Je dois préciser d’emblée que j’envisageais
de rendre hommage à Oumar ould Beibacar bien avant aujourd’hui. Tout juste
après avoir lu ses écrits sur le combat des FLAM, l’esclavage, la bataille de
Toumsi et enfin sur le coup d’Etat de 1989 et la mort héroïque du lieutenant Ba
Seydi. Mais je voulais prendre mon temps, celui de murir, d’affiner ma
communication afin qu’elle soit digne de l’homme que je voulais honorer. Or,
compte tenu de l’envergure et de la place que je lui conférais au regard de mes
paramètres d’appréhension, la gestation du texte souhaité réclamait plus de
temps ! Mais voilà, une fois encore le cours des événements est venu
perturber mon calendrier m’imposant de m’exprimer presque tout de suite… Car
après son arrestation prendre la parole devenait à mes yeux, un devoir de
vérité et un sursaut patriotique.
En effet, ce 28 novembre 2015, alors qu’il
venait de terminer l’animation d’une conférence sur le thème : « Inal-a-t-il
définitivement entaché le 28 Novembre? », Oumar Ould
Beibacar a été arrêté par la police mauritanienne et conduit à une destination
inconnue. Comme j’aurai voulu voir la mine du flic qui aura à affronter le
regard d’acier d’Oumar…
Oumar oul Beibacar n’est ni un chef de parti, ni le président d’une
organisation de la société civile, encore moins un de ces richissimes hommes
d’affaire ; et pourtant son arrestation nous interpelle tous. Pourquoi le
régime de Mohamed ould Abdel Aziz a-t-il décidé de mettre au cachot Oumar oud
Beibacar ? Pourquoi son arrestation est-elle intervenue après la tenue de
cette conférence ? Enfin quelles peuvent être les conséquences de cet
acte ?
Mais avant de proposer des éléments de réponse à ces interrogations, je
ne puis faire l’économie de souligner d’abord ces traits de caractère qui élèvent
l’homme très haut au dessus du commun des mortels.
I. Un homme d’honneur…
Je sais que cette expression (sens de l’honneur) est si bien galvaudée
par les uns et les autres qu’elle est familière à la majorité. Et pourtant,
demandez aux Mauritaniens de vous définir ce qu’ils entendent par ce premier
terme du tryptique érigé en devise de notre pays, et vous verrez alors tout
l’écart qui sépare la familiarité d’une expression et sa connaissance
effective.
Après la raison, l’honneur est cette réalité abstraite qui met plus
l’être humain en évidente en le distinguant des autres espèces du règne animal.
Mais l’honneur est surtout la crème de toute rationalité. En effet, si
l’absence de la raison ne peut s’accommoder de l’honneur, celui-ci transcende
et dépasse celui-là comme un plus en puissance n. Ainsi, avoir le sens de
l’honneur suppose non seulement que vous êtes un humain à part entière mais
aussi que vous appartenez au meilleur du genre humain. Voilà pourquoi nous
brandissons cette qualité à chaque fois que nous estimons que l’autre, de par
son comportement, semble ignorer notre plus value humaine ; le plus
souvent d’ailleurs, plus pour se convaincre soi-même que pour persuader
l’autre.
Mais de par son essence, l’honneur ne se proclame pas, il se traduit
dans l’attitude de l’homme dans la société. Il se manifeste dans l’intégrité
dont nous faisons montre dans note rapport à l’autre, dans notre capacité à
nous conformer à nos idéaux, mais encore et surtout dans l’harmonie psychique
qui résulte de la dialectique endogène perpétuelle qui confronte notre
conscient à notre subconscient.
Avoir le sens de l’honneur est, vous l’aurez compris, plus facile à
affirmer qu’à vivre ; d’autant que pour vivre en homme ou femme d’honneur,
les meilleurs d’entre nous sont obligés de devoir empiéter sur leurs intérêts
individuels immédiats, s’opposer bien des fois à ceux qu’ils aiment, notamment
aux membres de leur famille, et bien souvent encore à leur communauté ethnique,
tribale, linguistique et religieuse.
Parce que vivre en homme ou femme d’honneur, c’est faire ce que l’on
dit, mais c’est aussi dire que l’on fait. C’est donc se situer loin du
mensonge, par l’affirmation constante de la vérité même si celle-ci dissout vos
intérêts matériels, suscite l’animosité de vos proches et vous fait courir le
risque non moins négligeable d’être l’oublié d’une certaine histoire !
Oumar ould Beibacar est un homme d’honneur et cela au sens
le plus valeureux du terme.
Un homme d’honneur dans la tradition militaire
authentique. Celle-là même qui fait préférer au soldat, digne du métier des
armes, la mort au déshonneur ; de choisir de garder le silence pour éviter
le mensonge, de défendre le faible face à l’outrage du puissant.
Il ose rétablir la vérité sur l’histoire politique de la Mauritanie dont
il montre, preuves à l’appui, qu’elle a été outrancièrement falsifiée par des
lobbies racistes longtemps tapies dans les régimes qui se sont succédé au
pouvoir dans notre pays. Très au dessus de toutes considérations racistes ou
communautaristes, le colonel retraité n’hésite pas à voler au secours de ses
frères d’arme, martyr du régime sanguinaire de Taya. Ainsi, dans un article que
j’ai lu le 29 octobre 2015 sur le site d’information
cridem, Oumar ould Beibacar revient largement sur les motivations, le
déroulement et l’exécution des trois officiers négro-mauritaniens Sarr Amadou,
Sy Saïdou et Ba Seydi, principaux auteurs de la tentative de coup d’Etat de
1987. Contrairement à ce qui fut jusque là admis, parce que savamment distillé
par les propagandes du régime de Ould Taya et ses héritiers, il révèle, avec
une plume saisissante que ces trois soldats n’étaient ni des ‘’diables aux
longues queues’’, ni des racistes qui voulaient changer la dénomination de la
Mauritanie et de sa monnaie, ni des traitres qui voulaient chasser les Maures
du pays. Ils étaient tout simplement mus par le désir de reprendre les
commandes du pays pour le refonder sur des bases justes et égalitaires. La
preuve, nous dit Ould Beibacar, est qu’ils envisageaient de confier le poste
clé de chef d’Etat major des forces armées à Mohamed ould Lekhal, lui-même
maure.
Alliant la narration à l’analyse, le vieil
officier supérieur de la garde nous raconte alors la grande bravoure, le sens
de l’honneur, la lucidité et la ferveur dont fit preuve Ba Seydi tant face à
ses pseudo-juges que face à la mort certaine. Aussi finit-il son épopée par ces
mots : « Seydi Ba, Seydi Ba, Seydi Ba » pour rendre hommage
à son frère d’arme négro-mauritanien dont les hauts faits d’armes l’ont,
visiblement, ému.
A mon tour de vous dire ceci, mon colonel, si
le comportement exemplaire de Ba Seydi vous a ému au point de vous
enthousiasmer, c’est bien parce que vous êtes un homme d’honneur ! Oui, je
n’ai pas l’ombre d’un doute que si le destin vous avait mis à la place de Ba
Seydi (ce que je ne vous souhaite point), vous auriez eu la même attitude
courageuse, honnête et honorable. Vous n’êtes décidément pas de ces soldatons
qui, une nuit de novembre 1990, face à des frères d’ armes désarmés n’ont eu d’autre idée que de les assassiner. Pendre
ou tirer sur un soldat désarmé, même lorsque c’est votre ennemi, en situation
de guerre, aucun soldat digne des traditions guerrières ne le fait. C’est une
attitude tout simplement méprisable. Que dire donc de tous ceux qui ont attaqué
des civils, violé des femmes ! Comment une armée digne de ce nom peut
accepter d’avoir en son sein des hommes, j’allais dire des criminels d’une
telle bassesse ! Comment messieurs les officiers, sous-officiesr, hommes
de troupes qui êtes innocents et gardez encore le sens de l’honneur du soldat,
pouvez vous accepter en votre sein des assassins et des tortionnaires ? En
n’osant pas affronter les oppresseurs du peuple mauritanien que vous aviez le
devoir de protéger, vous devenez de facto les complices d’une bassesse indigne,
non pas seulement du soldat, mais de l’homme tout court !
Oumar ould Beibacar, lui, est d’une autre
trempe. J’ose espérer qu’il n’est pas l’exception et que dans les rangs de
notre armée, existent encore des soldats courageux, honnêtes et dignes !
II. Un homme intellectuellement honnête et moralement
fascinant
Libéré de l’armée et de son devoir de réserve, le colonel Oumar Ould
Beibacar lance un regard rétrospectif particulièrement pointu sur l’histoire
politique de notre pays. Toujours dans le souci de rétablir la vérité oblitérée
par des années de propagande mensongère, il revint sur le combat mené par
l’élite intellectuelle négro-africaine contre le racisme d’Etat érigé en
système de gouvernance.
C’est ainsi qu’il confirme ce que ces pauvres Flamistes (FPC) ont tout
le temps affirmé, c’est-à-dire que jamais dans leur action politique ils n’ont
pensé, et à fortiori, développé un quelconque discours raciste à l’encontre de
leurs compatriotes maures. L’homme dont la position et le grade ont permis de
savoir et révéler comment les services secrets mauritaniens sous le régime de
Mouawiya ould Taya ont réécrit le « manifeste du négro-mauritanien
opprimé » publié par les FLAM en 1986, sous le couvert de traduction, y introduisant
des propos à caractère raciste dans le seul but de diaboliser ces vaillants
patriotes par intoxication de l’opinion maure.
Mieux encore, en montrant comment les lobbies racistes créent et
entretiennent un lien entre les FLAM et les présumés putschistes de 1987 pour
corroborer l’idée d’un complot négro-africain contre les Maures, Oumar
OuldBeibacar sonne le glas de la dernière pièce du puzzle par lequel les
assassins et autres tortionnaires des militaires et civils négro-mauritaniens
justifiaient leur forfait ! Ne disaient-ils pas que les purges
anti-négro-africaines de 1989 à 1991 étaient la conséquence du « complot
ourdi par les FLAM (aile civile et militaire) contre les Maures de
Mauritanie ?
En effet, en 1989, après avoir déporté et chassé plus de 120 000
Négro-mauritaniens vers le Sénégal et le Mali, le régime de Ould Taya (à
l’époque protégé par le Président actuel alors commandant du BSEP) s’est adonné
à une véritable opération de dénégrification de la Mauritanie. Aussi des
milliers de civils furent exterminés sauvagement dans toutes les régions de la
Mauritanie. La nuit du 27 au 28 novembre 1990,
28 soldats négro-mauritaniens furent pendus à Inal par leurs frères
d’arme pour célébrer à leur manière l’indépendance de la Mauritanie. Enfin, moins
d’une année après, en 1991, ce sont plus de 500 autres soldats, tous
négro-mauritaniens, qui furent exécutés ça et là dans différentes casernes
militaires sous le prétexte fallacieux qu’ils conspiraient contre je ne sais
quel diable !
Voilà, entre autres, les terribles VERITES réaffirmées par Oumar ould
Beibacar et qui, de mon point de vue, lui valent l’incarcération dans les geôles
de Mohamed ould Abdel Aziz.
Eh bien si dire ces vérités entraine la prison, je demande à nos
autorités de venir me chercher pour m’embastiller. Oui, j’écris que je serai
bien honoré d’aller rejoindre cet ami – par la morale et les idées – que je
n’ai pourtant jamais eu l’honneur de rencontrer, dans le cachot de leur
choix ! Tous les intellectuels progressistes de ce pays ont le devoir
ultime de suivre cette dynamique au risque de sur peupler les prisons de
Mohamed ould Abdel Aziz !
Dans un pays miné par l’oppression
multidimensionnelle, la place des honnêtes hommes n’est nulle part ailleurs
qu’en prison !
Mon colonel ! Pour vous et vous seulement, je me mets au garde-à
vous ! Vous qui, de par votre valeur intrinsèque, valez bien des généraux
de nos temps modernes réunis !
Par son arrogance et l’oppression croissante exercée sur les
Négro-africains de Mauritanie et les Hratines, le régime actuel compromet déjà
gravement d’unité nationale, en arrêtant les éléments progressiste de la
communauté maure, il tue, consciemment ou inconsciemment tout espoir de voir
les communautés mauritaniennes opérer une jonction heureuse et trouver les
meilleures solutions au crucial problème de la cohabitation. Savez-vous combien
de Négro-mauritaniens ont vu leur colère s’atténuer, leur frustration
s’édulcorer rien qu’en lisant Oumar Ould Beibacar ?
Nos gouvernants actuels vont-ils continuer à envoyer au bagne tout Mauritanien
obéissant à sa conscience et qui ose rétablir la vérité ? Après Ould
Mkheitir qui défendait les forgerons, Biram Dah et Brahim Bilal qui souhaitaient
libérer les esclaves et Oumar ould Beibacar qui voulait soigner les blessures de
ses frères Négro-mauritaniens (racisme d’Etat, esclavage) et donner enfin
l’occasion aux Mauritaniens de discuter pour refaire leur unité, le régime
actuel va-t-il arrêter tous les progressistes de ce pays ? Oui, va-t-il
faire arrêter un certain Isselkou ould Abdel Kader, un certain Mohamed Hanefi,
faire extrader un certain Gemal ould Yassa… et briser à jamais l’espoir
de voir la Mauritanie faire la paix avec elle-même ? Quelle terrible
destinée que cette d’un pouvoir qui envoie au cachot les meilleurs de ses
citoyens !
Chacun à le devoir d’évaluer lucidement la situation et surtout avoir
le courage de s’impliquer ; l’avenir de la Mauritanie a, aujourd’hui plus
que jamais, besoin que ses intellectuels s’expriment, que ses citoyens se
réveillent et que son peuple se recompose pour enfin reconquérir la
verticale !
Mamadou Kalidou BA
Nouakchott le 02 décembre 2015.
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