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jeudi 23 novembre 2017

Note d’alerte diplomatique: LA MAURITANIE BASCULE DANS LE TOURBILLON DE EXTRÉMISME RELIGIEUX


A. LE CONTEXTE

Par un verdict du jeudi 9 novembre 2017, la Cour d'appel de Nouadhibou condamnait Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, à 2 ans de prison, assortis d'une amende de 60 000 ouguiyas, soit environ 150 euros. La décision clôt une longue et laborieuse procédure contre l’auteur d’un écrit sur Facebook, présumé attentatoire à la réputation du Prophète de l’Islam. Malgré la contrition stipulée avant le délai de trois jours, un tribunal le déclarait, par deux fois, passible de la peine de mort, depuis son arrestation en janvier 2014. Tout au long du processus, ponctué d’émeutes, de manifestations, d’appels à la haine et de menaces de mort contre les avocats du prévenu, l’Etat mauritanien s’est abstenu de protéger les biens et les personnes ainsi exposés à la vindicte. D’autres jeunes, issus de familles influentes, auraient tenu des propos de gravité comparable, sans encourir une identique détractation. L’esprit de corps tribal permit de les soustraire à la curée.
Insensiblement, l’opinion basculait dans l’outrance du fanatisme, banalisant, de facto, l’incitation au meurtre et le recours à la justice privée. Des personnalités, connues, s’exprimaient et s’expriment toujours en public, pour réclamer la tête de Ould Mkheitir, même après sa libération théorique. Des volontaires, prétendument mus par l’Amour du Prophète, offraient une prime au bourreau éventuel. Aucun, bien entendu, ne sera poursuivi. En avril 2012, Birame Dah Abeid, brulait, devant témoins, quelques livres de législation musulmane, qui valident le racisme, le viol, le trafic d’humains, l’inégalité de naissance et leur accordent, alors, la caution du sacré. Arrêté avec ses camarades, malmené, gardé au secret et sommé de se dédire, il ne dut son salut qu’à la mobilisation des descendants d’esclaves, la communauté dont il est issu. Quelques années après, les ouvrages incriminés continuent à alimenter le programme des établissements d’enseignement confessionnel, les cours de magistrature et la formation de la police judiciaire.

Aujourd'hui, Ould Mkheitir, né dans la caste ultra-minoritaire des forgerons, ne bénéficie du rapport de force susceptible de lui garantir la pleine citoyenneté. En cela, il incarne la victime expiatoire, l'exutoire commode, d'un système d'hégémonie ethno-clanique qui s’échine à différer les demandes d'égalité et d'équité, grâce au paravent de la doxa. Choquée et stupéfaite devant l’essor pressant des attentes d’émancipation et de partage, de la part de dominés devenus majoritaires, l’oligarchie maure - qui se transmet les privilèges depuis l’Indépendance – se claquemure à l’ombre protectrice du sacré. Le réflexe d’autoconservation lui dicte de tout miser sur la foi, au mépris d’une réalité concrète et d’une perspective de toute certitude : ni la piété ni la force militaire, encore moins le chantage à l’enfer n’ont jamais refroidi l’ardeur, des hommes assujettis, à se défaire de leurs chaînes.

B. LA SURENCHERE

Depuis l’épilogue judiciaire, le Parquet s’est pourvu en cassation mais la requête ne suspend la sentence. Or, Ould Mkheitir, quoique libérable, reste séquestré, « pour sa sécurité », argumente l’autorité politique. Ses défenseurs, traqués par les justiciers du salafisme ambiant, doivent se cacher du regard, déserter leur domicile et changer de résidence, quasiment chaque nuit. Il s’agit de Maitres Mohamed Ould Moine et Fatimata Mbaye ; cette dernière cible d’une campagne de dénigrement à caractère raciste, récolte une moisson de quolibets d’une constance inouïe. Traitée de « négresse » et de « vieille guenon », elle recueille davantage le mépris que Ould Moine, lequel encourt l’attentat à son intégrité physique. 

Cette différence de traitement, bien perceptible dans les messages véhiculés sur Facebook et l’application WhatsApp, procède d’une échelle de valeurs spécifique à l’univers de sens maure, où une femme, de surcroît de filiation négro-africaine, demeure un sujet incapable, un être mineur à perpétuité, en somme négligeable. D’ailleurs, il y a lieu de le souligner ici, les imams, notables et cadres négro-africains, s’abstiennent, en l’occurrence, de verser dans la stimulation active de la haine et de l’homicide, au motif de défendre (sic) Dieu et son Prophète.

A y regarder de près, l’agitation prospère surtout au sein de la caste maraboutique arabo-berbère et se diffuse, ensuite, dans les quartiers défavorisés, les bidonvilles précaires où elle prend l’allure d’une revendication d’équité et de meilleur-vivre. L’extrême misère et le déficit de pluviométrie en 2017 attiseront sans doute les ferments d’instabilité.
Après 3 décennies d’arabisation systématique de la scolarité, de l’administration, de l’appareil judiciaire, des forces armées et de sécurité, des générations de mauritaniens grandissent dans l’obsession de la culpabilité, du péché, de la gestion de l’invisible et de détestation de tout ce qui n’est pas arabe et musulman. Que la Mauritanie plonge dans l’expérience des Talibans en Afghanistan ou des provinces pachtounes du Pakistan relève d’une hypothèse en voie d’achèvement.

C. LE SUBSTRAT PSYCHO-SOCIAL

Cette crispation conservatrice procède du croisement de deux matrices temporelles : le coup d’Etat militaire de 1978 et l’arabisation consécutive préparaient l’insertion, deux ans plus tard, de la Charia, dans le code pénal. Nul n’ignore le prix de cette lente évolution vers le pire : l’enseignement public est expurgé des humanités inaugurales, les enfants maures sont contraints à tout apprendre en Arabe, leurs compatriotes négro-africains pouvaient choisir le Français. La fracture devenait béance, au centre de la communauté de destin. Entre 1986 et 1991, les tortures et tueries collectives, les déportations et le nettoyage ethnique de l’armée et du corps des fonctionnaires parachevaient le travail antérieur d’exclusion.  La Mauritanie arabisée, au point d’y sacrifier l’avenir de sa jeunesse, s’assurait ainsi une longueur d’avance sur les aspirations démocratiques. Rattrapée depuis, il lui faut se réinventer, à la fois, un souffle, une impunité, une assurance-tous-risques. La solidarité autour de Dieu et du Prophète comporte les trois avantages mais aussi le péril de la dernière cartouche. Ce faisant, les initiateurs du calcul exposent la religion à une contestation d’autant plus à subversive que les réfractaires s’activeront sous le sceau du secret. Dans le déroulement de l’histoire, une vérité seulement protégée par la liquidation du contradicteur, suscite la discorde et la remise en question, avant de provoquer sa propre persécution.

Les prêches d’excitation à dissuader les gens et se rebeller contre l’Etat, n’épargnent, non plus, le Président de la république, les magistrats et les activistes de la société civile dont quelques uns subirent des tentatives d’agression physique, telle Aminetou Mint Elmokhtar, leader de l’Association des femmes chefs de famille (Afcf). Une « blogueuse » féministe, Mekfoula Mint Brahim encourt une persécution constante et ne doit son immunité qu’à la mobilisation des siens, lesquels ont dû rappeler, à la mémoire défaillante, leur passé de tribu rompue au métier de la guerre. Des dizaines de jeunes militants de la laïcité et de la dignité humaine sont désignés, à la fureur de la foule et leurs noms exposés, à cette fin, sur les réseaux sociaux. Certains se résolvent à l’exil. Phénomène aussi inédit, des sermons du vendredi insistent sur l’hérésie des chiites et le devoir de les excommunier.
D. UNE DERIVE IRREVERSIBLE
La tendance takfirite et prosélyte parmi le personnel officiant ne cesse de gagner en audience, y compris grâce à l’usage de l’intimidation envers la famille et les proches du dissident. Pratiquement, il est devenu licite d’assassiner n’importe quel objecteur, au prétexte de promouvoir l’honneur du Prophète et le renom de l’Islam. La récente mouture projet, autant que l’original, confère, à l’injonction de l’homicide religieux, commandement divin et légitimité ici-bas.

Terrorisés, la frange d’intellectuels qui se risquaient à sauvegarder le droit élémentaire du prévenu à préserver l’intégrité de son corps, se murent dans une réserve de survie. Les partis, d’opposition adoptent, quant à eux, l’explication « complotiste » et entérinent une démagogie accessible aux masses, que galvanise une poignée de prédicateurs d’inspiration wahhabite ; la distinction entre ceux-là et les jihadistes s’avère problématique. Les deux principales forces de l’alternative au partisane, relaient la propagande des fauteurs d’extrémisme mais s’abstiennent bien de publier leurs communiqués dans une langue autre que l’Arabe, de crainte de perdre la crédibilité auprès du Monde libre. Le constat de la duplicité concerne, surtout, le Front national pour la la démocratie et l’unité (Fndu) et le Rassemblement des Forces démocratiques (Rfd), par ailleurs membre de l’Internationale socialiste (Is), vecteur mondial de la laïcité. Tout comme le pouvoir, les deux entités, selon l’appât de l’opportunisme et l’inclination à suivre la vague populaire quelle qu’en soit la direction, contribuent, dès le commencement du contentieux, à nourrir puis renforcer l’emprise du bloc de la régression, sur l’ensemble de la société. Débordé, Tawassoul, la branche légale des Frères musulmans, s’en tient à la modération par le silence, après avoir concouru à la montée de la tentation insurrectionnelle.
Au demeurant, derrière l’hystérie des foules, manœuvre une poignée d’entrepreneurs en communication de masse ; leur zèle s’adresse, d’emblée, aux bienfaiteurs lointains. Lutter pour rétablir l’honneur du Prophète représente, avant tout, un business rentable, un fonds de commerce amplement monnayable auprès de donateurs –publics et privés - au Moyen Orient. En ce temps de diète, à cause de la suspicion mondiale sur le financement du terrorisme, qu’exacerbe la discorde entre l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Iran, l’argent béni s’épuise, du moins sa source se tarit. Pour maintenir le filet nourricier, s’impose la nécessité d’entretenir, ad libitum, un climat de tension permanente, d’inventer, de provoquer et d’amplifier, à une fréquence mensuelle ou hebdomadaire, des profanations du Coran et du blasphème. Il convient de ne pas sous-estimer la trivialité temporelle  de ces stratégies de simonie et de prédation oblique. En l’espèce, soulever la multitude informe, par la manipulation des affects, vous assure, pour un investissement quasi-nul, un rendement immédiat, sans effort et hors impôts. Même les confréries soufies, d’habitude héritières d’une pratique de spiritualité quiétiste, n’hésitent à emboucher les trompettes de la rancune. Autre singularité toute mauritanienne,  à la faveur d’un laïus archivé sur le site du journal en ligne Alakhbar, le bâtonnier de l’ordre des avocats, membre d’instances internationales de sa corporation, encourage les manifestants à exiger l’exécution de Ould Mkheitir.

E. LES FAUX SEMBLANTS

L’Etat ayant cédé au poids de l’arithmétique, s’en trouve réduit à la surenchère avec la mouvance salafiste ; ainsi, le Ministre de la justice, suite à la réunion hebdomadaire du gouvernement, présentait, le 17 novembre, devant la presse, un projet de révision de l’article 306 du Code pénal, portant élimination physique de n’importe quel coupable d’insultes ou de moquerie à l’endroit de Dieu et des Prophètes du monothéisme ; il spécifie que le repentir ne profite au contrevenant. La compétition avec les partisans de la théocratie atteint un degré inusité : à présent, la République islamique de Mauritanie établit l’équivalence entre la vie et l’énoncé d’une idée. Selon la nouvelle mouture, bientôt proposée au vote des députés, l’auteur d’un délit immatériel s’expose à se faire tuer. Pour se remémorer et sacrifier à l’ironie, il convient de rappeler que les associations islamistes, le gouvernement et l’ensemble de la classe politique avaient dénoncé, en son temps, la tuerie de Charlie Hebdo, selon des termes d’une fermeté remarquable. A posteriori, certains justifient cette posture et sa contradiction avec le sort de de Ould Mkheitir, par la singularité de ce dernier : la peine capitale, en matière d’offense à la religion, ne s’applique qu’au musulman !

Déjà, dans la complaisance générale, les députés adoptaient, le 9 juin 2017, un article de loi précurseur de l’actuel dévoiement ; un alinéa mentionne : « quiconque encourage un discours incendiaire contre le rite officiel de la République Islamique de Mauritanie est puni d’un (1) an à cinq (5) ans d’emprisonnement ». Le texte consacre le primat de la Sunna et étend le sanctuaire, à une seule de ses 4 écoles, en l’occurrence le voie malékite.

F. LE SINISTRE VOYAGE

Pivot de la lutte contre la terreur religieuse sur l’aire de l’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie, à l’instar de bien des Etats arabes qui appliquent le programme des Jihadistes et prétendent les combattre, se débat dans les contradictions, de moins en moins tenables, entre le populisme intérieur et les engagements internationaux. La dérive sectaire du gouvernement et la radicalisation impunie de la rue annihilent la validité des traités et conventions auxquels le pays souscrit, en particulier la Chartes universelle des droits de l’Homme et sa déclinaison africaine.

Comment un Etat dont les ministres, les partis, les élus, les services de sécurité et le commandement militaire promeuvent le meurtre de l’auteur d’une parole ou d’un décrit, peut-il participer encore au G5 Sahel ? Au-delà de ce dispositif militaire, maintenant compromis par l’ambiguïté et le laxisme du Président Mohamed Ould Abdel Aziz, ce sont d’abord l’Algérie et le Maroc qui voient s’installer, à leur frontières sud, une théocratie de fait, à l’exemple des Talibans afghans. Il n’est pas indifférent d’en relever le paradoxe, au moment où les régimes islamistes cherchent à se dégager de l’emprise du wahhabisme fossoyeur du vivre-ensemble et de la tolérance, la Mauritanie entame le chemin inverse, à rebours de l’histoire.

En face du repli sur soi et d’une dogmatique à croissance accélérée, l'Islam des racines, respectueux des traditions profanes et de la diversité culturelle, agonise. Ses tenants s'excuseraient presque d'exister encore. Au rythme courant, une base-arrière du terrorisme est en passe de s'élever, sur l’espace mauritanien, comme trait d'union entre l'Afrique subsaharienne et le Maghreb, exactement à contresens du dessein, conçu « Contre Vents et Marées », par le Président fondateur, feu Mokhtar Ould Daddah.

Le danger, pour les voisins et les partenaires extérieurs, réside dans la faculté de déplacement, vers leurs territoires, des fauteurs de haine et de meurtre. Nombre d'entre eux disposent de visa d'entrée en Europe et Amérique du Nord ; quelques uns, salariés du culte ou de l’une des innombrables institutions religieuses que l’Etat subventionne, détiennent des passeports diplomatiques, émis par le Ministère mauritanien des affaires étrangères. Pourtant, la totalité des individus ayant ouvertement encouragé la sédition et l'élimination des "mauvais musulmans" et des "mécréants" à l’occasion de l’affaire Ould Mkheitir, pérore à haute voix et à visage découvert. Hors du pays, ils rencontrent des partisans, animent des réunions - parfois de collecte de fonds - aux fins de mieux propager et vulgariser la disponibilité à tuer au nom de Dieu. D’ailleurs, ils reçoivent, depuis quelques jours, des messages de soutiens de la diaspora mauritanienne, aux quatre coins du monde. Le gouvernement se félicite de l’absence d’activité terroriste et en infère la preuve de sa réussite. Pourtant, Courrier international publiait, en mars 2016, l’exégèse d’un document saisi dans les papiers de Oussama Ben Laden, sur l’existence d’un accord rémunéré de non-agression de la Mauritanie par Alqaida ; les services américains, qui le déclassifiaient, se gardèrent, néanmoins, d’en authentifier la mise en œuvre.

EN GUISE DE CONCLUSION

Les alliés occidentaux portent leur part de responsabilité, voire de collusion objective avec une entreprise politico-criminelle, dorénavant irrattrapable. Par méconnaissance du pays, paresse et cynisme mercantile, ils ont ignoré les alertes, malgré leur précision. Les dirigeants du pays, fortement connectés à ses discordances mentales et porteurs de celles-ci, s’aveuglent à la raison ; sans le savoir, ils hypothèquent leurs intérêts propres, l’avenir des autres et la stabilité des équilibres régionaux de paix et de sécurité. Chez eux et leurs opposants, les besoins de politique primaire et les passions feintes ont pris le dessus sur la vision, sans égard pour la prudence, première vertu d’un gouvernement éclairé. Comme dans toute dynamique populiste, portée à son paroxysme, c’est le peuple tempétueux qui paie le prix fort, au moment imprévisible de la rupture : quand la Mauritanie accèdera au statut officiel de Talibanie, avec son lot d’indigence morale et matérielle, d’hypocrisie et d’épouvante, les élites se réfugieront, sous des latitudes séculières, là où l’individu s’épanouit, sans s’entendre imposer un vêtement, une appartenance métaphysique ou une restriction à son intelligence. La population, elle, s’accommodera du jeu mortel, lorsque les protagonistes auront émigré à l’abri de la tourmente. En attendant, la Mauritanie exporte, au Niger ami, son modèle d’amour et de mansuétude.  
Dans l’état contemporain de ses prescriptions, notamment le Code pénal, la Mauritanie va vers l’instauration, à moyen terme, d’une tyrannie islamiste, que Alqaida et Daesh ne renieraient. La réalisation du projet a pris son élan depuis 2010 et atteint, aujourd’hui, sa vitesse de croisière ; sa dissémination alentour s’enracine et se reproduit au travers d’écoles coraniques, de Mahadhra et d’instituts de sciences originelles qui accueillent et embrigadent des centaines d’africains subsahariens et quelques volontaires venus d’Europe. Le Ministère de l’éducation nationale ne dispose d’aucune faculté de contrôle sur la teneur des cours, des livres et de la prédication mais n’en ignore les visées xénophobes, liberticides et jihadistes. Jour après jour, dans l’indifférence et l’incompétence du gouvernement, des partis d’opposition et des puissances étrangères, l’armée de la rue gonfle et fulmine, impatiente de dominer, de contraindre, de massacrer s’il le faut…..

Nouakchott, le 22 novembre 2017

Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (Ira, association antiesclavagiste, non-autorisée). 

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