Soyez lucides,
la peur disparaîtra !
Note de
recadrage
A
Genève, le 18 février 2020, le « Sommet pour les droits de l’Homme et la
démocratie » décernait le « Prix du courage » à l’honorable
député Biram Dah Abeid. La distinction symbolique vient confirmer, après
plusieurs autres, la reconnaissance internationale d’une lutte où la
non-violence reste la perspective. Devant l’assemblée acquise aux valeurs de
l’universalisme, le récipiendaire se réjouissait de l’honneur et exposait les
raisons de son engagement, en l’occurrence les graves violations des droits de
la personne, notamment celles que reproduisent l’assimilation culturelle et
l’institution séculaire de l’esclavage. Dans
cette prise de parole, il n’y avait rien d’inédit, en comparaison du credo
antérieur de l’Initiative de résurgence abolitionniste en Mauritanie (Ira-M),
une association interdite depuis sa création, dès 2008. Néanmoins, le propos
provoquera une vague de détractation et d’apologie de la haine, d’une ampleur inaccoutumée.
Le
substrat
Le discours et la conférence
de presse exposaient, en détail, l’architecture et la permanence d’un système
de gouvernance exclusif ; la majorité noire, d’origine subsaharienne, qu’elle
soit arabisée du fait de l’esclavage ou appartenant aux groupes locuteurs
du Pulaar, du Soninké, du Wolof et du Bambara, en subit les conséquences
multidimensionnelles. L’état des lieux à
l’appui d’une telle assertion ne souffre plus le doute, tant le commandement
militaire, la fonction publique, le capital privé et jusque l’exercice du culte
en illustrent la banalité. Pire, l’impunité des crimes racistes de masse,
l’accaparement des terres de culture et la tolérance des pratiques de servitude
selon la naissance viennent apporter la preuve – s’il en fallait une – d’un
clivage structurel à l’intérieur de la société ; le tracé et son acuité
s’affinent, au lieu de se résorber. Ici, l’Etat a cessé de soigner l’illusion
de sa neutralité. A titre d’exemple trivial, chaque séquence des nominations en
Conseil des ministres rappelle combien la Mauritanie s’immerge dans les
récurrences de la discrimination, juste pour satisfaire aux demandes tribales.
Certes, la dynamique ne tient de la singularité mais la prise de conscience de
sa profondeur atteint, désormais, le seuil critique du supportable. La
découverte collective d’une vérité longtemps censurée produit, souvent, trois
avatars : la sidération, l’indignation, la réaction. Nous vivons le
dernier des trois temps, celui où l’improvisation et l’indifférence se paient
cher.
L’hystérie
Dès la fin de
l’allocution de Birame Dah Abeid, une campagne de dénigrement d’une rare
virulence le prit pour cible, aux griefs, protéiformes, d’une trahison envers
l’arabité et l’Islam, à l’instigation du fameux complot judéo-chrétien-athée. Le
débat a été éludé au profit de considérations d’affect et de fantasme. Suivant
un processus bien rodé, il s’agissait t’intimider le contradicteur, instiller
la crainte parmi ses partisans et donner l’impression, aux mauritaniens, d’une
attaque imminente par un ennemi en embuscade, avec le concours d’un cheval de
Troie. La manœuvre de démoralisation se prolongeait, au travers de publications
et d’images d’enfants unis dans la diversité d’épiderme, sous le slogan « nous sommes un seul peuple ». En
l’occurrence, le message vulgarise, à l’endroit de la vox populi, les naïvetés lénifiantes
d’une communauté de destin où la victime et l’agresseur s’étreignent et se
jurent empathie. Ainsi, malgré les inégalités et les injustices, les
mauritaniens voudraient se sentir frères, peu importe si l’expérience démontre
l’inanité de la posture. Par-delà le slogan et la parodie, que nous apprend la
réalité ?
La dispute
Quand moins de 800 suffrages permettent d’élire un député
à Bir Moghrein, son collègue, à Sélibaby requiert 8.600 voix. Un électeur de
Bir Moghrein vaut donc plus de 10 fois celui de Sélibaby. Vous avez dit « un
seul peuple » !? Le cas prévaut, partout ailleurs dans le pays.
A la
faveur de son oraison à Genève, Biram Dah Abeid comparait cet ordre à
l’Apartheid. Une redéfinition circonstanciée s’impose, ici :
1. En Mauritanie,
nulle règle de droit n’organise le développement séparé sur la base de la supériorité
de race. Les lois proclament, à l’inverse, l’égalité des citoyens et pénalisent
la ségrégation, voire la stigmatisation perpétrée au motif de l’identité et de
l’ascendance. Or, les normes affichées relèvent du leurre, si l’on se réfère à
leur application, lorsque le noir réclame l’équité, face à son compatriote
arabo-berbère ou contre l’Etat. Il suffit de se souvenir qu’aucun responsable,
de centaines d’assassinats et de déportations par dizaines de milliers, n’a été
jugé, au lendemain de la tentative de purification ethnique, de 1986 à 1991. Une
fameuse législation de 1993 les soustrait, toujours, à la curiosité d’un juge.
2. En revanche, la
géographie de la misère et de la prospérité, dans les villes et la ruralité,
ainsi que la répartition du travail et des moyens de production attestent d’une
sociabilité parallèle, sur des territoires de prédilection et leurs
enclaves ; un simple examen de la démographie urbaine autour du centre de
la capitale trahit une mise à distance par le revenu, laquelle recoupe, de
facto, la différenciation entre le peuplement arabo-berbère et le tout-venant.
Quel nom convient-il d’accorder à ce degré croissant de séparatisme, si ce
n’est un Apartheid empirique ?
Notre
position
Au
terme de l’explication, l’Ira-M réitère sa disponibilité au relèvement de la
Mauritanie, grâce au pacte à renégocier, en somme « l’équité,
rançon de la paix ». Nous réinvitons le gouvernement, les partis et la
société civile, aux « Etats généraux de la république », afin de
discuter de tout, à l’abri de la moindre restriction conceptuelle. Le projet
comporte le préambule d’une question liminaire : « Pouvons-nous
vivre, ensemble, hors du champ de la domination » ? Tant que nous
éludons l’interrogation, les poussées de frustration et de polémique
continueront d’amoindrir l’aspiration à la solidarité, déjà en lambeaux. Le
puissant empire des soviets s’est effondré, de lui-même, à cause du mensonge,
de l’évitement et de l’occultation. La fragile Mauritanie des privilèges et de
la citoyenneté relative ne saurait échapper à la règle.
Aujourd’hui,
des agitateurs de l’ombre s’efforcent de stimuler et d’exacerber la panique
comme ciment d’un sursaut opposable aux revendications de dignité et de justice.
Ce jeu périlleux tend à créditer l’idée d’une insurrection des descendants
d’esclaves, ivres de ressentiment et de désir de vengeance. A nouveau, les
services de sécurité alimentent la fabrique de la rumeur dont les réseaux
sociaux et les applications de messagerie électronique deviennent,
simultanément, le réceptacle et le vecteur. L’hypothèse d’une déstabilisation
endogène du pouvoir n’est plus à écarter.
Pourtant,
parler en toute franchise et se comprendre renferment la ressource mentale de
la tolérance et la prédisposition au succès.
Nouakchott, le 24 février 2020
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