Mauritanie : préludes, instruments et alibis d'une mise au ban
Par Biram Dah Abeid, Prison Civile de Nouakchott.
I. Les liaisons dangereuses
Le 21 juin 2014, vers 13h, juste après avoir voté et lu ma
déclaration à la presse, je m'apprêtai, seul, au repos mais mon téléphone
sonna. Au bout du fil, une personne très proche du chef de l'État, mon
concurrent et candidat à sa propre succession, m’interpelle sans aménité :
"Le président Mohamed Ould Abdelaziz te transmet ce message: il a suivit
et écouté ton discours et tes propos, très séditieux et inacceptables, durant
la campagne électorale ainsi que ton dernier propos aux journalistes tout à
l'heure devant ton bureau de vote, qui est une parfaite illustration de cette
orientation. Maintenant, si tu prétends à un avenir politique dans ce pays,
renonce tout de suite et pour de bon à cette ligne; dans le cas
contraire, attends-toi à ce que je sévisse pour te mettre hors d'état de
nuire."
Ma réponse à cette suprême insolence est connue; elle fut à la hauteur de
l'idée que je me fais de l'honneur, de la dignité, de l'esprit de
sacrifice et du devoir de résistance. Depuis, cette personne très proche de Mohamed Ould Abdelaziz par la parebté et la connivence, ne m'a jamais plus rappelé, bien qu'auparavant elle fît
signe, de temps à autre, sans manquer toutefois de me témoigner de l’admiration
et un soupçon d’amitié.
Quatre jours après l’incident, une autre personne dans la proximité
indécise de mon adversaire se met en relation avec moi et m’apprend que le
"vainqueur" du scrutin, Mohamed Ould Abdelaziz, voudrait bien
me saluer au téléphone et espère beaucoup mon aval à l’énoncé du verdict des
urnes. J’entrepris, tout de suite, de lui expliquer l’envergure de la fraude,
des irrégularités et des manipulations massives et multiformes d’où l’évidence
du doute quant à l’intégrité du résultat proclamé; cependant, au-delà de la
force majeure et malgré le fait du prince, je reconnaitrais les scores,
seulement en vertu d'un accord politique entre l'émanation politique d'IRA, le
parti Rag (encore interdit) et le pouvoir. Pragmatique quant il le faut,
j'exigeai, en contrepartie, la légalisation du parti Rag et l'enregistrement de
l'Ong IRA. L’entremetteur entérine la proposition et me « passe » son
cousin de président, Mohamed Ould Abdelaziz. Ce dernier réitère les mêmes
sollicitations que son envoyé exprimait en son nom et valide le projet
d’entente par moi formulé : oui, s’engagea-t-il, il promet la
reconnaissance et l'enregistrement des deux cadres d'activités, dès la fin de
la cérémonie de son investiture, d’ici quelques jours. Je proposais l’accord,
le jour suivant, à l'approbation de la direction du Rag. L'organe dirigeant le
rejeta, catégoriquement, grâce aux arguments de mon collègue de l'époque,
Brahim Bilal Ramdhane. Ce dernier soutenait, étayant ses raisons par force
exemple, que le chef de l'État mauritanien traîne la réputation d’un homme sans
parole et de peu de foi, pour résumer un grief bien plus fleuri. Selon lui, le
contrat éventuel ne peut être accepté par le Rag que si Ould Abdelaziz lui-même
consent le premier pas, en ordonnant la reconnaissance des deux organisations.
Je transmis la décision du Rag à l'émissaire de Mohamed Ould Abdelaziz dont la
réaction confirmait le désappointement du destinataire, voire l’âpreté de sa vindicte.
Quelques jours après, dans son discours d'investiture à un second mandat,
Ould Abdel Aziz dépeignait IRA et Rag, sans les nommer, comme un danger pour la
nation, avant de promettre leur éradication, en priorité de son exercice de
Président. Des pelotons d'auxiliaires de services de renseignements enclenchent
alors une offensive dans les mosquées et
les média publics et privés contre IRA et Biram Dah Abeid. La jeunesse et les
militants d'IRA répliquèrent à la charge de dénigrement, dont le mufti de la
république islamique de Mauritanie, Ahmedou Habibou Arrahmane s’improvisait fer
de lance; dans ses prêches du vendredi suivant, il assimilait le prix des
Nations Unies pour les droits de l'Homme octroyé à Biram Dah Abeid en 2013, à un
cheval de Troie au service des ennemis juifs de l'extérieur, alliés à leurs alliés de l'intérieur, afin de
détruire la société musulmane et idéale. La presse acquise aux renseignements
élabore des conspirations de croquignole, sans doute recevables par l’entendement
paranoïaque des peuples en panne d’intelligence ; elle renseigne l’opinion sur des assassinats et
enlèvements fictifs, commis ou
prijetés par les partisans de Biram. Ces criminels, disaient - de concert - les
journalistes mouchards et affabulateurs, sont les séudes de IRA, ils enlèvent les petites
filles maures, les violent, tuent et
inscrivent sur les corps, le nom de
Biram, en guise de trophée. Les arrestations suivent, dans nos rangs. Un proche
du sérail m’alarme, en toute discrétion : « tu es visé et tu seras arrêté
au premier « contact » que tu tenterais avec les populations, tu
seras emprisonné une longue période, « ils » ont jugé
indispensable de te neutraliser avant 2019 ».
Le lanceur d'alerte au sein du pouvoir, à l'image de beaucoup de
personnalités et cadres qui servent le système par peur, nécessité ou
opportunisme alimentaire, me prédit une interpellation imminente, suivie du
schisme, au sein de ira, d’une cellule dormante ; celle-ci occasionnerait
un bruit considérable et mon propre discrédit.
Ensuite, se déclencherait une vague d'autres sorties tonitruantes, de la
part des figures de l’Ong anti-esclavagiste, concomitamment au séjour prolongé de Biram en prison. Il
renchérit : « le pouvoir n'acceptera plus jamais que tu prennes
un « contact » direct avec les populations, ton discours étant jugé
déstabilisateur et très nocif ».
II. La matérialisation de la menace
Cinq jours après l’avertissement dont je ne saurais évaluer le degré de
sincérité, je prends le chemin de la ville de Rosso (200km au sud de
Nouakchott), point de passage en direction du Sénégal où je devais me rendre.
Mon passage coïncide avec l'arrivée de la caravane initiée par IRA et d'autres
Ong, contre l'esclavage agricole. La caravane, en mouvement depuis une semaine
sans être inquiétée parvenait au chef-lieu de la région du Trarza, en même
temps que moi. Je suis arrêté et condamné à 2 ans de prison, pour l’essentiel
dans la ville d’Aleg, où je recevais des visiteurs solidaires, tous témoins
d’une détention abrupte, sous la chaleur d’un toit de tôle, en compagnie de
moustiques voraces.
Après dix huit mois de réclusion avec Brahim Bilal Ramdhane, le début de
subornation de certains dirigeants d'IRA et l'orchestration de plusieurs
scissions parmi nous, nous recouvrons la liberté, certains d’entre nous
désormais moins enthousiastes à la lutte frontale. L'accueil massif, spontané
et l'adhésion des mauritaniens à notre combat, renforcent davantage la peur,
chez les gardiens du système de domination, de nous laisser libres de circuler
dans le pays, surtout en position de principal contradicteur.
Le troisième acte consista à décapiter IRA, en mon absence, au cours de
juin et juillet 2016. Tous les membres dirigeants à l'intérieur du pays sont
neutralisés et condamnés à de lourdes peines ; les manifestants endurent la répression
féroce ; nous déplorons des bilans de plus en plus lourds, de blessés,
souvent lynchés par la police, dans les rues.
Parmi les résultats escomptés de la manière forte, s’impose le calcul d’éradiquer
IRA et en tarir l’influence, grâce à l’effet conjugué du verrouillage de ses
actions ; les attaques en règles de la part des transfuges viennent
accentuer la dynamique de la discorde, de la suspicion réciproque, sources de
diversion, donc de déperdition d’énergie.
III. Quatrième acte: le retour sur scène
Après un long séjour à
l'étranger, le 07 juin 2017, à partir du Sénégal et du point de passage
de Rosso, je regagne la Mauritanie. Quelques jours avant, le Conseil des
ministres de cette république de boutiquiers rongés par le fanatisme religieux
et le sentiment de la supériorité raciale, croit efficient de réitérer, par
circulaire administrative et sécuritaire, l’abolition de tout rassemblement du
courant d'IRA, sur l'étendue du territoire. Des pontifes du parti-État arrivent
à Rosso et s’y livrent au porte-à-porte en vue de dissuader, les populations,
de m’accueillir. Des unités de la
police, de la garde nationale et de la gendarmerie investissent la capitale du
du-ouest, pour tenir les populations loin de l'encombrant compatriote. La
veille du jour J (7 janvier 2017), le trafic d'habitudes très intense entre les
deux pays est suspendu, seules les différents corps d'armes et de
sécurité, occupent le quai de passage et ses alentours ; les rues de
la ville, quasiment en état de siège, sont inaccessibles aux piétons et
automobilistes ; les magasins ferment sous la contrainte et les militants
et sympathisants, venus de Rosso ou des
autres régions du pays, essuient molestations et vandalisme, sous les bottes
des soldats de la milice tribale.
Je rentre à Nouakchott, sans aucune possibilité d’approcher mes
compatriotes. De nombreux citoyens ont essayé de rassembler pour m'accueillir à
l’entrée sud de la capitale mais le même procédé de dissuasion violente les
tient en respect. Interpellations et blessures, coups de matraques électriques
et jets de grenades lacrymogènes ponctuent les heurts de civils désarmés, avec
les forces de l’ordre hégémonique. Les explosifs continuent à pleuvoir sur le
véhicule qui me transporte du km 10 jusqu’à l’entrée de mon domicile. L’arrosage nauséabond se poursuit encore une
heure après mon retour à la maison. Des femmes, des enfants, des hommes, dont
des voisins et des partisans, durent payer la rançon de la volonté ou du
hasard, par l’asphyxie et des
complications respiratoires ; Un poste de police s’installait à vue, pour
surveiller et intimider les éventuels visiteurs. Neuf jours après mon retour
mouvementé, je vais à l'étranger.
IV. Cinquième acte: redéploiement sur le front intérieur
Le 7 mai 2017, je décide de revenir en Mauritanie, à partir de la frontière
avec le Sénégal, sur, le point de passage de la ville de Gouraye, région du
Guidimakha. Dés qu'il l’apprend, le gouvernement enclenche une action de
sape, similaire à celle de Rosso. Le gouverneur, les préfets, commissaires de
police et officiers des brigades de gendarmerie et de la garde, entament une
campagne de diabolisation et de dénigrement, en sillonnant les communautés
villageoises et les quartiers dans les villes sur le parcours ; tous
réputent sacrilège et crime irrémissible, de m’accueillir, même de loin. Je
tiens à la disposition des curieux, les enregistrements audio de ces discours
exécrables, sortis des bouches de commis de l'Etat autant punais que peu
convaincus de leur jactance.
La veille de ce 7 mai, les militants d'IRA, connus alentour, sont mis aux arrêts, les
frontières de la région fermées à toutes les personnes susceptibles
d'appartenir au courant ou de le soutenir. Des centaines de citoyens venus par
voiture goûtent, malgré eux, aux joies du refoulement arbitraire. Dés avoir
foulé le sol mauritanien, je me retrouve saisi au collet, escorté par
plusieurs véhicules de police, de gendarmerie et de la garde, chargés de séides
armés jusqu'aux dents ; sous l’emprise des chiens de garde dont le
garde-chiourme invisible me tenait à sa merci au nom de la force brute qui est
le droit dans la Mauritanie nouvelle, me revoici rebroussant le chemin du
logis, privé d’escale, sur un trajet de centaines de kilomètres….
Sixième acte et suite : L’alliance avec Sawab,
une manœuvre non anticipée
Nouakchott
le 27/08/2018
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