De la
responsabilité de l’esclavage
La France a une très grande part de
responsabilité dans la consolidation de l’esclavage en Mauritanie, à cause de
sa grande tolérance, de son indulgence et
de sa bienveillance à l’égard du
lobby féodal mauritanien, son partenaire, son complice, qu’elle n’a pas soumis
au décret du 12-12-1905 dont la colonie de Mauritanie fut la seule exemptée
tacitement.
Les
colons adeptes de l’école de l’islamisant Coppolani, qui consiste à
respecter scrupuleusement l’Islam sunnite, ont été encouragés par les oulémas
des émirs, obligés d’interpréter le coran et la sunna suivant le rite malékite,
dans le sens de la légitimation de l’esclavage. A ce propos, le commandant
François BESLAY chef d’état major de l’Armée Mauritanienne en 1961, écrivait :
« En ce qui concerne les « serviteurs », je pense qu’il faut, sans vouloir
jouer sur les mots, faire ici la distinction entre la condition des serviteurs
non libres donc « captif » et celle d’ « esclave ».
Officiellement il n’y avait en effet pas d’ «
esclaves » en Mauritanie dans la mesure où ce terme rappelle fâcheusement la
traite des Noirs et les esclaves enchaînés, achetés puis revendus aux Antilles
ou en Amérique du nord. Il n’y avait, il n’y a encore que des serviteurs et des
servantes appartenant, il est vrai à un maître et, de ce fait, intégrés à sa
famille pour le meilleur et pour le pire.
Sans doute étaient-ils au bas de l’échelle
sociale, chargés de toutes les besognes serviles mais, nombre d’entre eux s’y
trouvaient à leur place, acceptant volontiers une situation leur assurant
sécurité et affection, et se dévouaient à leur maître comme le faisaient sans
doute chez nous naguère les vieux serviteurs de la Noblesse attachés à vie à
certaines familles.
Dans
la société moyenâgeuse qu’était celle de la Mauritanie à l’époque, il n’y avait
là rien de bien choquant. Mais la barrière sociale n’existe plus hors la vue
des témoins et « un guerrier seul en route avec son serviteur partagera avec
lui sa nourriture avec une simplicité amicale qui serait une leçon pour bien
des démocrates. ».
Certes des excès étaient commis et des
serviteurs maltraités par leurs maitres. Mais leur « libération » n’aurait
alors la plupart du temps, rien résolu du tout, les jetant seulement en pleine
insécurité, sans patron donc sans travail : qui eut alors osé utiliser le
serviteur d’un autre sans son consentement. On convoquait donc le mauvais
maître et, en présence du serviteur, on exigeait qu’il s’engage à traiter ce
dernier humainement, faute de quoi il lui serait enlevé pour être libéré.
Moyennant quoi généralement tout s’arrangeait. Par contre l’administration
française s’opposait efficacement à toute vente de serviteur, c'est-à-dire, en
fait, à tout changement de patron sans l’accord de l’intéressé et notamment à
toute séparation de la mère et de ses jeunes enfants ou même de la servante et
de son mari. Une tentative de « libération » massive fut faite en 1944 par les
autorités françaises au profit des serviteurs des Réguibats Legwacem. On dut
vite faire machine arrière.
Le Peloton méhariste de la Saoura qui
nomadisait entre Bir Mogrein et Tindouf étant alors envahi de Noirs évadés,
qu’il fallait nourrir, et les Legwacem prêts à repartir en dissidence si on ne
leur rendait pas ceux dont l’absence privait le troupeau de ses bergers.
Pratiquement, au fil des années et sous la pression constante des autorités
françaises qui refusaient de reconnaitre un droit de propriété quelconque en la
matière, nombre de serviteurs passèrent insensiblement du statut de serviteur à
celui d’affranchi ; c'est-à-dire que certains reçurent un salaire et, libres de
prendre leurs distances avec leurs anciens maîtres, ils se mirent souvent à
travailler pour leur propre compte. A tel point qu’en 1958, peu après la mise
en place de l’autonomie interne, le vice-président du conseil de gouvernement,
Mokhtar Ould Daddah, se fit à plusieurs reprises au cours de ses visites chez
les nomades, interpeller par de vieux chefs qui réclamaient : « Rends-nous,
maintenant que nous sommes une République Islamique, ceux dont le coran nous reconnaît
la propriété !
Néanmoins dans les années 1965, un
responsable de la Miferma à Zouerate me rapportait qu’il recevait parfois la
visite de Beidhanes venant réclamer que leur soit versé le salaire de « leurs »
serviteurs qui travaillaient à la mine !
Pour en revenir aux années 40-50, il existait
malheureusement un trafic, clandestin bien sûr, d’ « esclaves », et je reprends
le terme car il s’agissait bien de Noirs volés, vendus ou revendus contre leur
gré. Un esclave se vendait alors dans le sud marocain pour plus de 20 chameaux
! J’eus personnellement deux fois l’occasion d’arrêter de tels trafiquants.»
Autorités
françaises tolérantes
Il ressort de ce qui précède que les
autorités françaises pendant la pacification étaient très tolérantes et avaient
contribué à transformer l’esclavage en servage, et les esclaves en serviteurs
ou en serfs. Ces mêmes autorités avaient renforcé le pouvoir des maîtres ou des
seigneurs en leur attribuant toutes les terres arables, pour perpétuer leur
domination sur la majorité de ces serviteurs dont le seul moyen de survie était
de labourer la terre.
Aucun serviteur n’avait droit de propriété
sur ces terres mises en valeur grâce à son labeur et à celui de ses ascendants.
La réforme foncière de 1983 n’a pas modifié la situation. Les anciens maîtres
sont toujours les propriétaires des terres et les anciens esclaves sont
toujours les cultivateurs de ces terres. Profitant de la période de
pacification de 1900 au 28 novembre
1960, les français avaient très bien préparé la période de néo- colonisation
qui a commencé depuis l’indépendance et qui continue jusqu’à présent.
Avec deux périodes distinctes, celle des
bâtisseurs qui se situe entre le 28 novembre 1960 et le 10 juillet 1978
beaucoup plus marquée par une vraie volonté de réduire les inégalités et de
promouvoir une véritable égalité citoyenne. A ce sujet le père de la nation
déclarait en janvier 1999 dans une interview à jeune Afrique économie : «C’est
une réalité sociologique de la Mauritanie. Malheureusement un héritage très ancré
dans les mœurs du pays. Nous n’avions pu l’attaquer de front parce que nous
avions un pays à créer d’urgence, et à partir de rien. Il fallait résoudre le
problème au fur et à mesure que des solutions étaient envisageables. Notre
constitution de 1961 supprimait l’esclavage. Dans la pratique administrative et
judiciaire, il fut donné instruction aux forces de sécurité et aux agents de la
justice de ne plus considérer l’esclavage comme une institution et de le
combattre. »
La seconde période, celle des régimes
d’exception destructeurs, qui a commencé ce
10 juillet 1978 et qui continue jusqu’à présent, est marquée par un
recul des libertés et des valeurs morales ainsi que par la montée en puissance
des inégalités intercommunautaires, interrégionales et intertribales avec pour
summum la déportation et le génocide.
Les écoles
de la discrimination
En effet, les Français avant de partir
avaient bien préparé leur succession au profit de leurs héritiers et complices
les chefs de tribus ou fils de grandes tentes arabo- berbères et
négro-mauritaniens. C’est ainsi qu’ils
ont institué dans les quatre coins du pays les écoles des fils de chefs, dont
les premières avaient été construites à Boutilimit (1914), à Atar (1936) et à
Kiffa (1939) pour reproduire la société coloniale en vue de préserver les
intérêts de la métropole et perpétuer la colonisation sous une autre forme plus
civilisée et acceptable par les populations autochtones. Comme leurs noms
l’indiquent ces écoles privilégiaient clairement la noblesse et étaient
interdites aux serviteurs et aux autres castes auxquels les colons ne faisaient
pas confiance et ne leur accordaient aucune importance.
Pour cette raison la France doit être
sollicitée aujourd’hui, pour participer avec le gouvernement mauritanien à
l’alimentation d’un Fonds de Solidarité pour la Dignité, au profit des victimes
de l’esclavage ou personnes assimilées, pour réparer autant que faire se peut
les préjudices subis par les descendants de ces esclaves. Pour la France, sa
responsabilité se situe entre le 12 décembre 1905, date du début de la répression de la traite
des esclaves dans les colonies et le 28
novembre 1960. Elle doit participer avec une indemnisation considérable.
La responsabilité du gouvernement mauritanien
commence du premier jour de
l’indépendance jusqu’à la fin de ce fléau. L’Etat mauritanien, quant à lui,
doit donc mettre en place un fonds de
Solidarité qu’il alimentera, à hauteur de 3% de son budget annuel, à compter de 1961. Ce fonds permettra une meilleure insertion de
la communauté des anciens esclaves ou personnes assimilées en leur offrant
une véritable éducation citoyenne, des
écoles, des centres de formation, des capitaux assurant leur autonomie ainsi qu’une entière prise en
charge de leur sécurité sociale.
Le pouvoir d’exception a incontestablement
renforcé le système féodal - fondé sur les inégalités sociales et
l’arbitraire,sources d’instabilité - légué par les pacificateurs, en essayant
de lui donner un visage moderne et libéral, si bien décrit par Géneviève
Désiré-vuillemin dans son livre ₺histoire de
la Mauritanie₺ : « Le discours
officiel pourrait faire croire que l’ancienne société, avec sa hiérarchie
pesante, a été balayée avec les mots d’indépendance, de démocratie, de partis,
de rassemblement, de liberté … Mais ces vocables à consonance moderne ne sont guère que les déguisements,
des anciennes formes de pouvoir et de contre pouvoir qui soutenaient
auparavant, les compétitions et les
affrontements entre fractions ou tribus. Aujourd’hui, qu’un individu se
présente vêtu d’une derrah ou d’un costume-cravate, il est parfaitement identifié par ses compatriotes
comme le descendant d’une lignée prestigieuse de marabouts ou de guerriers de
grande tente, ou le fils exceptionnellement doué et chanceux d’un obscur
hartani.»
A suivre.
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