Condamnés à
deux ans de prison, trois militants anti-esclavagistes ont décidé de boycotter
leur procès en appel. Explications de leur avocat, Me Brahim Ould Ebetty.
Le 15
janvier, au terme d’un procès controversé, la
cour correctionnelle de Rosso (Sud) condamnait trois militants
antiesclavagistes à deux ans de prison ferme pour « offense et
désobéissance à la force publique ». Initiateurs d’une caravane qui avait
sillonné les rives du fleuve Sénégal afin de dénoncer les expropriations de
terres dont sont victimes les Haratines (Maures noirs, communauté où se
recrutent les « captifs »), Biram Ould Dah Ould Abeid, président de
l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Brahim Ould
Bilal Ramdane, vice-président de l’association, et Djiby Sow, président de
Kawtal Ngam Yellitaare, ont récemment fait savoir qu’ils boycotteraient leur
procès en appel, dont la date n’a pas encore été fixée.
Militant
internationalement reconnu de la lutte contre l’esclavage, Biram Ould Dah Ould
Abeid, qui a reçu, en 2013, le prix de l’ONU pour la cause des droits de
l’homme, était arrivé deuxième à l’élection présidentielle de juin 2014, remportée
haut la main dès le premier tour par le président sortant, Mohamed Ould
Abdelaziz. Selon son avocat, Me Brahim Ould Ebetty, cette affaire illustre le «
double discours » des autorités mauritaniennes, dont la volonté affichée
d’éradiquer l’esclavage ne serait que de façade.
Jeune
Afrique : Pourquoi Biram Ould Dah Ould Abeid et ses deux coaccusés comptent-ils
boycotter leur procès en appel ?
Me Brahim
Ould Ebetty : À la suite
de leur condamnation en première instance, le procureur général a obtenu de la
Cour suprême le dessaisissement de la cour d’appel de Nouakchott, qui est
pourtant la juridiction naturelle censée les rejuger, au profit de celle
d’Aleg. Pour seul argument, le parquet a invoqué un risque de trouble à l’ordre
public. Nous avons fait valoir que d’autres affaires au moins aussi sensibles
avaient déjà été jugées à Nouakchott sans que cela cause le moindre problème,
tout en rappelant qu’il n’y avait eu aucun incident lors du premier procès,
tenu à Rosso. Cette manœuvre vise uniquement à éloigner les trois hommes de
leurs militants et sympathisants, et à les soustraire à la médiatisation et à
la mobilisation auxquelles on assisterait dans la capitale autour de ce procès
hautement politique. D’où la décision de Biram et de ses deux coaccusés de
boycotter le procès en appel.
L’état
de santé de Djiby Sow semble s’être détérioré au cours des dernières semaines…
Il souffre
notamment de problèmes rénaux. Son état de santé étant préoccupant, il a
finalement pu être transféré à la prison centrale de Nouakchott, où il est
censé recevoir des soins appropriés. Mais Djiby Sow est inquiet, car il se
plaint d’une obstruction de l’administration péniten-tiaire. Plusieurs
rendez-vous médicaux ont ainsi été annulés ou reportés.
Considérez-vous
que le procès en première instance a donné lieu à un jugement politique ?
L’IRA et
l’association de Djiby Sow avaient organisé une caravane destinée à dénoncer la
pratique de l’esclavage dans le domaine foncier dans la vallée du fleuve
Sénégal. Pendant leur trajet entre Boghé et Rosso, les militants de ces
associations ont tenu une série de rencontres et de meetings pour sensibiliser
les populations contre toute pratique esclavagiste – tout cela sous la
surveillance étroite des forces de l’ordre. Lorsque Biram Ould Dah Ould Abeid,
lequel se trouvait alors à Rosso, car il devait se rendre au Sénégal, est allé
à la rencontre de la caravane, qui approchait de la ville, tout le groupe a été
encerclé, puis arrêté par les gendarmes. Manifestement, il s’agissait d’un
guet-apens dont le véritable objectif était l’interpellation de Biram et de son
adjoint, Brahim Ould Bilal Ramdane. Parmi les infractions retenues lors du
procès, il y a l’appartenance à une association non autorisée, ce qui, en 2015,
est consternant dans un pays qui se prétend démocratique. On les a également
accusés d’offense à l’autorité, alors même qu’aucun acte de violence ou de
rébellion n’a été rapporté lors des audiences.
Pourquoi
l’IRA, créée en 2008, est-elle considérée comme une association non autorisée ?
Pendant le
procès, le président et le vice-président de l’association ont expliqué qu’ils
avaient transmis aux autorités tous les documents requis en vue de la déclarer
officiellement, mais qu’ils n’avaient jamais reçu de suites. Cela n’empêche pas
l’IRA d’avoir été reconnue de facto : elle a en effet organisé des caravanes ou
des meetings de Nouakchott à Néma. Lors de la dernière présidentielle, le
candidat Biram Ould Dah Ould Abeid se référait explicitement aux slogans de
l’IRA, et l’association effectue sa mission de sensibilisation en liaison avec
les représentants des autorités. En réalité, Biram dérange, car il dénonce la
persistance des pratiques esclavagistes, alors que le régime, lui, tente de les
nier.
Les
autorités mauritaniennes assurent pourtant lutter contre ce phénomène…
Effectivement,
la Constitution de 2012 qualifie l’esclavage de crime contre l’humanité. Plus
récemment, une loi adoptée en Conseil des ministres porte criminalisation des
pratiques esclavagistes, tout en prévoyant des peines allant jusqu’à vingt ans
d’emprisonnement. Officiellement, la lutte contre l’esclavage fait aujourd’hui
l’unanimité, des rangs des ONG à ceux du régime. Au lieu de conduire les trois
prévenus en prison, cette caravane destinée à la sensibilisation contre l’esclavage
aurait donc dû être encouragée. Comment comprendre ce double discours,
consistant à criminaliser l’esclavage tout en persécutant ceux qui le dénoncent
?
Pourquoi
la Mauritanie ne parvient-elle pas à dépasser les éternelles lignes de clivage
entre Beidanes et Négro-Mauritaniens ?
Notre pays
n’est toujours pas parvenu à accoucher d’un État qui serait une entité
abstraite, au-dessus de tous les citoyens. Ce qui perpétue ces divisions, c’est
l’absence d’institutions déconnectées des considérations partisanes, ethniques
ou tribales.
Vous
défendez de longue date les droits de l’homme. Quelle évolution avez-vous
constatée depuis l’accession au pouvoir du président Mohamed Ould Abdelaziz ?
Cette
affaire marque un inquiétant retour en arrière. Au début des années 2000, sous
Maaouiya Ould Taya, on avait déjà assisté à une instrumentalisation de la
justice consistant à soustraire des détenus d’opinion à leurs juges naturels.
Par ailleurs, les intimidations visant les militants antiesclavagistes ou
certains journalistes sont préoccupantes. Il nous faudra redoubler d’efforts si
nous ne voulons pas revenir aux années de braise.
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