Translate

jeudi 10 juillet 2014

Rapport du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, Mutuma Ruteere



 Mauritanie : rapport sur les formes contemporaines de racisme, de discriminations… [Rapport complet]
La Mauritanie est un pays multiculturel et multiethnique, dont la population, estimée
à 3 542 000, vit en majorité dans des communautés rurales dont la subsistance est extrêmement précaire et qui sont fortement tributaires de l’agriculture et de l’élevage. La population se répartit en deux grands groupes: les Maures, y compris les Maures noirs
(Haratines) et les Afro-Mauritaniens, qui comprennent les Peuls, les Soninkés, les Wolofs

Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Institut de la statistique, l’éducation (tous les niveaux) profil − Mauritanie (2013).
A/HRC/26/49/Add.1 4 GE.14-04009  et les Bambaras. Les interlocuteurs non gouvernementaux du Rapporteur spécial ont pour la plupart indiqué que les Maures arabes dominaient la vie politique et économique du pays, tandis que la majorité de la population, surtout représentée par les deux autres groupes, en est de facto systématiquement exclue. De ce fait, ces groupes connaissent des conditions de vie extrêmement précaires caractérisées par la pauvreté et la marginalisation depuis l’indépendance du pays, ce qui alimente le ressentiment et la colère

. Le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des membres de certains groupes concernés, qui ont exprimé leur amertume face à l’incapacité du Gouvernement de remédier aux conditions qui perpétuent la discrimination et la marginalisation.
.
Les Haratines, dont on pense qu’ils constituent le groupe ethnique le plus important en Mauritanie, sont aussi le groupe le plus marginalisé sur le plan politique et économique, dans une société qui demeure profondément stratifiée selon l’ethnie, l’ascendance, la caste et la classe. Le mot Haratine est dérivé d’un mot arabe qui signifie liberté, ce qui témoigne du fait que le reste de la société les considère comme des esclaves affranchis.
7.
Malgré des progrès visibles, les Haratines sont le groupe le plus mal loti, en butte à la discrimination, à la marginalisation et à l’exclusion du fait de leur ascendance. Environ
50 % des Haratines vivent dans des conditions d’esclavage, soumis qu’ils sont à la servitude domestique, au travail forcé ou au travail sous contrainte

. Ils demeurent marginalisés et sous-représentés aux postes politiques et dans la fonction publique. En 2013, selon les informations reçues, seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont Haratines. Selon le Manifeste d’avril 2013, les Haratines comptent pour 80 % de la population analphabète, 80 % d’entre eux n’ayant pas achevé l’école primaire, et ne représentent que 5 % des étudiants de l’enseignement supérieur. Plus de 90 % des dockers, des domestiques et des travailleurs occupant des emplois non qualifiés et mal payés sont des Haratines, tandis que seuls 2 % des fonctionnaires de haut rang et des hauts dirigeants des secteurs public et privé sont issus de ce groupe. Les Haratines soutiennent par ailleurs qu’ils sont exclus des secteurs de la banque et du négoce, les entreprises commerciales ayant généralement à leur tête des personnes qui n’appartiennent pas à ce groupe.

Des pratiques discriminatoires analogues affectent, à des degrés divers, les autres communautés afro-mauritaniennes, en particulier la minorité wolof.
Les Maures sont constitués de nombreuses tribus, stratifiées en castes selon la profession (par exemple, castes des forgerons, des dirigeants religieux et des guerriers).
Le Rapporteur spécial a été informé de ce que les relations entres les différentes castes étaient extrêmement hiérarchisées et se caractérisaient par l’exclusion et la marginalisation de certaines castes, telles que celles des forgerons, au bénéfice d’autres castes. L’accès à certaines fonctions, activités et responsabilités est donc étroitement lié à l’identité de caste et les mariages sont hautement codifiés selon l’ascendance. Par exemple, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des membres de la caste des forgerons, dont 90 % occupent des emplois dans le commerce et le commerce de détail, seulement 5 % d’entre eux sont instituteurs et leurs fils ne peuvent pas épouser des filles appartenant à d’autres castes.

Bien que certains groupes ethniques afro-mauritaniens ne pratiquent pas le système des
Rapport de la société civile sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (octobre 2013). Unrepresented Nations and Peoples Organization (UNPO) et Initiative de Résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie, rapportalternatif soumis au
Comité des droits de l’homme de l’ONU à sa 107session lors de l’examen du premier rapport périodique de la République islamique de Mauritanie (février 2013). A/HRC/26/49/Add.1 GE.14040095 castes, ils sont eux aussi extrêmement hiérarchisés et les relations entre les différents sous-groupes sont fortement influencées par l’ascendance.

Le Rapporteur spécial a relevé que la société mauritanienne était extrêmement stratifiée selon l’ethnie et la caste, les esclaves de facto et les descendants d’esclaves y occupant le statut le plus bas, qui se transmet d’une génération à l’autre. Cette stratification, qui prend ses racines dans l’histoire, est à l’origine de tensions et de conflits latents qui deviennent parfois violents. La visite du Rapporteur spécial a été opportune à cet égard, puisqu’elle a eu lieu quelques mois à peine après que des incidents violents à connotation ethnique ont éclaté à Kaédi, centre administratif et urbain le plus important de la région de Gorgol dans le sud du pays. Ces incidents, qui se sont produits le 7 juillet 2013, impliquaient des personnes appartenant aux communautés maure et peule, ont fait
21 blessés et se sont soldés par le pillage de 15 commerces et l’arrestation de 29 personnes.

Les autorités locales ont fait savoir au Rapporteur spécial qu’il s’agissait du quatrième incident de ce type, mais que les événements du 7 juillet avaient une dimension ethnique beaucoup plus forte que les incidents précédents, ce qui montrait bien que les tensions s’étaient accrues entre les communautés maures et afro-mauritaniennes pendant le processus électoral. Selon les informations reçues, la violence a éclaté dans le principal marché de la ville après qu’un jeune Maure s’en est pris à une Peule plus âgée, déclenchant la colère de quelques Peuls qui assistaient à la scène et qui ont voulu exercer des représailles en s’attaquant aux commerçants maures du secteur. Il semblerait que dans les journées qui ont suivi l’incident, des membres du mouvement «Touche pas à ma nationalité» se sont réunis devant le poste de police où le jeune Maure était détenu pour demander qu’il soit traduit en justice et non remis en liberté. Certains interlocuteurs ont expliqué au Rapporteur spécial que la situation était encore aggravée par l’instrumentalisation croissante d’incidents isolés qui se transformaient alors en affrontements ethniquement polarisés. La discrimination ethnique sous-jacente était évidente dans la réaction des pouvoirs publics à la suite d’événements de ce type, les victimes appartenant aux communautés maures ayant été promptement indemnisées et soutenues, alors que les commerçants afro-mauritaniens qui avaient perdu leurs biens et avaient subi un manque à gagner en raison des incidents de 1989 ne l’avaient pas été


Conclusions et recommandations

Comme l’a mentionné le précédent Rapporteur spécial, M.Diène, bien que la discrimination ne se trouve pas dans l’esprit de la loi, de facto, de nombreuses personnes estiment qu’elles ne bénéficient pas de l’égalité des chances en ce qui concerne l’éducation, l’emploi, la possibilité de faire des affaires et l’accès à la justice et aux services publics.

Les progrès réalisés jusqu’à présent par l’État pour s’acquitter de ses obligations relatives aux droits de l’homme et l’esprit d’ouverture résolument constructif dont le Gouvernement a fait montre face aux mécanismes internationaux des droits de l’homme sont remarquables. Le dialogue, la coopération et les partenariats sont essentiels pour favoriser la protection et la promotion des droits de l’homme.

Toutefois, il reste un certain nombre de difficultés à surmonter. Il sera difficile de s’attaquer aux problèmes qui sont profondément ancrés dans les traditions, l’histoire et les mentalités. Il est donc urgent d’adopter des mesures audacieuses et une politique de tolérance zéro face à l’impunité pour accélérer la réalisation d’une société égalitaire et diversifiée fondée sur le respect des droits de l’homme pour tous.

Compte tenu des conclusions du Rapporteur spécial et de celles d’autres mécanismes des droits de l’homme de l’ONU qui ont examiné les questions que soulève la discrimination fondée sur l’origine ethnique et l’ascendance dans le pays, le Rapporteur spécial propose les recommandations suivantes.

Premièrement, les recommandations déjà exprimées par les mécanismes internationaux des droits de l’homme, y compris M. Diène, qui n’ont pas encore été mises en œuvre ou qui n’ont été que partiellement mises en œuvre demeurent valables et l’État doit, de toute urgence, prendre les mesures nécessaires pour qu’elles le soient. Par souci de commodité, un tableau regroupant et résumant ces recommandations figure en appendice.

Le plan national d’action contre le racisme doit être fondé sur une analyse et une évaluation complètes de toutes les facettes de la discrimination au pays au moyen d’une étude de base sur le statut, les principales causes, les manifestations et les conséquences de la discrimination qui ont marqué l’histoire de la Mauritanie, laquelle étude pourra mieux éclairer les politiques qui devront être mises en œuvre.
Le processus d’élaboration du plan doit être inclusif et participatif pour que tous les intéressés s’approprient le processus et participent à sa mise en œuvre; les résultats obtenus doivent être suffisamment concrets pour être mesurables. Ainsi, l’État devrait veiller à ce qu’il soit tenu compte de tous ces éléments depuis l’élaboration du plan jusqu’à son adoption.

.
L’État et ses partenaires doivent, au moyen d’une stratégie de cohésion sociale, saisir l’occasion de rationaliser et de cibler les divers plans d’action et programmes portant sur la discrimination fondée sur l’origine ethnique et l’ascendance pour éviter la dispersion des efforts qui visent un but commun, la création d’une société inclusive
Selon le Ministre, au moment de la visite, 18 000 enfants n’avaient pas accès à l’école du fait qu’ils ne possédaient pas de certificat de naissance. A/HRC/26/49/Add.1 18 GE.14-04009 et diversifiée fondée sur les droits de l’homme et l’égalité.L’exercice pourrait également permettre d’optimiser des ressources qui sont comptées.

Étant entendu que les données recueillies doivent être utilisées de façon judicieuse, l’État doit démontrer qu’il a la volonté politique de combattre la discrimination en investissant dans des études, des évaluations et des enquêtes indépendantes pour analyser la situation, surveiller les progrès réalisés et évaluer les résultats. Le Rapporteur spécial est d’avis que la Commission nationale des droits de l’homme est bien placée pour entreprendre ces études thématiques. En outre, il encourage fortement les organismes des Nations Unies et les donateurs bilatéraux à appuyer l’État à cet égard.

Il est essentiel que l’État se penche sur les problèmes mis en lumière par le processus de recensement de sorte que les individus et, par voie de conséquence, leurs enfants ne soient pas privés indûment de leur droit à l’identité et à la nationalité.
L’État doit également prendre les mesures nécessaires afin d’éviter que les enfants deviennent apatrides: situation que vivent surtout les enfants nés d’unions non enregistrées ce qui constitue une discrimination de facto contre les communautés les plus isolées et les groupes qui ont traditionnellement été victimes de discrimination.

À cet égard, le Rapporteur spécial exhorte le Gouvernement à ratifier la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.

Il y a lieu d’améliorer la capacité des institutions pertinentes à s’attaquer aux pratiques discriminatoires et à gagner la confiance du public dans leur efficacité et leur engagement à faire respecter la loi. Dans leurs budgets annuels, les ministères compétents doivent donc prévoir les ressources nécessaires pour lutter contre la discrimination fondée sur l’origine ethnique, la caste et l’ascendance et contre les pratiques analogues à l’esclavage dans le cadre de leurs domaines de compétence, particulièrement dans le but de renforcer la capacité et l’expertise des fonctionnaires et de continuer de coopérer avec les organismes des Nations Unies intéressés, surtout le Bureau du Haut-commissariat aux droits de l’homme en Mauritanie.

Il faut mettre en place une stratégie d’action positive dans le cadre de la sélection et du recrutement du personnel des principales institutions nationales telles que les forces armées et les corps de police, le système de justice et la fonction publique. L’inclusion de tous les groupes dans tous les secteurs de l’administration et de l’économie privée est essentielle pour promouvoir la démocratie, la réconciliation et la cohésion nationales. L’État doit agir avec vigueur afin d’assurer une meilleure représentation des groupes ethniques au sein de l’administration dans les centres d’inscription au registre d’état civil et les organismes chargés de faire respecter la loi, pour atténuer les comportements et attitudes discriminatoires réels ou perçus comme tels.

L’État doit promouvoir l’égalité d’accès à la vie politique au sein des communautés qui ont toujours fait l’objet de pratiques discriminatoires ainsi qu’à leurs partis politiques, notamment par des mesures d’action positive aux niveaux national et local.

Lorsque les préjugés sociaux et la discrimination fondée sur l’origine ethnique persistent, l’État doit mettre l’accent sur l’éducation aux droits de l’homme et l’éducation civique qui serviront non seulement à assurer une cohésion sociale et à instaurer une culture démocratique sur les droits de l’homme, mais aussi à transformer le tissu social.

Les préoccupations que soulèvent l’enregistrement, l’indemnisation et la réparation à l’égard de certains rapatriés,la persistance des conflits fonciers et A/HRC/26/49/Add.1 GE.14-04009 19 l’absence de responsabilisation pour les violations des droits de l’homme perpétrées en 1989 ont été transmises au Rapporteur spécial. Il faut de toute urgence s’attaquer à ces préoccupations dans le cadre d’une réconciliation nationale aux fins de créer une société inclusive et diversifiée. D’abord et avant tout, l’Étatdoit publier la loi de 1993 en arabe et en français, une mesure peu coûteuse. En outre, lanouvelle stratégie mauritanienne pour la cohésion sociale (SNCS) doit prévoir un mécanisme de justice de transition afin qu’il y ait un débat public sur les événements qui se sont produits à la fin des années 1980 et qui ont entraîné l’expulsion de milliers de citoyens mauritaniens qui ont été ainsi privés de leur nationalité et de leur pouvoir économique. Les victimes de ces violations passées doivent avoir accès à une véritable réparation pour assurer une base solide à la nouvelle cohésion sociale.

L’esclavage est interdit par la loi mais les pratiques analogues à l’esclavage sont encore bien vivantes, tout comme les conditions sociales qui les favorisent. Les cadres institutionnels et juridiques peuvent veiller à ce que ces infractions ne demeurent pas impunies. Les modifications de 2007 à la loi contre l’esclavage qui confèrent aux organisations non gouvernementales la capacité d’agir au nom des victimes des pratiques analogues à l’esclavage et de leur apporter protection et soutien doivent être mises en œuvre le plus rapidement possible.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire