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lundi 29 novembre 2010

"Les séquelles sont beaucoup plus graves que l’esclavage "

Assiraje Hebdo : Vous êtes aussi un militant des droits de l’homme, vous étiez président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, quel regard portez-vous sur les questions relatives au retour et à la réinsertion des rapatriés mauritaniens ; à l’esclavage, au passif humanitaire et aux conditions socio-économiques des populations ?
 


Mohamed Saïd OULD HAMODY : Et bien, Il y’a une question à la résolution de  laquelle je suis très content, c’est le règlement  du retour des rapatriés. Je pense qu’au delà des différences entre les régimes qui se sont succédés depuis 2005, tout le monde a respecté le programme, tout le monde  a décidé de laver la tare de la honte. Ce qui était important pour la démocratie, pour la réputation du pays et surtout pour la justice et pour le raffermissement de notre unité nationale. Ce qui reste à achever en la matière c’est un règlement des documents d’identité qui élude  la mention à l’ancien statut du réfugié. Et il reste à installer, autant que faire se peut, les réfugiés (fonctionnaires et possédants) dans leurs situations antérieures. Et préparer le règlement des différends et conflits qui peuvent les opposer aux "moussafarine" installés quelquefois sur les propriétés vacantes (et qui ont droit aussi à la protection et aux réparations par les pouvoirs publics), aux hommes d’affaires qui ont accaparé des terres propriétés d’expulsés ou de collectivités ainsi que l’accaparement des biens de ces rapatriés par des parents restés en Mauritanie.  
 
Par contre pour le "passif humanitaire", je pense qu’il faut chercher la solution de cet épineux drame humain avec les concernés ou les ayant- droits des disparus. La solution doit être concertée, courageuse et, surtout, équitable. A mon avis le grand responsable de ce drame c’est l’Etat. Donc il ne faut culpabiliser personne autre que cet Etat. En effet les responsables ont utilisé les  moyens de la puissance publique pour commettre leurs forfaits. Ils ont été protégés par L’Etat. Ce même Etat qui n’a pas su protéger ses citoyens, et c’est lui qui doit demander pardon.
 
Le président de la république, a présenté des excuses  à Kaédi, pendant la prière d’avril 2009, je pense qu’il l’a fait au nom de l’Etat. Reconnaissons que l’Etat est comme une mère, personne ne peut se fâcher contre sa mère…
 
Pour ce qui est de l’esclavage, parlons franchement. L’esclavage traditionnel n’existe plus, comme celui où on prenait des gens qu’on vendait ouvertement ou qu’on tuait impunément pour sorcellerie.. Mais l’esclavage subsiste encore. Il y’a bien des cas avérés d’esclavage constatés et recensés à travers tout le pays. Par exemple des garçonnets et fillettes que les gens arrachent à leurs parents, qui ne vont pas à l’école servant dans les maisons, les tentes et les cases.. Des hommes et des femmes qui travaillent sans salaires, des gens que l’on prive de leur héritage. Un chat s’appelle un chat. Ce n’est pas l’esclavage que l’on a connu mais il y’a qu’à même des cas d’esclavage qui crèvent l’œil !
 
Et à l’Etat de donner l’exemple. Il doit imposer aux gendarmes et policiers de traquer les résidus de cette honte. Il doit imposer aux autorités du commandement territorial et aux magistrats de donner un exemple, un seul s’il le faut, et cesser la complaisance coupable et la cécité délibérée  qui font croire que désormais l’esclavage c’est le passé et qu’il n’en subsiste que les "séquelles". Désormais pour les cas avérés identifiés, il faut que la justice les condamne conformément à la loi pour que cela puisse disparaître.
 
C’est une honte et un danger potentiel pour la paix civile dans le futur. Il est impératif de le regarder courageusement dans les yeux et en éradiquer les survivances de pratiques que l’on ne pourra éradiquer que si on donne des exemples qui découragent les gens.
 
Pour ce qui est  des séquelles, c’est un une question à long terme. Effectivement les séquelles sont beaucoup plus graves que l’esclavage. Elles sont dans les mentalités, elles sont dans les pratiques de la loi, elles sont dans l’attribution des avantages multiples. Avantages pour l’attribution des bourses, dans les inscription scolaires, dans l’attribution d’équipements collectifs sociaux, les nominations de fonctionnaires, dans les concours, dans les attributions des terrains, dans le traitement des dossiers de délinquants, dans la place occupée dans les maisons d’arrêt etc. etc.. Mais ses séquelles sont à long terme et il faut les régler.
 
Pour ce qui est des conditions socio-économiques des populations, il y’a certaines conditions difficiles. Mais je crois que les moyens de l’Etat existent et ils sont limités, modestes peut être, mais il y’a aussi la mauvaise gestion, l’incompétence même de ceux qui sont chargés de la gestion des biens publics ; incompétence et inconscience aussi dans presque toutes les structures administratives. Mais je crois qu’il y’a un autre avantage que les mauritaniens détiennent, c’est la solidarité qui atténue les drames et réconforte  beaucoup dans ce pays. En effet ni vous ni moi ne pouvons vivre de ce que nous avons tous seuls. Nous sommes obligés en réalité de partager, de distribuer à des cercles concentriques. Nous sommes, grâce à Allah et à nos difficiles conditions des vases communiquant. Et il paraît que cela ne favorise pas le développement. Et c’est tant mieux, d’après moi ! Cette solidarité magnifique qui est dans l’islam et qu’on ne trouve pas dans beaucoup de pays qui ne se soucient ni des vieux et des personnes nécessiteuses ou même du voisin est terrible  car elle génère les drames, misères et animosités.
 
Appuyons nous sur les deux vraies mamelles du pays : notre immense, maa chaa Allah, cheptel( ovin, caprin, bovin et camelin) et notre agriculture ( au bord du fleuve bien sûr, mais aussi oasienne et dans les "grara" inondables et derrière les barrages), nos richesses halieutiques et développons un élevage aviaire etc. Subsistons mieux et plus équitablement en assurant une meilleure répartition des biens du pays, une meilleure gestion de ses fonds publics. Et protégeons Nouakchott, qui risque de devenir une  immense tête dans un corps maigrichon : l’encéphalite. En raison  des conditions de vie difficile, Il faut donner des chances à ceux qui sont de l’intérieur. Il faut discriminer Nouakchott pour les infrastructures dans le futur et dans les avantages des employés des services publics. Il faut délocaliser les structures administratives pour permettre à d’autres zones d’évoluer et de s’épanouir, sinon c’est la catastrophe par l’exode des derniers habitants de l’intérieur vers les kebas improductifs de Nouakchott.

Entretien réalisé par Oumar Amadou M’baye

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