Le militant
anti-esclavagiste Khali Ould Maouloud s’est rendu à Berne pour attirer l’attention
du Département fédéral des affaires étrangères sur le problème de l’esclavage
en Mauritanie. | © Jean-Marie Banderet
Des esclaves au XXIe
siècle? Oui. La Mauritanie en compterait près d’un demi-million. Pourtant, les
mouvements abolitionnistes peinent à se faire entendre hors des frontières de
ce pays d’Afrique de l’Ouest. Entretien avec Khali Ould Maouloud, militant
anti-esclavagiste.
par Jean-Marie
Banderet
«Debout à cinq
heures. Il fallait ensuite se rendre dans la maison du maître pour préparer le
petit-déjeuner pour sa famille. Puis mon père emmenait paître le troupeau. Ma
mère s’occupait de ses enfants et de ceux du maître jusque vers dix-neuf
heures, lorsque les hommes revenaient des champs. Puis mes parents préparaient
et servaient le repas, couchaient les enfants du maître et préparaient les lits
pour la nuit. A vingt-trois heures, fin de la journée de travail et retour au township
dans lequel nous vivions. Mes parents avaient moins de six heures d’intimité
par jour.»
Khali Ould Maouloud
est Mauritanien. Il est né esclave parce que ses parents l’étaient. Parce
qu’ils sont Haratines, l’ethnie dont proviennent tous les esclaves de
Mauritanie. Mais contrairement à d’autres, il a eu la chance de pouvoir aller à
l’école. Aujourd’hui, cet infirmier de 35 ans qui travaille à Genève est un peu
nerveux: il a rendez-vous au Département fédéral des affaires étrangères, à
Berne, pour attirer l’attention des autorités helvétiques sur le problème de
l’esclavage en Mauritanie. Depuis un peu plus de trois ans, Khali Ould Maouloud
est membre de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste
(IRA), fondée il y a douze ans par un autre ancien esclave, Biram Ould Abeïd.
Ce militant anti-esclavagiste, Prix 2014 des droits humains des Nations unies,
aurait dû être à ses côtés. Mais deux semaines avant la date fixée, coup de
théâtre : il a été arrêté par la gendarmerie mauritanienne et jeté en prison
avec plusieurs autres personnes pour avoir participé à un sit-in pacifique.
Un demi-million
d’esclaves
«En Mauritanie, tout
le pouvoir est aux mains des vingt pour cent d’Arabo-Berbères, explique Khali
Ould Maouloud. Le reste de la population est composé de Négro-Africains, dont
la moitié appartient à l’ethnie des Haratines. Trente pour cent d’entre eux
sont affranchis, et les autres servent des maîtres arabo-berbères.» Il n’existe
aucun recensement d’esclaves dans le pays, qui compte 3,8 millions d’habitants.
L’IRA estime que leur nombre total représente entre dix et vingt pour cent de
la population. «On peut raisonnablement parler de cinq cent mille esclaves,
sans doute plus.» Mais ces chiffres peuvent varier, suivant la définition qu’on
donne à l’esclavage. Pour l’ONG Walk Free, la proportion d’esclaves en
Mauritanie est moindre: elle se situerait autour de quatre pour cent en 2014.
L’esclavage en
Mauritanie a la peau dure. Officiellement aboli en 1981, il n’est poursuivi
pénalement que depuis 2007. «Sur le papier, du moins. En sept ans, il n’y a eu
qu’une condamnation –avec sursis. Le maître qui était passé devant les juges
est reparti libre comme l’air.» Plusieurs ONG accusent l’Etat mauritanien
d’avoir inscrit ces mesures uniquement pour plaire aux partenaires occidentaux.
Le général Mohamed Ould Abdel Aziz, arrivé à la présidence de la République en
2008 à la suite d’un coup d’Etat, s’efforce d’entretenir une image respectable,
quitte à étouffer les voix discordantes. Les militants de l’IRA et d’autres
mouvements abolitionnistes sont par exemple interdits d’antenne dans les médias
nationaux, tous aux mains du gouvernement. «En façade, il y a eu quelques
changements. Les marchés aux esclaves –lors desquels les clients pouvaient
déambuler entre des stands sur lesquels se tenaient les hommes, femmes et
enfants à vendre– ont disparu depuis une quinzaine d’années. Aujourd’hui, les
transactions se font directement entre les maîtres, en privé.»
L’Etat a ainsi tenté
de minimiser sa responsabilité lorsque le Conseil des droits de l’homme –dans
lequel siège la Mauritanie– est venu lui chercher des poux en 2009. Ce qui ne
l’a pas empêché de se faire épingler. Les données statistiques sur la pratique
de l’esclavage font défaut et les esclavagistes n’ont rien à craindre:
enquêtes, poursuites, condamnations et sanctions sont inexistantes. Une visite
de suivi a eu lieu courant 2014 pour déterminer si les recommandations du
Comité ont été suivies d’effets, mais ses conclusions ne sont pas encore
connues.
L’esclavage est une
tradition bien ancrée en Mauritanie. Elle reste largement répandue,
principalement dans les régions rurales de l’est du pays. | © Wikimedia Commons
Tradition bien ancrée
Le système législatif
n’est pas seul en cause. «L’esclavage est profondément implanté dans les
mentalités, aussi bien chez les maîtres que chez les esclaves. Le système
perdure parce que les maîtres perdraient le confort que représente une
main-d’œuvre servile, et parce que les esclaves n’ont pas l’éducation pour
remettre le système en question. Les hommes, femmes et enfants esclaves sont
l’équivalent d’une propriété foncière ou d’un animal de transport. Ils n’ont
pas de papiers d’identité, n’ont pas droit à leur propre logement. Ils peuvent
être vendus ou échangés comme un bien de consommation.» C’est particulièrement
vrai pour les femmes et les filles. Il est courant que le maître mette à la
disposition d’un hôte de passage des esclaves comme objets sexuels.
«Evidemment, des enfants qui naîtraient de ces viols ne seraient pas reconnus.
Ils viendraient grossir les rangs du ‘cheptel’ du maître.»
En sous-main, les
imams entretiennent le vernis religieux qui fait tenir l’édifice. «‘L’esclavage
est conforme au Coran’, vous explique-t-on à longueur de temps. Alors pourquoi
risquer d’aller à l’encontre de la volonté de Dieu?» Pire, depuis quelque temps
les abolitionnistes –notamment ceux de l’IRA– sont la cible de prêches
vindicatifs les assimilant à des «sionistes» ou des «Américains».
Pression sociale
Seul le maître est en
principe autorisé à affranchir un esclave. Ceux qui tentent eux-mêmes de se
libérer de leur joug doivent affronter la loi et les institutions religieuses.
Lorsqu’ils y parviennent, il leur faut encore se battre pour se faire une place
dans la société: ils n’ont pas de papiers, même leurs noms –typiques des
esclaves– trahissent leur origine.
Khali Ould Maouloud a
réussi à fuir ce système. «Mon père n’acceptait plus de travailler pour le
maître. Mon frère et moi avons décidé de libérer notre famille. J’avais 16 ans,
mon frère 20. Nous avons quitté le village dans lequel habitait notre maître
pour nous installer à soixante kilomètres de là. Mon frère a trouvé un travail
qui suffisait à subvenir à nos besoins.» Le maître a bien tenté de les faire
revenir, mais sans succès. Il n’a pas employé la force, mais envoyait
régulièrement des notables pour tenter de raisonner les fuyards. Même libérés
de l’emprise des maîtres, les anciens esclaves, et particulièrement les femmes,
traînent avec eux le fardeau de leur passé. «Des années plus tard, ma sœur a dû
retourner auprès de notre ancien maître et le payer pour qu’il lui signe un
document attestant qu’elle était affranchie. Sans cela, elle n’aurait jamais pu
se marier.»
Article paru dans le
magazine AMNESTY, n°80, publié par la Section suisse d’Amnesty International,
février 2015.
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