La Mauritanie est un pays multiculturel et
multiethnique, dont la population, estimée
à 3 542 000, vit en majorité dans des communautés
rurales dont la subsistance est extrêmement précaire et qui sont fortement
tributaires de l’agriculture et de l’élevage. La population se répartit en deux
grands groupes: les Maures, y compris les Maures noirs
(Haratines) et les Afro-Mauritaniens, qui comprennent
les Peuls, les Soninkés, les Wolofs
Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la
science et la culture (UNESCO), Institut de la statistique, l’éducation (tous
les niveaux) profil − Mauritanie (2013).
A/HRC/26/49/Add.1 4 GE.14-04009 et les Bambaras. Les interlocuteurs non gouvernementaux
du Rapporteur spécial ont pour la plupart indiqué que les Maures arabes
dominaient la vie politique et économique du pays, tandis que la majorité de la
population, surtout représentée par les deux autres groupes, en est de facto
systématiquement exclue. De ce fait, ces groupes connaissent des conditions de vie
extrêmement précaires caractérisées par la pauvreté et la marginalisation
depuis l’indépendance du pays, ce qui alimente le ressentiment et la colère
. Le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des
membres de certains groupes concernés, qui ont exprimé leur amertume face à
l’incapacité du Gouvernement de remédier aux conditions qui perpétuent la
discrimination et la marginalisation.
.
Les Haratines, dont on pense qu’ils constituent le
groupe ethnique le plus important en Mauritanie, sont aussi le groupe le plus
marginalisé sur le plan politique et économique, dans une société qui demeure
profondément stratifiée selon l’ethnie, l’ascendance, la caste et la classe. Le
mot Haratine est dérivé d’un mot arabe qui signifie liberté, ce qui témoigne du
fait que le reste de la société les considère comme des esclaves affranchis.
7.
Malgré des progrès visibles, les Haratines sont le
groupe le plus mal loti, en butte à la discrimination, à la marginalisation et
à l’exclusion du fait de leur ascendance. Environ
50 % des Haratines vivent dans des conditions
d’esclavage, soumis qu’ils sont à la servitude domestique, au travail forcé ou
au travail sous contrainte
. Ils demeurent marginalisés et sous-représentés aux
postes politiques et dans la fonction publique. En 2013, selon les informations
reçues, seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés par
des Haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus,
seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont Haratines.
Selon le Manifeste d’avril 2013, les Haratines comptent pour 80 % de la population
analphabète, 80 % d’entre eux n’ayant pas achevé l’école primaire, et ne représentent
que 5 % des étudiants de l’enseignement supérieur. Plus de 90 % des dockers, des
domestiques et des travailleurs occupant des emplois non qualifiés et mal payés
sont des Haratines, tandis que seuls 2 % des fonctionnaires de haut rang et des
hauts dirigeants des secteurs public et privé sont issus de ce groupe. Les
Haratines soutiennent par ailleurs qu’ils sont exclus des secteurs de la banque
et du négoce, les entreprises commerciales ayant généralement à leur tête des
personnes qui n’appartiennent pas à ce groupe.
Des pratiques discriminatoires analogues affectent, à
des degrés divers, les autres communautés afro-mauritaniennes, en particulier
la minorité wolof.
Les Maures sont constitués de nombreuses tribus,
stratifiées en castes selon la profession (par exemple, castes des forgerons,
des dirigeants religieux et des guerriers).
Le Rapporteur spécial a été informé de ce que les
relations entres les différentes castes étaient extrêmement hiérarchisées et se
caractérisaient par l’exclusion et la marginalisation de certaines castes,
telles que celles des forgerons, au bénéfice d’autres castes. L’accès à certaines
fonctions, activités et responsabilités est donc étroitement lié à l’identité
de caste et les mariages sont hautement codifiés selon l’ascendance. Par
exemple, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des membres de la caste des
forgerons, dont 90 % occupent des emplois dans le commerce et le commerce de
détail, seulement 5 % d’entre eux sont instituteurs et leurs fils ne peuvent
pas épouser des filles appartenant à d’autres castes.
Bien que certains groupes ethniques afro-mauritaniens
ne pratiquent pas le système des
Rapport de la société civile sur la mise en œuvre du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (octobre 2013). Unrepresented
Nations and Peoples Organization (UNPO) et Initiative de Résurgence du
mouvement abolitionniste en Mauritanie, rapportalternatif soumis au
Comité des droits de l’homme de l’ONU à sa 107session
lors de l’examen du premier rapport périodique de la République islamique de Mauritanie
(février 2013). A/HRC/26/49/Add.1 GE.14040095 castes, ils sont
eux aussi extrêmement hiérarchisés et les relations entre les différents sous-groupes
sont fortement influencées par l’ascendance.
Le Rapporteur spécial a relevé que la société
mauritanienne était extrêmement stratifiée selon l’ethnie et la caste, les
esclaves de facto et les descendants d’esclaves y occupant le statut le plus
bas, qui se transmet d’une génération à l’autre. Cette stratification, qui
prend ses racines dans l’histoire, est à l’origine de tensions et de conflits latents
qui deviennent parfois violents. La visite du Rapporteur spécial a été
opportune à cet égard, puisqu’elle a eu lieu quelques mois à peine après que
des incidents violents à connotation ethnique ont éclaté à Kaédi, centre
administratif et urbain le plus important de la région de Gorgol dans le sud du
pays. Ces incidents, qui se sont produits le 7 juillet 2013, impliquaient des
personnes appartenant aux communautés maure et peule, ont fait
21 blessés et se sont soldés par le pillage de 15
commerces et l’arrestation de 29 personnes.
Les autorités locales ont fait savoir au Rapporteur
spécial qu’il s’agissait du quatrième incident de ce type, mais que les
événements du 7 juillet avaient une dimension ethnique beaucoup plus forte que
les incidents précédents, ce qui montrait bien que les tensions s’étaient
accrues entre les communautés maures et afro-mauritaniennes pendant le processus
électoral. Selon les informations reçues, la violence a éclaté dans le
principal marché de la ville après qu’un jeune Maure s’en est pris à une Peule
plus âgée, déclenchant la colère de quelques Peuls qui assistaient à la scène
et qui ont voulu exercer des représailles en s’attaquant aux commerçants maures
du secteur. Il semblerait que dans les journées qui ont suivi l’incident, des
membres du mouvement «Touche pas à ma nationalité» se sont réunis devant le
poste de police où le jeune Maure était détenu pour demander qu’il soit traduit
en justice et non remis en liberté. Certains interlocuteurs ont expliqué au Rapporteur
spécial que la situation était encore aggravée par l’instrumentalisation
croissante d’incidents isolés qui se transformaient alors en affrontements
ethniquement polarisés. La discrimination ethnique sous-jacente était évidente
dans la réaction des pouvoirs publics à la suite d’événements de ce type, les
victimes appartenant aux communautés maures ayant été promptement indemnisées
et soutenues, alors que les commerçants afro-mauritaniens qui avaient perdu
leurs biens et avaient subi un manque à gagner en raison des incidents de 1989
ne l’avaient pas été
Conclusions et recommandations
Comme l’a mentionné le précédent Rapporteur spécial,
M.Diène, bien que la discrimination ne se trouve pas dans l’esprit de la loi,
de facto, de nombreuses personnes estiment qu’elles ne bénéficient pas de
l’égalité des chances en ce qui concerne l’éducation, l’emploi, la possibilité
de faire des affaires et l’accès à la justice et aux services publics.
Les progrès réalisés jusqu’à présent par l’État pour
s’acquitter de ses obligations relatives aux droits de l’homme et l’esprit
d’ouverture résolument constructif dont le Gouvernement a fait montre face aux
mécanismes internationaux des droits de l’homme sont remarquables. Le dialogue,
la coopération et les partenariats sont essentiels pour favoriser la protection
et la promotion des droits de l’homme.
Toutefois, il reste un certain nombre de difficultés à
surmonter. Il sera difficile de s’attaquer aux problèmes qui sont profondément
ancrés dans les traditions, l’histoire et les mentalités. Il est donc urgent
d’adopter des mesures audacieuses et une politique de tolérance zéro face à
l’impunité pour accélérer la réalisation d’une société égalitaire et
diversifiée fondée sur le respect des droits de l’homme pour tous.
Compte tenu des conclusions du Rapporteur spécial et
de celles d’autres mécanismes des droits de l’homme de l’ONU qui ont examiné
les questions que soulève la discrimination fondée sur l’origine ethnique et l’ascendance
dans le pays, le Rapporteur spécial propose les recommandations suivantes.
Premièrement, les recommandations déjà exprimées par
les mécanismes internationaux des droits de l’homme, y compris M. Diène, qui
n’ont pas encore été mises en œuvre ou qui n’ont été que partiellement mises en
œuvre demeurent valables et l’État doit, de toute urgence, prendre les mesures
nécessaires pour qu’elles le soient. Par souci de commodité, un tableau regroupant
et résumant ces recommandations figure en appendice.
Le plan national d’action contre le racisme doit être
fondé sur une analyse et une évaluation complètes de toutes les facettes de la
discrimination au pays au moyen d’une étude de base sur le statut, les principales
causes, les manifestations et les conséquences de la discrimination qui ont marqué
l’histoire de la Mauritanie, laquelle étude pourra mieux éclairer les
politiques qui devront être mises en œuvre.
Le processus d’élaboration du plan doit être inclusif
et participatif pour que tous les intéressés s’approprient le processus et participent
à sa mise en œuvre; les résultats obtenus doivent être suffisamment concrets
pour être mesurables. Ainsi, l’État devrait veiller à ce qu’il soit tenu compte
de tous ces éléments depuis l’élaboration du plan jusqu’à son adoption.
.
L’État et ses partenaires doivent, au moyen d’une
stratégie de cohésion sociale, saisir l’occasion de rationaliser et de cibler
les divers plans d’action et programmes portant sur la discrimination fondée
sur l’origine ethnique et l’ascendance pour éviter la dispersion des efforts
qui visent un but commun, la création d’une société inclusive
Selon le Ministre, au moment de la visite, 18 000
enfants n’avaient pas accès à l’école du fait qu’ils ne possédaient pas de
certificat de naissance. A/HRC/26/49/Add.1 18 GE.14-04009 et
diversifiée fondée sur les droits de l’homme et l’égalité.L’exercice pourrait également
permettre d’optimiser des ressources qui sont comptées.
Étant entendu que les données recueillies doivent être
utilisées de façon judicieuse, l’État doit démontrer qu’il a la volonté politique
de combattre la discrimination en investissant dans des études, des évaluations
et des enquêtes indépendantes pour analyser la situation, surveiller les
progrès réalisés et évaluer les résultats. Le Rapporteur spécial est d’avis que
la Commission nationale des droits de l’homme est bien placée pour entreprendre
ces études thématiques. En outre, il encourage fortement les organismes des
Nations Unies et les donateurs bilatéraux à appuyer l’État à cet égard.
Il est essentiel que l’État se penche sur les
problèmes mis en lumière par le processus de recensement de sorte que les individus
et, par voie de conséquence, leurs enfants ne soient pas privés indûment de
leur droit à l’identité et à la nationalité.
L’État doit également prendre les mesures nécessaires
afin d’éviter que les enfants deviennent apatrides: situation que vivent
surtout les enfants nés d’unions non enregistrées ce qui constitue une
discrimination de facto contre les communautés les plus isolées et les groupes
qui ont traditionnellement été victimes de discrimination.
À cet égard, le Rapporteur spécial exhorte le
Gouvernement à ratifier la Convention de 1954 relative au statut des apatrides
et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.
Il y a lieu d’améliorer la capacité des institutions
pertinentes à s’attaquer aux pratiques discriminatoires et à gagner la confiance
du public dans leur efficacité et leur engagement à faire respecter la loi. Dans
leurs budgets annuels, les ministères compétents doivent donc prévoir les ressources
nécessaires pour lutter contre la discrimination fondée sur l’origine ethnique,
la caste et l’ascendance et contre les pratiques analogues à l’esclavage dans
le cadre de leurs domaines de compétence, particulièrement dans le but de
renforcer la capacité et l’expertise des fonctionnaires et de continuer de
coopérer avec les organismes des Nations Unies intéressés, surtout le Bureau du
Haut-commissariat aux droits de l’homme en Mauritanie.
Il faut mettre en place une stratégie d’action
positive dans le cadre de la sélection et du recrutement du personnel des principales
institutions nationales telles que les forces armées et les corps de police, le
système de justice et la fonction publique. L’inclusion de tous les groupes
dans tous les secteurs de l’administration et de l’économie privée est
essentielle pour promouvoir la démocratie, la réconciliation et la cohésion
nationales. L’État doit agir avec vigueur afin d’assurer une meilleure représentation
des groupes ethniques au sein de l’administration dans les centres d’inscription
au registre d’état civil et les organismes chargés de faire respecter la loi, pour
atténuer les comportements et attitudes discriminatoires réels ou perçus comme
tels.
L’État doit promouvoir l’égalité d’accès à la vie
politique au sein des communautés qui ont toujours fait l’objet de pratiques
discriminatoires ainsi qu’à leurs partis politiques, notamment par des mesures
d’action positive aux niveaux national et local.
Lorsque les préjugés sociaux et la discrimination
fondée sur l’origine ethnique persistent, l’État doit mettre l’accent sur
l’éducation aux droits de l’homme et l’éducation civique qui serviront non
seulement à assurer une cohésion sociale et à instaurer une culture
démocratique sur les droits de l’homme, mais aussi à transformer le tissu
social.
Les préoccupations que soulèvent l’enregistrement,
l’indemnisation et la réparation à l’égard de certains rapatriés,la persistance
des conflits fonciers et A/HRC/26/49/Add.1 GE.14-04009 19 l’absence
de responsabilisation pour les violations des droits de l’homme perpétrées en
1989 ont été transmises au Rapporteur spécial. Il faut de toute urgence
s’attaquer à ces préoccupations dans le cadre d’une réconciliation nationale
aux fins de créer une société inclusive et diversifiée. D’abord et avant tout,
l’Étatdoit publier la loi de 1993 en arabe et en français, une mesure peu coûteuse.
En outre, lanouvelle stratégie mauritanienne pour la cohésion sociale (SNCS)
doit prévoir un mécanisme de justice de transition afin qu’il y ait un débat
public sur les événements qui se sont produits à la fin des années 1980 et qui
ont entraîné l’expulsion de milliers de citoyens mauritaniens qui ont été ainsi
privés de leur nationalité et de leur pouvoir économique. Les victimes de ces
violations passées doivent avoir accès à une véritable réparation pour assurer
une base solide à la nouvelle cohésion sociale.
L’esclavage est interdit par la loi mais les pratiques
analogues à l’esclavage sont encore bien vivantes, tout comme les conditions
sociales qui les favorisent. Les cadres institutionnels et juridiques peuvent
veiller à ce que ces infractions ne demeurent pas impunies. Les modifications
de 2007 à la loi contre l’esclavage qui confèrent aux organisations non
gouvernementales la capacité d’agir au nom des victimes des pratiques analogues
à l’esclavage et de leur apporter protection et soutien doivent être mises en
œuvre le plus rapidement possible.
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