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jeudi 16 juin 2016

Brahim Bilal Ramdhane, vice-président d’IRA-Mauritanie : ‘’La justice n’a agi ni par conviction ni par professionnalisme, tout le long du processus de notre honteuse détention’’




Le Calame : Vous venez de recouvrez la liberté, après une détention de plus d’un an et demi. Quels enseignements tirez-vous de cette incarcération qu’IRA et les défenseurs des droits de l’homme ont qualifiée « d’arbitraire » ?

Brahim Bilal Ramdhane : Je tiens, tout d’abord, à vous remercier de l’intérêt que vous avez
toujours manifesté à notre égard et pour vos visites, répétées, qui témoignent de votre engagement pour les causes justes. Quant à votre question, je dois dire que j’ai tiré beaucoup d’enseignements.

Premièrement, ma conviction que nous ne sommes pas  dans un pays de  droit  s’est renforcée et que la justice est inféodée au diktat du chef de l’Etat.  On nous a arrêtés, à Rosso, sans aucune raison valable, et la justice attendait la décision du Président, pour lui mettre la forme et, même à ce niveau, ce fut un fiasco. J’ai aussi vérifié que nous vivons sous un Etat raciste. Tout le monde nous en voulait, préfets, gouverneurs, responsables de la sécurité et magistrats ; bref, tous les arabo-berbères qui gouvernent ce pays, à tous les niveaux.  J’ai senti que le juge qui nous condamnait, à Rosso, éprouvait une haine, noire, contre nous, contre notre lutte, ce qui a eu pour conséquence un verdict que rien ne justifie, si ce n’est l’excès de zèle.

- Cette libération intervient après une requalification des charges qui vous sont reprochées. Comprenez-vous pourquoi ?

- C’est parce que la justice n’avait agi ni par conviction ni par professionnalisme, tout le long
du processus de notre honteuse détention. Ould Abdel Aziz avait donné ordre de nous condamner, on l’a exécuté ; il a donné ordre de classer le dossier et ça a été fait. Pour connaître les raisons de notre détention et celles de notre libération, c’est à monsieur le président de la République qu’il faut poser question... Notre grand combat et celui de tous les mauritaniens épris de justice et de droit, doit être pour une justice libre et indépendante.

- Votre libération intervient au lendemain du discours du président de la République à Néma où il tint des propos qualifiés, par les Haratines et l’opposition, d’« atteinte à la dignité » de la numériquement plus importante communauté du pays. Comment avez-vous accueilli cette sortie ? Y’aurait- il un rapport entre votre libération et le tollé qu’a suscité le discours du Président ?

- J’ai accueilli notre libération, avec joie et satisfaction : elle signifiait la victoire de notre cause. Nous avons pu et su faire plier l’échine du pouvoir et nous sommes sortis tête haute... Nous sommes
sortis par la grande porte ; celle par laquelle sont sortis  tous les grands défenseurs des causes nobles dans ce monde. Pour la seconde partie de votre question, je ne pense pas qu’il y ait un rapport entre notre libération et le tollé qu’a suscité le discours du Président. Mais je pense qu’Ould Abdel Aziz a toujours été maladroit dans ce qu’il fait. Il n’a jamais su mettre le mot qu’il faut, à la place qu’il faut, et nous savons très bien qu’il n’éprouve aucun respect pour les Haratines. Et, comme un malheur ne vient jamais seul, il s’est pris à son propre piège ! Avant de chercher les raisons de notre libération, il faut réfléchir aux raisons de notre incarcération, pendant toute cette période...

 A en croire certaines informations, vous auriez subi des pressions du pouvoir, pour vous amener à abandonner votre collègue Biram en prison et, donc, à quitter IRA. Qu’en est-il ?

- Cela fait partie du jeu et c’est de « bonne » guerre : le pouvoir est dans son rôle de chercher à saper notre unité, au sein d’IRA, pour affaiblir son élan. C’est un mouvement qui dérange et demeure indomptable. Il est de notre devoir de tenir bon et c’est ce que nous avons fait, le président Biram Dah Abeïd et moi-même. Nous allons rester  ensemble, tant que la cause profite de notre union, car la cause qui est  la nôtre est plus importante que tous les soucis personnels et les  caprices des uns et des autres.

Le Manifeste des Haratines pour les droits politiques et économiques a célébré son troisième anniversaire. Pensez-vous qu’il est sur la bonne voie pour faire bouger les lignes ?

- Je fais partie des initiateurs du Manifeste. C’est moi qui avais contacté feu Mohamed Saïd ould Hemody, pour qu’il le chapeaute, et je continue à penser que le Manifeste présente un
diagnostic, fiable et  profond, de la situation des Haratines et de leur ambition pour la Mauritanie. Mais je ne crois pas qu’il réalisera ses objectifs, en se bornant à n’organiser qu’une marche annuelle. A ce rythme, il finira sûrement par être abandonné par ceux qui avaient fondé de l’espoir sur lui. Il n’est donc pas du tout sur une bonne voie pour faire bouger les lignes. D’autant moins qu’il existe, en son sein, une guerre de leadership latente qui finira, tôt ou tard, par prendre le dessus, car il faut un nouveau Mohamed Saïd ould Hemody, dans toutes ses qualités, autant que peut se faire. La seule solution qui reste, pour sortir le Manifeste de cette léthargie, c’est de le fusionner avec l’aile politique d’IRA, dans un projet politique d’avant-garde. En tout cas, nous tendons la main à tous, pour une synergie qui cherchera le pouvoir par la voie des urnes. Je rappelle, enfin, que les doyens El Keihel ould Mohamed El Abd  et Achour Demba ont fait une proposition similaire.

- Dans son discours, le Président annonçait la tenue d’un dialogue politique « d’ici à trois ou quatre semaines ». Attendez-vous quelque chose de cette rencontre programmée ? Votre organisation pourrait-elle y prendre part ? A quelles conditions ?

- Les rencontres en Mauritanie font légion et un dialogue dont les résultats sont connus d’avance n’a pas de raison d’être. Notre organisation n’a pas de temps à perdre dans les couloirs du Palais des congrès. C’est un dialogue interne, entre le pouvoir et « son » opposition, pour ne pas dire l’opposition de l’opposition, et il ne donnera aucun résultat.  Ce dialogue-là  ne nous concerne pas,
sauf si, sous d’autre cieux et avec de nouvelles méthodes, il y ait un dialogue de société qui définisse le statut de la Mauritanie que nous voulons, comment partager nos richesses nationales, comment mettre fin à l’esclavage, au racisme d’Etat et à l’exclusion par naissance.

- Pensez-vous que l’opposition vous a suffisamment soutenus pendant votre détention ?

- Les partis de l’opposition  qui comptent nous ont très bien soutenus. C’est le lieu de leur rendre hommage, ainsi qu’aux organisations de la Société civile qui en ont fait de même, tout le long de notre injuste incarcération, et qui nous ont rendu visite, après notre libération. C’est le lieu aussi  de les appeler à conjuguer les efforts, tous nos efforts, pour libérer le pays de l’emprise
militaro-féodalo-esclavagiste.

- A votre sortie, vous avez déclaré que vous étiez, plus que jamais, déterminés à poursuivre le combat contre le régime. Sous quelle forme ?

- Notre ambition, claire et nette, c’est de prendre le pouvoir, pour appliquer le projet de société que nous avons toujours défendu. A défaut d’obtenir la juste reconnaissance du Rassemblement pour une Action Globale (RAG), nous allons chercher à fusionner, pour la forme, avec un des partis de la place, à condition qu’il soit propre et vierge et nous assure une visibilité en rapport avec notre poids populaire et conforme à notre ambition pour ce pays. Bien entendu, IRA continuera son combat, à l’intérieur du pays, par des actions claires et bien dirigées vers les sources du mal ; et, à l’extérieur, par sa redoutable diplomatie qui a toujours donné de bon résultats.

- Tout en soutenant la cause que vous défendez (éradication de l’esclavage et ses séquelles), certains de vos frères haratines disent désapprouver votre méthode de lutte (extrémisme jugé radical). Qu’en pensez-vous ?

- Ceux qui nous taxent d’extrémistes sont ceux qui cherchent à plaire et obtenir des postes ; ce sont des gens qui ont privilégié leurs propres profits. Nous sommes justement radicaux mais dans le sens positif du terme. Nous avons opté pour la persévérance et l’engagement, sans calcul particulier, nous avons choisi le sacrifice et l’honneur et le résultat crève les yeux. Tous les Haratines en ont profité, même ceux qui ont choisi la voie de l’opportunisme ! Nous avons supporté le bâton, pour que nos frères aient la carotte.  On peut ne pas être d’accord avec nous mais on ne peut pas nier le fait que nos méthodes payent... Nous avons fait bouger les lignes. Voici nos méthodes et voilà nos résultats :
que les autres nous montrent les leurs ! Sinon, à quoi bon d’utiliser des outils qui ne payent pas ? J’ai honte pour les « cadres haratines » ! On ne peut rien avoir, dans son propre pays, sans payer de son honneur. Il faut donc taper sur Biram, pour obtenir quelque chose ? Cela peut être un projet politique ?

- En quittant la prison pour la maison du président Biram, un imposant cortège s’est formé pour vous y raccompagner. Que dites-vous à ces mauritaniens ?

- Ces mauritaniens ont, sans relâche, occupé le terrain, durant toute notre détention ; nous leur disons mille mercis et en avant ! Nous sommes proches de la victoire. Nous leur disons que la
lutte continue, pour le bien de notre chère Mauritanie. Et nous appelons tous ceux qui croient à la lutte non-violente de venir, massivement, se joindre à nous, pour reconstruire ce pays, sur des bases
saines.
- Comprenez-vous le tollé qu’a suscité le rapport Alstom, au sein du pouvoir et de ses soutiens ?

- ( rires) Monsieur Alstom n’a pas tout dit et ce qu’il a dit est un secret de polichinelle. Rien de nouveau vraiment dans ce qu’il a mentionné !  Nous l’avons signalé dans toute nos sorties médiatiques, c’est dans le Manifeste des droits politiques et économiques des Haratines. Mais quand les nasara [les chrétiens, en arabe, désignant, aujourd’hui, plus généralement les Occidentaux, NDLR] parlent, on a peur pour l’image du pays, autrement dit pour l’argent ! Ceux qui s’inquiètent du rapprochement entre les discriminés, dans ce pays, ne seront jamais à l’aise car IRA défendra toutes les victimes de l’exclusion et du racisme d’Etat. Nous ne nous laisserons jamais distraire par les nationalistes arabes chauvins qui manipulent certains « leaders » haratines.

- Certains, au sein de l’opposition dite radicale, vous reprochent d’avoir « cautionné » la dernière élection présidentielle par la candidature du président d’IRA. La regrettez-vous, aujourd’hui ?

- Non, pas du tout. C’est, d’ailleurs, notre deuxième acte de naissance, après l’incinération des livres du Code noir. Cette participation nous a été utile, pour la promotion de notre ligne politique. Elle nous a permis de peser notre popularité que d’aucuns sous-estimaient, même si la balance n’était pas fiable, dans un jeu faussé dès le départ et bien avant, même. Dans l’histoire des élections en Mauritanie, il y a toujours eu trucage et fraude et toujours des gens pour les « cautionner », avec chacun ses raisons.

- Comprenez-vous pourquoi les conseillers du président de la République ont réclamé publiquement la dissolution de Tawassoul ?

- C’est une insulte à la démocratie. A la limite, le seul parti qui ne doit pas être dissous, c’est bel et bien Tawassoul, une véritable école politique, avec les moyens et les ressources humains qu’il faut... C’est le seul parti qui ait des points de vue clairs, sur toutes les questions nationales, et je pense qu’avec notre projet politique, nous ferons, avec Tawassoul, le RFD, l’UFP, les FPC et bien d’autres, un heureux ménage pour le bien-être de notre chère Mauritanie. Une Mauritanie sans esclavage ni racisme d’Etat ni exclusion… Allons, ensemble, vers la destruction du système raciste et esclavagiste !

Propos recueillis par Dalay Lam

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