Amadou Hampaté Ba, disait : « Il y a des pratiques
que nos ancêtres eux-mêmes s'ils revenaient à la vie trouveraient caduques et
dépassées ». Cette citation du Sage de l'Afrique nous incite à faire une
analyse, sociologique et anthropologique sur la question de l’esclavage et ses
séquelles en Mauritanie, en général et chez la communauté soninké en
particulier. Cette pratique interpelle tout un chacun à s'interroger sur la
valeur juridique et l’authenticité d'une telle pratique à l’ère du XXIéme
siècle, un siècle dans lequel les occidentaux se posent la question
à savoir : comment sauver l’humanité face aux destructions climatiques ?
Pendant qu’une partie de la société mauritanienne (les soninkos), se pose la
question sur qui est esclave et qui ne l’est pas ?
En effet, les faits se sont passés à
Diogountouro, un gros village, je dirais même une grande ville selon les
normes internationales, car sa population varie environ entre 8.000 à 10.000
habitants. Il est situé au sud de la Mauritanie, à la frontière entre le
Mali et le Sénégal. C’est un carrefour entre ces trois pays. Sa
population est jeune et active, qui ne vit que sur les activités
agro-pastorales et l’immigration de ses ressortissants en occident. Par
ailleurs, la culture de décrue (WALO) reste très importante chez les SONINKOS,
surtout quand la récolte de la saison des pluies n’est pas abondante.
Un jour, vers mi-septembre, un conflit foncier s’éclatait entre
deux familles (Gandega et Camara), liées traditionnellement par les coutumes et
les traditions africaines (LADANOUS) depuis des siècles. Pour certains il
s’agit d’un conflit foncier et d’autres oui, c’est un conflit foncier mais sur
le fond d’esclavage. Une chose est sûre d’après nos sources
d’informations, la famille Camara, après avoir mis fin les liens
traditionnels (LADANOUS) qui la lie avec celle de Gandega. La réplique de la
famille gandega, était de retirer la terre cultivable (WALO), dont les Camara
cultivent depuis plus de 70 ans. La question que je me suis posée :
Les traditions et les coutumes (LADANOUS) sont-elles la continuité de
l’esclavage ?
Comme beaucoup d’autres familles du village,
qui ont rompu ce cordon ombilical (LADAA) qui lie traditionnellement les deux
clans (Woros et Komos) qui n’est rien d’autre que la continuité de l’esclavage
sous une autre forme déguisée à l’ère du XXIème siècle. Oui, les Ladanous
sont la continuité de l’esclavage point barre. Revenons sur la
question à savoir, un conflit foncier sur le fond d’esclavage ou un
simple problème foncier. Que dit le code foncier de la Mauritanie ?
L’esclavage constitue-t-il un crime en Mauritanie ?
Le code foncier précise que la terre appartient à
l’Etat. L’Etat, par définition est la réunion de trois éléments : un
territoire, une population et une autorité politique. Article Premier de
l’ordonnance 83-127 du 05 juin 1983 portant réorganisation foncière
et domaniale précise que : La terre appartient à la nation et tout
Mauritanien, sans discrimination d’aucune sorte, peut, en se conformant à la
loi, en devenir propriétaire, pour partie. L’article 2 : L’Etat reconnaît et
garantit la propriété foncière privée qui doit, conformément à la Chariâa,
contribuer au développement économique et social du pays.
Oui, depuis le 12 août 2015, l’esclavage constitue
un crime. Seule la Cour d’assise est compétente pour juger les crimes. Le
parlement mauritanien a adopté à l’unanimité un texte de loi incriminant
l’esclave et ses séquelles. La loi de 12 aout 2015, abrogeant et
remplaçant la loi n° 2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de
l'esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes. Dans son article 2, que
l'esclavage constitue un crime contre l'humanité et qu'il est imprescriptible.
L’article 3 définit les cas qui peuvent être considérés comme esclavagistes.
Cette loi institue également des tribunaux régionaux spécialisés, sortes de
collèges de magistrats dont chacun dispose de la latitude de prendre toute
mesure conservatoire qu’il trouve nécessaire, sous le sceau de l’urgence.
Cependant, un problème foncier qui s’est transformé
un conflit/litige en date du 9 octobre 2017, car depuis le 5 octobre 2017, le
Hakem de khabou à renvoyé les parties à Selibaby. Le conflit par définition,
c’est un différend qui peut se régler sans la saisine du juge étatique.
Il se transforme en litige, lorsque le tribunal compètent est saisi de
l’affaire. Comme le prévoit dans la législation mauritanienne, les
autorités administratives indépendantes (les Hakems, les Walis …) sont censées
rendre des décisions alternatives sur les affaires foncières qui leurs sont
soumises, car le décret N° 2000-089 du 17 juillet 2000 abrogeant et remplaçant
le décret N° 90.020 du 31 janvier 1990 portant application de l’ordonnance
83.127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale, prévoit des
commissions de règlement amiable des litiges fonciers dans chaque Moughataa,
Wilaya et National. Le Hakem de la commune de Khabou, après plusieurs
tentatives de conciliation/arbitrage, il a fini par renvoyer les deux
protagonistes vers selibaby (soit chez le wali soit chez le tribunal) selon la
forme et la nature de l’affaire. Le Hakem estimait que l’affaire dépasse à ses
compétences de justice amiable. Nous restons vigilants sur la question de
l’autorité saisie de l’affaire à Selibaby.
L’intervention d’un juge étatique est-elle
nécessaire ? La justice négociée n’est-elle pas la meilleure solution pour une
communauté déjà fragilisée par ses tracas- sociaux ?
A l’heure où j’écris cet article, il y’a un
mouvement qui est en vogue partout dans le monde (Amérique, Europe,
Afrique…). Il s’agit d’un mouvement de justice alternative adopté dans
les pays anglo-saxon vers les années 70, à travers ce que les juristes de
Common law appellent Alternative Dispute Résolution (ARD) et que les français
proposent de traduire par Modes Alternatifs de règlement des conflits (MARC).
La Mauritanie ne reste pas sur le quai du train par rapport à ce mouvement, car
elle a voté des textes dans ce sens. La loi n°2000-06 du 18 janvier 2000 et le
décret n°2009-182 du 07 juin 2009 relatif à la création d’institutions
permanentes d’arbitrage et de médiation.
Avec la crise du droit moderne, étroitement liée à
l’avènement de l’Etat providence, c’est d’abord et avant tout la crise de la
Raison juridique : le droit n’apparait plus comme l’incarnation même de la
Raison. La justice alternative a pour but d’éviter une intervention directe de
l’Etat. Cette justice, elle est rapide, souple et moins couteuse. Elle
recèle d’ailleurs plusieurs enjeux : l’apaisement des ruptures de la communauté
avec la mise en avant de l’intérêt de la communauté, mais aussi la
déjudiciarisation de la procédure de la gestion du conflit. Par ailleurs,
j’interpelle à tout un chacun, en particulier à la jeunesse de Diogountouro, de
prendre sa responsabilité en main, mais aussi d’être le bon côté de
l’histoire, car l’histoire est le récit des évènements d’une société. Il est
temps de façonner cette société à notre ère, promouvoir une société ou règne la
justice sociale et l’égalité entre les Hommes. Une société où seules les
compétences, la probité, les expériences et les diplômes sont ses armes
principales. Nous ne pouvons plus vivre dans une société modelée depuis le
15eme siècle, avant même la naissance de l’empire du Ghana par nos arrières et
arrières grands parents à leur image et à leur modèle de vie.
En définitif, le juge n’a pas la réponse à toutes
les questions du Droit, comme le médecin qui n’a pas la solution à toutes les
pathologies. Le juge tranche et rend une décision controversée. En revanche, la
justice négociée permet de préserver les liens sociaux, telle a été la
préoccupation première de la justice alternative. Cette forme de justice qui
s’opposerait à la justice étatique par son caractère informel et son
attachement à privilégier une solution réparatrice. L’esclavage ou
litige/conflit foncier ? Je ne saurais donner une réponse, car c’est aux
autorités compétentes d’y répondre.
BA – Boubou
Doctorant en Droit à Paris
Militant de Droits humains
Membre de l’Association Française de l’histoire du
Droit à Paris (AFHD)
Fondateur de l’Association Educative et Culturelle
de Jeunes Ressortissants de la Mauritanie en France (AECJRM)
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