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lundi 29 juin 2015

JOURNEE DE L’AFRIQUE 2015 : L’URGENCE ET LA NECESSITE D’UNE CITOYENNETE AFRICAINE



 Par Guy Samuel Nyoumsi, Vice-président Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN)


1.    Sommes-nous si éloignés de l’urgence et de la nécessité d’une citoyenneté africaine ?

            La Journée de l’Afrique s’est célébrée le 25 Mai de cette année 2015, en commémoration de celle, éponyme du 25 mai 1963 qui inscrivait dans le marbre de la charte des Nations africaines, les accords scellant l’organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.), à Addis Abeba.

            L’occasion était opportune voire idoine de réfléchir comme à l’accoutumée sur l’Afrique et son devenir. Mieux, le 25 mai de cette année, tout en nous offrant un temps d’arrêt pour mesurer le chemin parcouru par l’organisation, les peuples, les nations et les Etats d’Afrique, dans la quête des idéaux de 1963, nous consolidait dans la nécessité de déconstruire la réalité du Paradigme de « l’Union Africaine » (U.A.) de l’heure, pour introspecter, interroger, prospecter, nourrir la réflexion, et de    proche en proche, reconstruire le rêve d’unité suscité, cinquante deux ans plus tôt, par les Pères Fondateurs, au lendemain des indépendances africaines.

            Que nous offre aujourd’hui la réalité ou à tout le moins le rêve d’unité sorti des fonts baptismaux de la conférence des Chefs d’Etats africains de 1963.

            L’actualité récente nous instruit, cinquante deux ans après, que le Continent africain longtemps exploité mais vilipendé, à la fois convoité et marginalisé, est devenu plus que par le passé, l’objet d’enjeux dont le caractère multiforme interpelle, à l’échelle planétaire, les peuples, les nations et les Etats africains. Le phénomène de la globalisation amplement favorisé par l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, a contribué à briser les barrières mentales, comportementales et géo-culturelles, inférant dans la conscience et l’inconscient collectifs des peuples de tous les continents, « l’acception d’une citoyenneté mondiale ».

            Paradoxalement, il est constant qu’une fois  sortis de la « nuit coloniale », les Etats africains  ont été confrontés aux forces centrifuges et centripètes qui, lorsqu’elles ne les vidaient pas de « leur substance », les emplissaient des semences de la division, reléguant « aux calendes africaines », le sentiment d’appartenance à un même continent.

            Savamment entretenus par des intérêts occidentaux, des foyers de conflits intra ou extra-étatiques se sont ici et là, allumés en Afrique, générant des peurs sécuritaires et des replis identitaires, catalysant des égoïsmes nationaux lorsqu’ils ne désintégraient pas le tissu économique, n’ébranlaient pas le « ciment » de la cohésion sociale ou ne fissuraient pas « les fils » de la coexistence pacifique entre les peuples et nations du continent.
            Dans un contexte marqué par la globalisation et l’ouverture aux souffles venus d’ailleurs, la problématique unitaire de l’Afrique se décline en ces termes : peut-on être africain et citoyen du monde sans au préalable être citoyen de son propre continent ?

            A la question ainsi posée s’étale aux yeux de tout observateur, la réponse toute en nuances et en circonvolutions, qui veut que l’Afrique peine à s’approprier son énorme potentiel naturel, humain, politique, économique et culturel. Pis encore, le partage de l’Afrique opéré à Berlin en 1885 sous la poussée des impérialismes, n’a pas seulement consisté en un découpage artificiel du Continent ; il a durablement, et ce, jusqu’à nos jours insufflé au Continent, les germes de la division et des conflits tout aussi arbitraires que superfétatoires.

            Il est à l’évocation du découpage de l’Afrique, antérieur au rêve unitaire du 25 mai 1963 et de la mouvance de la mondialisation, postérieure au pillage des richesses du sol et du sous-sol africain par les puissances coloniales et néo-coloniales, une préoccupation lancinante : pourquoi l’Afrique se présente-t-elle toujours en rangs dispersés au « Rendez-vous du donner et du recevoir ? ».

            Près de quatre siècles de traite humaine n’ont-ils pas suffi au nouveau monde pour expier la dette esclavagiste envers le Continent africain ? La traite négrière abolie par le sursaut de conscience né de la philosophie « des lumières » s’est muée en exploitation éhontée des ressources en matières premières destinées à alimenter les industries européennes. De la marchandisation des êtres, l’heure sonnait pour que soit instaurée la marchandisation du secteur primaire africain. Les pays africains devenus des « chasses gardées » des puissances impérialistes ne seront rien moins que des comptoirs coloniaux. L’injustice, l’iniquité, « le ravalement au rang de bête de somme seront quelques indicateurs de la nature des échanges commerciaux au sein des comptoirs coloniaux. Un tel système ne pouvait perdurer qu’avec le relai d’une aggrégation d’actions de politiques coloniales : l’aliénation culturelle, le déracinement, l’éducation occidentale, la conversion religieuse, la contrainte par le canon du fusil.

            Il fallait selon la vulgate consacrée « apporter aux indigènes et peuplades arriérées, la civilisation ».

            La postérité de l’aventure civilisatrice de la colonisation a connu des fortunes diverses allant de la soumission forcée des peuples à leur désir d’émancipation. Les indépendances furent au sortir des brimades et privations coloniales un moment de ferveur, de volonté patriotique et collective de prise en mains des rênes du destin de nos jeunes états, un formidable élan de concorde que s’emploieront très tôt à juguler et à fragiliser les suppôts du néocolonialisme tapis à l’ombre des jeunes républiques.

            Il était en effet facile de faire resurgir voire susciter des clivages ethniques et/ou tribaux au sein de nos jeunes nations et s’ériger en arbitres, lorsque ces derniers tournaient en affrontements, la plupart du temps meurtriers. Il était courant que le refus d’allégeance à la puissance  tutrice ou tutélaire s’érigeât en « casus belli », mettant en péril les fragiles institutions de lors,  quand à la tête de nos Etats, l’ancienne puissance coloniale n’imposait pas tout simplement des hommes à la solde de ses intérêts.

            Il s’agissait en clair de faire regretter les indépendances aux peuples qui les avaient chèrement conquises, pour qu’ils lui préfèrent « le temps béni des colonies ». Or, l’explosion des sentiments d’attachement à une terre ancestrale que les accidents historiques et géographiques avaient mis à la disposition des peuples d’Afrique, balayaient jusqu’à l’absurde, toutes les manœuvres de déstabilisation et de déliquescence du sentiment patriotique, certes  embryonnaire, mais instinctivement ancré dans l’inconscient collectif des jeunes nations.

            C’est davantage dans ce bouillonnement des nationalismes et contre les clameurs du « chant de sirènes venu de l’occident », que naît dans l’allégresse, l’organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.) devenue Union Africaine (U.A.).  Née sous les meilleurs auspices et portée avec ferveur par des hommes dont l’ambition était de réunir autour d’un idéal commun, les différents Etats du Continent, l’OUA dans l’esprit des pères fondateurs avait vocation d’inscrire le renforcement de l’Unité du Continent au premier rang des préoccupations de nos jeunes Etats, afin que l’Afrique puisse parler d’une seule voix dans le concert des Nations.

            A sa création, l’OUA avait en projet, la promotion et la mise sur pied d’institutions régionales et sous-régionales, socles d’une construction plus solide. Cinquante deux ans après, ces institutions existent ; elles sont même pléthoriques, d’où une certaine inefficacité. Pourtant, quelques-unes telles la CEDEAO ou l’EAC ont une longueur d’avance en matière d’intégration régionale. De fait, les ressortissants des Etats membres de la CEDEAO et de l’EAC n’ont besoin que de leur passeport pour se déplacer, les frontières des Etats de l’Institution sous-régionale leur étant ouvertes. En revanche, les ressortissants de la CEMAC ou CEEAC ont toujours besoin de visas. Les dirigeants de cette zone se refusant d’instaurer un passeport CEMAC ou CEEAC à l’ordre du jour depuis des décennies.

            Le Mozambicain qui se rend en Angola doit se prémunir d’un visa, alors qu’il ne lui sera demandé que son passeport pour aller en Afrique du Sud. Le Mozambique, l’Angola, l’Afrique du Sud sont pourtant tous des Etats-membres de la SADC ou de la Communauté des pays ayant le Portugais en partage.

            L’Afrique idéale dont avait rêvé les Pères fondateurs demeure de facto, une idée abstraite. La raison en est simple : l’intérêt continental ne prime pas encore sur celui des Etats, mais, sommes-nous si éloignés de l’urgence et de la nécessité dans ce monde globalisé, d’une citoyenneté africaine ?
           


2.    La citoyenneté africaine  à l’épreuve de la globalisation



Les mots « unité » », « intégration régionale », « solidarité » ne continuent-ils pas de résonner tels « des bibelots d’inanités sonores » aux oreilles de nombreux africains confrontés au quotidien à la mal vie et enclins à rechercher «un ailleurs meilleur » que l’obturation des horizons africains renforce avec son cortège de xénophobie et d’incertitudes.

            Dans ces conditions, il est évident que les Africains, même s’ils adhèrent au rêve unitaire, peinent à mutualiser les moyens et ressources tendant à faciliter la transmutation dans la réalité, de l’idéal unitaire des pères fondateurs de l’O.U.A.

            Sinon, comment expliquer les violentes émeutes d’avril 2015 qui ont embrasé l’Afrique du Sud ? Emeutes dont le bilan de six morts et cinq mille déplacés peut passer pour anecdotique, mais qui représentent au plan symbolique, une reculade éhontée dans un passé marqué par l’horrible politique de l’apartheid, une résurgence fâcheuse de rupture avec le modèle de cohésion entre des races cohabitant pacifiquement : Noirs, Blancs, Indiens, au sein d’un même pays, d’une même nation ayant pour emblème « l’Arc-en-ciel ».

            L’Afrique du Sud, fameuse nation « arc-en-ciel » dont rêvait Nelson Mandela ne se dissipe-t-elle pas dans les affres de la division identitaire illustrée par « le rejet de l’autre » ? La stigmatisation de l’étranger accusé de tous les maux au premier rang desquels la concurrence déloyale tant au plan commercial que de l’emploi, n’est-elle pas la parfaite démonstration que perdurent au sein de nos pays africains, des clivages et réflexes séparatistes qui font de la présence en Afrique du Sud, du travailleur Mozambicain ou Zimbabwéen du jour au lendemain, l’ennemi subit, « le  bouc-émissaire » choisi pour conjurer les crises passagères dans un secteur donné de la vie économique ou commerciale Sud-Africaine ?

            Les émeutes xénophobes dont il convient de dire  qu’elles ne sont pas seulement le lot de la nation « arc-en-ciel » se veulent la plupart du temps tributaires du mal-être, de la précarité, de la pauvreté matérielle ou morale partout où ces maux s’établissent. Les disparités de niveau de vie au sein de nos sociétés africaines n’ont de raison d’être qu’en vertu de la distribution inégale des richesses dont l’une des  résultantes est l’inexistence d’une classe moyenne forte.

            La confiscation des fruits de la croissance par une élite politique égocentrique, parfois disetteuse, à tout le moins insatiable, constitue à bien des égards, l’une des entraves à la fédération des consciences pour la poursuite du seul combat que l’Afrique doit mener : le combat contre la pauvreté. Plus qu’un devoir, la lutte contre la pauvreté s’impose à l’Afrique comme une exigence, une obligation qu’il faut cesser de restreindre à la simple échelle du microcosme de nos nations d’appartenance, pour l’inscrire à l’aune de nos sous-régions, de nos régions et de notre continent, entérinant ainsi la célèbre formule d’Albert Camus selon laquelle « il n’y a aucun bonheur à être heureux tout seul ».

            L’Africain de souche que je suis, Vice-Président du Conseil Représentatif des Associations Noires de France (Le CRAN), chargé des Relations avec l’Afrique et des Affaires Internationales, a la faiblesse de penser que les égoïsmes nationaux, la xénophobie, la stigmatisation de l’étranger n’émanent pas des cultures nationales africaines. Ils sont la reproduction des schèmes comportementaux importés et savamment inoculés par une culture occidentale soucieuse d’instrumentaliser les Africains aux fins d’intérêts avoués ou inavoués, en tout cas, solidaires de la fameuse  déclaration de politique extérieure du Général de Gaule stipulant que « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».

            Il est dans l’intérêt des Etats africains de n’avoir en Afrique que des amis africains sincères et soucieux de participer à la mutualisation des savoirs, des savoir-faire, des expériences. Il est impérieux de recréer cette culture de la solidarité immanente à l’Afrique millénaire ainsi que l’histoire occultée pour les besoins de la cause, l’atteste, le révèle, par delà les compromissions et trahisons et bien au-delà de « la camisole de force » de tous les systèmes impérialistes, coloniaux, néo-coloniaux et leurs diverses mutations.

            L’Afrique hospitalière et ouverte aux souffles venus de tous les autres continents n’est rien moins que le « berceau de l’humanité ». Elle est appelée contre vents et marées à être « l’oxygène » du monde, le « socle » des siècles futurs, le devenir d’un monde globalisé plus équitable, plus juste, plus humain, nonobstant les foyers de tension injustement allumés et entretenus par ceux dont le dessein rétrograde est de maintenir  l’Afrique sous « coupe réglée » et retarder au maximum  ses ambitions de maîtrise de son développement.

            Dans un monde reproducteur en 2015 d’un scénario préfigurant « une guerre illimitée » issue des cendres de la « guerre froide », il est constant aujourd’hui que l’économie,  la sécurité, la politique, la communication, les finances, l’éducation, la culture, la science, le commerce, le marché, la monnaie, le sport sont devenus des terrains propices à des affrontements d’un genre nouveau. Le caractère polymorphe et global de la conflictualité actuelle est d’une invasion telle qu’il est urgent que les Africains marquent un temps d’arrêt pour apprivoiser le contexte nouveau fait d’adversité et de conflits d’intérêts.

            La guerre du Golfe initiée sous tous les prétextes aujourd’hui reconnus comme injustifiés, a permis le démantèlement de l’IRAK de Saddam Hussein. L’opération « Tempête du Désert », conduite sous la houlette de Georges W. Bush inaugurait « La guerre des Golfes » dont on sait de nos jours qu’elle a cours dans le Delta du Nigéria, sous une forme liée à la piraterie maritime, en Guinée Equatoriale sous le visage  d’escarmouches visant à faire main basse sur les installations pétrolières du Golfe de Guinée ; et à quelques nuances près, dans la péninsule de Bakassi au Cameroun frontalière du Nigéria où des affrontements armés ont pu, sous la sagesse des Chefs d’Etat, des deux pays et sous l’égide des Nations-Unies, alors secrétaire général des Nations Unies, connaître une issue pacifique.
Il est loisible de dire que « La Guerre du Golfe est devenue la Guerre des Golfes ».
Ce tour d’horizon des conflits dans le monde et en Afrique indique à l’envi, que les Africains du Continent comme ceux de la diaspora doivent s’interroger sur les mécanismes, les stratégies, les ressorts en leur possession de fédération des intelligences et know-how, afin que le Continent africain puisse enfin être solidaire de son destin : celui du règlement pacifique des conflits par la négociation et le dialogue, celui de la recherche d’un modèle africain de développement.


3.    La citoyenneté africaine avec la nécessité de rassembler ce qui est épars.


            Comment rassembler «Ce qui est épars ? ».
Ce qui est épars, c’est l’émiettement de la conscience collective relativement au rêve unitaire et à l’appropriation d’une citoyenneté africaine.

            Ce qui est épars, c’est l’intelligence, les savoirs, les savoir-faire africains qui contribuent ailleurs et sous d’autres cieux à bâtir la fortune des nations autres que celles de notre continent.

            Ce qui est épars, c’est l’absence d’une prise de conscience à l’échelle africaine de la nécessité d’introduire dans tous les programmes  d’éducation et d’instruction civique au sein de l’Afrique francophone, luisophone, hispanique, arabe, l’enseignement des institutions africaines et panafricaines, leur rôle, leur but, les bienfaits qui peuvent en résulter.

            Ce qui est épars, c’est l’amitié entre les peuples, latente au sein de tous les peuples et nations africaines, mais qui mérite d’être valorisée en termes de rencontres et d’échanges constructifs et utiles pour qu’au-delà de l’hospitalité qui est en soi déjà une marque louable de convivialité, l’amitié serve de ciment à « l’alliage unitaire ».

            Ce qui est épars, c’est l’effort commun, la convergence des énergies des filles et fils de l’Afrique, la conversion du regard porté sur le potentiel naturel et humain de l’Afrique en vue de sa valorisation pour l’émergence et le développement des Africains.

            Il convient pour « rassembler ce qui est épars » et s’insérer dans la dynamique unitaire, que l’Union Africaine inscrive dans ses préoccupations majeures, une manière de « Plan Marshall » tenant lieu de code éthique et de conduite d’actions concrètes, aux plans politique, économique, social, culturel, éducatif, communicationnel, visant à inciter les Chefs d’Etat du Continent à rechercher toutes les voies et tous les moyens destinés à rallumer la flamme unitaire au sein des peuples dont ils président aux destinées.

En clair, il s’agit d’éveiller les consciences des nations africaines à l’idée qu’unies, elles constituent une force inestimable, capable de briser les chaînes du « syndrome psychodramatique » qui fait de l’Afrique « un mendiant assis sur un trésor et qui tend sa sébile aux occidentaux pour n’en recueillir que de la menue monnaie, pendant que ses pseudo-bienfaiteurs, afin de s’emparer du trésor, ne rêvent que du moment propice où il quitterait sa posture assise ».

            Sortir de la parole et du discours incantatoires consiste à faire « le tour du propriétaire », au sens strict de l’examen de ce qui est propre à l’Afrique, de reconsidérer nos immenses lacunes et faillites non seulement pour en mesurer l’étendue, mais pour ensemble rechercher les mesures correctrices ou correctives. Ce tour du propriétaire qui n’est rien moins qu’une introspection, une évaluation diagnostic permettrait éventuellement de dégager les défaillances, les manquements qui privent l’Afrique des « clés de son développement économique, humain, culturel » et par conséquent, retardent la dynamique unitaire.

            Ne s’en tenir qu’à une introspection serait n’avoir fait que la moitié du chemin « Le tour du propriétaire » de l’Union Africaine devra aussi se plier à un exercice qui peut paraître fastidieux : revisiter le potentiel sans doute unique au monde de la richesse naturelle (faune - flore arborescente et/ou médicinale – minerais), énergétique,  culturelle, humaine de l’Afrique.
           
            Loin de moi la prétention de procéder à une énumération exhaustive des gisements de richesses dont le continent regorge, encore moins d’en faire l’inventaire des ressources humaines et culturelles parfois laissées  en déshérence, malheureusement à tort. Un regard prospectif et empirique donne à observer que l’extraversion de nos économies, leur dépendance des modèles importés, l’exposition de nos ressources du sol et du sous-sol au pillage, sont la conséquence de l’inexistence d’un tissu industriel en mesure de transformer la matière première en produit fini. Les pertes inestimables en devises qui découlent de l’incapacité des pays africains à capitaliser la plus-value inhérente à la rente naturelle, sont telles que l’Afrique ne pourra jamais espéré que ses richesses impactent sur le bien-être de ses populations. Bien au contraire, l’Afrique dans le contexte actuel, doit s’apprêter à reproduire « la rengaine somme toute « mythique» qu’elle serait maléficiée du fait de ses richesses, si d’aventure elle cédait au « chant des sirènes ».

            Rassembler ce qui est épars consiste impérativement à rechercher à l’échelle du continent, un modèle africain de développement. Pourquoi ne pas recourir à l’histoire qui nous  instruit que pour asseoir les impérialismes, l’Allemagne hitlérienne avait conçu dès 1933, le dessein de mettre main-basse sur l’Afrique de manière à en faire une propriété du Reich ? N’est-ce pas dans ce plan d’annexion et de soumission des peuples que tous les colonisateurs ont puisé leur source d’inspiration pour asseoir leur domination ?

            Le déracinement, l’acculturation, l’assimilation instaurés par l’idéologie coloniale ont bêché dans les sillons de la volonté de puissance du Colon et de la soumission du Colonisé allant parfois jusqu’à la négation des origines, des racines culturelles et cultuelles de ce dernier. Il va sans dire que les Africains ont ouvert devant eux, un vaste champ d’investigation dont la méthodologie prospective se décline en deux phases :

1-    Puiser dans l’histoire les constantes ayant consisté à subvertir le génie ou l’ingéniosité héritée de leurs ancêtres et autres ascendants séculaires ;

2-    Reconstruire les invariants culturels, cultuels et humanistes de culte de la civilisation africaine, dans un élan de reconnaissance commune de tous les africains.

Nos manquements tiennent en grande partie de l’impossibilité dans laquelle sont les africains de se reconnaître comme participant à une communauté de destin. Les séquelles de nos parcours communs bien que singuliers, sont lisibles dans ces replis pseudo-identitaires et affectifs.

Mieux encore, l’historicité des parcours existentiels de nombreux africains entretenue par une médiatisation accrue de la misère matérielle et morale du Continent, a abondamment contribué à faire croire aux originaires d’Afrique que « l’El Dorado » se trouvait en Europe. Ils ne se trompaient pas.

L’Europe réunissait toutes les opportunités d’encadrement intellectuel, matériel, moral et de progrès individuel. Mieux, l’Europe valorisait l’être dans toute son entité et sa volonté de s’épanouir. Se sentant reconnu comme porteur de valeurs et digne d’être pris en considération, se sachant écouté, entendu et compris, l’Africain en exil ou à la recherche du bien-être ailleurs que dans son continent d’origine, ne pouvait que s’épanouir et dans l’euphorie illusoire d’un Occident essentiellement «calculateur », donner en guise de reconnaissance à son pays d’accueil, l’énergie, le savoir et le savoir-faire que ce pays lui avait apporté : « La réponse du berger à la bergère » me diriez-vous ?

Mais, il est un invariant qu’il me semble utile de relever : l’Africain installé et reconnu dans sa qualification à l’extérieur, conserve un sentiment d’attachement très fort à l’endroit de son pays d’origine. Quelle que soit sa valeur, quelle que soit la considération que le pays d’accueil lui accorde,  il existe des faits, gestes et évènements qui lui rappellent qu’il n’est rien moins « qu’un étranger bénéficiant  indûment de ce qui eût dû appartenir aux authentiques fils du terroir ». Ce malaise, ce mal être spécifique, cette  manière de fascination-répulsion, sont la caractéristique des diasporas africaines du monde.

Rassembler ce qui est épars, c’est donner un contenu concret, accepté et mis en pratique par tous les Etats du Continent, relativement à l’apport des diasporas africaines au développement du Continent africain.


4.    Diasporas africaines et nécessité d’une citoyenneté africaine.


Selon la Banque Mondiale, l’épargne de la diaspora africaine, s’élève à 53 milliards de dollars par an, laquelle est supérieure aux envois de fonds annuels vers le Continent. Il est de même révélé par le Rapport (2009) du Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA), Agence des Nations Unies qui s’occupe de la Pauvreté rurale, que les travailleurs africains envoient plus de 40 milliards de dollars américains vers leur pays d’origine, chaque année.

Les sommes envoyées par les diasporas constituent pour certains pays receveurs, une source important de revenus dépassant parfois les montants des aides publiques au développement (APD).

Dans certains pays, cette contribution atteindrait 20 à 25% du Produit Intérieur Brut (PIB).

La diaspora africaine que la Charte de la commission de l’UA (Union Africaine) désigne comme « les personnes d’origine africaine visant hors du continent africain et désireuses de contribuer à son développement et à la construction de l’Union Africaine, quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité », représente, ainsi qu’il m’a été donné de l’entendre de la présidente de la Commission de l’Union Africaine NKOSANA DLAMINI ZUMA la « 6ème Région » Economique d’Afrique». Une telle considération doit dépasser la formulation purement politique pour cerner les contours réels de la problématique et de la chance phénoménale que l’Afrique peut tirer, grâce à la pensée critique, de la diaspora africaine disséminée dans le monde. Selon Jean Rameau Sokoudjou, roi des Bamendjou (village situé dans l’Ouest du Cameroun) : « Il est urgent de venir puiser dans les traditions ancestrales des repères qui ont résisté au temps et qui peuvent nous servir dans la construction de demain »

Il me semble opportun de souligner que les diasporas africaines sont soucieuses du développement de leur pays d’origine. Ce qui manque le plus, c’est l’intérêt que les Etats et l’Union Africaine leur accordent en termes de programmes dont on sait très bien qu’ils ne sont que des produits clés-en-main rappelant fâcheusement les plans exogènes dont l’inefficacité est en grande partie responsable de la situation économique catastrophique du Continent.

Les Africains, face à la mouvance planétaire du développement tant inégal qu’inéquitable, ne perçoivent-ils pas l’urgence d’une réflexion approfondie, afin qu’il ne soit pas laissé aux autres l’opportunité de décider en ses lieu et place ?

Les Africains doivent savoir que l’une des subtilités conceptuelles destinées à contrôler, capter ou capitaliser les fonds transférés dans le Continent par les « migrants africains » est le co-développement. Le co-développement vise en effet, à prendre en compte les intérêts des pays d’origine et ceux des pays d’accueil dans les programmes de développement par la signature des accords de coopération entre les Etats africains et l’Europe, ainsi que les institutions internationales pour mettre fin à l’informel dans le transfert des fonds ; réduire frais de transferts généralement très élevés ; canaliser les fonds sur place vers des investisseurs productifs ; inciter les cadres immigrés à retourner travailler en Afrique.

Or l’accroissement des inégalités entre le Nord et le Sud a conduit à durcir les législations destinées en Occident à contrer ou à stopper la migration.  A contrario, du fait des famines, des guerres et des faillites des gouvernements africains, les candidats à la migration sont de plus en plus nombreux.

La réponse   réside    sans doute dans la question : le co-développement vise-t-il à freiner l’immigration ou à développer l’Afrique ?

Je suis d’avis que les problèmes du développement de l’Afrique ne sont pas que financiers. Ils sont encore moins dépendants de la démocratie à l’occidentale comme solution clés en mains ! Ils sont pourtant tributaires de la recomposition économique des pays et de la transformation en Afrique des produits finis.

Il est toutefois entendu que tout ce qui précède ne peut servir que de cadre de création d’un espace d’opportunités, d’aménagement des conditions d’un environnement propice à l’investissement et à la création tant des emplois que de la richesse.

Mais d’où vient-il que de là pourrait survenir l’intérêt de se sentir africain  ou alors de se prévaloir d’une citoyenneté africaine ?

L’Union Africaine et à travers elle, les Etats africains ont vis-à-vis des nations et peuples africains, un rôle primordial à jouer. Les conférences des chefs d’Etat doivent au premier chef inscrire dans leurs programmes d’action, l’éducation à la citoyenneté africaine. Les institutions de l’Union Africaine, leurs mécanismes et leur finalité doivent être  au centre de l’apprentissage des  jeunes africains afin qu’ils s’approprient les idéaux historiques et les contingences actuelles en mesure d’autoriser la formation de leur propre jugement. Cet aspect de la reconstruction du rêve unitaire est urgent et nécessaire.

L’autre volet et non des moindres, c’est de faire de la diaspora africaine que l’Union Africaine considère comme la « 6ème Région économique d’Afrique » une réalité. Comment ? En communiquant   mieux, en favorisant pour mieux l’étendre, les modèles éthiopien et Rwandais tout en les améliorant. Ces Etats sont parvenus à capitaliser l’apport de leurs migrants dans le développement de leur pays.

L’apport de la diaspora ou des diasporas africaines, c’est mon avis, passera par la levée   de « la chape de plomb de la double nationalité. Selon Kathleen Newland, spécialiste des migrations et du  développement à l’Institut des politiques de migrations (MPI), les gouvernements africains doivent s’informer davantage sur les membres de leur diaspora et créer des liens plus solides avec eux afin de mettre en place des politiques cohérentes pour susciter leur intérêt, plutôt que de les traiter, soit comme des étrangers, soit comme des habitants du pays ».

Les cas du Rwanda et de l’Ethiopie doivent faire école. En effet, le Rwanda et l’Ethiopie ont su conduire des campagnes ciblant leurs expatriés pour les inciter à investir dans des projets de développement dans leur pays d’origine. Des politiques officielles ont été mises en place, au rang desquelles l’instauration de la double nationalité pour leurs membres et le soutien des réseaux de la diaspora de leurs ressortissants dans le monde, pour nouer des liens forts avec ceux d’entre eux, nés à l’étranger.

L’Ethiopian Diaspora Directorate, établie en 2002 informe à travers un site Internet les membres de la diaspora, des possibilités d’investissement et de commerce en Ethiopie, des projets de développement, des politiques du gouvernement les concernant, des services de soutien existant à leur endroit.

Les Ethiopiens nés à l’étranger peuvent demander une « carte jaune » leur donnant des droits et des privilèges similaires à ceux des citoyens de leur pays d’origine. Les titulaires d’une « carte jaune » peuvent entrer  sur le territoire éthiopien sans visa, travailler sans permis et bénéficier d’un régime de retraite public.

C’est au demeurant dans ce même ordre d’idées que le Ministère de la Santé éthiopien a mis sur pied un service de la diaspora pour travailler en étroite collaboration avec l’Ethiopian Diaspora Directorate sur le projet de construction d’hôpitaux, en favorisant les échanges de compétences et en faisant venir des professionnels de santé expatriés pour travailler dans le secteur. Le  premier programme d’internat en réponse d’urgence du pays a ainsi été conduit à bien.

Le Rwanda a conçu en Août 2012 à l’échelle gouvernementale, la mise sur pied du fonds AGACIRO, un « fonds solidaire » dont le but est d’affranchir le pays de l’aide étrangère et d’autofinancer son développement. Ledit fonds géré par le Ministère  Rwandais des finances a selon son site internet, atteint des contributions de l’ordre de 20.5 milliards de francs rwandais soit 30.2 millions de dollars.

Ces deux cas auxquels on pourrait ajouter une liste non exhaustive de 32 pays africains, ont mis en place des services ou des ministères chargés de susciter l’intérêt de la diaspora. Il reste que ceux-ci manquent souvent de personnel  et de fonds ; les membres de la diaspora étant peu outillés ou informés des initiatives des gouvernements. Il ne s’agit donc pas comme cela est courant de ne compter uniquement que sur la fibre  affective et les liens sentimentaux pour pousser les membres de la diaspora à participer au développement de leur pays d’origine. Il faut résolument passer « de la solidarité affective à une solidarité de développement ».

Il a été démontré que l’un des ressorts qui eût pu favoriser l’intéressement des diasporas africaines aux projets de développement de leur pays respectif est l’allégation selon laquelle « le droit de vote aux membres de leur diaspora les encouragerait à investir, en ce sens qu’ils se sentiraient  acteurs et participants au processus politique par le choix du gouvernement… »
A cette éventualité, souhaitable mais lourde d’implications parfois contraires au contexte national et à l’évolution des contingences, il pourrait être répliqué que :« les  membres de la diaspora qui forment une part importante de l’électorat, n’auraient pas nécessairement  à vivre les conséquences de leur vote ». Ces mots avisés de Kathleen Newland, en même temps qu’ils soulignent la complexité de l’accès des diasporas au vote dans leur pays d’origine,  mettent en exergue la nécessité d’un pont communicationnel indispensable entre les membres des diasporas africaines et leur pays d’origine. C’est le rôle des gouvernements africains, c’est le devoir de tout état africain soucieux de ne pas laisser à l’USAID, au FIDA, à la FEMIP (Facilité Euro-méditerranéenne d’Investissement et de partenariat) filière de la BEI (Banque Européenne d’Investissement), le soin de capter, capitaliser et finalement recycler « la rente financière » des diasporas africaines.

Pour tout dire, aucune prescription, aucune proscription n’est à l’ordre du jour. Seuls les chantiers de l’urgence et de la nécessité d’une citoyenneté africaine sont les impératifs de l’heure. La reconstruction du rêve unitaire est une cristallisation de tous les efforts qu’entreprennent et que poursuivront les filles et fils de l’Afrique pour que leur contribution à l’échelle universelle, apporte au monde, le souffle d’espérance venu de la lisière des cinq continents.

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