’’Ma
candidature devrait être un honneur pour la Mauritanie et je souhaite,
personnellement, qu’elle soit de consensus pour tous les Mauritaniens’’
Le
Calame : Vous avez décidé de postuler au très prestigieux prix Nobel de
la Paix. Pouvez-vous expliquer, à vos compatriotes, vos motivations et de
quelle chance pourrait disposer votre candidature ?
Aminetou
mint Moctar : Tout
d’abord, je ne suis pas présenté moi-même au Prix Nobel de la Paix. Je
l’ai été par des organisations et des militants des droits humains
mauritaniens, africains, arabes et européens qui m’ont choisie. Je voudrais
exprimer ma gratitude à ces hommes et ces femmes de l’avoir fait, en
reconnaissance du grand combat que je mène, pour les droits humains, en
général, et les droits de la Femme et de l’Enfant, en particulier. Certes,
beaucoup de mauritaniens savent que j’ai défendu les dossiers des années noires
de la Mauritanie – appelées passif humanitaire – ceux des victimes de
l’esclavage et de ses séquelles et que je n’ai jamais collaboré avec les
différents régimes qui se sont succédés dans mon pays. Quant à ma candidature,
je suis confiante : mon parcours de militante est très riche, en matière
de lutte contre la discrimination, pour l’émancipation des couches les plus
défavorisées, et les succès enregistrés constituent une base pour la réussite.
Quel que soit le résultat qui m’attend, la lutte continue contre le racisme,
l’esclavage et toutes les discriminations qui entravent la bonne marche de
l’Etat de droit et les valeurs républicaines.
- Cette candidature a-t-elle suscité des réactions du
gouvernement mauritanien ? Pensez-vous qu’il vous soutiendra ?
- En réalité, je ne sais encore rien de la
réaction du gouvernement mauritanien. Mais je ne vois pas en quoi cette
candidature peut gêner. Elle devrait être un honneur pour la Mauritanie et je
souhaite, personnellement, qu’elle soit de consensus pour tous les
Mauritaniens. Beaucoup de personnalités, à tous les niveaux, l’ont saluée… Pour
la seconde partie de votre question, je suis une citoyenne mauritanienne et mon
pays doit me soutenir, comme tous les candidats de ce Prix Nobel de la paix
dans le Monde. Ils font la fierté de leur pays et moi, en tant que
mauritanienne qui a reçu plusieurs prix et médailles, j’ai été aussi choisie
par les cinq cents personnalités les plus influentes du monde musulmans, avec
le grand érudit Abdallahi ould Boye et El Alem Mohamed El Mokhtar ould
Bah. Il est sûr que l’Etat doit soutenir ce Prix Nobel de la Paix pour la
Mauritanie ; pas pour moi, en tant que militante des droits humains qui a
toujours dérangé.
- Le
procès en appel du président d’Ira Mauritanie, Biram Dah ould Abeïd et
ses codétenus vient de se terminer, à Aleg, par une confirmation de la peine de
deux ans fermes, prononcée par le tribunal de Rosso. Quelle est votre
réaction ?
- Personnellement et
contrairement à vous, je ne peux, en aucun cas, appeler ce qui s’est
passé à Aleg un procès mais, bien plutôt, une mascarade qui viole nos
mécanismes nationaux, sous- régionaux, internationaux. La manière dont Biram
ould Dah Ould Abeïd, Brahim ould Bilal et Djiby Sow ont été arrêtés est
illégale, comme celle par laquelle ils sont été déplacés de Rosso à Aleg. Puis
jugés, dans la plus flagrante transgression de toutes les normes. Ce verdict
est scandaleux pour un Etat de droit.
- Le
Parlement mauritanien vient de voter la loi qualifiant l’esclavage de
« crime contre l’humanité ». Les associations de défense des
droits de l’homme doivent être satisfaites, non ? Qu’apporte cette loi de
nouveau?
- Au niveau de l’AFCF, nous reconnaissons une
avancée, dans la formulation des articles, et un changement de fond, dans
d’autres. En particulier, la détermination de l’esclavage est plus précise
qu’auparavant. Quant au fait que l’esclavage soit déclaré un crime contre
l’humanité, c’est un décret qui existe depuis 2012, il n’est pas nouveau.
Pour le second aspect de la question, la loi
apporte plusieurs modifications, très importantes, au niveau de certains
articles comme l’article 2 qui taxe l’esclavage de crime contre
l’humanité ; l’article 3 qui interdit toutes les formes de traite ;
l’article 6 qui prône sanction contre toute autorité informée d’un cas
d’esclavage et qui ne prend pas les mesures nécessaires ; il donne, à la
Société civile, le droit de se constituer partie civile. A cet égard, il faut
signaler une nette amélioration. L’article 22 permet, aux organisations des
droits humains travaillant dans le domaine de la lutte contre l’esclavage et
ses séquelles, de se constituer partie civile, dans les cas d’esclavage avérés.
- La
Mauritanie dispose d’un important arsenal juridique pour éradiquer l’esclavage.
Pourquoi, d’abord, tant de lois ; ensuite, quels sont les obstacles
qui ont empêché de les appliquer ?
- Oui, la Mauritanie dispose d’un arsenal
juridique important, pour éradiquer l’esclavage… si la justice était assainie
des maitres esclavagistes qui détiennent, en général, les postes-clés des
différentes chambres. Il y a, aussi, l’interventionnisme et la pression
exercée, par les groupes dominants, sur l’ensemble des institutions de l’Etat,
ce qui empêche souvent les juges de faire leur travail. Malheureusement, tout
ce qui se fait, dans notre pays, c’est pour la consommation étrangère et
redorer le blason de la Mauritanie, devant les partenaires étrangers, au lieu
d’avoir la volonté de rompre avec les vieilles pratiques, nuisibles au bon
fonctionnement d’un Etat de droit, respectueux des nobles valeurs de la
démocratie. Les obstacles sont divers et multiples. Tout d’abord, ces lois
n’ont pas été faites pour être appliquées mais, comme je viens de le dire, pour
la seule consommation étrangère. Secundo, ceux qui sont censés les appliquer
sont, en majorité, des fils d’esclavagistes. Il faut ajouter, enfin, que
l’absence de sanctions, à l’encontre des magistrats qui n’appliquent pas la
loi, et le manque d’indépendante de la justice favorisent l’impunité.
- A
votre avis, cette loi aurait-elle une chance de ne pas connaître le de
même sort que les précédentes ? Si oui, laquelle ?
- Il est très tôt pour juger de ce qui va se
passer. Mais tout dépend de la volonté politique des dirigeants
mauritaniens : veulent-ils vraiment en finir avec cette pratique inhumaine
et dégradante pour l’être humain ?
- Le
sort très préoccupant de mauritaniennes transformées en esclaves sexuelles en
Arabie Saoudite a défrayé la chronique, il y a quelques semaines. Comment en
est-on arrivé là et où en est le dossier, aujourd’hui ?
- Vous savez, la Mauritanie est une
plateforme de trafics en tous genres et d’impunités, ce qui a permis des
traites à large échelle, en particulier de femmes. Quant aux dossiers de ces
jeunes filles, il est entre les mains de la justice mais il est regrettable que
madame Mariem mint Namou recrute toujours, avec ses coéquipiers, nombre de victimes.
Rien n’a été fait pour l’arrêter, bien que l’effectif des plaignantes s’étoffe,
de jour en jour. L’AFCF est à la recherche des solutions et l’IOM a déjà
pris des engagements pour huit filles ; quant au reste, nous en sommes à
leur localisation. C’est une tâche difficile, parce que même les parents n’ont
pas de contact avec elles, elles n’ont plus de téléphone. Leurs moyens de
communiquer avec leurs parents sont confisqués par ce saoudien, monsieur Manaa,
qui les place dans leurs lieux de « travail ».
- Ne
craignez-vous pas que les présumés auteurs et complices bénéficient, comme
toujours, de l’impunité ?
- Mariem mint Namou, l’actrice principale de
ce trafic, bénéficie déjà de l’impunité, avec son groupe d’indicatrices. Elle
continue son sale boulot, au vu et au su des autorités, malgré plusieurs
plaintes déposées par les parents des victimes.
-
En dépit de leur disposition à aller au dialogue mainte fois répétée, le
pouvoir et l’opposition n’arrivent toujours pas à passer, comme on dit,
aux « choses sérieuses ». A qui la faute ?
- Personnellement, j’estime que la question
du dialogue n’est pas prise au sérieux. Tant que les deux pôles resteront en
situation de confrontation et d’accusation mutuelle, il n’y aura pas de
dialogue. Il faut qu’il y ait consensus, de part et d’autre. Malheureusement,
chacun est cramponné sur sa position.
Propos recueillis
par Dalay Lam
Source : http://lecalame.info/?q=node/2704
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