Le 28 novembre, la République islamique de Mauritanie fête le 57ème
anniversaire de son accession à la
souveraineté, après quelques décennies de colonisation française et des siècles
de féodalité tribale et d’esclavage. La veille de la commémoration, en 1990, 28
militaires négro-africains furent exécutés dans la garnison-mouroir de Inal, à
l’extrême nord du territoire ; la campagne de répression ethnique s’est
étendue sur 3 années de déportations, d’exécutions extra-judiciaires, de tortures
et de purge au sein de la fonction publique, sans omettre la déstructuration de
l’appareil d’Etat, de la justice et de l’enseignement. Jusqu’ici et en dépit
des changements de pouvoir, l’impunité protège les auteurs de ces crimes.
Passée la phase du déni, l’heure est à l’oubli méthodique. Pourtant, la
fracture entre les composantes communautaires atteint un degré d’acuité tel
qu’il convient, désormais, de s’interroger sur la continuité d’un modèle de coexistence
construit sur l’exception de naissance et l’immunité, envers et contre le
droit.
En effet, toutes les contradictions dans le projet national
tournent autour de l’inégalité. Historiquement brimée, une majorité de nos
compatriotes ne croit plus aux discours lénifiants et exige une explication, à
l’épreuve de l’injustice. Plus celle-ci tarde, davantage enflent
l’acrimonie et la tentation de la rupture. L’irresponsabilité des élites
dirigeantes réside dans leur indifférence paresseuse au défi. Au lieu de se
confronter à l’évidence du problème, les gouvernants successifs l’occultent, en
vertu d’un optimisme de l’autosuggestion, à la fois suicidaire et de
médiocrité. Les autres, la foule anonyme des sans voix, fils et petits fils de
cadets sociaux et rejetons des victimes de la brutalité, évoluent, pensent et s’endurcissent
dans un univers parallèle, leur monde à part. Cette infra-humanité, en quête de
dignité et d’accomplissement temporel, piétine devant les portes de
l’état-civil biométrique, la nouvelle technologie au service de l’exclusion. Aussi,
la statistique l’ignore-t-elle autant que les urnes.
En 2017, la Mauritanie parvient à un stade de déconfiture et d’atonie
qui requièrent l’autocritique et le questionnement viscéral. L’obstruction de
l’espoir ouvre la voie royale à l’interrogation sur l’obstination à envisager un avenir commun,
sous le sceau du fait accompli. En d’autres termes, de quelle fondation fiable
se réclamerait un contrat social où la spoliation, la préférence et la force
brute constituent l’unique garantie de la stabilité et de l’ordre ? De ce
doute exacerbé par le déficit de consensus et le découragement ambiant, résulte
le désarroi des populations et l’immersion croissante de certaines franges dans
les mirages de l’extrémisme. La foule fanatisée est en passe de gouverner au
jour le jour, avant de baliser le chemin vers l’instauration d’une dictature
des religieux, foncièrement réfractaire à la diversité culturelle et si peu
réceptive à l’idée du bonheur ici-bas ; l’environnement régional favorise une
telle dérive, d’ailleurs symptôme du délitement programmé de la Mauritanie.
Cependant, une opportunité subsiste. Les concepteurs de l’alternative politique,
la société civile et les partenaires extérieurs gardent, encore, une marge de
manœuvre pour anticiper et détourner le péril mais le temps presse.
A à un peu plus d’un an d’une élection présidentielle dont bien
des mauritaniens espèrent la délivrance autant qu’ils craignent la partialité,
le moment est venu de rappeler l’imminence de la menace d’implosion, afin
d’amplifier l’appel au sursaut.
Il est à présent légitime de repenser la Mauritanie de demain,
selon la double urgence de la survie et de l’aptitude à la pérennité. Or,
l’objectif vital, n’autorise plus l’atermoiement, encore moins la dilution de
la volonté et de l’imagination créative dans le confort de la langue de bois et
de certitudes, ô combien faillies.
Le pays que nous voulons rebâtir – oui, il s’agit bien de cela – a
besoin, d’abord, d’admettre la réalité de la discrimination comme l’essence de
sa reproduction durant 57 ans. Ensuite, il devra entendre et publier la vérité
taboue, réparer les torts, enfin, envisager une forme d’organisation et de
partage qui consacre les principes universels d’équité. Si nous tenons à la paix
collective, aucune culture, aucune langue, aucune généalogie ne bénéficiera plus
d’un statut de prééminence, encore moins de supériorité. Il en découle, sous
peine d’exacerber la violence revendicative, la fin des privilèges matériels et
statutaires et l’abolition de la mainmise économique d’une minorité sur l’Etat
et l’économie. La Mauritanie du mérite rationnel et de la performance
présuppose, aussi la redéfinition du rapport des forces armées et de sécurité à
l’exercice du pouvoir. L’expérience sinistre des juntes et de leurs avatars
grimés en civil conclut à l’échec, sans appel. L’institution militaire, en
charge de préserver les institutions et l’intégrité des frontières s’est
dévoyée de sa mission ; une oligarchie tribale ayant érigé la prédation en
doctrine d’engagement opérationnel, a éloigné le soldat du citoyen et ainsi
précipité la banqueroute.
Le présent appel s’adresse, en priorité, aux acteurs du premier
cercle de la décision : Le Président de la République en fin de mandat,
les leaders de partis et d’opinion et toutes les personnalités reconnues pour
leur aptitude à mener le vrai dialogue ne
peuvent plus se dérober à l’impératif du moment : ressusciter le rêve pionnier des fondateurs, celui
du trait d’union entre les deux Afriques, de la modernité mais surtout de l’égalité,
enjoint de nous asseoir ensemble, discuter de tout et oser, pour une fois, le
compromis viable.
Nouakchott, le 28 novembre 2017
Conscience et résistance (Cr,
association social-démocrate, écologiste et laïque, non autorisée).
Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA
– Mauritanie, association antiesclavagiste, engagée, dans la défense et la
protection des droits humains, milite pour l’instauration de l’état de droit et
du renouveau religieux, non-autorisée).
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