Par La
rédaction de "Mondafrique" - Publié le 07 Mai, 2015
Face à la
presse mauritanienne réunie le 5 mai, le président mauritanien Aziz s'en est
pris au site "Mondafrique", à son directeur, Nicolas Beau et au livre
que ce dernier a écrit en 2013 "Papa Hollande au Mali". Voici la
réponse de la rédaction de Mondafrique.
Du grand classique! Déja quand un
autre général, le président tunisien Zine Ben Ali, était à la belle
époque de la dictature affaibli par la crise économique ou attaqué par des
opposants pour corruption, il ne manquait pas, en jouant sur la
fibre nationaliste, de s'en prendre à la presse internationale. Sans
grande créativité, le président mauritanien, le général Aziz, joue la même
carte.
Le fantôme du "Ghana Gate"
Aujourd'hui, les preuves se multiplient
sur la participation du général président au scandale du "Ghana
Gate". Depuis des années, la presse mauritanienne avait révélé
courageusement les écoutes, où l'on entend une voix proche de celle du président
Aziz, alors chef de la garde présidentielle, évoquer au téléphone en 2005 la
remise de faux dollars avec un correspondant en Guinée. Mais
traditionnellement, Aziz protestait de son innocence: un faux
grotesque, tonnait-il! Et une voix qui n'était pas la mienne!
Or dans "le Monde Afrique" du 24
avril, l'édition africaine du quotidien français le "Monde",
le journaliste et spécialiste de l'Afrique, Thomas Hofnung, révèle que
l'ONG Sherpa, animée par maitre William Bourdon, connu pour avoir dénoncé,
entre autres, les biens mal acquis en Afrique et le travail forcé des salariés
de Vinci au Qatar, a fait expertiser les fameuses écoutes par un expert
judiciaire assermenté. Il s'agit bel et bien de la voix du président Aziz.
Voici l'article du Monde : "En
Mauritanie, l'opposition tire à boulets rouges sur le pouvoir"
Que faire face à ces preuves irréfutables?
Le président mauritanien, dans sa conférence de presse, n'a plus nié
l'existence de ces écoutes, ni même qu'il était bien un des deux interlocuteurs
de cette conversation étrange. Pour se dédouaner, le chef de
l'Etat s'est lancé dans des explications rocambolesques.
"C’est une affaire de gadget ou de la
fourberie, a expliqué Aziz. Une personne m’avait appelé en 2005, un Arabe.
Il dit qu’il est qu’il est officier Iraquien. Son père a des problèmes. Lui est
au Ghana. Il veut venir en Mauritanie, car il a des petits enfants et ne
veut les éduquer que dans un pays islamique comme la Mauritanie. C’est ça la
cause. Il dit qu’il a un budget et il veut investir. C’était une arnaque.
Ce n’est la première fois qu’on rencontre ces genre de problèmes de ce pays ou
dans le monde. Des gens qui disent qu’ils vont venir. Ils ont tout. Or rien
n’existe de se qu’ils disent".
"Mondafrique", le coupable!
Surtout le président Aziz, pour dénoncer
la campagne du Ghana Gate, a préféré s'en prendre à l'Etranger,
incarné par le site "Mondafrique". Voici les propos: « Je le
dis, à vous les journalistes, de ne jamais croire à ce que les journaux
internationaux écrivent loin du pays comme le cas de Mondafrique,
où travaille le journaliste Nicolas Beau, inféodé à Sherpa".
Pas de chance, le site Mondafrique n'a JAMAIS évoqué cette affaire du "Ghanagate", faute des preuves qui ont été apportées tout récemment par le Monde Afrique (voir l'article plus haut). Le bon général devrait faire appel à de meilleurs communicants.
Pas de chance, le site Mondafrique n'a JAMAIS évoqué cette affaire du "Ghanagate", faute des preuves qui ont été apportées tout récemment par le Monde Afrique (voir l'article plus haut). Le bon général devrait faire appel à de meilleurs communicants.
Pour appuyer sa démonstration, le président
mauritanien est revenu que le livre que Nicolas Beau, le rédacteur de chef de
Mondafrique, a écrit en 2013: "Papa Hollande au Mali". Il y est
effectivement question du Sahel, du Mali et de la
Mauritanie; des travaux effectués par l'ONG Sherpa sur la mauvaise
gouvernance du président actuel et de la corruption de son clan (voir l'extrait du livre ci dessous).
Et du risque que constituent des régimes illégitimes en matière de terrorisme. "Nicolas
Beau, déclare-t-il, est venu ici envoyé par un homme d’affaire
Mauritanien. Le site Mondafrique est acheté. Quelques journalistes Mauritaniens
l'aident ici pour récolter des informations".
Diable! Que des journalistes
mauritaniens envoient des papiers, c'est exact, et nous les remercions. Pour le
reste, le site créé par un ancien du Monde, du Canard Enchainé et de Marianne,
comme Nicolas Beau, et par des journalistes comme Jacques Marie Bourget,
Philippe Duval et d'autres, est totalement indépendant. Sur le plan
financier, la rédaction possède la majorité du capital et accepte l'aide de
quelques mécènes, à conditions que leur gestion
soit irréprochable et non infestée par l'argent de la corruption et de la
drogue. Il en existe!.
Privation de passeport
Rendons grace au président mauritanien pour
reconnaitre, dans un sursaut de sincérité, comment son régime traite les
journalistes étrangers suspects. "Lorsque Nicolas Beau est venu en
Mauritanie, les renseignements généraux «Moukhabarattes en hassanya » se
sont jetés sur lui dès son premier jour sur le sol mauritanien… Il a écrit son
livre Papa Hollande qui me critique sans me connaitre moi Aziz.. »
Il est
vrai que dès l'arrivée du journaliste à Nouakchott, Nicolas Beau recevait
la visite musclée de quelques policiers en civil qui lui retiraient le passeport ( sans se jeter sur lui pourtant, là le président exagère). Ces
fonctionnaires de police lui donnaient l'ordre de rester à l’hôtel Dans un
deuxième temps, il sera invoqué un "trafic de passeports" qui
rendrait le titre de séjour du journaliste caduc. Finalement, dans leur
mansuétude, les policiers d'Aziz rendront le passeport, sans excuses ni autres
explications, une douzaine d'heures plus tard, avant de suivre le journaliste
dans le moindre déplacement.
Nous serions heureux à Mondafrique si
le président Aziz acceptait de répondre à un entretien. Et cela afin
d'éviter que dans les prochains livres et articles, "nous ne le
critiquions sans le connaitre". L'année prochaine à Nouakchott?
Voici un extrait du livre:
MAIN BASSE SUR NOUAKCHOTT
our qui emprunte « la route de l’espoir » à
la sortie de Nouakchott, l’état de misère dans laquelle vit la majorité des
Mauritaniens devient instantanément une évidence. Goudronné après
l’indépendance par le premier président Moktar Ould Daddah, cet axe permet de
gagner les 1 200 kilomètres de frontière que la Mauritanie possède avec le
Mali. Des deux côtés de la route, d’innombrables barrages policiers ont été
installés pour tenter d’interpeller d’éventuels terroristes. De vastes dunes
désertiques sont balayées par des vents de sable qui ignorent les quelques
groupes de maigres prosopis plantés pour retenir le sol. À perte de vue se
succèdent des baraquements en tôle, sans eau ni électricité, où vivent surtout
des femmes et d’innombrables. Sur le bas-côté, le dépôt de nourriture d’une ONG
est fermé depuis des mois, en raison de la distribution d’un maïs frelaté par
des inter- médiaires douteux. Quelques écoles coraniques, financées par les
pays du Golfe, apparaissent flambant neuves. Plus loin, surgissent de nulle
part de superbes villas qui appartiennent à sept frères qui se sont lancés dans
le commerce de diamants avec le Congo. À moins qu’ils n’aient fait fortune,
murmure-t-on, dans le trafic de stupéfiants, à l’origine, en Mauritanie comme
ailleurs dans le Sahel, de fortunes aussi rapides qu’inexpliquées.
Dans le petit local de trois pièces que loue
son association dans un quartier populaire de Nouakchott, la présidente de
l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH), maître Fatimata
Mbaye, dresse un tableau alarmant de l’état de décomposition de la société
mauritanienne. « La Mauritanie, explique-t-elle, présente un visage pacifique,
voire nonchalant. Mais il ne faut pas s’y tromper. La situation est
bouillonnante et un jour, ce sera pire que chez nos voisins maliens ou
sénégalais. Nous avons entrepris une course dangereuse sur un toit glissant. Le
parti islamiste a infiltré de manière horizontale toutes les sphères de la
société. Si nous allons vers des élections vraiment libres et transparentes,
les Frères musulmans seront présents au moins au deuxième tour. Il suffit d’un
rien pour que nous basculions dans une situation à l’égyptienne ou à la
libyenne. » La nébuleuse d’al-Qaida aurait déjà infiltré un bon nombre de
mosquées. « La misère est telle, poursuit-elle, que pour 1 000 dollars, un
jeune est capable de tuer son père et sa mère. » Sans se départir de son
sourire, maître Fatimata Mbaye dénonce les agissements du président maurita-
nien, Mohamed Ould Abdel Aziz, qui a détruit le fichier électoral lors de son
arrivée au pouvoir en 2008, et figé l’état civil, rendant ainsi l’exercice
démocratique illusoire. De plus, la liberté d’expression affichée à Nouakchott
est très encadrée. « Lorsque je suis dans un lieu public, explique l’avocate,
je tourne ma langue sept fois, je ne sais pas qui est autour de moi. Je garde
toujours une carte sous la manche, c’est ma porte de sortie. » « À la France,
plaide-t-elle, qui a combattu avec courage l’extrémisme au Nord Mali, de nous
aider à établir une vraie démocratie. »
Coups d’état permanents
Présidente d’un mouvement qui s’occupe de
tous les damnés de la terre, l’Association des femmes chefs de famille (AFCF),
Aminettou Elmoctar est une autre grande figure de la société civile
mauritanienne. Le diagnostic qu’elle fait de l’état de la Mauritanie complète
celui de son amie de l’AMDH. Dans la cour attenante à la modeste maison qui
abrite ses bureaux, deux jeunes esclaves d’une extrême maigreur sorties des griffes
de leurs maîtres rasent les murs, encore apeurées. « Malgré la loi qui en 2007
criminalise l’esclavage, explique cette Mauritanienne, aucune poursuite n’est
jamais engagée. » Le pouvoir mauritanien n’est pas plus sensible à la cause des
femmes qu’aux traces de l’esclavage. Le 8 mars 2012, journée des femmes, une
grande manifestation de quatre mille personnes, organisée pour demander le vote
d’une loi criminalisant les violences conjugales, était autorisée. Nous étions,
à l’époque, quelques semaines après le début du Printemps arabe. Le pouvoir
mauritanien était condamné à lâcher du lest s’il ne voulait pas provoquer la
colère populaire. Un an plus tard en revanche, la situation n’est plus la même.
La manifestationprévue pour la journée des femmes, le 8 mars 2013, a été
interdite. « À quelques mois des élec- tions législatives de novembre 2013,
explique cette militante, la présidence ne tolère plus que les initiatives
organisées sous sa tutelle. »
Depuis 1978, un militaire en chasse un
autre au sommet de l’État. Le pouvoir ne tient que par la peur qu’inspire le
Basep, la super-police présidentielle. Une économie qui devrait prospérer grâce
à des matières premières abondantes est entièrement vampirisée par le clan de
la présidence. Face à ses alliés, le régime mauritanien cherche à donner toutes
les apparences de la démocratie. Des élections législatives sont prévues en
novembre 2013, mais avec deux ans de retard sur les dates prévues, et sans la
participation des vrais opposants, qui qualifient le scrutin de farce
électorale. La presse est pluraliste, parfois même virulente, mais sans moyens
véritables, elle est très peu distribuée. Les lois sont sans doute exemplaires,
notamment en matière de corruption, mais elles ne sont pas appliquées par une
justice aux ordres. Comme sous les dictatures passées de Ben Ali et de
Moubarak, la lutte contre l’intégrisme violent est le prétexte invoqué auprès
des Occidentaux pour justifier les mesures attentatoires aux libertés, comme
l’explique le fringant directeur d’Internet au ministère de l’Information,
Abdallah Yacoub Hommatollah. « Nous sommes certes tous des démocrates, mais il
faut repenser l’action démocratique compte tenu du danger que représente
l’islam radical. »
À l’époque de Nicolas Sarkozy, la faute de la
France fut de « blanchir » le coup d’État de 2008 du président Mohamed Ould
Abdel Aziz, qui renversait Sidi Ould Cheikh Abdallahi, que l’on connaît sous le
surnom familier de« Sidioka ». Le premier est un général qui a fait ses classes
au Basep, le second le seul chef d’État démocratiquement élu dans l’histoire de
la Mauritanie. Le soutien de la France aurait dû aller au président légitime.
Le 6 août 2008, le général Mohamed Ould Abdel
Aziz prend le pouvoir. L’Élysée, dans un premier temps, dénonce le coup d’État.
Profes- seur de mathématiques et ancien ministre de la Pêche sous la présidence
de Sidioka, Assane Soumari raconte comment, le 14 septembre 2008, il rencontre
Bernard Kouchner et Rama Yade, alors ministres des Affaires étrangères et des
Droits de l’homme. Ces deux-là lui prodiguent quelques bonnes paroles. Mais le
vent tourne vite. « J’ai vite compris que le virage avait été pris par
l’Élysée, en droite ligne de ce qu’avait toujours été la Françafrique. » « Aziz
était soutenu par Nicolas Sarkozy, par les Libyens et par les Sénégalais »,
résume Abdoulaye Mamadou Ba, l’ancien conseiller de Sidioka, le président
déchu, qui se confie dans un petit restaurant de Nouakchott, où un policier,
depuis la table voisine, surveille le moindre propos qu’il adresse au journaliste
étranger de passage. Sous le patronage de l’ancien président sénégalais,
Abdoulaye Wade, les accords de Dakar en 2008 consacrent une transition douce à
Nouakchott. L’émissaire de l’Élysée, Robert Bourgi, participe même à des
meetings de soutien au candidat de l’armée. Le 9 juillet 2009, Aziz est élu à
la présidence de la République avec 52 % des voix et toutes les apparences
d’une élection démocratique. Le général Aziz se voulait alors « le président
des pauvres ». Certes, il n’est pas un pauvre président ! Mais les projets
sociaux des premiers mois du règne du président Aziz se sont perdus dans les
sables. Désormais, la corruption le dispute au népotisme. 451 hectares de
terrains constructibles sont abandonnés à des proches du régime, en vue de l’hypothétique
construction d’un aéroport surdimensionné (pouvant accueillir deux millions de
passagers dans un pays qui en compte quatre). Le projet, qui aurait dû être
inscrit au budget, ne l’a pas été. Lorsqu’il s’agit, dès 2009, d’attribuer à
une société anglaise inconnue, Tulow Oil, l’essentiel de la commercialisation
du gaz et du pétrole, c’est un cousin d’Aziz, Kemal Ould Mohamedou, qui
représente l’État mauritanien. Le propre beau-fils du président est envoyé à
Paris, tous frais payés, pour le compte de la première entreprise minière du
pays, la SNIM, véritable caisse noire du régime. Deux nouvelles institutions
financières sont créées sur mesure pour être immédiatement confiées à des amis
dans un pays de quatre millions d’habitants, dont 97 % n’ont pas encore de
compte en banque.
Chaque jour, les sites Internet mauritaniens
comme Cridem révèlent de graves escroqueries concernant la présidence. Dans
l’affaire dite du « Ghanagate », en 2006, le président mauritanien, qui était
alors chef de la garde présidentielle, participe à une curieuse négociation
commerciale avec un homme d’affaires irakien portant sur des transferts de
fausse monnaie. Sur la bande enregistrée rendue publique, on identifie
parfaitement la voix d’Aziz qui, pour se défendre, dénonce un montage sans nier
qu’il s’agit de sa voix. Le futur président mauritanien aurait expliqué à
l’intermédiaire irakien : « Ils n’ont qu’à prendre 2 millions de dollars
dans une des valises » Le 1er avril 2013, le principal parti
d’opposition, le RFD, devait demander l’ouverture d’une enquête internationale,
en déplorant ce niveau record de « déchéance morale » de la part d’un chef
d’État.
L’entourage présidentiel, sans mettre en
cause les enregistrements, tente de les justifier maladroitement. « À l’époque,
la Mauritanie avait besoin de fonds étrangers », devait expliquer un député du
parti majoritaire et proche du président mauritanien. Dans les enregistrements,
on reconnaît parfaitement la voix de Coumba Ba, une proche du président
mauritanien Aziz. Successivement ministre de la Fonction publique et secrétaire
d’État aux Affaires africaines avant d’être nommée conseillère du président,
elle joue un rôle apparemment clé dans le trafic de fausse monnaie en 2006.
Depuis les révélations du scandale, cette collaboratrice de premier plan a été
mise à l’écart.
Des promesses envolées
Mis au ban de la communauté internationale
après son coup d’État, le président Aziz a joué un joli coup en se tournant
vers la Chine, prête à s’engouffrer dans la brèche. Le gouvernement de
Nouakchott trouve un accord avec un certain Haijun Zhang, qui dirige à Pékin la
Commission de l'industrie alimentaire et de la haute science technique. Un «
Bureau de promotion des investissements sino-mauritaniens » est créé, qui
promet la lune : des villas haut standing sur 50 hectares, un hôpital
d’excellence, 5 hectares de grandes surfaces, des transports par bus, un projet
d’éclairage public à énergie solaire et l’enlèvement des épaves de bateau à
Nouadhibou, le premier port du pays. Autant de mirages qui n’ont jamais vu le
jour.
En retour, le secteur de la pêche (10 % du
PIB, la moitié des recettes d’exportation, 40 % des emplois) est bradé à une
obscure entreprise chinoise connue pour des faits de vente illégale d’armes à
l’étranger. Le 7 juin 2010, un colonel mauritanien et intime de la présidence a
négocié cet accord extravagant pour une durée de vingt- cinq ans. Aucune loi ne
peut pendant ce quart de siècle remettre en cause les conditions fiscales et
commerciales exorbitantes prévues. Les Chinois s’étaient engagés à investir
pour 100 millions de dollars dans des usines de transformation des produits de
pêche. Les engagements ne seront pas tenus et obligeront le pouvoir mauritanien
à demander une révision dudit contrat.
Créée en France par l’avocat français William
Bourdon, qui fut à l’origine de la procédure dite « des biens mal acquis »
contre le Gabon, le Congo et la Guinée, après dix ans de combats judiciaires,
l’ONG Sherpa a pondu un rapport sévère sur la gestion du pouvoir mauritanien. «
La Mauritanie, écrivent ces experts, n’échappe donc pas au phénomène de la
malédiction des ressources – également appelé “paradoxe de l’abondance” – qui
postule que l’abondance de richesses naturelles accroît paradoxalement la
pauvreté et les inégalités. Aux yeux de bon nombre d’observateurs, la
corruption constitue la principale dynamique de cette malédiction des
ressources qui freine le développement de la Mauritanie. Observons que, selon
l’Indice de perception de la corruption (IPC) que l’organisation Transparency
International publie chaque année, la Mauritanie figure de façon constante
parmi les plus mauvais élèves en ce domaine. » Un rapport du FMI d’août 2012
note que ce pays est l’un des rares à avoir enre- gistré « une détérioration de
la gouvernance », notamment au regard de l’indicateur qui mesure le niveau de
corruption reçu. Encore aujourd’hui, la Mauritanie figure parmi les pays en
développement « les moins avancés » et bénéficie, à ce
titre, du dispositif en faveur des pays pauvres très endettés. Selon le dernier
rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), un tiers
de la population vit avec moins de 1,25 USD par jour, et l’espérance de vie à
la naissance ne dépasse pas 59 ans. Seule la moitié des adultes sont
alphabétisés.
Postures vertueuses
Comble du cynisme, le pouvoir mauritanien
adopte des lois vertueuses. Des stratégies nationales de lutte contre la
corruption, hommage du vice à la vertu, sont proclamées. Obligation est faite à
tout haut fonctionnaire de déclarer l’état de ses biens, mais personne ne se
plie à cette règle. Les réformes du code de passa- tion des marchés publics se
multiplient. « La Mauritanie, s’interrogent les experts de Sherpa, ne
serait-elle pas l’illustration caricaturale d’une instrumentalisation par voie
d’affichage et de déclarations publiques de la lutte contre la corruption avec
comme seule ambition non pas de la réduire, mais [...] de délégitimer les
critiques qui pourraient s’exercer sur la Mauritanie en se “protégeant”
derrière ce “parapluie” de belles déclarations ? »
Toujours d’après Sherpa, la Banque centrale
mauritanienne (BCM) constitue un rouage important de ce système de corruption
généralisée. La BCM est régulièrement mise en cause dans des opérations
illégales : manipulations de taux de changes, blanchiment, création et
rémunération d’emplois fictifs, achat de matériels d’écoute et d’armes,
détournements de l’aide financière extérieure et dépenses extrabudgétaires
gouvernementales. Le cabinet Ernst & Young a émis de sérieuses réserves concernant
les états financiers de la Banque centrale de Mauritanie des années 2007 à
2010.
La Mauritanie dispose d’importantes
ressources naturelles avec des gisements d’or, de pétrole, de cuivre et surtout
de minerai de fer. Les investissements ne cessent de croître dans un secteur
pourvoyeur de devises. En 2010, environ soixante-six sociétés extractives
figuraient sur les cadastres minier et pétrolier en Mauritanie, dont
cinquante-trois minières et treize pétrolières, soit le double du nombre de
sociétés existant cinq ans auparavant. L’expansion estaujourd’hui devenue
vertigineuse. Le nombre des permis attribués a augmenté de 540 % au cours des
trois dernières années.
Le secteur public a été pratiquement exclu
des attributions des permis de recherche minière en Mauritanie. Seuls deux
opérateurs étatiques en ont incidemment bénéficié, dont la puissante société
nationale chargée d’extraire le minerai de fer. Le reste a été attribué au
secteur privé, notamment à des hommes d’affaires proches du régime. Les défenseurs
de l’écologie craignent que le rythme accéléré des attributions de permis ne
conduise, à brève échéance, à une sorte de privatisation du territoire
mauritanien et à la création de « féodalités » au profit de sociétés privées
soucieuses uniquement du profit tiré de l’exploitation des ressources
naturelles. Toujours avec la prétention d’afficher une gestion propre, le
gouvernement du président Aziz a adhéré à l’Initiative de transparence des
industries extractives (ITIE), chargée d’attribuer un quitus de bonne gestion
aux États pour la gestion du secteur minier. En février 2013, la Mauritanie a
été suspendue par cette ONG. Aucun rapport n’avait été remis entre 2010 et
2012, à l’exception d’un document truffé de chiffres faux sur la mine d’or
de Tasiazt, où mille cinq cents travailleurs poursui- vent une grève depuis des
mois.
En 2012, la France distribuait encore 80
millions d’euros d’aide et de prêts au
gouvernement mauritanien. Officiellement, « la gouvernance » et
« le développement humain » comptent parmi les objectifs de l’antenne locale de
l’Agence française de développement (AFD), logée dans une des plus agréables
villas de Nouakchott, et qui gère l’essentiel de ces fonds. Sauf que l’AFD n’a
pas les moyens de surveiller l’usage des aides accordées. Avec quatre agents
seulement, dont deux jeunes contractuels, les Français laissent le partenaire
mauritanien sans véritable contrôle.
Des vengeurs masqués
Face à ces dérives, les garde-fous ne
fonctionnent plus. Les bailleurs de fonds traditionnels ne contrôlent en rien
les procédures opaques imposées par le pouvoir en place. La vigilance des
grandes institutions financières devrait, en théorie, dissuader Nouakchott
de franchir certaines lignes jaunes. Pourtant, force est de constater que le
FMI, qui finance ce pays depuis 2010 à coups de dizaines de millions de dollars
dans le cadre de la « facilité élargie de crédit », ne prend pas en compte la
mise sous coupe réglée de l’économie au profit d’un clan.
Comment continuer à donner le change ? Pour
satisfaire les « experts » du FMI et des autres grands bailleurs de fonds
internationaux, le gouvernement repousse à plus tard des régula- risations
urgentes sur des montants importants. L’exemple de la Banque centrale mauritanienne
est symptomatique. Des opérations ont purement et simplement disparu des
comptes. La « rançon » de 200 millions de dollars payée par le gouvernement né
de la révolution libyenne contre l’extradition d’Abdallah Senoussi, ancien chef
des services secrets libyens, n’apparaît nulle part.
8. Moyennant une somme de 200 millions de
dollars, débloquée officiellement par l’actuel pouvoir libyen, le président
Aziz a livré à Tripoli le colonel Senoussi dans des conditions obscures. Cette
rançon a disparu des comptes de la Banque centrale mauritanienne. « Ces fonds
sont en lieu sûr », a assuré sans rire un représentant du parti au pouvoir
devant l’Assemblée mauritanienne.
Côté FMI, c’est la fuite en avant... On loue
les progrès de l’économie, fondée uniquement sur la hausse du cours des
matières premières, en laissant la gabegie s’installer. En 2012, le programme
étatique EMEL 2012, doté de 120 millions de dollars, est adopté, après la
sécheresse de l’année précédente, pour distri- buer de la nourriture aux plus démunis
et appro- visionner en semences et en matériel le monde agricole. Le projet
tourne au désastre, alors qu’un million de Mauritaniens risquent la famine. Un
appel aux dons est lancé ensuite par les Nations unies alors que 120 millions
d’euros se sont volatilisés. On marche sur la tête !
Les dernières frasques du président Aziz, ont
été dénoncées au FMI dans un courrier anonyme, daté du 9 avril 2012 et fort
bien documenté, signé par un mystérieux « Œil de lynx ». La mansuétude dont
bénéficie le régime mauritanien serait liée, d’après cet informateur masqué, au
lobbying d’un ancien gouverneur de la Banque centrale mauritanienne, Zeine Ould
Zeidane, qui a été embauché au FMI. Lorsque ce haut fonctionnaire était encore
à Nouakchott, il avait adressé aux différents départements ministériels
impliqués dans la négociation avec le FMI une note leur conseillant d’adresser
de faux chiffres au FMI. Depuis, l’ancien gouverneur de la BCM est resté très
proche du pouvoir mauritanien, dont il défendrait habilement les positions,
toujours d’après le courrier anonyme, au sein de l’institution prestigieuse où
il travaille aujourd’hui.
Dans cette note sur le problème de données
avec le FMI, le gouverneur de la Banque centrale qu’était en 2004 Zeine Ould
Zeidane recommande à ses collabora- teurs de « ne plus communiquer sur les
données du passé mais exclusivement à partir de fin 2004 [...] Les avantages
d’une telle position, écrit-il, sont : (i) éviter le misreporting sur le passé,
(ii) focaliser les discussions sur les politiques et programmes à court terme
et à venir, (iii) maintenir le doute sur les données historiques et ne pas
embarrasser le FMI et la Banque mondiale de leur myopie caractérisée sur
plusieurs décennies. » À la fin de cette note, le gouverneur écrit : « Il faudra
une solidarité totale de l’équipe économique dans cette option. » Autrement
dit, il ne faudra à aucun prix divulguer ces petits arrangements avec la vérité
comptable.
Source : http://mondafrique.com/lire/politique/2015/05/07/video-aziz-sen-prend-violemment-au-site-mondafrique
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