre le Nord et le Sud a conduit à durcir les législations
destinées en Occident à contrer ou à stopper la migration. A contrario,
du fait des famines, des guerres et des faillites des gouvernements africains,
les candidats à la migration sont de plus en plus nombreux.
La réponse réside
sans doute dans la question : le co-développement vise-t-il à
freiner l’immigration ou à développer l’Afrique ?
Je suis d’avis que
les problèmes du développement de l’Afrique ne sont pas que financiers. Ils
sont encore moins dépendants de la démocratie à l’occidentale comme solution
clés en mains ! Ils sont pourtant tributaires de la recomposition
économique des pays et de la transformation en Afrique des produits finis.
Il est toutefois
entendu que tout ce qui précède ne peut servir que de cadre de création d’un
espace d’opportunités, d’aménagement des conditions d’un environnement propice
à l’investissement et à la création tant des emplois que de la richesse.
Mais d’où vient-il
que de là pourrait survenir l’intérêt de se sentir africain ou alors de se prévaloir d’une citoyenneté
africaine ?
L’Union Africaine et
à travers elle, les Etats africains ont vis-à-vis des nations et peuples
africains, un rôle primordial à jouer. Les conférences des chefs d’Etat doivent
au premier chef inscrire dans leurs programmes d’action, l’éducation à la
citoyenneté africaine. Les institutions de l’Union Africaine, leurs mécanismes
et leur finalité doivent être au centre
de l’apprentissage des jeunes africains
afin qu’ils s’approprient les idéaux historiques et les contingences actuelles
en mesure d’autoriser la formation de leur propre jugement. Cet aspect de la
reconstruction du rêve unitaire est urgent et nécessaire.
L’autre volet et non
des moindres, c’est de faire de la diaspora africaine que l’Union Africaine
considère comme la « 6ème Région économique d’Afrique »
une réalité. Comment ? En communiquant
mieux, en favorisant pour mieux l’étendre, les modèles éthiopien et
Rwandais tout en les améliorant. Ces Etats sont parvenus à capitaliser l’apport
de leurs migrants dans le développement de leur pays.
L’apport de la
diaspora ou des diasporas africaines, c’est mon avis, passera par la levée de « la chape de plomb de la double nationalité.
Selon Kathleen Newland, spécialiste des migrations et du développement à l’Institut des politiques de
migrations (MPI), les gouvernements africains doivent s’informer davantage sur
les membres de leur diaspora et créer des liens plus solides avec eux afin de
mettre en place des politiques cohérentes pour susciter leur intérêt, plutôt
que de les traiter, soit comme des étrangers, soit comme des habitants du pays ».
Les cas du Rwanda et
de l’Ethiopie doivent faire école. En effet, le Rwanda et l’Ethiopie ont su
conduire des campagnes ciblant leurs expatriés pour les inciter à investir dans
des projets de développement dans leur pays d’origine. Des politiques
officielles ont été mises en place, au rang desquelles l’instauration de la
double nationalité pour leurs membres et le soutien des réseaux de la diaspora
de leurs ressortissants dans le monde, pour nouer des liens forts avec ceux
d’entre eux, nés à l’étranger.
L’Ethiopian Diaspora
Directorate, établie en 2002 informe à travers un site Internet les membres de
la diaspora, des possibilités d’investissement et de commerce en Ethiopie, des
projets de développement, des politiques du gouvernement les concernant, des services
de soutien existant à leur endroit.
Les Ethiopiens nés à
l’étranger peuvent demander une « carte jaune » leur donnant des
droits et des privilèges similaires à ceux des citoyens de leur pays d’origine.
Les titulaires d’une « carte jaune » peuvent entrer sur le territoire éthiopien sans visa,
travailler sans permis et bénéficier d’un régime de retraite public.
C’est au demeurant
dans ce même ordre d’idées que le Ministère de la Santé éthiopien a mis sur
pied un service de la diaspora pour travailler en étroite collaboration avec
l’Ethiopian Diaspora Directorate sur le projet de construction d’hôpitaux, en
favorisant les échanges de compétences et en faisant venir des professionnels
de santé expatriés pour travailler dans le secteur. Le premier programme d’internat en réponse
d’urgence du pays a ainsi été conduit à bien.
Le Rwanda a conçu en
Août 2012 à l’échelle gouvernementale, la mise sur pied du fonds AGACIRO, un
« fonds solidaire » dont le but est d’affranchir le pays de l’aide
étrangère et d’autofinancer son développement. Ledit fonds géré par le
Ministère Rwandais des finances a selon
son site internet, atteint des contributions de l’ordre de 20.5 milliards de
francs rwandais soit 30.2 millions de dollars.
Ces deux cas auxquels
on pourrait ajouter une liste non exhaustive de 32 pays africains, ont mis en
place des services ou des ministères chargés de susciter l’intérêt de la
diaspora. Il reste que ceux-ci manquent souvent de personnel et de fonds ; les membres de la diaspora
étant peu outillés ou informés des initiatives des gouvernements. Il ne s’agit
donc pas comme cela est courant de ne compter uniquement que sur la fibre affective et les liens sentimentaux pour
pousser les membres de la diaspora à participer au développement de leur pays
d’origine. Il faut résolument passer « de la solidarité affective à une
solidarité de développement ».
Il a été démontré que
l’un des ressorts qui eût pu favoriser l’intéressement des diasporas africaines
aux projets de développement de leur pays respectif est l’allégation selon
laquelle « le droit de vote aux membres de leur diaspora les encouragerait
à investir, en ce sens qu’ils se sentiraient
acteurs et participants au processus politique par le choix du
gouvernement… »
A cette éventualité,
souhaitable mais lourde d’implications parfois contraires au contexte national
et à l’évolution des contingences, il pourrait être répliqué que :« les membres de la diaspora qui forment une part
importante de l’électorat, n’auraient pas nécessairement à vivre les conséquences de leur vote ».
Ces mots avisés de Kathleen Newland, en même temps qu’ils soulignent la
complexité de l’accès des diasporas au vote dans leur pays d’origine, mettent en exergue la nécessité d’un pont
communicationnel indispensable entre les membres des diasporas africaines et
leur pays d’origine. C’est le rôle des gouvernements africains, c’est le devoir
de tout état africain soucieux de ne pas laisser à l’USAID, au FIDA, à la FEMIP
(Facilité Euro-méditerranéenne d’Investissement et de partenariat) filière de
la BEI (Banque Européenne d’Investissement), le soin de capter, capitaliser et
finalement recycler « la rente financière » des diasporas africaines.
Pour tout dire,
aucune prescription, aucune proscription n’est à l’ordre du jour. Seuls les
chantiers de l’urgence et de la nécessité d’une citoyenneté africaine sont les
impératifs de l’heure. La reconstruction du rêve unitaire est une
cristallisation de tous les efforts qu’entreprennent et que poursuivront les filles
et fils de l’Afrique pour que leur contribution à l’échelle universelle,
apporte au monde, le souffle d’espérance venu de la lisière des cinq
continents.
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