Paris, Sorbonne, présentation, par Tania Tinoco, de la version française de son livre, relatif aux combats
Allocation du député Biram Dah Abeid
Bonsoir, mes frères en conviction !
Je salue, d’emblée, la France des mythes intellectuels et de la morale au
service de l’espèce humaine, le refuge des persécutés et des suppliciés de
provenance diverse ; oui, elle commence à nous manquer, la France des lumières,
du droit, épicentre des révolutions contre l’obscurantisme, la France, terre de
réparation pour les femmes et les hommes menacés dans leur intégrité, en quête
d’asile et de réconfort, enfin la France de la liberté de conscience, des
engagements féministes et de l’abolition de la peine de mort. Cette grande
nation, représente, aujourd’hui, l’un des rares et derniers lieux de la terre
où l’on rêve encore d’un humanisme universel. Sans nier la face sombre de la traite
esclavagiste et de la colonisation, nous respectons ce pays dont, hélas, la
belle image tire vers le déclin.
Nous mauritaniens, peuple en lutte contre l’arbitraire, l’esclavage et le
racisme, grande était notre déception quand le ministre des affaires étrangères
de la France, Jean-Yves Le Drian, lors d’un débat à l’Assemblée nationale de
son pays, en 2018, insinua que le député Biram Dah Abeid, alors incarcéré à
Nouakchott, serait un « détenu de droit commun ». Ce positionnement de la
France et par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, constitue un
parti-pris anachronique, dans la compétition, perpétuelle, entre les justes et
les fauteurs de supériorité raciale; le propos explique les difficultés
actuelles et grandissantes du rapport de l’ancienne puissance coloniale avec
l’Afrique. Néanmoins, nous saluons et louons le soutien et l’engagement, à nos
côtés, de nombreux amis en France. Je tiens à citer, ici, l’organisation de
défense de droits de l’Homme « IRA-France-Mauritanie », une association de
droit européen, à l’abri de la censure et de l’intimidation caractéristiques
des gouvernances réfractaires au droit et à la transparence sur notre
continent, ô combien pillé et meurtri, par ses propres enfants. Je rends
hommage aux individualités qui, avec désintéressement et abnégation, ont voulu
et pu perpétuer chez nous, l’idée, généreuse et créatrice de sens, celle des
aspirations de l’individu à se libérer de l’aliénation, que résume l’article
premier de la déclaration de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres
et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur
l'utilité commune ». Ces mots si justes ne sont pas le produit de ma culture,
même s’ils y trouvent un écho rétrospectif. Ils résultent d’une expérience
historique, loin de chez moi et, pourtant, j’y ai cru, spontanément, dès après
les avoir lus et relus ; ce message, nous nous efforçons de le relayer, partout
où nous mène l’interaction avec nos semblables, y compris de latitudes
lointaines. C’est notre mission et l’horizon de notre devenir de mauritaniens.
Je m’incline, en particulier, en face de nos compagnons de route - Tania,
Antonio, Ignacio, Juan, Mathieu - qui ont traduit leur affection à l’endroit
d’IRA-Mauritanie, en écrits, visant à répandre et faire connaître notre
abnégation, nos modèles d’engagement et repères de non-violence, dans beaucoup
de langues et sur la totalité de la mappemonde. Par ailleurs, je me sens dans
l’obligation de solliciter, en ce jour symbolique, l’esprit et le souvenir des
personnes chères qui nous ont quittés, sans faillir aux réquisitions du combat.
Qu’il me soit permis de complimenter celles et ceux, toujours vivants qui, sans
tergiverser, gardent, intacts, l’enthousiasme, la détermination et refusent de
céder à la corruption et au découragement.
J’évoque et évoquerai, sans répit, le legs de l’éducation et des valeurs
que mon père Dah Abeid et ma mère Mata Ahmedou Salem m’ont transmis aux primes
heures de l’enfance, en perspective de l’âge adulte, dans une société de caste,
foncièrement irrespectueuse de la dignité de la personne. Feu Dah Abeid m’a
enseigné le refus, et l’opposition – instantanés - sans calcul ni détours, de
l’injustice d’où qu’elle vienne ; feue Mata
Ahmedou Salem m’a dispensé une exigeante inclination à partager, avec
les humbles, tout le matériel terrestre, les biens d’ici-bas, à donner jusqu’au
dernier sous, loin de la peur du dénuement et des lendemains de gêne. Ces
principes guident mon action à la tête du mouvement abolitionniste et orientent
ma vie, dans la sphère du privé.
Je m’adresse à toutes ces personnes – de mon pays et d’ailleurs, dont les
cœurs gorgés de fraternité et d’empathie, battent à l’unisson, afin de servir
et vulgariser l’entendement des humanistes, amoureux de la diversité, de la
découverte mutuelle, loin des sectes, des millénarismes et des délires des
extrémismes métaphysiques en guerre contre la rationalité ; parmi eux, je loue
les défenseurs de la loi, de l’écologie et de la paix dans le respect des
différences. En vérité, nous sommes pressés d’achever notre bataille de
Mauritanie, avant de nous consacrer, avec vous, à la mère des solidarités :
nous rêvons d’une répartition équitable des ressources de la terre et de leur
renouvellement, en vue d’améliorer l’accès à l’eau, à la nourriture, aux soins
de santé et à un niveau d’éducation qui valorise, par la distinction et
l’excellence, les sciences, les arts, la philosophie et la littérature, envers
et contre la censure et les dérives inquisitoriales. Ainsi, nous participerions au recul de la
xénophobie, de la faim, du populisme outrancier, des désirs hégémoniques, en
particulier les plus meurtriers, en l’occurrence les extrémismes confessionnels
violents.
Pour notre cas, la République Islamique de Mauritanie, nous avons décidé,
dès 2008, d’engager une réflexion, au titre de l’Initiative de Résurgence
Abolitionniste (Ira), dont l’objectif demeure la subversion des idées, des mots
et des actes porteurs de déconstruction et de remise en cause de la domination. Nous avions exclu d’atteindre la violence
corporelle et nous cantonnons aux ressources de la psychologue de masse, en vue
d’introduire le doute et la confusion au centre des cercles névralgiques,
secondaires et de base, du système; nous demeurons loyaux à la méthode parce
que nous en avons étayé et vérifié le succès. Les rapporteurs spéciaux des
Nations unies en témoignent assez.
Le programme global d’Ira, visait, dès le début, la démolition de
l’ascendant mental des hommes possesseurs d’esclaves, sur leur bétail humain.
Il fallait saper l’outil et le ciment de la subordination des populations
serviles envers la minorité hégémonique. La guerre imposée à nous par le
pouvoir central, sur délégation des tenants de l’esclavagisme, du racisme et de
la suprématie linguistique, nous aura accablés d’infortune et de frustration,
en termes de liberté, de bien-être, d’intégrité physique et morale. Les
prisons, les diabolisations, les privations de travail, ainsi que les sévices,
blessures et maltraitances polymorphes, étaient notre lot quotidien, pendant
plus de dix ans. Les deux quinquennats de l’ancien Président Ould Abdel Aziz
nous ont valu trop d’affliction mais ils raffermissaient notre résolution.
Aujourd’hui, qu’emprisonné, la justice le poursuit pour des crimes économiques,
nous répugnons à l’accabler.
A la dernière confrontation de cet épilogue décennal, les élections
législative et présidentielle de 2018 et 2019 démontraient le potentiel de
notre audience. Nous sortîmes victorieux dans les urnes, en dépit des fraudes,
de la privation et de l’interdiction de nos structures de participation
démocratique. A l’inverse du calcul de nos détracteurs, malgré les
intimidations et le peu de moyens, nous parvînmes à élire des députés et des
conseillers de commune. J’arrivai, à en croire l’instance d’organisation du
vote, en position de second après l’actuel Président de la République.
Aujourd’hui, je prétends incarner l’unique offre d’alternance au pouvoir de
l’axe de l’alliance aristocraties bureaucratiques, tribale et clanique, tel
qu’instauré, sous des formes plus ou moins vernies, depuis le 10 juillet 1978.
Maintenant, chers amis, nous vivons une deuxième phase de réalisation de
notre projet pour la Mauritanie et les Mauritaniens. L’Etat, pendant les deux
premières années du mandat de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, renonce à
l’option de nous éradiquer, bien à rebours de son prédécesseur. Les appels aux
meurtres, les campagnes de dénigrement, les excommunications, la prison en
plein désert sous un toit de zinc à plus de 50 degrés, les châtiments
physiques, ne ponctuent plus la ligne officielle, à nos dépens. Cependant, le
danger de la régression persiste car des personnalités influentes du
gouvernement, de la haute administration, de la finance et de l’entourage du
Président Ghazouani, essaient d’attiser le feu afin de rompre l’apaisement en
cours. Ils représentent les intérêts de la conservation, des tribus, des clans
et du fanatisme, toutes factions que notre ambition d’égalité et de citoyenneté
effraye.
Oui, chers amis, comme partout durant notre passage d’humains sur la terre,
l’histoire, les arts et l’ensemble des supports de la mémoire nous apprennent
que la quiétude, l’épanouissement et la sérénité s’achètent, au prix de
l’équité, de la bienveillance, je dirais de l’amitié et du dialogue franc. Le
tarif n’est exorbitant ni le produit surfait. Vivre sans guerre, loin de la
crainte, vaut bien des précautions et une dépense immodérée de scrupule. C’est
à ce pacte de transition par les réformes, que nous invitons nos compatriotes
et le pouvoir du moment. Nous voulons instaurer la normalité au profit de mes
frères noirs subsaharienne, autochtones, bâtisseurs du pays et patriotes
enthousiastes de pères en fils; et les enfants de la laborieuse communauté
Hratin, pourvoyeurs de barrages, de récoltes, de puits, de gardiennage du
bétail, depuis toujours confinés aux tâches multiséculaires du muscle et de la
sueur. Nous nous engageons à traquer l’esclavage et toutes pratiques similaires
jusqu’à ses derniers recoins. Nous souhaitons que les negro-mauritaniens ne
fussent plus tués, torturés, déportés, impunément. Nous tenons - objectif
non-négociable - à abroger les lois qui protègent le tortionnaire et imposent,
aux victimes, le devoir de se taire, leur dit-on, pour préserver la cohésion de
la communauté de destin. A l’épreuve des frustrations et du déni de justice, la
ruse ne prend plus. Cependant, que personne ne conçoive de l’effroi, à cause de
nos emportements légitimes : nous n’avons jamais tué au cours de notre marche
vers l’égalité et ne détenons aucune arme létale, à l’inverse de beaucoup de
nos compatriotes et détracteurs, des civils détenteurs quasi-exclusifs de
fusils d’assauts et de munitions de guerre. Combien de fois, n’avons-nous pas
demandé, au pouvoir, de mettre un terme à ce déséquilibre de la terreur dont
chacun, ici, pressent la volatilité tragique, à la moindre bavure. Qu’il me
soit permis de réitérer l’appel, à l’intention du président de la République
Mohamed ould Cheikh El Ghazouani. Le désarmement de la société nous semble
relever de l’urgence, si l’on accepte de regarder, sans fard, la détérioration
du contexte sécuritaire au Sahel.
Nous avons misé sur une cohabitation détendue avec le pouvoir du Président
Ghazouani et la recherche – collaborative - des règles d’une compétition qui ne
lèse la vérité du suffrage universel, en vertu du principe « un homme, une voix
». Or, l’objectif requiert bien des préalables : les législateurs ne sont pas
élus avec le même nombre de votants, laissant ainsi croire que certains
détiendraient une légitimité ou une valeur supérieure, le découpage des
circonscriptions favorise nettement un groupe sur citoyens sur d’autres. Mais,
il n’y a pas de drame à accepter les arrêts implacables du nombre et de
l’évolution sociale. Seule la réhabilitation, je dirais l’assainissement de
l’Etat de droit et des libertés démocratiques, du Conseil constitutionnel, des
forces de sécurité et de la magistrature permettront de nous économiser, à
tous, la rançon de l’insurrection et du ressentiment. Nous chérissons la paix,
certes…mais un article si précieux ne saurait se conquérir par la négligence,
l’autisme ni la cécité.
Je vous remercie !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire