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mercredi 15 juin 2016

Biram Dah Abeid : “Ce que vivent les sénégalais, gambiens, ivoiriens et guinéens en Mauritanie”



Il est sans conteste la figure de proue de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie. Biram Dah Abeid, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un militant des droits humains, homme politique mauritanien, qui mène depuis des années, un combat farouche, mais pacifique, contre cette pratique qu’on croyait révolue depuis des siècles.

Incarcéré pour avoir incinéré en public le «Code noir», composé de livre qui, dit-il, légitiment cette pratique tout en la drapant d’un voile islamique, Biram, comme l’appellent affectueusement ses proches, vient fraîchement de sortir de prison.

Il s’est entretenu avec Seneweb sur cette épineuse question de l’esclavage dans la société mauritanienne.

Qui est Biram Dah Abeid ?

Je suis le Président d’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), une organisation militante des droits humains en Mauritanie qui place au centre de ses activités, la lutte contre l’esclavage, toujours pratiqué chez nous. En Mauritanie, 20 % de la population, c’est-à-dire entre 500.000 et 800.000 personnes, continuent à pâtir de l’esclavage domestique, suivant une gradation inégale, compte-tenu de la géographie, du milieu de naissance et du degré d’éloignement des grands centres urbains. Au moins 50% des mauritaniens subissent, toute leur vie durant, les effets psychologiques et symboliques de l’infériorité raciale, car il s’agit aussi de cela, de cette propriété exercée sur un être humain par son vis-à-vis, il résulte que la majorité relative des mauritaniens naissent esclaves, ils sont attachés à la famille de leurs maîtres qui ont sur eux, le droit de vie et de mort. Nombreux travaillent sans repos, sans salaires au profit de leur maître. Ils n’ont pas le droit à l'éducation, de se déplacer, de voyager ou de se marier, sauf avec l’assentiment de leur propriétaire. Le maître aussi a le droit de cuissage sur toutes les filles ou femmes esclaves. Par exemple, un maître qui a 100 femmes esclaves filles, peut en abuser sexuellement, sans restriction de nombre ni d’échéance. Il en a le droit, entre guillemets, c’est-à-dire le Droit Mauritanien, le Droit édicté par le code d’esclavage de la communauté dominante mauritanienne, les arabo berbère. Ils l’appellent le livre islamique, mais nous, nous l’appelons le livre esclavagiste, le livre anti islamique. C’est cette littérature de la honte que moi, personnellement, j’ai incendié, en public, dès le mois d’avril 2012.

Quel message vouliez-vous lancer en incinérant publiquement ce livre ?

C’était un message en deux temps : Le message concerne d’abord la communauté des esclaves, ensuite la communauté des esclavagistes, c’est-à-dire, respectivement, les Hratins ou Maures noirs pour certains, et qu’on appelle au Sénégal les «Naar bou nioul» et la communauté arabo berbère qu’on appelle ici «les naar ganar» ou “naar bou khess”.

Aux descendants d’esclaves, j’ai souhaité dire que cette prose n’a rien d’islamique. Ils sont assujettis par ces sources qui décrètent d’abord l’inégalité entre humains, entre la femme et l’homme, entre le musulman noir et le musulman blanc. Elles autorisent aussi la vente des esclaves, c’est-à-dire le négoce des êtres humains, musulmans et Hratins mauritaniens. Qu’ils soient gagés, cédés ou loués, il a été créé, au service de cette infamie, un prétendu «droit musulman», que nos écoles et universités islamiques enseignent encore. Les auteurs autorisent aussi la castration des esclaves.

Quand un Hratin se distingue par sa beauté ou tout autre attrait physique, le maître arabo berbère pouvait le castrer pour éviter un mélange de sang, afin que les femmes ou les filles du maître ne soient tentées par des aventures sexuelles constitutives de mésalliance, voire source de dégradation de la généalogie. Ces références rendaient aussi licites les châtiments corporels très durs, comme la torture, l’amputation des esclaves s’ils essayent de s’évader. De même, le droit de cuissage comportait la légalisation du viol des femmes et filles esclaves, par leur maître. La fille esclave est l’objet d’apprentissages sexuels des enfants du maître, un objet de désir du maître, du cousin du maître et même de l’étranger, hôte de passage chez le maître. Elle est sujette à la concupiscence, taillable et corvéable à merci. Les licences et principes établis dans ces documents ont été confectionnés pour assujettir des êtres humains, du fait de leur ascendance noire ; ils permettent de couvrir l’esclavage d’un voile d’Islam et de sacralité. A cause de cette tricherie séculaire, nous, nous avons voulu porter un coup contre le dogme, démanteler la doctrine, exposer nullement la légitimation de l’esclavage et l’islamisation de l’eugénisme arabo-berbère.

Votre message au monde extérieur ?

Bien entendu, il s’agissait de montrer, à la communauté internationale, que même si la Mauritanie a ratifié toutes les conventions internationales sur les droits humains, elle n’a jamais respecté ses engagements, elle applique des livres qui vont en contresens de la déclaration universelle des Droits de l’homme. Nous avons voulu délivrer un message aux autres musulmans pour leur dire que la Mauritanie est un pays membre de l’Organisation de la Conférence islamique, mais qu’elle applique les pratiques les plus «jahilistes», les plus antéislamiques et anti islamiques. Enfin, nous nous employons – et ce n’est pas tâche ardue – à démontrer combien ces pratiques illicites violent la parole de Dieu dans le Coran et les actes fondateurs du Prophète Mohamad (Paix et salut sur Lui) dans sa sagesse et sa Sunnah.

Pensez-vous que votre message a été bien perçu ?

Je pense que certaines parties ont été très réceptives comme la communauté des esclaves, des hratins, pour qui, l’incinération de ces livres a constitué un déclic, une insurrection morale et populaire contre l’esclavage ; ainsi témoigne leur adhésion massive à IRA Mauritanie et leur opposition, à notre condamnation, mes camarades et moi, de manière vigoureuse et populaire, par des manifestations publiques dans les villes de l’intérieur du pays et à Nouakchott. La mobilisation des populations hratins, ainsi que des forces amies, aura permis ma sortie de prison. J’ai été très fier de l’acte de destruction des livres infâmes et me réjouit de son impact psychologique auprès des victimes de l’esclavage et sur les descendants de maîtres.

Les institutions de droit de l’homme dans le monde ont aussi compris que la Mauritanie jouait un double jeu, un jeu de duplicité, qui nargue le monde, discrédite la Umma musulmane, transgresse le Droit international et le Droit musulman. Le pouvoir en place, incarné par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, continue de maintenir sa complaisance à l’endroit des forces obscurantistes et esclavagistes. Pour s’assurer le soutien des propriétaires d’esclaves arabo berbères, il mène une guerre sans merci contre IRA Mauritanie, contre ma personne, contre le Droit international et contre les prescriptions authentiques de l’Islam. Ce faisant, il se dresse en travers de l’égalité, de l’équité, de la compassion et de la paix. D’expérience, vous savez que ce genre d’homme finit par tout perdre, non sans avoir précipité son pays dans l’incertitude existentielle.

Quelle serait la solution pour mettre un terme définitivement à l’esclavage en Mauritanie ?

Le général Aziz et ses soutiens parmi les groupes pro esclavagistes obscurantistes qui détiennent le pouvoir et tous les leviers de commande en Mauritanie, devraient faire la place à l’expression populaire antiesclavagiste, symbolisée par l’IRA Mauritanie et Biram Dah Abeid. Ira Mauritanie a été une organisation interdite dès sa création. Le pouvoir lui a mené une guerre d’usure, harcelé avec des poursuites, des arrestations systématiques et massives de ses membres, des emprisonnements, des simulacres de jugements et des condamnations. IRA est une organisation qui vit dans des conditions difficiles, sous le régime de l’interdiction totale. S’ils sont aussi démocrates et abolitionnistes qu’ils le prétendent, les concepteurs et promoteurs du système d’hégémonie ethno-tribale seraient inspirés de jouer le jeu franc du pluralisme, avec l’IRA qui est un mouvement d’idées, une force de propositions politiques, mais aussi une organisation des droits de l’homme, bientôt dotée de ramification dans les syndicats, les associations d’élèves et d’étudiants et toutes les forces vives.

Qu’attendez-vous des institutions africaines et internationales ?

Si l’Union africaine, la communauté internationale, les Nations unies, l’Ue, les Etats partenaires de la Mauritanie comme les Usa, la France, l’Allemagne, l’Espagne, mettent la pression nécessaire sur l’Etat Mauritanien pour qu’il se plie aux règles du jeu inclusif de la démocratie, IRA remporterait certaines élections. Représentée et non plus exclue, elle tendrait la main à tous les mauritaniens, pour éradiquer l’esclavage, ensemble, en vertu de la loi. Il y aura aussi d’autres mesures d’accompagnement, tel un plan national d’éradication, financé durant une décennie, sur les fonds publics. Un pourcentage des recettes de l’Etat devrait alimenter le fonds de développement et de prévoyance, au profit exclusif, des Hratins. Ira pourra aussi mettre en branle un processus de vérité de justice et de réparation pour les autres populations noires - les peulhs, les soninkés, les wolofs et les bambaras – victimes, moins anciennes certes, d’un racisme primaire, alimenté par l’Etat, notamment en matière foncière et domaniale. Ces composantes nationales ont enduré une tentative de génocide orchestrée par une partie de la même équipe actuellement au pouvoir en Mauritanie. Sous couvert de fraternité et de pardon « islamique », de prières et de mots de diversion, l’impunité couvre encore les auteurs de centaines d’assassinats et de déportations par milliers.

Après l’incinération du livre, quel sera votre futur objectif ?

Nous visons la présidence de la République Islamique de la Mauritanie pour l’élection de 2019. C’est ce que nous préparons. Nous avons entamé la préparation de cette prise de pouvoir pacifique par la voie des urnes depuis l’élection de 2014 où je me suis porté candidat, in extremis. Alors, je manquais de tout, mon parti était interdit, mon Ong était interdite – ils le sont toujours -, les soutiens nous faisaient défaut et nous récoltions l’hostilité des partis traditionnels. Opportuniste, le pouvoir en place a pensé que nous jouerions pour lui un rôle de faire-valoir. Mais lorsque nous nous sommes engagés dans cette élection, même avec un manque de moyens cruels, nous pûmes faire entendre la voix d’IRA dans toutes les régions de la Mauritanie ; j’ai ainsi réussi à engranger un peu moins de 10% des voix. Ces résultats sont confirmés par les autorités officielles qui ont utilisé une fraude massive. Et l’espoir est né au sein des différentes franges de la population mauritanienne.

Etes-vous soutenus dans ce combat par les Etats et institutions d’Afrique ?

Je lance un appel aux Etats Ouest africains, et à l’Union africaine. Quand les pays occidentaux, les diplomates occidentaux et les organismes internationaux dénoncent l’injustice, l’oppression, le harcèlement des militants, il paraît peu flatteur, par comparaison aux ambassadeurs africains accrédités à Nouakchott qui restent silencieux. Il est inconséquent que l’Union africaine et la Cedeao restent silencieuses. L’Onu, l’Union européenne, les pays occidentaux nous ont soutenus quand nous étions en prison, mais pourquoi les pays africains, l’Ua, la Cedeao s’abstiennent-ils ? Il est étonnant que tant de pays africains, se soient engagés dans la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, sans lever le petit doigt, aujourd’hui, devant la mainmise, sur le pouvoir, d’une minorité raciale en Mauritanie.

Qu’attendez-vous d’eux ?

Je lance un appel pour que l’élite africaine se réveille pour nous soutenir. Ces pays peuvent prendre pour témoins les sénégalais, les gambiens, les ivoiriens, les guinéens qui vivent actuellement en Mauritanie. Chez nous, ils éprouvent le quotidien de l’oppression, de l’humiliation que nous vivons, avec eux, nous noirs mauritaniens.

Je lance un appel à l’élite arabo berbère en Mauritanie; en son sein, de rares éléments, dont je salue ici le courage et la constance, nous accompagnent, depuis longtemps, dans notre marche vers l’émancipation citoyenne. Nous souhaitons qu’ils nous rejoignent plus nombreux, reprennent notre lutte à leur compte. Ils doivent se désolidariser du pouvoir en place, des esclavagistes et des idéologues du racisme anti noir pour revenir à la position originelle et historique de leurs ancêtres. Les premiers arabo berbères vivaient en symbiose avec les communautés noires. Je demande à l’élite arabo berbère de ne pas céder au conditionnement racial que promeut le Général Aziz quand il sollicite la complicité de tous les arabo berbères, par l’agitation du péril Hratin. Nous ne constituons pas un péril. Nous sommes une frange importante de la population mauritanienne. Nous aspirons à la dignité humaine, à la citoyenneté, à l’égalité, à un Etat démocratique respectueux des droits de l’homme et des différences. A nos anciens maîtres, nous disons, « n’ayez pas peur de nous, ne craignez pas votre humanité » !

Propos recueillis par Youssouf SANE

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