Connues et surtout médiatisées en milieu maure, les
séquelles de l’esclavage ont tout le temps existé dans les diverses communautés
mauritaniennes (Maure, Hal poular, Soninké, Wolof). En milieu Soninké, elles
sont masquées, voire déguisées. Les ambitions des descendants d'esclaves font
face à une résistance de la chefferie traditionnelle, religieuse, souvent en
connivence avec les élus politiques, véritables leviers de la féodalité.
Devenir un élu politique, imam ou chef de village semble poser problème pour un descendant d'esclave dans la communauté soninké. Certes, l'esclavage au sens propre du terme n'existe plus dans la communauté. Mais, ses séquelles empoisonnent les ambitions des descendants d'esclaves.
Des familles soninkés sont privées d’accéder à des rangs politiques et sociétaux, à cause de leur origine. Leurs noms auraient une connotation d'ascendance servile. Même si la règle n'est pas toujours établie. C’est le cas de «Sanokho», «Bakhayoko», «Sakhanokho», «Coulibaly», «Traoré», «Camara », «Diarra», «Sidibé», «Keita». Ces noms sont parfois considérés comme soit «nobles» soit « esclaves » au Guidimakha, Djeol ou Kaédi alors qu’ils sont de véritables « nobles » au Mali.
Nourou Ibrahima Sanokho, président de la Ligue Mauritanienne des Sans Voix (LMSV) est victime directement de cette féodalité. Il est membre fondateur du parti au pouvoir. Il est par ailleurs membre de sa section de Sebkha (Nouakchott). Mais, son origine de descendant d'esclave bloquerait ses ambitions politiques. Il n'arrive pas à accéder à un poste important dans le parti au niveau de sa région. «Il y a une main cachée, un lobbying interne avec la complicité de l'Etat. Avant l'indépendance, la classe était donnée aux nobles. Ce privilège continue toujours à peser dans tout son ensemble » affirme le président du LMSV. « Nous faisons 70% de ces gens-là comme entre les Beïdanes et les Harratines. Ceci n'a jamais été pris en compte!» dit-il.
Samba Coulibaly, transporteur, est victime aussi de son ascendance d’esclave. Il était amoureux d’une fille noble du nom de M. D., dans la région de Sélibaby. Ils sont sortis ensemble en cachette pendant un an environ. Mais un jour, M.D. est mariée à son cousin par ses parents. Samba restera abattu pendant des jours avant de se remettre. Depuis lors le transporteur maudit cette féodalité qui gangrène sa société. « Toutes les personnes sont égales. Il n’y a pas de supériorité, ni d’infériorité » martèle-t-il. « C’est anormal qu’on considère les descendants des esclaves comme des animaux » ajoutera-t-il.
Aboli en 1981, l'esclavage est resté une pratique vivace en Mauritanie. Pour y mettre un terme, une loi criminalisant les pratiques esclavagistes est promulguée le 13 décembre 2007. En 2013, la loi mauritanienne requalifie de «crime contre l’humanité» toute pratique esclavagiste.
« La société soninké est plus conservatrice que toute autre société »
Ladji Traore, Secrétaire Général de l'Alliance Populaire Progressiste (APP) et conseiller de l'Association pour l'Eradication de l'Esclavage en Milieu Soninké (l'AMES), estime que « la structuration de la société beïdane est un peu calquée sur la communauté soninké parce que, dans aucun pays arabe vous ne trouverez cette stratification sociale».
Selon lui, il n’y a depuis 1961 qu'un seul député soninké issu des milieux des anciens esclaves. Il portait le nom de Coulibaly. Sa fille est actuellement sénatrice du parti Tawassoul pour Nouakchott. Elle serait la seule sénatrice soninké de nom à connotation d'origine esclave.
Le conseiller lance : « Il faut bannir de notre pays ce système abject, cette conception arriérée qui fait honte à tout le peuple mauritanien. La société soninké est plus conservatrice que toute autre société » constate-t-il.
«Les anciennes familles esclavagistes ou chefferie sont propriétaires de la plupart des terres dans et autour des localités. Un descendant d'esclave en milieu soninké ne peut pas aujourd'hui avoir de terres qui sont généralement accaparées par les anciennes familles féodales» estime Balla Touré, chargé des relations extérieures de l'Initiative de la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), membre du mouvement FLERE-Mauritanie (Mouvement de lutte contre l'esclavage, le racisme et la discrimination dans toutes les communautés composantes de la Mauritanie). Touré pense que «dans la République, il ne devrait pas y avoir une place à la discrimination, la ségrégation et à la féodalité».
« L'imamat est une question de compétences. »
Pour Abdoulaye Sarr dit Imam Sarr, Secrétaire Général de l'Association Main dans la Main, «Il n’y a aucun texte coranique qui incite, encourage ou recommande aux gens d'avoir des esclaves. Là où on cite l'esclavage dans les textes coraniques, on met à côté les moyens de l'éradiquer».
Selon l'imam, « il est inconcevable que des musulmans veuillent s'agripper à la question d'esclavage». Il poursuit: "La majorité des imams de la deuxième génération, après le prophète (PSL), sont des ex-esclaves. Dans toutes les cités islamiques, c'étaient eux les Imams. Navae, est issu d’une famille d’anciens esclaves. C’est à lui que l'on doit la version courante en Mauritanie du Coran. Bilal, qui était esclave affranchi à l’âge de 25 ans, était nommé gouverneur. A l’époque l’imam est plus important que tout, sauf le calife".
Selon Imam Sarr, si on relit les textes de l’islam, on se rendrait compte que tout ça, « c'est nous qui l'avons forgé et on s'agrippe sur ça pour des intérêts non avoués. L'imamat est une question de compétences. Elle est dévolue à celui qui connait mieux le Coran parmi nous » précise-t-il.
« En milieu soninké, on n’imagine pas à avoir une Mahadara (école coranique) tenue par un descendant d'esclaves. Il y a de grands intellectuels musulmans d'origine esclave qui font le déplacement entre les villes pour prêcher l'islam et parfois un islam rigoriste, un islam extrémiste. Mais, chez eux, ils n'ont pas le droit de diriger une prière dans une mosquée, ni celui d'avoir une Mahadara » affirme le Conseiller Traoré.
« Les pratiques esclavagistes sont en train de cancériser la société»
De son côté, le professeur Sow Samba, sociologue, anthropologue et philosophe, estime que si on veut parler des pratiques esclavagistes à un public non initié, il y a des clés qui permettent de décoder la société esclavagiste et ses manifestations. « Il faut commencer par la stratification sociale » invite-t-il.
Selon lui, nous sommes dans une société – celle des Soninkés - où le rang social de l'individu, ses prestiges, sa position au sein de la société, son métier est déterminé par la naissance. Il s'agit d'une hiérarchie traditionnelle dans laquelle on retrouve trois catégories de statuts sociaux : Horrés (les nobles), Niakhamalas (les artisans) et Komous (les esclaves). «On est dans des sociétés féodalo-esclavagistes où l'esclave porte l'empreinte de sa naissance, de sa vie jusqu'à sa mort, qui n'a rien à voir avec la condition sociale » constate-t-il. «De par sa naissance, l'individu est déjà archivé » estime-t-il l’anthropologue.
Le professeur Sow remarque que « les leviers des charges sont entre les mains des familles aristocratiques». Il rappelle que «comme il n’y avait pas de démocratisation au niveau de l'école, la question ne se posait pas. Dans les années 60, le gouvernement de la Mauritanie comptait beaucoup de gens originaires de Boutilimit et quelques éléments de Kaédi, parce que ce sont les premiers à être allés à l'école coloniale. Mais aujourd'hui, en 2015, combien de fils d'esclaves enseignent à l'Université ou sont cadres dans l'Armée ou la police ?» s’interroge-t-il. Il ajoute : « dès qu'il s'agit de fonctions sacrées ou de prestige, telles que l'Armée, le gouvernorat, diriger une prière ou être ministre, on dit qu'ils ne sont pas nés pour gouverner ou pour diriger la prière!» précise-t-il.
Selon lui, «c'est une entorse à l'éthique, c'est une entorse à la démocratie et une violation flagrante des droits de l'homme. Les pratiques esclavagistes sont en train de cancériser la société mauritanienne» conclut M. Sow.
Devenir un élu politique, imam ou chef de village semble poser problème pour un descendant d'esclave dans la communauté soninké. Certes, l'esclavage au sens propre du terme n'existe plus dans la communauté. Mais, ses séquelles empoisonnent les ambitions des descendants d'esclaves.
Des familles soninkés sont privées d’accéder à des rangs politiques et sociétaux, à cause de leur origine. Leurs noms auraient une connotation d'ascendance servile. Même si la règle n'est pas toujours établie. C’est le cas de «Sanokho», «Bakhayoko», «Sakhanokho», «Coulibaly», «Traoré», «Camara », «Diarra», «Sidibé», «Keita». Ces noms sont parfois considérés comme soit «nobles» soit « esclaves » au Guidimakha, Djeol ou Kaédi alors qu’ils sont de véritables « nobles » au Mali.
Nourou Ibrahima Sanokho, président de la Ligue Mauritanienne des Sans Voix (LMSV) est victime directement de cette féodalité. Il est membre fondateur du parti au pouvoir. Il est par ailleurs membre de sa section de Sebkha (Nouakchott). Mais, son origine de descendant d'esclave bloquerait ses ambitions politiques. Il n'arrive pas à accéder à un poste important dans le parti au niveau de sa région. «Il y a une main cachée, un lobbying interne avec la complicité de l'Etat. Avant l'indépendance, la classe était donnée aux nobles. Ce privilège continue toujours à peser dans tout son ensemble » affirme le président du LMSV. « Nous faisons 70% de ces gens-là comme entre les Beïdanes et les Harratines. Ceci n'a jamais été pris en compte!» dit-il.
Samba Coulibaly, transporteur, est victime aussi de son ascendance d’esclave. Il était amoureux d’une fille noble du nom de M. D., dans la région de Sélibaby. Ils sont sortis ensemble en cachette pendant un an environ. Mais un jour, M.D. est mariée à son cousin par ses parents. Samba restera abattu pendant des jours avant de se remettre. Depuis lors le transporteur maudit cette féodalité qui gangrène sa société. « Toutes les personnes sont égales. Il n’y a pas de supériorité, ni d’infériorité » martèle-t-il. « C’est anormal qu’on considère les descendants des esclaves comme des animaux » ajoutera-t-il.
Aboli en 1981, l'esclavage est resté une pratique vivace en Mauritanie. Pour y mettre un terme, une loi criminalisant les pratiques esclavagistes est promulguée le 13 décembre 2007. En 2013, la loi mauritanienne requalifie de «crime contre l’humanité» toute pratique esclavagiste.
« La société soninké est plus conservatrice que toute autre société »
Ladji Traore, Secrétaire Général de l'Alliance Populaire Progressiste (APP) et conseiller de l'Association pour l'Eradication de l'Esclavage en Milieu Soninké (l'AMES), estime que « la structuration de la société beïdane est un peu calquée sur la communauté soninké parce que, dans aucun pays arabe vous ne trouverez cette stratification sociale».
Selon lui, il n’y a depuis 1961 qu'un seul député soninké issu des milieux des anciens esclaves. Il portait le nom de Coulibaly. Sa fille est actuellement sénatrice du parti Tawassoul pour Nouakchott. Elle serait la seule sénatrice soninké de nom à connotation d'origine esclave.
Le conseiller lance : « Il faut bannir de notre pays ce système abject, cette conception arriérée qui fait honte à tout le peuple mauritanien. La société soninké est plus conservatrice que toute autre société » constate-t-il.
«Les anciennes familles esclavagistes ou chefferie sont propriétaires de la plupart des terres dans et autour des localités. Un descendant d'esclave en milieu soninké ne peut pas aujourd'hui avoir de terres qui sont généralement accaparées par les anciennes familles féodales» estime Balla Touré, chargé des relations extérieures de l'Initiative de la Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), membre du mouvement FLERE-Mauritanie (Mouvement de lutte contre l'esclavage, le racisme et la discrimination dans toutes les communautés composantes de la Mauritanie). Touré pense que «dans la République, il ne devrait pas y avoir une place à la discrimination, la ségrégation et à la féodalité».
« L'imamat est une question de compétences. »
Pour Abdoulaye Sarr dit Imam Sarr, Secrétaire Général de l'Association Main dans la Main, «Il n’y a aucun texte coranique qui incite, encourage ou recommande aux gens d'avoir des esclaves. Là où on cite l'esclavage dans les textes coraniques, on met à côté les moyens de l'éradiquer».
Selon l'imam, « il est inconcevable que des musulmans veuillent s'agripper à la question d'esclavage». Il poursuit: "La majorité des imams de la deuxième génération, après le prophète (PSL), sont des ex-esclaves. Dans toutes les cités islamiques, c'étaient eux les Imams. Navae, est issu d’une famille d’anciens esclaves. C’est à lui que l'on doit la version courante en Mauritanie du Coran. Bilal, qui était esclave affranchi à l’âge de 25 ans, était nommé gouverneur. A l’époque l’imam est plus important que tout, sauf le calife".
Selon Imam Sarr, si on relit les textes de l’islam, on se rendrait compte que tout ça, « c'est nous qui l'avons forgé et on s'agrippe sur ça pour des intérêts non avoués. L'imamat est une question de compétences. Elle est dévolue à celui qui connait mieux le Coran parmi nous » précise-t-il.
« En milieu soninké, on n’imagine pas à avoir une Mahadara (école coranique) tenue par un descendant d'esclaves. Il y a de grands intellectuels musulmans d'origine esclave qui font le déplacement entre les villes pour prêcher l'islam et parfois un islam rigoriste, un islam extrémiste. Mais, chez eux, ils n'ont pas le droit de diriger une prière dans une mosquée, ni celui d'avoir une Mahadara » affirme le Conseiller Traoré.
« Les pratiques esclavagistes sont en train de cancériser la société»
De son côté, le professeur Sow Samba, sociologue, anthropologue et philosophe, estime que si on veut parler des pratiques esclavagistes à un public non initié, il y a des clés qui permettent de décoder la société esclavagiste et ses manifestations. « Il faut commencer par la stratification sociale » invite-t-il.
Selon lui, nous sommes dans une société – celle des Soninkés - où le rang social de l'individu, ses prestiges, sa position au sein de la société, son métier est déterminé par la naissance. Il s'agit d'une hiérarchie traditionnelle dans laquelle on retrouve trois catégories de statuts sociaux : Horrés (les nobles), Niakhamalas (les artisans) et Komous (les esclaves). «On est dans des sociétés féodalo-esclavagistes où l'esclave porte l'empreinte de sa naissance, de sa vie jusqu'à sa mort, qui n'a rien à voir avec la condition sociale » constate-t-il. «De par sa naissance, l'individu est déjà archivé » estime-t-il l’anthropologue.
Le professeur Sow remarque que « les leviers des charges sont entre les mains des familles aristocratiques». Il rappelle que «comme il n’y avait pas de démocratisation au niveau de l'école, la question ne se posait pas. Dans les années 60, le gouvernement de la Mauritanie comptait beaucoup de gens originaires de Boutilimit et quelques éléments de Kaédi, parce que ce sont les premiers à être allés à l'école coloniale. Mais aujourd'hui, en 2015, combien de fils d'esclaves enseignent à l'Université ou sont cadres dans l'Armée ou la police ?» s’interroge-t-il. Il ajoute : « dès qu'il s'agit de fonctions sacrées ou de prestige, telles que l'Armée, le gouvernorat, diriger une prière ou être ministre, on dit qu'ils ne sont pas nés pour gouverner ou pour diriger la prière!» précise-t-il.
Selon lui, «c'est une entorse à l'éthique, c'est une entorse à la démocratie et une violation flagrante des droits de l'homme. Les pratiques esclavagistes sont en train de cancériser la société mauritanienne» conclut M. Sow.
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