Pourquoi cette américanisation de leurs
rapports ? Pourquoi judiciariser les rapports sociaux ? Pourquoi hier, le linge
sale s’est lavé en privé, aujourd’hui, le même linge sale se lave devant le
prétoire ? Autant des questions qui restent sans réponse, nous nous forcerons,
pas pour répondre aux interrogations mais plutôt pour proposer des solutions
aux justiciables.
Lorsqu’un procès s’engage, on ne peut
généralement pas prévoir quand il s’achèvera. Le procès prive les parties toute
maitrise sur la solution. Il est un engrenage dont les parties ne décident pas
la progression, qui laisse peu de place à l’interactivité et conduit à une
solution imposée. La justice décide radicalement qui a raison et tort,
distingue le gagnant du perdant. C’est ce que nous appelons l’ « américanisation
» des rapports.
La justice est un principe, suivant lequel on
doit attribuer à chacun ce qui lui est dû. Cette fonction juridictionnelle est
devenue l’une des principales attributions de l’Etat moderne, car les lois
empêchent que chaque justiciable se fasse justice. Le philosophe Paul Ricoeur,
écrivait que, « la justice a deux finalités ; la finalité courte et la
finalité longue ». La finalité courte de la justice est aux antipodes de
l’organisation sociale et économique de cette communauté, décrit tant comme
solidaire. Par ailleurs, c’est la finalité longue qui nous intéresse ici, en
l’occurrence, la paix sociale, la tranquillité et la sauvegarde des liens
sociaux pour cette communauté qui n’a pas l’habitude d’aller plaider devant un
juge et qui se déchire pour des faits auxquels la loi les a déjà règlementé
(esclavage, conflit foncier…).
Pour Paraphraser les propos un magistrat
sénégalais (Keba M’Baye), la fierté d’un soninké, c’est de dire que moi, j’ai
jamais mis pied au commissariat. Aujourd’hui, le voilà devant le prétoire en
face du juge pour y être juger et dévoiler son organisation sociale
conditionnée par les comportements héréditaires et patronymiques ; qui peut
s’analyser suivant la stratification horizontale en castes définies par des
critères de professions ou de conditions de vie, formatée à base de parenté lié
à la génétique. C’est comme si l’un des pères fondateur de l’Anthropologie
structurelle Claude Levi-Strauss a déjà vécu au sein de cette communauté en
écrivant cela : « il fallait être peint pour être un homme, celui qui
restait à l’état de nature ne se distinguait pas de la brute ». C’est ce
mélange de l’ordre de l’idéal et celui du vécu, non seulement
parce que la nature même du mécanisme de l’organisation sociale de cette
communauté repose sur la répétition, mais plus encore parce qu’à la désobéir,
on encourt les sanctions des puissances surnaturelles, auxquelles peuvent
s’ajouter celles de la communauté des vivants. La coutume soninké, c’est ce qui
reste quand on a tout oublié.
Cependant, nous avions assisté ce dernier
temps des condamnations, des feuilletons judiciaires, des plaintes et des
contres-plaintes, des convocations en convocations soit devant la police, soit
devant le juge étatique. Malheureusement, Nous continuons toujours à assister
les mêmes feuilletons judiciaires devant les tribunaux étatiques entre les
soninkés de Guidimakha. Après l’affaire de Coumbadaou, Dafort, Modibougou,
entre autres, le voici le contentieux foncier de Diogountouro devant la
Cour d’appel de Kiffa. Toutes ces affaires se succèdent et se ressemblent les
unes aux autres, soit sur le fond de l’esclavage, soit encore sur le fond d’un
problème foncier, avec des titres fonciers communautaires dont certains d’entre
eux datent bien avant l’indépendance de la Mauritanie, qui aujourd’hui, ne
valent plus un titre exécutoire au regard des textes fonciers en vigueur ; eut
pourtant la solution de leurs conflits est entrain leur main. Malheureusement,
encore une fois de plus les mêmes causes produisent les mêmes effets, le
contentieux foncier de Diogountouro, entre Gandega et Camara se refait
surface devant la Cour d’appel de kiffa, selon nos sources judiciaires. Cette
affaire qui, était depuis 2017 pendante devant le tribunal de Moughataa de
Selibaby, le juge a fini par rendre une décision en date du 18/ 04/ 2018 en
faveur de Gandega.
La réforme judiciaire mauritanienne du 24 juillet
1999 portant organisation judiciaire a consacré l’institution du juge unique au
niveau du tribunal de la Moughataa et de la wilaya. La consécration du juge
unique a pris sa source après la conversion de la Mauritanie à l’islam par les
almoravides a permis d’instaurer une justice fondée sur un cadi omnipotent. Ce
système du juge unique, qui a été retenu au niveau de la première instance,
constitue une économie certaine de personnels. Le jugement rendu par cette
juridiction est une décision juridictionnelle qui peut faire l’objet d’un
recours devant la Cour d’appel. La partie en conflit qui se sent léser par la
décision prise de ce juge unique ou qui estime que sa cause n’a pas été
entendue équitablement peut faire une déclaration d’appel au greffe de la Cour
d’appel. Eut, c’est ce qui s’est passé dans cette affaire foncière de Diogountouro.
Les Camara, contestent le jugement rendu par ce juge unique devant le tribunal
de Moughataa de Selibaby le 18/04/2018 et font appel de ce jugement devant la
Cour d’appel de Kiffa le 11/06/2018. Cette juridiction (Cour d’appel) est
totalement différente du tribunal de Moughataa, car elle est composée des
magistrats professionnels, soucieux de l’application des textes de lois en
vigueur, le ministère public est représenté par le procureur, le greffe est
tenu par le greffier en chef et l’élection d’avocat est obligatoire. La Cour
d’appel statue sur les recours en appel contre les décisions judiciaires rendues
en première instance. Cette justice étatique relativement longue et qui ne
prend pas en compte les valeurs et les intérêts de chacune des parties ; qui
est actuellement en crise dans les sociétés dites de droit à cause de son coût,
sa lenteur et l’arrivée de la justice alternative au marche. La justice
étatique est trop couteuse, moins soucieuse des liens sociaux, d’où l’intérêt
que nous proposons aux litigants une justice douce, conciliatrice, rapide,
moins couteuse et soucieuse des liens sociaux prévue par la législation
mauritanienne.
Aujourd’hui, les modes amiables de résolution
non judiciaire des conflits sont encouragés et favorisés par les législations
internes dans le monde entier (Etats-Unis, Europe, Afrique…). Ils correspondent
à un changement fondamental des mentalités face à une absence de réponse
adaptée et au développement massif des contentieux devant les tribunaux.
Humaniser le traitement de conflit, trouver des solutions pérennes et adaptées.
La justice conciliatrice, s’inscrivent dans une volonté de négocier ses propres
solutions aux conflits, de passer de l’imposé au négocié, de maitriser le
traitement du conflit et d’arriver à une solution amiable. Cette justice offre
une chance aux justiciables d’éviter les procédures judiciaires trop longues.
C’est une forme de justice qui s’oppose à la justice étatique par sa rapidité,
son caractère informel et son attachement à privilégier une solution
réparatrice. N’a-t-on pas coutume de dire « un mauvais arrangement vaut
mieux qu’un bon procès. La plus mauvaise transaction est meilleure que le
meilleur procès». La finalité de cette justice est alors de construire un
accord qui n’est pas nécessairement juridique, à partir d’un travail sur les
valeurs et les intérêts de chacun.
La Mauritanie a légiféré dans ce sens, en
créant un centre d’arbitrage et de médiation. Et dans le domaine foncier, la
justice conciliatrice est prévue par les articles 21, 23 et 25 du décret N°
2000-089 du 17 juillet 2000 abrogeant et remplaçant le décret n° 90. 020 du 31
janvier 1990 portant application de l’ordonnance 83. 127 du 5 juin 1983 portant
réorganisation foncière et domaniale, instituent des commissions foncières
nationales, régionales et locales d’arbitrage permettant de régler le litige
foncier amiablement. La justice conciliatrice est conçue comme un moyen le plus
raisonnable de terminer les contestations entre les litigants. Elle
responsabilise les parties, en leur permettant de rapprocher leurs points de
vue, de définir une solution innovante adaptée à leurs besoins et leurs
intérêts, soit sous l’égide d’un juge ou un mouslih qui intervient pour
contrôler le processus, la régularité de l’accord et sa conformité à l’ordre
public.
Pour conclure, on n’espère que cette affaire foncière de Diogountouro
n’arrivera pas devant la Cour suprême de Nouakchott, car cela serait un
cataclysme pour toute la communauté. Nous demandons aux parties, d’aller vers
une solution amiable, car la justice négociée permet de préserver les liens
sociaux et nous dirige vers une pacification de nos relations, telles ont été
la préoccupation première de cette justice alternative.
BA – Boubou
Doctorant-Chercheur en Droit à Paris
Assistant Juridique à la Cour de cassation de Paris
Militant de Droits humains
Membre de l’Association Française de l’histoire du Droit à Paris (AFHD)
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