Voici bientôt
plus d’un an que dure dans les Régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du
Cameroun, ce qu’il convient dorénavant de désigner par le vocable «crise anglophone ».
Un an au cours
duquel les démarches conduites au sommet de l’Etat ont certes fait bouger les
lignes, mais à ce jour, n’ont pas contribué à faire taire les soubresauts,
encore moins à éviter les dérives attentatoires à l’intégrité des personnes et
des biens.
Les réponses
apportées aux revendications de nos frères et sœurs du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest sont louables. Elles témoignent à l’envi de la volonté du
Gouvernement de circonscrire la crise pour mieux la juguler. Mais, comment
expliquer le statuquo actuel ou pire, la dégradation de la situation
alimentée par certaines sources qui
avancent, à l’instar du journaliste Jean Marc Soboth, le chiffre effarant de « 28 000
camerounais déplacés, en fuite, en quête d’asile ou de refuge au Nigéria voisin ? »
L’adhésion
d’une importante frange de la population du Nord-Ouest et du Sud-Ouest au
discours sécessionniste ne serait-elle pas avérée ? Non pas tant que les
Régions sœurs anglophones soient convaincues de leur mieux-être ou de leur bien-être
sous la « férule » sécessionniste dont les prouesses et actes de
violence sont hautement répréhensibles, injustifiables, inacceptables ; en
revanche, le mal-être, les frustrations
accqumulées, le ras-le-bol étouffé ou occulté militent pour qu’on y perçoive « la
pierre d’achoppement » qui empêche la sortie de crise, voire le retour à
l’apaisement.
L’acte majeur
qu’il convient de poser au sommet de l’Etat ne consiste pas seulement à
sécuriser, tâche que remplissent au demeurant avec professionnalisme et brio
nos forces de défense, mais à rechercher,
en sus de la protection des personnes et des biens, les voies et moyens « d’un
dialogue qui n’exclut pas les voix politiques discordantes de l’intérieur… ».
De fait, l’enlisement de la crise a déjà démontré à suffire que la solution
sécuritaire bien qu’indispensable, reste insuffisante. La raison en est
simple : la sécurisation des deux Régions, en dépit de son caractère
bénéfique est diversement appréciée. Elle est perçue par une certaine
sensibilité de la population du cru comme une option répressive. Elle pourrait,
si elle n’est pas accompagnée d’une solution politique majeure, faire « le lit des extrémistes de tous
bords » ainsi que le laissent entrevoir les récents évènements de pyromanie ou d’assassinats
sauvages perpétrés contre de valeureux éléments de notre police nationale et de
nos forces de défense.
Afin que « les
rentiers du chaos » et autres « fauteurs de trouble » ne
prospèrent sur un terrain où « la fibre patriotique » demeure et ne
demande qu’à être confortée voire consolidée, nous pensons qu’il est urgent et
nécessaire d’envisager « un dialogue national inclusif au cours
duquel la Nation toute entière serait interpellée et mise à contribution pour
écouter, entendre et comprendre « la cause » étouffée parfois
occultée des populations des Régions sœurs du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et
dans un élan fraternel sincère aviserait des solutions idoines ou se prononcerait
pour dire à l’unisson et à haute et intelligible voix à la face du monde que
« nous sommes ensemble », « nous sommes un et
indivisible ! ». « Ensemble réparons les torts et avançons, car
le meilleur est à venir ».
Dans
l’intervalle, de considérables efforts ont été consentis par le Gouvernement de
la République à l’endroit de nos frères et sœurs des Régions du Nord-Ouest et
du Sud-Ouest. Ils surviennent cependant sur le tard. C’est pourquoi ils
s’apparentent à « la boîte de Pandore » où tout le bien qui en sort
trouve en face, des antagonistes en charge de défaire « la toile
tissée » aux fins de réparation, de compensation ou d’apaisement.
En effet,
entre le train de mesures réparatrices, compensatrices, parfois bonificatrices
initiées par le Chef de l’Etat dans l’optique du « retour de l’ordre
républicain » dans les deux Régions et l’écho dissonant qu’elles
rencontrent auprès des bénéficiaires, ne convient-il pas de s’interroger sur
les véritables raisons de la surdité des uns, l’apathie des autres ou la
tiédeur de l’approbation de bien d’autres encore ?
Peut-on mettre
le climat délétère fait de désobéissance passive, de défiance clairsemée, de
désapprobation muette des populations des deux Régions, sur le compte simple du
règne de la terreur orchestrée par des donneurs d’ordre tapis à l’ombre des
chancelleries occidentales ?
L’insouciance
et l’irresponsabilité des populations des deux Régions sœurs quant à l’avenir
de leur progéniture ou au devenir florissant de leur aire géographique se
seraient-elles rendues à un point de non retour tel que toutes les solutions
apportées ne pèseraient pour presque rien ?
A contrario,
la réception enthousiaste des mesures présidentielles saluées par les élites du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest avec force motions de soutien et de déférence à
l’adresse du Chef de l’Etat, sans que la même jubilation ne soit manifeste au
sein de la population, ne traduit-elle pas une fracture entre les élites et
leur base dont on sait qu’elle est aux antipodes des discours laudateurs et
enflammés vis-à-vis de la gouvernance locale et nationale?
Comment sortir
de l’impasse actuelle ?
Qu’il nous soit permis de convoquer aux fins de méditation cet
aphorisme qui veut « qu’aucune grande civilisation n’est attaquée de
l’extérieur si elle n’est atteinte de l’intérieur ».
La batterie d’actes pris et de projets mis en œuvre par l’Etat du
Cameroun dans les deux Régions en crise nous conforte à l’idée qu’on est
conscient au sommet de l’Etat de la nécessité de mesures urgentes et concrètes.
Cependant,
notre conviction est que si la crise anglophone perdure, c’est bien parce que « la
parole, la voix du plus grand nombre de nos compatriotes anglophones peine à
être entendue, comprise, débattue par les huit autres Régions sœurs ». Il
est fort à parier que la solidarité et le partage perçus comme la
reconnaissance par les huit autres Régions de « la légitimité de la cause
soulevée par les deux Régions sœurs en crise constituerait une phase majeure du
dégel de la situation confuse et contreproductive qui prévaut pour l’heure ».
Se savoir
entendue, comprise, suffirait à sortir de l’ornière « la majorité
silencieuse d’innocents » prise en otage par le dessein désormais avoué de quelques professionnels de
la déstabilisation, véritables épouvantails à la solde d’intérêts obscurs et
sans lendemains.
« La
vérité c’est ce qui simplifie ». De l’avis de la quasi-totalité des
originaires des Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le cœur de la crise qui
se prolonge indéfiniment est intimement lié au refus d’une réflexion sur la
forme de l’Etat dont « l’obsolescence » ou
« l’inadaptation » n’a contribué qu’à accroître leur marginalisation
et à freiner l’essor de leur aire géographique tout comme la consolidation de
leur bien-être.
Le sachant,
pourquoi continuer à faire l’économie d’un dialogue national inclusif convoqué
par le Chef de l’Etat et mis en œuvre par toutes les forces vives de la
Nation ?
N’est-il pas
légitime qu’après plus de cinquante ans d’indépendance une réflexion à
l’échelle nationale soit conduite sur la forme de l’Etat avec un agenda de mise
en œuvre des résolutions qui en émaneraient ?
« Il n’y a de permanent que le changement ». L’Etat a le
droit et le devoir de se renouveler en revisitant son mode de gouvernance,
l’opérationnalité de ses institutions, l’application de sa constitution ou la
réflexion sur les modalités de son application.
D’où vient-il
que certains esprits s’offusquent lorsque vient le moment d’explorer cette voie
somme toute légitime, qui confère à l’Etat la capacité de se remettre en
question, d’être à l’écoute du peuple et de remplir sa fonction de
rassembleur ?
« La
crise anglophone » loin de constituer un obstacle insurmontable, doit
devenir une opportunité à saisir pour façonner nos institutions et réinventer
notre mode de gouvernance afin que puisant dans nos traditions et nos cultures séculaires de solidarité et
de partage, la République du Cameroun puisse
répondre unie aux défis de la modernité dans le strict respect de son
identité, de ses particularités, de son génie et de ses propres ressources.
La Grande
Royale, personnage emblématique de l’Aventure Ambiguë de Cheik Hamidou Kane,
faisait observer à son peuple (les Diallobés) que l’Occident a appris à « vaincre
sans avoir raison ». Il faut que ceux qui dirigent nos peuples, se gardent
de leur appliquer dans « un mimétisme d’arrière-garde » le mode
opératoire de la colonisation : « l’art de vaincre sans avoir
raison ». Un dialogue national inclusif intelligemment pensé, construit et
conduit permettrait de « convaincre avant de vaincre ».
Guy Samuel NYOUMSI
Vice-président du Conseil Représentatif des Associations Noires de
France (CRAN),
Président de Solidarité Africaine de France
Contact : gsnyoumsi@gmail.com
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