Lors de notre précédente sortie intitulée : «
L’état des Droits de l’Homme en Mauritanie : réponse à l’émission "Pleins
Feux" », nous avions tenu d’abord à définir le concept de Droits de l’Homme,
nous avions ensuite défini son cadre juridique, et nous avions enfin souligné
que la Commission Nationale mauritanienne des Droits de l’Homme n’était en
réalité qu’une Omission Nationale des Droits de l’Homme. Notre promesse était
donc de revenir sur ce thème des Droits de l’Homme pour l’enrichir avec des
propositions concrètes qui peuvent être appliquées à notre pays. Le célèbre
journaliste sportif sénégalais, Ablaye Diaw, avait l’habitude de dire : « On ne
change pas une équipe qui gagne ». Inversement, nous disons on ne maintient pas
une équipe qui perd. Or, la Commission Nationale des Droits de l’Homme est une
équipe qui a perdu, qui perd, et qui perdra, toujours.
La raison principale de ce constat d’échec
découle du fait que cette Commission Nationale des Droits de l’Homme et son
Président passent plus de temps à voyager, à faire l’éloge du Président de la
République et à le défendre, qu’à éduquer les masses et à identifier des cas de
violations des Droits de l’Homme pour les porter devant les tribunaux. De ce
fait, la Commission Nationale des Droits de l’Homme est malheureusement devenue
la principale caisse de résonnance de l’Etat. Tel ne devrait pourtant pas être
son rôle si son objectif est véritablement de redorer notre blason national à l’échelle
mondiale.
En effet, la Commission Nationale des Droits
de l’Homme devrait tenir plus de 90% de ses activités en Mauritanie. C’est en
réalité ici qu’il faudra faire le travail de terrain nécessaire car c’est là où
se trouve la racine du mal mauritanien. Et alors la reconnaissance mondiale et
internationale, tant souhaitée et recherchée, viendra d’elle-même. Mais au lieu
de cela, son Président passe tout son temps entre des avions et des conférences
internationales à nier l’existence de l’esclavage, à rejeter l’ancrage du
racisme et des violations des Droits de l’Homme en Mauritanie, à tenter de
s’opposer à la reconnaissance de ceux qui, grâce à leur courage et à leur
engagement, ont mérité la reconnaissance de la Communauté Internationale, ou
encore à s’opposer aux résolutions de l’Union Européenne condamnant la
Mauritanie pour ses violations de Droits de l’Homme. Ce déplacement de
priorités (twisted priorities comme diraient les Américains) a fait perdre à la
Commission le peu de crédibilité qu’elle avait au départ et partant, tout
l’espoir que les Mauritaniennes et les Mauritaniens avaient placé en elle.
Voilà pourquoi nous pensons, que pour mieux
aider cette Commission, il faudra la dissoudre. Il faudra la dissoudre et
l’enterrer sous les cendres de l’oubli. Et en lieu et place, il faudra créer un
Ministère d’Etat Chargé des Droits de l’Homme. Cette élévation de status
donnera plus de visibilité et de crédibilité à la question des Droits de
l’Homme en Mauritanie et permettra ainsi au Ministère de jouer son véritable
rôle d’éducateur du gouvernement et du peuple, et de défenseur des masses.
Entendons-nous bien, ce ministère d’Etat n’est pas là pour défendre le
gouvernement, l’Etat, et encore moins le Chef de l’Etat. Il sera là plutôt pour
éduquer, pour informer, pour solliciter l’assistance de différents secteurs, et
pour coordonner les efforts nationaux nécessaires dans la résolution des
questions de Droits de l’Homme dans notre pays. Pour réussir cette mission,
ledit ministère doit donc surtout mettre l’accent sur 4 volets principaux :
1) Le volet apaisement
Le volet apaisement est le fondement de
l’édifice de paix et d’unité à bâtir. Il s’agit là de désamorcer la bombe
sociale mauritanienne, de créer un climat serein propice à l’enclenchement du
processus de dialogue national, tant souhaité et si nécessaire. Pour cela, la
première pierre de cet édifice doit être la libération de tous les détenus
d’opinion emprisonnés à travers le pays. Il faudra aussi reconnaître le
mouvement IRA, le parti RAG ainsi que tous les autres mouvements et
organisations politiques qui en ont fait la demande et suivant la procédure en
vigueur. Il faudra aussi appeler les choses par leurs noms. Autrement dit tenir
un langage de vérité au peuple mauritanien et au reste du monde. Il n’y a pas
de séquelles de l’esclavage en Mauritanie mais plutôt un véritable esclavage,
pur et dur. En effet, appeler un cancer une entorse ne sert ni le médecin
traitant, ni le malade, et encore moins la quête de remèdes. Et le malade ici
c’est notre pays. Puisqu’il n’y a pas de séquelles de l’esclavage, il faudra
donc éliminer cette coquille vide qu’on appelle Agence Nationale de Lutte
contre les Séquelles de l’esclavage, d’Insertion et de Lutte contre la Pauvreté
(ANLSILP). Ce nom est tellement long et insensé qu’il peut être assimilé à une
forme d’esclavage. L’existence et l’appellation de cette agence entrent dans
cette logique de tension et de confrontation ; elle est en effet un obstacle au
dialogue nécessaire pour désamorcer la bombe sociale mauritanienne. Il faudra
donc dissoudre cette structure et l’enterrer sous les cendres de l’oubli de la
Commission Nationale des Droits de l’Homme.
2) Le volet éducation et sensibilisation
Le postulat de départ est le suivant:
l’ignorance est le terrain de prédilection des violations des Droits de
l’Homme. Voilà aussi pourquoi cette campagne d’éducation et de sensibilisation
doit commencer par le sommet de la pyramide de l’Etat où l’ignorance est
souvent érigée en sacerdoce et camouflée et embellie par l’arrogance. Il faudra
éduquer les ministres sur les questions des Droits de l’Homme. Ceci se fera
grâce à un exposé hebdomadaire lors du conseil des ministres. L’objectif ici
est de sensibiliser tous les ministres à veiller aux questions des Droits de
l’Homme dans tous les secteurs de leurs ministères respectifs. Chaque ministre
sera obligé de faire un rapport trimestriel qui montre les efforts consentis et
les acquis de son ministère dans cette campagne de vulgarisation de cette
notion de Droits de l’Homme.
Il faudra faire des exposés dans toutes les
écoles militaires, dans les écoles de police, de garde nationale, les
États-majors, etc., pour sensibiliser les hommes de tenues car souvent,
n’oublions pas, les plus grands violeurs des Droits de l’Homme sortent de ces
écoles. Les hommes de tenue ont tendance, malheureusement, à confondre maintien
de l’ordre et répression du peuple.
Il faudra aussi enseigner les droits civiques
et les Droits de l’Homme dans les établissements scolaires, du privé comme du
public, et du primaire au lycée pour que les générations à venir défendent ce
principe d’Egalite mieux que leurs parents et le respectent mieux. Un Concours
Annuel doit être organisé sur ce thème de Droits de l’Homme et les élèves et
les administrateurs de l’établissement gagnant seront reçus au Palais
Présidentiel par le Chef de l’Etat. Il faudra comprendre que les élèves
d’aujourd’hui seront les dirigeants de demain, et l’état des Droits de l’Homme
dans ce pays sera ce qu’ils en feront, et ce qu’ils en feront dépendra des
principes qu’on leur inocule aujourd’hui. Le ministère des Droits de l’Homme va
donc travailler étroitement avec le ministère de l’Education nationale et les
autres acteurs et segments de la société pour réussir cet aspect.
Il faudra aussi inclure les chefs religieux,
les chefs de villages, les chefs traditionnels et communautaires car, alors que
les hommes de tenue ont tendance à réprimer physiquement les masses, les
segments traditionnels de la société (chef traditionnels, religieux et autres)
ont tendance, dans leur quête de maintenir l’ordre établi et les structures
sociales en place, à réprimer les velléités de libération, à perpétuer les
inégalités sociales, et même à les trouver des fondements traditionnels et
religieux. Ils doivent donc jouer un rôle important dans cette campagne
d’éducation et de sensibilisation car leur poids social est indéniable.
Il faudra aussi et surtout éduquer les masses
car on ne défend pas un droit qu’on ignore posséder. Un peuple informé est le
meilleur rempart, le meilleur bouclier protecteur contre les injustices. Des
émissions à la télé, à la radio, etc…doivent être créées pour éduquer les
masses dans toutes les langues. Nos artistes peuvent jouer un rôle essentiel
dans la diffusion de ces idées et dans cette campagne de sensibilisation
nationale. Le ministère des Droits de l’Homme va travailler avec les ministères
de la Jeunesse et de la Culture et d’autres acteurs et segments de la société
pour réussir cet aspect.
Il faudra aussi créer et célébrer une Journée
Nationale des Droits de l’Homme et un Prix National des Droits de l’Homme qui
sera décerné aux organisations ou aux individus qui se sont illustrés par leur
courage et leurs efforts dans ce domaine. Cette reconnaissance doit être
symbolique et financière pour encourager le lauréat à persévérer dans cet élan
et pour encourager d’autres individus et organisations à en faire autant. Le
Lauréat du Prix National des Droits de l’Homme recevra ce Prix des mains du
Chef de l’Etat le jour de la célébration de cette Journée Nationale des Droits
de l’Homme.
L’attribution de ce Prix doit être gérée par
un conseil composé de juristes, de représentants d’organisations de défense de
Droits de l’Homme, de représentants de la société civile, des éducateurs, et
des représentants du ministère des Droits de l’Homme. La représentativité sera
telle que les représentants du ministère des Droits de l’Homme à ce conseil ne
peuvent dépasser le tiers. C’est ce même conseil qui aura la responsabilité du
Concours Annuel National des Droits de l’Homme qui lui est ouvert à tous les
élèves du Primaire au lycée.
Tous ces efforts participeront à éduquer et à
sensibiliser les masses. Il faudra désormais que ce Ministère apprenne à
travailler avec toutes les organisations de défense des Droits de l’Homme et
tous les segments et acteurs de la société comme des partenaires essentiels
dans l’établissement d’un Etat de Droit.
Il faudra aussi et surtout mettre sur place
un appareil judiciaire indépendant et un appareil qui est au diapason des
questions de Droits de l’Homme. Nos juges, nos magistrats doivent participer à
des fora et à des formations régulières sur les Droits de l’Homme car c’est
l’appareil judiciaire qui aura la lourde responsabilité de juger ces cas de
violations. Voilà aussi pourquoi il est nécessaire de procéder à une révision
des textes de lois en vigueur pour voir s’ils permettent aux victimes et aux
accusés d’obtenir une justice équitable. Lors du récent procès de Rosso, nous
avons vu la caducité de notre code pénal, notamment en ses articles 191 et 193
pour ne citer que ceux-ci. Le code pénal mauritanien a besoin d’un curage
profond, d’un « ndeup » national.
3) Le volet défense des victimes et
poursuites judiciaires.
Après l’éducation et la sensibilisation, le
volet le plus important en matière des Droits de l’Homme est sans doute la
défense des victimes et l’application de la loi. Il s’agit ici de devenir la
voix des sans-voix et l’avocat des sans-avocats et créer ainsi un pont entre ce
Ministère et le peuple en général et les victimes des violations des Droits de
l’Homme en particulier.
On ne doit pas attendre qu’une victime
enclenche une procédure judiciaire pour la défendre; le Ministère des Droits de
l’Homme doit pouvoir se constituer en partie civile pour déposer des plaintes au
nom des victimes et contre ceux qui pratiquent l’esclavage, le trafic humain,
ou toute autre forme de violations des droits de l’homme. Les organisations de
défense des Droits de l’Homme peuvent jouer un rôle essentiel dans
l’identification et l’encadrement des victimes.
Ce Ministère doit prendre en charge les frais
de ces procédures et demander ainsi à ce que son department soit remboursé par
l’individu une fois sa culpabilité établie. Le coupable doit aussi indemniser
sa victime pour le nombre d’années d’esclavage. La détermination de ce montant
doit être le résultat d’une large concertation entre ledit ministère, la
victime, les avocats de défense ou organisations de défense des Droits de
l’Homme ; on pourra s’inspirer ici de la formule utilisée aux Etats-Unis pour
indemniser les personnes exonérées après des années d’emprisonnement. Cette
menace pénale et financière sur les maîtres d’esclaves peut aider à dissuader
les criminels. Le Ministère des Droits de l’Homme doit ainsi travailler
étroitement avec les organisations des droits de l’homme et les Ministères de
la Justice et de l’Intérieur pour réussir ce volet.
4) Le volet ouverture des dossiers des
violations des Droits de l’Homme des années 1986-1990
Un peuple qui nie son passé est un peuple qui
répète ses erreurs. Historiquement, les nations qui ont accepté de faire face à
leur passé, fut-il douloureux, ont pu mieux bâtir un avenir meilleur pour leurs
peuples. L’histoire d’un pays ou d’un peuple ne doit pas simplement être perçue
comme une compilation de ses succès ; c’est aussi la somme de ses échecs. Et un
peuple ne peut forger son avenir en niant des pans entiers de son passé. C’est
aussi une condition pour une véritable réconciliation nationale. Ce ministère
doit travailler avec le ministère de la Justice, le Ministère de l’Intérieur et
tous les autres segments de notre société pour permettre aux victimes d’avoir
ces trois options : pardonner, être rémunérées, ou porter plainte.
Ce Ministère des Droits de l’Homme doit aussi
consulter et travailler étroitement avec les Cours Pénales Internationales pour
voir est-ce que certains auteurs présumés de ces crimes ne mériteraient pas une
comparution devant ces instances internationales. On ne décrète pas une
réconciliation, on crée plutôt les conditions de sa gestation. On pourra ainsi
s’inspirer des exemples sud-africain et rwandais. Le pays doit se donner un
délai de 3-5 ans pour définitivement résoudre ces dossiers et tourner--et
pourtant conserver--cette page douloureuse de notre histoire.
Une fois le premier volet accompli, nous
pensons que les 3 autres peuvent se faire simultanément. Le Ministère des
Droits de l’Homme soumettra au Chef de l’Etat et à l’Assemblée nationale un
rapport annuel de ses activités, accomplissements, et objectifs pour l’année
suivante et ce rapport doit être accessible à tous et en ligne.
Voilà, à notre avis, ce que la Mauritanie
doit faire si elle veut se réconcilier avec son passé, vivre un présent
meilleur, et pour paver le chemin de son avenir ; un avenir de Justice,
d’Unité, et de Paix. Nous pensons que cette réflexion peut constituer une
ébauche de plan et comme telle, elle doit être améliorée et pour cela, il
faudra une large concertation.
Pour terminer et pour paraphraser un célèbre
penseur africain et père de l’égyptologie africaine, nous dirons que si nous
décidons, en tant que peuple, d’ignorer cette nécessité de concertation, de
dialogue, de justice, et de réconciliation, alors l'avenir de notre pays sera
comparable au sort d’une pyramide reposant sur son sommet.
Dr Siikam Sy-USA
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